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Med Sci (Paris). 2009 March; 25(3): 219–221.
Published online 2009 March 15. doi: 10.1051/medsci/2009253219.

Intégrité chromosomique et schizophrénie

Marie-Odile Krebs*

Inserm, Laboratoire Physiopathologie de Maladies Psychiatriques (LPMP), Centre de psychiatrie et Neuroscience, U894 .
Université Paris Descartes, Service Hospitalo-Universitaire, Hôpital Sainte-Anne, 7, rue Cabanis, 75014 Paris, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Chromosomes humains, Chromosomes humains de la paire 1, Chromosomes humains de la paire 15, Hybridation génomique comparative, Humains, Phénotype, Schizophrénie, Délétion de séquence

 

Le monde de la génétique de la schizophrénie a connu ces derniers mois des rebondissements importants. La technique d’hybridation génomique comparative (CGH) sur microarray permet de détecter des microdélétions ou microduplications de plus de 100 kb avec une sensibilité très supérieure (de plus de 30 fois) à celle des techniques cytogénétiques classiques et ce en étudiant des populations importantes.

À la faveur de ces avancées technologiques, les travaux de ces dernières années ont montré que des anomalies structurales chromosomiques jouent un rôle important dans les maladies du neurodéveloppement, notamment l’autisme [ 1, 9], confirmant les observations isolées. Ces variations, duplications ou délétions de segments de gènes de relativement petite taille (de 1kb à plusieurs millions de bases) sont désignées comme « variants structuraux » ou « variation du nombre de copies » (copy number variants, CNV). Rares ou communes, elles peuvent être héritées ou survenir de novo, et pourraient résulter de recombinaisons homologues non alléliques induites par des duplications segmentales.

Fréquence accrue de CNV chez les patients atteints de schizophrénie

Concernant la schizophrénie, le travail de T. Walsh et al. en 2008 a ouvert la marche [ 2]. Faisant l’hypothèse que les cohortes, même de grande taille, ne peuvent avoir la puissance nécessaire pour démontrer une association entre la maladie et un CNV spécifique quand les mutations sont rares, les auteurs ont comparé globalement la fréquence des CNV entre patients et contrôles. Dans ce travail, 53 nouvelles variations, duplications et délétions, ont été trouvées dans 5 % des 268 contrôles alors qu’elles étaient présentes dans 15 % des 150 patients souffrant de schizophrénie (proportion qui atteint 20 % si l’on considérait les 76 patients dont la maladie s’était déclarée à 18 ans ou avant). L’association a été confirmée chez 32 % de 83 patients souffrant de schizophrénie infantile. La plupart des mutations étant présentes chez les parents, les CNV paraissent ne pas toujours être très pénétrants. Les résultats de cette étude suggèrent aussi que certaines localisations seraient plus à risque. Alors que les CNV observés chez les individus témoins semblent survenir au hasard, ceux qui sont identifiés chez les patients toucheraient de façon préférentielle des réseaux de gènes impliqués dans le neurodéveloppement (en particulier le récepteur de la Neuréguline [ERBB4] 1 et la voie ERK/AMPK), la potentialisation à long terme, la guidance axonale, la transmission glutamatergique. Il a également été identifié une délétion du chromosome 2p16 interrompant le gène de la Neurexine 1 (NRXN1) récemment impliqué dans l’autisme, la schizophrénie et le retard mental ; et, chez deux patients atteints de schizophrénie à début infantile, une microduplication de 500kb en 16p11.2, également rapportée dans l’autisme [ 3].

Délétions spécifiques sur les chromosomes 1q21.1, 15q11.2 et 15q13.3 et schizophrénie

Ces premiers résultats ont été confirmés et complétés dans deux articles, parus récemment dans la revue Nature. Le travail coordonné par H. Stefansson [ 4] concerne l’analyse de 9 878 transmissions (analyse de paires parents - enfants) et identifie 66 CNV de novo, dont l’association avec la schizophrénie a été étudiée dans un second groupe de 1 433 patients et 33 250 « contrôles ». Cette population « contrôle » est en réalité une population générale qui contient 299 patients avec un syndrome autistique et vraisemblablement 1 % de patients atteints de schizophrénie. L’analyse a révélé une association de la maladie avec trois délétions situées au niveau du chromosome 1q21.1, 15q11.2 et 15q13.3. Ces associations ont été confirmées dans un second groupe de 3 285 patients et 7 951 contrôles avec un Odd ratio respectivement de 14,8, 2,3 et 11,5 pour chacune des délétions citées plus haut. Lorsque l’échantillon clinique est restreint à la schizophrénie (exclusion des troubles schizophréniformes, des troubles schizoaffectifs, des troubles délirants…), l’association ne reste significative que pour la délétion en 1q21.1.

