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Med Sci (Paris). 2009 June; 25(6-7): 547–548.
Published online 2009 June 15. doi: 10.1051/medsci/2009256-7547.

Biologie des systèmes : des réseaux d’interactions moléculaires à la médecine personnalisée

Denis Thieffry*

TAGC-Inserm U928, Campus scientifique de Luminy, Case 928, 12009 Marseille, France
Projet CONTRAINTES, INRIA Paris-Roquencourt, Domaine de Voluceau, BP 105, 78153 Le Chesnay, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Dossiers de santé personnels, Humains, Nanotechnologie, Biologie des systèmes

 

La « biologie des systèmes » vise à intégrer différents niveaux de description (macromolécules, cellules, organes…) pour comprendre le fonctionnement et les propriétés des organismes biologiques. Elle a des racines multiples et se situe à l’interface de plusieurs disciplines, dont la génétique et la biochimie, la génomique, la physiologie, l’informatique et les mathématiques.

Si la modélisation des systèmes biologiques a très largement précédé le récent engouement pour la biologie des systèmes, celle-ci a récemment trouvé un terreau particulièrement fertile avec le passage à l’échelle des méthodes de caractérisation de l’expression génique (transcriptome, protéome) et des interactions entre macromolécules (interactome, régulome).

Au cours des dernières années, on a ainsi assisté au développement d’une discipline aux contours quelque peu mouvants. Ce phénomène est attesté par la parution d’un nombre croissant de livres de référence, de journaux scientifiques (Molecular Systems Biology, BMC Systems Biology, Molecular BioSystems, IET Systems Biology…), qui font concurrence à des revues plus anciennes telles que BioSystems. On voit également fleurir les départements, voire de nouveaux instituts de recherche entièrement dédiés à la biologie des systèmes. Enfin, ce domaine fait maintenant l’objet d’appels d’offres spécifiques très conséquents, tant au niveau national (appels ANR BIOSYS et SYSCOMM1) qu’international (appels ERA-Net, place importante dans les appels du 7e PCRD de l’Union Européenne).

Un tour d’horizon de la biologie des systèmes

Médecine/Sciences nous propose un tour d’horizon de la biologie des systèmes sous la forme d’une série de textes assemblés par Thierry Galli et Jacques Haiech. Dans leur avant-propos [ 1], ces derniers scrutent les origines historiques et les enjeux actuels de l’articulation entre biologie systémique (comprendre), biologie synthétique (faire) et nanobiotechnologies (outils) (→).

(→) m/s n° 6-7, juin-juillet 2009, page 576 de ce numéro

Les cinq premiers articles réunis dans ce numéro de M/S seront suivis par la publication de contributions complémentaires.

Écrit par A.R. Carvunis et al. [ 2], le premier article situe les racines de la biologie des systèmes vers le milieu du XXe siècle, avec le concept de « paysage épigénétique » (C.H. Waddington), l’application du concept physique de « multi-stationnarité » aux réseaux métaboliques (M. Delbrück), et les travaux sur la régulation du métabolisme des sucres chez les bactéries, qui ont débouché sur les notions de « gène régulateur » et d’« opéron », ainsi que sur la description des premiers circuits de régulation génétique susceptibles de rendre compte des événements de différenciation cellulaire (François Jacob et Jacques Monod) (→).

(→) m/s n°6-7, juin-juillet 2009, page 578 de ce numéro

Au cours des années 1970, systématisant l’analyse de tels circuits, R. Thomas développera une approche formelle couramment utilisée pour modéliser des réseaux de régulation de plus en plus complexes. Éclipsées par l’essor de la biologie moléculaire, les approches informatiques et mathématiques sont maintenant appelées à jouer un rôle croissant pour intégrer et exploiter la pléthore de données générées par les nouvelles méthodes de génomique fonctionnelle. Cet aspect est particulièrement bien illustré par les travaux du groupe de M. Vidal en ce qui concerne l’interactome (→).

(→) m/s n°6-7, juin-juillet 2009, page 578 de ce numéro

Enfin, la modélisation dynamique des réseaux biologiques se trouve à la base des récents travaux en biologie synthétique, visant à réaliser des systèmes biologiques dotés de propriétés spatiales ou temporelles spécifiques.

Dans le second article de ce numéro thématique [ 3], A. Lesne complète ce tableau général, en insistant sur l’importance de l’intégration des structures et des processus biologiques à de multiples échelles (→).

