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Med Sci (Paris). 2009 May; 25(5): 435–436.
Published online 2009 May 15. doi: 10.1051/medsci/2009255435.

Améliorer l’interdisciplinarité de la recherche pour diminuer le poids du cancer en France

François Sigaux1*

1Directeur de l’Institut universitaire d’hématologie (IUH, Université Paris Diderot) Directeur scientifique du Cancéropôle Île-de-France IUH, Hôpital Saint-Louis 1, avenue Claude Vellefaux, 75010 Paris, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Collecte de données, France, Promotion de la santé, Humains, Communication interdisciplinaire, Oncologie médicale, Tumeurs, Opinion publique, Recherche

 

Depuis quelques années, le cancer a le triste privilège de devancer les maladies cardiovasculaires dans le hit parade des causes de mortalité en France comme dans d’autres pays industrialisés. L’allongement de la durée moyenne de vie, l’augmentation de la prévalence de certains facteurs de risque n’ont été que partiellement compensés par les avancées médicales et sociétales. Un patient sur deux meurt encore de son cancer. La plupart des cancers se sont transformés en maladies chroniques ; il est donc essentiel d’améliorer la place des patients dans une société qui n’est pas toujours prête à les accueillir dans la plénitude de leurs attentes légitimes et de leurs droits. Les situations sont d’ailleurs très inégales lorsque l’on analyse en détail le type de cancer et l’origine géographique des patients, traduisant des expositions variables à certains facteurs de risque et des disparités encore trop grandes dans l’accès à l’innovation et à l’information. Malgré des avancées récentes indiscutables, il reste à améliorer la prévention, la précocité du diagnostic et à personnaliser le traitement. Des efforts considérables ont été faits par les pouvoirs publics, les associations caritatives et l’ensemble du système de soins, mais la nécessité de poursuivre l’élan du premier « Plan cancer » est clairement perçue par la communauté des professionnels et par les patients. Dans ce contexte, la recherche, que ce soit en sciences humaines et sociales, en sciences du vivant ou encore en sciences de l’ingénieur, tient une place majeure. Ce numéro de mai 2009 de Médecine/Sciences illustre parfaitement la complémentarité de ces domaines par la publication de trois articles. Yannick Ladeiro et Jessica Zucman-Rossi [ 1] analysent les apports de l’expression des micro-ARN dans la cartographie moléculaire des tumeurs hépatocellulaires (→).

(→) m/s n° 5, mai 2009, page 467 de ce numéro.

Cette classe d’ARN, découverte il y a une quinzaine d’années chez C. elegans, joue un rôle important dans la coordination des réseaux transcriptionnels. On peut attendre que leur cartographie capte, à partir des expériences malheureuses de la nature que constituent les tumeurs, des informations biologiques importantes pour comprendre le développement tumoral et proposer des classifications moléculaires corrélées avec les agents étiologiques et les perturbations des voies métaboliques. C’est effectivement le cas dans de nombreux cancers comme les tumeurs du foie dont les formes malignes sont relativement fréquentes en France et restent de pronostic redoutable. Colligeant une dizaine d’études dont la leur, les auteurs projettent ces résultats dans le cadre de la classification moléculaire, étiologique et clinique qu’ils ont eux-mêmes élaborée. Ils démontrent que les micro-ARN, outre leur possible utilisation thérapeutique, apportent des informations non redondantes. La signification biologique des signatures de micro-ARN, suggérée par l’identification parfois complexe de leurs gènes cibles, demandera encore de nombreux travaux expérimentaux, soulignant la nécessité d’un renforcement des liens entre génomique fonctionnelle et biologie. Dans un autre domaine, Dominique Joubert et ses collègues [ 2] rapportent l’épopée scientifique passionnante qui, en quelques décennies, a permis l’identification des cellules souches intestinales (→).

(→) m/s n° 5, mai 2009, page 441 de ce numéro.

Revisitée au fil des innovations technologiques toujours couplées à un apport considérable de la microscopie, cette quête a permis de disséquer le fonctionnement des cryptes et des villosités intestinales avec une précision proche de celle qui caractérise notre connaissance du système hématopoïétique. Les auteurs inscrivent ces travaux de biologie fondamentale dans le contexte du concept de « cellule souche tumorale » ou « cellule initiatrice de tumeur ». Définies fonctionnellement par la capacité de créer, après leur greffe chez la souris, l’ensemble de la diversité cellulaire d’une tumeur, conservant ces propriétés lors de greffes successives, ces cellules, capables d’autorenouvellement, représentent les cibles thérapeutiques de choix puisque leurs propriétés les désignent comme les cellules responsables des rechutes tumorales. On comprend donc tout l’intérêt qu’il y a à valider ce concept dans les différents types de cancer et à déterminer des marqueurs spécifiques permettant leur identification et leur ciblage thérapeutique. L’identification de ces marqueurs est difficile, mais il semble bien que, dans le cas des tumeurs intestinales survenant dans le contexte d’une inactivation du gène APC, cela ait été résolu par le groupe d’Hans Clevers. Ce résultat majeur ouvre la voie à une cartographie moléculaire fine de ces cellules à l’état normal et dans les tumeurs, constituant une étape clé pour un ciblage thérapeutique. Il montre l’importance qu’il y a à coupler les recherches en physiologie et celles qui portent sur la biologie tumorale. Dans le dernier de ces trois articles consacrés au cancer, François Beck et ses collègues [ 3] font une remarquable synthèse du Baromètre Cancer, enquête réalisée par l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (Inpes) (→).

(→) m/s n° 5, mai 2009, page 529 de ce numéro.

Cette enquête mesure les perceptions et opinions du public vis-à-vis de facteurs de risques des cancers (facteurs réels ou supposés). D’une façon intéressante, si les facteurs majeurs de risque - tabagisme, alcoolisation, exposition au soleil - sont en règle connus, le comportement des individus soumis à l’enquête traduit souvent des idées reçues qui favorisent des conduites à risque, et ce d’autant que les personnes sont exposées à ces facteurs. Lorsque l’on sait que plus d’un tiers des cancers est dû à des causes évitables, généralement liées au style de vie, on comprend toute l’importance de l’analyse de ce travail pour définir une communication reçue et optimiser les campagnes d’information. De nombreux acteurs de prévention peuvent jouer des rôles importants dans cette information, y compris ceux qui travaillent dans notre système éducatif. Il conviendrait qu’ils puissent partager des convictions raisonnables, afin d’aider à transmettre celles-ci au public. Ces trois articles de Médecine/Sciences ne couvrent bien sûr pas l’ensemble des champs de la recherche en cancérologie. Ils illustrent toutefois que bien des démarches ont une place dans la compréhension de la complexité liée à une maladie qu’il faut toujours replacer dans le contexte d’un individu. Coordonner les recherches en respectant la nécessaire liberté des chercheurs, raccourcir le temps séparant le moment de la découverte et celui de ses applications médicales, casser les barrières entre les acteurs sont des défis que devra réussir le prochain Plan cancer.

References
1.
Ladeiro Y, Zucman-Rossi J. Micro-ARN (miARN) et cancer : le cas des tumeurs hépatocellulaires. Med Sci (Paris) 2009; 25 : 467–72.
2.
Joubert D, Hollande F, Jay P, Legraverend C. Les cellules souches intestinales : 30 ans d’une histoire exemplaire. Med Sci (Paris) 2009; 25 : 441–4.
3.
Beck F, Gautier A, Guilbert P, Peretti-Watel P. Représentations et attitudes du public vis-à-vis du cancer. Med Sci (Paris) 2009; 25 : 529–33.