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Med Sci (Paris). 2009 December; 25(12): 1116–1120.
Published online 2009 December 15. doi: 10.1051/medsci/200925121116.

Anticorps thérapeutiques et maladies infectieuses

Christine Klinguer-Hamour,* Véronique Caussanel, and Alain Beck

Centre d’immunologie Pierre Fabre, 5, avenue Napoléon III, BP 60497, 74160 Saint-Julien en Genevois, France
Corresponding author.
 

Les anticorps monoclonaux (Acm) ont longtemps été de très précieux outils de recherche permettant entre autres la compréhension des mécanismes d’infection par les virus et ceux de l’immunité antivirale [ 1]. En revanche, le développement commercial des Acm thérapeutiques a été relativement lent jusqu’à l’apparition des nouvelles technologies permettant l’obtention des Acm chimériques, humanisés ou humains. Ce qui a eu pour résultat la mise sur le marché des premiers Acm thérapeutiques tels que le rituximab pour le traitement des lymphomes non hodgkiniens (→). À ce jour, le marché des Acm est dominé par les indications en oncologie et pathologies inflammatoires (→) ; un seul Acm contre un agent infectieux est actuellement commercialisé. Le fait que les Acm anti-infectieux recombinants commencent seulement à être développés est plus lié à la réalité du marché qu’à l’efficacité des anticorps. En effet, les anticorps produits par l’organisme (par exemple en réponse à une vaccination) sont des molécules anti-infectieuses majeures. Les progrès réalisés pour répondre aux problèmes posés par la variabilité antigénique des différentes souches virales ou bactériennes circulantes et par la capacité des virus à échapper aux anticorps neutralisants, ainsi que l’amélioration des fonctions effectrices des Acm ont encore accru l’efficacité des Acm anti-infectieux (Tableaux I et II). Ces succès devraient contribuer à moyen terme à amplifier le développement commercial des Acm dans le domaine des maladies infectieuses ([ 2] ; business insights report, juillet 2006). Cela permettrait de répondre aux défis thérapeutiques que posent les résistances aux antibiotiques et l’absence d’antiviraux. Nous n’aborderons dans cette courte synthèse que quelques exemples illustrant certaines applications des Acm anti-infectieux choisies parmi celles citées dans les Tableaux I et II.

(→) voir G. Cartron et J.F. Rossi, page 1085

(→) voir J. Sibilia, page 1033 ; L. Semerano et M.C. Boissier, page 1108 ; A. Bodmeret al., p. 1090

Succès des anticorps monoclonaux dirigés contre le virus respiratoire syncytial (VRS)

Le palivizumab (Synagis®) est le seul Acm approuvé par la food and drug administration (FDA) en 1998 et par l’European medicines agency (EMEA) en 1999 dans le domaine des maladies infectieuses. Cet Acm de type IgG1 est dirigé contre la protéine F du virus respiratoire syncytial (VRS)1. Il est indiqué dans la prévention des troubles respiratoires sévères liés à l’infection par le VRS chez les enfants à haut risque. L’efficacité du palivizumab ainsi que son innocuité ont été établies lors d’études chez des enfants souffrant de dysplasie bronchopulmonaire ainsi que chez des nouveau-nés prématurés (nés avant 35 semaines de gestation). Le motavizumab (NumaxTM) est également un Acm anti-VRS humanisé de type IgG1 obtenu par maturation d’affinité du palivizumab, ce qui le rend 10 à 20 fois plus efficace pour la neutralisation du VRS dans les tissus en culture. Il est actuellement en étude clinique de phase III [demande d’autorisation de mise sur le marché (AMM) en cours]. Une dose unique est administrée par voie intraveineuse pour le traitement d’enfants hospitalisés suite à une infection par le VRS.

Le palivizumab a rencontré un important succès clinique et commercial car il répond à un besoin thérapeutique du fait de l’absence de vaccin anti-VRS. D’autre part, la vaccination n’est pas envisageable chez la population ciblée des enfants prématurés.