(→) m/s n°6-7, juin-juillet 2009, page 585 de ce numéro

Seule une analyse intégrée nous permettra de comprendre les propriétés émergentes des systèmes biologiques, telles que leur robustesse et leur adaptabilité. Il s’agit donc de pouvoir distinguer les éléments pertinents à chaque niveau d’analyse et de modéliser leurs interactions horizontales (au même niveau de description) et verticales (vers les niveaux supérieurs et inférieurs). Au vu de leur expérience dans d’autres domaines applicatifs, les physiciens ont vraisemblablement un rôle important à jouer dans ces efforts d’intégration multi-échelle.

Dans le troisième article, J. Demongeot aborde les enjeux de la biologie des systèmes dans le domaine médical [ 4] (→).

(→) m/s n°6-7, juin-juillet 2009, page 588 de ce numéro

Le médecin a toujours été confronté aux relations systémiques entre des phénomènes caractérisés à des échelles diverses : par exemple, lors de la mise en relation entre symptômes et état général de l’individu, ou encore lors de l’étude des rythmes associés au développement des maladies, ainsi qu’à l’application et à l’action des traitements. Nous concernant au tout premier plan, les organes et les grands systèmes physiologiques sont maintenant la cible d’efforts de modélisation visant à comprendre et prédire les propriétés mécaniques et fonctionnelles du corps humain. Le développement d’instruments et de protocoles d’analyses de plus en plus complexes nécessite des méthodes d’intégration adaptées afin d’enrichir, affiner et faciliter le diagnostic médical et l’intervention thérapeutique.

En se limitant aux cancers, maladies complexes par excellence, l’article de E. Barillot et al. [ 5] nous indique comment la modélisation et l’analyse formelle des réseaux de régulation permettent aujourd’hui d’explorer et de classer les déficiences responsables de la prolifération incontrôlée des cellules tumorales et de leur échappement aux réponses sophistiquées de notre système immunitaire (→).

(→) m/s n°6-7, juin-juillet 2009, page 601 de ce numéro

Sur la base de modèles dynamiques rigoureux, des simulations systématiques peuvent nous aider à définir de nouvelles stratégies thérapeutiques prenant en compte le comportement collectif des réseaux moléculaires sous-jacents.

Alors que la biologie des systèmes commence à trouver des applications concrètes et donne ses premiers résultats, l’intérêt des entrepreneurs et des industriels s’éveille progressivement. Si les investissements des industries pharmacologiques et agronomiques dans ce domaine restent limités, on assiste à un bourgeonnement de start-up spécialisées. L’article de F. Iris et al. [ 6] illustre l’implication d’acteurs privés dans le développement de modèles prédictifs, en prenant comme exemple l’analyse des mécanismes moléculaires à la base de la régression du canal de Müller au cours du développement embryonnaire de la femme (→).

(→) m/s n°6-7, juin-juillet 2009, page 608 de ce numéro

En augmentant notre compréhension des processus pathologiques et des réactions aux traitements, la modélisation mathématique est appelée à contribuer à la définition de nouveaux outils diagnostiques et pronostiques, ainsi qu’au développement de traitements spécifiques et de protocoles de suivi.

Perspectives

Si ce tour d’horizon de la biologie des systèmes reste nécessairement partiel, il donne un aperçu de l’étendue et de la diversité de son domaine d’application. Les articles publiés dans ce numéro de M/S convergent sur la considération d’approches multidisciplinaires et multiéchelles. Les méthodes intégratives nécessaires sont encore largement en développement, mais il est très vraisemblable qu’elles seront de plus en plus fréquemment au cœur des pratiques du biologiste et du médecin de demain.

 
Footnotes
1 ANR : agence nationale de la recherche ; BIOSYS pour biologie des systèmes et SYSCOMM pour systèmes complexes et modélisation mathématique.
References
1.
Haiech J, Galli T. Biologie systémique, biologie synthétique et nanobiotechnologies : le tryptique du XXIe siècle. Med Sci (Paris) 2009; 25 : 576–7.
2.
Carvunis AR, Gómez E, Thierry-Mieg N, Trilling L, Vidal M. Biologie systémique: des concepts d’hier aux découvertes de demain. Med Sci (Paris) 2009; 25 : 578–84.
3.
Lesne A. Biologie des systèmes : l’organisation multiéchelle des systèmes vivants. Med Sci (Paris) 2009; 25 : 585–7.
4.
Demongeot J. Biologie de systèmes et applications médicales. Med Sci (Paris) 2009; 25 : 588–600.
5.
Barillot E, Calzone L, Zinovyev A. Biologie des systèmes du cancer. Med Sci (Paris) 2009; 25 : 601–7.
6.
Iris F, Gea M, Lampe PH, Santamaria P. Modélisation intégrative prédictive et biologie expérimentale : un processus synergique remarquablement efficace au service de la recherche médicale. Med Sci (Paris) 2009; 25 : 608–16.