  • Les délétions identifiées en 1q21.1 sont de grande taille (1,35 Mb [ 7]) ou très grande taille (2,5 Mb [4], incluant la précédente) et identiques chez les contrôles. La forme courte correspond à celle décrite précédemment dans des cas d’autisme, de retard mental ou de schizophrénie.
  • La délétion en 15q11.2 présente chez 26 patients (0,55 %) et 79 contrôles (0,19 %) est nettement plus petite (470Mb). Cette zone est touchée dans certains syndromes d’Angelman2 et contient le gène CYFIP1 (cytoplasmic FMR1 interacting protein 1) qui interagit avec la protéine de l’X fragile (FMRP, fragile X mental retardation protein) pour participer à la régulation de la pousse dendritique et axonale. L’hémizygotie induite par la délétion se traduit par des troubles psychiatriques proches de ceux qui sont observés chez les mères porteuses d’un allèle muté de l’X fragile.
  • La délétion en 15q13.3, présente chez 7 patients et 8 contrôles, est de grande taille (1,53 Mb) et inclut le gène codant pour la sous-unité alpha 7 du récepteur nicotinique.

La fréquence des délétions identifiées dans ce travail est globalement comparable à celle qui prévaut en 22q11, présente dans ces populations dans 8 des 3 838 cas et aucun des 39 299 contrôles.

Les résultats de l’étude de l’International Schizophrenia Consortium [ 5] sous la coordination de P Sklaar, sont très concordants avec ces observations. Dans cette seconde étude également, les variants structuraux rares couvrant l’ensemble du génome ont été comparés chez 3 391 patients et 3 181 contrôles. Un total de 6 753 CNV a été répertorié. La présence de CNV rares et d’une taille supérieure à 100kb est associée à un risque accru de schizophrénie (x 1,15) bien que là encore, des CNV soient présents chez les contrôles (en moyenne 0,99). Le nombre de gènes concernés est aussi significativement plus élevé chez les patients (x1,41). Cet effet est plus marqué pour les grandes délétions (plus de 500 kb), les variants les plus rares (890 CNV uniques) ou ceux impliquant des gènes. Ainsi, la fréquence des délétions de plus de 500 kb est supérieure de 1,67 chez les patients comparés aux contrôles, et cette différence atteint 3,57 si l’on considère le nombre de gènes touchés. L’effet est plus uniforme pour les duplications, mais les duplications de grandes tailles étaient très peu fréquentes.

Dans cette population, les microdélétions touchant le chromosome 22q11.2 correspondaient chez 6 patients à la délétion large (3Mb) ; chez 5 à la délétion courte (1,5Mb) et chez 2 autres patients à des délétions atypiques touchant la partie distale de la délétion de 3Mb (aucune délétion n’a été détectée chez les contrôles).

En outre, 271 autres délétions de plus 500 Kb ont été identifiées, et en particulier dans 2 autres régions : 15q13.3 et 1q21.1. Les délétions du chromosome 15 (28-31 Mb) étaient présentes chez 9 patients mais indétectables chez les témoins. Elles sont similaires à celles qui sont décrites par H. Stefansson, et incluent une zone récemment identifiée dans certains retards mentaux avec épilepsie [ 6] contenant le gène codant pour la sous-unité alpha 7 du récepteur nicotinique.

Les régions délétées en 1q21.1 (142 à 145 Mb) décrites par le consortium et par H. Stefansson [4] se superposent, et cette même région a également été identifiée dans les études de liaison [ 10] ; elle est également affectée chez des patients ayant un trouble des apprentissages ou un autisme [7].

Complétant ces observations, Basset et al., [ 8] ont recherché des CNV sur l’ensemble du génome chez des sujets porteurs de microdélétions 22q11.2, mais n’ont détecté aucun CNV en dehors de la région 22q11.2, confirmant que cette anomalie chromosomique est un facteur de prédisposition majeur pour la schizophrénie.

Que conclure de ces travaux ?

