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Med Sci (Paris). 2009 January; 25(1): 99–101.
Published online 2009 January 15. doi: 10.1051/medsci/200925199.

Les cellules souches embryonnaires humaines révèlent l’existence d’une région hautement instable du génome

Nathalie Lefort,1* Maxime Feyeux,1 Cécile Bas,2,3 Olivier Féraud,3 Annelise Bennaceur-Griscelli,3 Gérard Tachdjian,2,3 Marc Peschanski,1 and Anselme L. Perrier1*

1Inserm/UEVE UMR-861, I-STEM, AFM, Institut des cellules Souches pour le Traitement et l’Étude des maladies Monogéniques, 5, rue Henri Desbruères, 91030 Évry Cedex, France
2Service de biologie et génétique de la reproduction, Hôpital Antoine Béclère, Université Paris-Sud 11, Clamart, France
3Inserm U935, plate-forme des cellules souches pluripotentes/ Université Paris-Sud 11, Hôpital Paul Brousse, Villejuif, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Division cellulaire, Transformation cellulaire néoplasique, Aberrations des chromosomes, Cellules souches embryonnaires, Instabilité du génome, Humains, Caryotypage, Protéines membranaires, Récepteurs aux stéroïdes, Protéines de Saccharomyces cerevisiae

Accumulation d’anomalies caryotypiques au cours de la culture des cellules ES humaines

In vivo, le taux de mutations spontanées dans une cellule somatique normale (contenant environ 3 × 109 nucléotides) est de l’ordre de 10−7 à 10−8 par division cellulaire [ 1] soit environ 100 mutations par cellule à chaque cycle cellulaire. Certaines de ces mutations procurent aux cellules mutées un avantage sélectif qui leur permet de croître plus rapidement. In vitro, lors de la culture à long terme, il en résulte la substitution progressive des cellules non mutées initiales par les cellules porteuses de la mutation. Les cellules souches embryonnaires humaines (ES) sont des cellules pluripotentes dérivées à partir de cellules de la masse interne d’embryons âgés de quelques jours (stade blastocyste) [ 11, 12]. Elles ont la capacité de se différencier en tous les types cellulaires représentés dans les tissus de l’organisme (pluripotence) et de se multiplier en théorie de manière illimitée in vitro (auto-renouvellement). Cette dernière propriété n’a d’intérêt que si l’intégrité du génome des cellules ES peut être maintenue lors des cultures à long terme.

Dès 2004, plusieurs études ont démontré que les conditions de culture classiques des cellules ES humaines in vitro permettant le maintien de leur état indifférencié, induisaient de façon non négligeable une instabilité chromosomique. Des trisomies des chromosomes 12, 17 ou X ont ainsi été mises en évidence très fréquemment [ 2, 3]. L’hypothèse qui prévaut actuellement pour expliquer ce phénomène est que l’amplification de certains gènes portés par ces chromosomes confère un avantage sélectif aux cellules souches indifférenciées. La méthode la plus couramment utilisée pour mettre en évidence ces aberrations chromosomiques est la cytogénétique conventionnelle fondée sur la détection de bandes spécifiques de chaque chromosome (bandes G). Le pouvoir résolutif de cette technique ne permet cependant de détecter que les réarrangements chromosomiques de taille supérieure ou égale à 5 à 10 mégabases (Mb).

Les caryotypes moléculaires révèlent des aberrations chromosomiques plus discrètes

Dans une publication récente parue dans Nature Biotechnology [ 4], nous décrivons une région génomique hautement instable identifiée grâce à un contrôle régulier de l’intégrité du génome de cellules souches embryonnaires humaines maintenues en culture. Pour cette étude nous avons choisi de contrôler la stabilité chromosomique des cellules à l’aide de deux techniques de « caryotype moléculaire » combinant cytogénétique et biologie moléculaire qui permettent la détection de variations du nombre de copies de fragments d’ADN de tailles inférieures à une mégabase. Ces technologies sont l’hybridation génomique comparative sur puce à ADN (ou microarray CGH) et les puces à SNP (single nucleotide polymorphism).

