Le premier article décrivant la génération d’un anticorps monoclonal (Acm) ayant une spécificité prédéfinie a été publié dans la revue Nature en 1975 par César Milstein (1927-2002) et Georges Köhler (1946-1995) [ 1] et a valu à ses deux auteurs de partager le prix Nobel de physiologie ou médecine en 1984 avec le Danois Niels K. Jerne (1911-1994), théoricien du réseau idiotypique des immunoglobulines. Ces deux chercheurs ont fusionné à l’aide du virus de Sendaï les cellules spléniques d’une souris immunisée contre des globules rouges de mouton (GRM) avec les cellules d’un myélome de souris adaptées à la culture à long terme in vitro. Ils ont ensuite sélectionné les cellules hybrides (hybridomes) et isolé des clones producteurs d’anticorps anti-GRM. De tels hybridomes héritent de deux propriétés : (1) ils se multiplient indéfiniment, comme le font les cellules de myélome utilisées pour la fusion, en donnant naissance à des populations de cellules filles identiques entre elles ; (2) ils fabriquent les Ac que les lymphocytes B provenant de la souris fabriquaient. Chaque clone de cellules filles (toutes issues d’une seule cellule hybride) produit le même Ac qui est donc monoclonal.
Les bases théoriques et expérimentales à l’origine de cette grande invention viennent de deux domaines de recherche : la génétique, qui a apporté les bases conceptuelles et techniques permettant la fabrication de cellules hybrides ; l’immunologie, qui a décrypté la structure des Ac. Les premières cellules hybrides ont été obtenues en 1960 par Georges Barski à Villejuif [ 2]. Pour pouvoir utiliser pleinement cette technique d’hybridation cellulaire, il fallait disposer d’une technique de sélection permettant de se débarrasser des cellules parentales non hybridées. John Littlefield a trouvé la solution en créant et produisant des cellules mutées ayant des déficiences enzymatiques [l’hypoxanthine-guanine phosphoribosyl transférase (HGPRT- ou HPRT-) et la thymidine kinase (TK-)], affectant l’une des deux voies de synthèse de l’ADN [ 3]. Ces cellules déficientes peuvent être tuées à l’aide de drogues bloquant l’autre voie disponible, alors que les cellules hybrides ont, par complémentation génique, toute la machinerie enzymatique pour synthétiser l’ADN, même en présence de ces drogues. Munis de ces outils que sont la fusion cellulaire et la sélection des cellules hybrides, les immunologistes ont, au début des années 1970, cherché à créer des cellules hybrides permettant d’analyser la régulation de l’expression et les règles d’assemblage des chaînes lourdes et légères d’immunoglobulines. César Milstein et Georges Köhler ont alors eu l’idée, pour obtenir un Ac de spécificité connue, de fusionner les lymphocytes B d’une souris immunisée avec les cellules de myélome HPRT-, cellules tumorales B générées in vivo chez la souris et adaptées à la culture in vitro par Michael Potter [ 4]. Ils ont bénéficié pour fusionner ces cellules de la découverte d’Okada montrant les capacités de fusion cellulaire du virus de Sendaï [ 5]. La technique des « anticorps monoclonaux » était née !