Le premier enseignement de ces travaux est d’ordre génétique : ils confortent l’hypothèse selon laquelle quelques mutations, rares, prédisposent à la schizophrénie avec une assez forte pénétrance, et vont à l’encontre de l’hypothèse prévalente des « maladies communes, allèles communs » qui postule que la maladie est liée à une combinaison d’allèles communs, chacun n’ayant qu’un effet modeste. Reste à comprendre la signification des CNV présents dans une proportion non négligeable des sujets contrôles et leurs mécanismes.

Le second enseignement est d’ordre plus physiopathologique : la fréquence de ces variants dans certaines régions chromosomiques spécifiques et dans - ou à proximité de - gènes impliqués dans le neurodéveloppement et la transmission glutamatergique, suggère (ou confirme) ainsi le rôle d’un ensemble de gènes ou de régions candidates. Néanmoins, une modification touchant un gène essentiel au neurodéveloppement a été détectée chez certains témoins, soulignant la prudence dont il faut faire preuve avant d’établir un lien entre un événement unique rare et une pathologie.

Par ailleurs, la duplication de gènes entiers - modifiant le « dosage » de gènes - pourrait aussi avoir des conséquences fonctionnelles, mais ce mécanisme n’a pas été directement étudié dans ces travaux.

Association génotype-phénotype : perspectives cliniques

Ces travaux apportent par ailleurs un regard nouveau sur la valeur des tableaux cliniques observés, les phénotypes, et sur les liens entre spectres autistique et schizophrénique. Il apparaît que les sujets porteurs de variants structuraux se concentrent dans certaines catégories diagnostiques ; c’est le cas des formes à début infantile de schizophrénie, pathologie rare, dans lesquelles les variants structuraux sont plus fréquents, les rapprochant ainsi du spectre autistique. Il conviendra de déterminer si les syndromes schizophréniques associés aux microdélétions identifiées dans l’autisme sont d’authentiques schizophrénies ou s’en distinguent, identifiant de nouveaux syndromes. Néanmoins, à une région chromosomique ou à un gène donné correspond un large spectre phénotypique, y compris l’absence de troubles. Par ailleurs, les patients atteints de troubles schizophréniques apparus après l’âge de 18 ans, considérés comme non précoces, sont déjà porteurs de CNV avec une fréquence accrue (> 3 fois) par rapport aux contrôles. Ce pléiotropisme génétique suggère l’influence de facteurs modificateurs, environnementaux ou génétiques.

Loin d’invalider les efforts effectués dans la recherche d’« endophénotypes » (caractérisation des tableaux au-delà des traits les plus cliniquement évidents) permettant d’affiner les phénotypes, ces résultats les encouragent. Néanmoins, il apparaît de plus en plus évident que ces endophénotypes ou phénotypes intermédiaires, doivent être recherchés non plus seulement sur un plan phénoménologique ou cognitif, mais dans une orientation étiologique. Les marqueurs développementaux (anomalies physiques, neurologiques, cérébrales) apparaissent dans ce contexte particulièrement pertinents, plus que ne l’est le simple âge de début qui apparaît peu performant pour distinguer des sous-groupes.

L’idée que des anomalies chromosomiques puissent prédisposer aux troubles schizophréniques n’est pas nouvelle. Néanmoins, ces travaux récents démontrent que le phénomène est beaucoup plus fréquent qu’initialement envisagé et ancrent définitivement la schizophrénie dans le spectre des troubles du neurodéveloppement. En outre, la convergence singulière des résultats des différentes équipes pointe certaines régions du génome qui sont plus que jamais des régions candidates.

 
Footnotes
1 Les Neurégulines (NRG) forment une famille de molécules de structure proche de celle de l’EGF (epidermal growth factor-like), impliquées dans les interactions cellulaires au cours du développement et dans certaines maladies. NRG1 est la mieux connue, intervenant dans le développement du système nerveux, du cœur, de la glande mammaire. Les NRG transmettent leur signal en se fixant aux récepteurs de la famille ErbB à activité tyrosine kinase.
2 Le syndrome d’Angelman (SA) est une maladie neurogénétique touchant le cerveau, qui se traduit par un ensemble de signes cliniques incluant des troubles du développement moteur (acquisition de la marche, ataxie), un déficit intellectuel avec un langage minimal ou absent, des crises d’épilepsie, des troubles du sommeil, un visage aux traits caractéristiques et un comportement gai avec des rires très faciles. La prévalence de ce syndrome est estimée à 1 sur 12 000. Le syndrome d’Angelman est lié à la perte de fonction d’un ou plusieurs gènes dans la région 15q11-q13, soumise à une empreinte parentale (source : orphanet).
References
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