Cinq lignées de cellules ES humaines (H1, H9, SA01, VUB01 et VUB05-HD) ont été cultivées pendant plusieurs mois in vitro dans deux laboratoires indépendants et elles ont été régulièrement contrôlées par une technique de caryotype moléculaire (Figure 1). Une copie surnuméraire d’un fragment du chromosome 20 (20q11.21), d’une taille comprise entre 2,5 et 4 Mb selon les lignées, a été détectée dans quatre de ces lignées (H1, H9, SA01 et VUB05-HD). Celle-ci est sélectionnée au cours des passages successifs des lignées. En utilisant une technique d’hybridation in situ fluorescente (FISH) d’une sonde recouvrant la région amplifiée, nous avons déterminé que la copie surnuméraire du fragment de chromosome 20 était soit répétée - en tandem ou inversée - sur le chromosome 20 (pour les lignées H9, SA01, VUB05-HD) (Figure 2A, B) soit insérée en 1p36 (pour la lignée H1) (Figure 2C). Ces observations sont corroborées par une étude réalisée par une équipe de l’université libre de Bruxelles publiée en même temps que nos observations [ 5]. C. Spits et al., décrivent la présence, dans un tiers des lignées ES humaines testées, de la même duplication chromosomique de la région 20q11.21. Cette amplification de la région 20q11.21 avait déjà été décrite de manière isolée à deux reprises. La première fois dans l’une des premières études ayant utilisé la technique de caryotypes moléculaires sur des cellules ES humaines [ 6], la seconde fois dans un article visant à répertorier les variations non pathologiques de nombre de copies d’ADN présents dans ces lignées [ 7]. Dans ce dernier cas l’amplification de la région 20q11.21 avait été interprétée comme un polymorphisme non répertorié dans les bases de données et préexistant à la culture.

La région 20q11.21 est fréquemment amplifiée dans les cancers

La région 20q11.21 humaine amplifiée dans les cellules ES humaines en culture à long terme contient une vingtaine de gènes codant pour des protéines et un microARN. Elle est synténique de la région chromosomique 2H de la souris dans laquelle a été identifié un marqueur microsatellite hautement instable. Ce microsatellite serait responsable des réarrangements chromosomiques fréquemment observés dans les stades précoces de leucémie myéloïde chez la souris [ 8]. Chez l’homme, la région 20q11.21 est amplifiée dans de nombreux cancers, notamment dans les cancers du sein [ 9], de la vessie, du poumon, du foie, dans les mélanomes et dans le cancer du col de l’utérus [ 10]. L’apparition d’un cancer est un processus « multi-étapes » dû à l’accumulation de mutations dans des gènes impliqués dans le contrôle de la prolifération cellulaire. Ces altérations génétiques induisent la transformation progressive d’une cellule normale en une cellule dérivée maligne. Des études ont montré que l’instabilité génétique de la région 20q11.21 était un événement important dans la progression tumorale [10]. Ces données suggèrent que la région amplifiée contient des gènes dont la dérégulation fournit un avantage prolifératif, qui s’exprime à la fois lors de la progression tumorale et lors de la culture à long terme des cellules ES humaines. Ces gènes pourraient jouer un rôle dans la prolifération, la survie ou la mort cellulaires. Parmi ces gènes, ID1 (inhibitor of DNA binding 1), impliqué dans la croissance des cellules, BCL2L1, impliqué dans la survie et la mort cellulaires, PDRG1 (p53 and DNA damage regulated 1) contrôlé par p53, ou encore POFUT1 (protein O-fucosyltransferase 1) fortement exprimé dans les glioblastomes, représentent autant de candidats pouvant contribuer à l’avantage sélectif de cette instabilité. Le micro ARN hsa-mir-1825 localisé dans l’un des exons du gène POFUT1 est un autre bon candidat car les microARN sont souvent décrits comme des suppresseurs de tumeurs ou, à l’inverse, des oncogènes [ 13].

Prolifération des cellules souches : vers une meilleure compréhension des processus cellulaires liés aux cancers ?

Les cellules souches embryonnaires humaines peuvent donc contribuer à une meilleure compréhension des événements précoces jouant un rôle dans la progression tumorale. Elles présentent l’avantage de permettre d’étudier l’implication de la région identifiée dans un contexte dans lequel il n’existe pas d’autres anomalies génétiques ce qui est rarement le cas lorsque des cellules de biopsies de tumeurs humaines sont étudiées. Dans le cadre de l’application thérapeutique directe de cellules ES humaines ou de leur descendance (thérapie cellulaire) comme dans celui de l’utilisation de ces cellules pour la recherche, nos résultats sur l’instabilité génétique relative des cellules ES humaines encouragent à intégrer le caryotypage moléculaire dans le contrôle qualité.

 
Acknowledgments

Ce travail a été soutenu par : MediCen (programme IngeCell), Université Paris Sud 11, FP6 de l’EC (STEM-HD) et ANR (hESCREEN). VUB01 et VUB05-HD ont été produites par le Dr Karen Sermon de l’AZ-VUB (Bruxelles).

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