Anticorps monoclonaux pour lutter contre l’infection par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) en phase clinique

L’avènement des thérapies antivirales combinées (inhibiteurs nucléosidiques/nucléotidiques/non nucléosidiques de la transcriptase inverse et des inhibiteurs de la protéase du VIH) ont amélioré de façon très significative la prise en charge des patients infectés par ce virus. Cependant, le VIH peut devenir résistant à ces traitements et de plus en plus de patients, même si leur nombre reste encore faible, ne peuvent plus bénéficier de ces options thérapeutiques. La mise au point de nouveaux traitements est donc nécessaire et l’une des voies explorées est l’inhibition de l’entrée du VIH dans les cellules. Le récepteur de chimiokines CCR5 est le principal corécepteur permettant l’entrée du VIH dans les cellules exprimant ce corécepteur, il représente donc une cible de choix. Récemment, l’utilisation d’une petite molécule antagoniste de CCR5 développée par Pfizer (Maraviroc) a été approuvée par la FDA pour le traitement du Sida en combinaison avec des thérapies existantes, validant cette approche [ 3]. La compagnie Progenics Pharmaceuticals développe, dans le sillage du Maraviroc, un anticorps monoclonal humanisé PRO 140 de type IgG4, dirigé contre CCR5. L’étude de phase clinique Ib s’est déroulée avec succès, PRO 140 est actuellement testé dans des essais cliniques de phase II. D’autres stratégies employant des Acm pour lutter contre l’infection VIH sont également explorées : ainsi, un certain nombre d’Acm neutralisants dirigés contre les protéines du VIH ont été générés et des essais cliniques ont été réalisés [ 4]. Il a également été montré que les fonctions effectrices de certains Acm neutralisants (→) contribuaient de manière importante à l’activité protectrice de ces anticorps dans des modèles animaux [ 5]. Ce mécanisme d’inhibition ouvre de nouvelles perspectives de développement d’anticorps rendus plus efficaces en augmentant par exemple l’affinité de la partie Fc de l’anticorps à certains récepteurs Fc à la surface des cellules présentatrices d’antigènes (→). Néanmoins, dans le but de contourner les problèmes que l’on pourrait rencontrer dans le développement d’Acm dirigés contre les protéines du VIH, liés en partie à l’existence de nombreux variants [ 6], le ciblage de certaines protéines des cellules hôtes avec des Acm en combinaison avec les thérapies existantes pourrait constituer un arsenal complémentaire pour lutter contre cette maladie, à condition évidemment que ces stratégies n’aient pas d’effets secondaires graves.

(→) voir A. Beck et al., page 1024 ; R. Abès et al., page 1011

(→) voir R. Abès et al., page 1011

Anticorps monoclonaux pour lutter contre les infections bactériennes ou leurs toxines

Les Acm développés contre des bactéries répondent à des besoins spécifiques : apparition de résistances aux traitements antibiotiques, besoins thérapeutiques de certaines populations fragiles sur le plan immunitaire, ou encore lutte contre des agents pathogènes dans le cadre des mesures adoptées contre le bioterrorisme (→).

(→) voir P. Thullier et al., page 1145

Un des objectifs fixés par différents États est de mettre au point des Acm qui seront utilisés en cas d’attaques bioterroristes pour la détection rapide d’agents microbiens spécifiques, la prophylaxie et le traitement des individus après leur exposition. Le bacille du charbon (avec le virus de la variole) est en tête de la liste des menaces terroristes, car il s’agit d’un agent biologique hautement létal qui peut être dispersé en aérosol sous forme de spores. Le raxibacumab (ABthraxTM) est un Acm humain dirigé contre la sous-unité protéique commune (antigène protecteur) aux deux toxines du bacille du charbon, il bloque ainsi l’entrée de celles-ci dans les cellules. Le raxibacumab est actuellement en étude clinique de phase III menée par la société Human Genome Science sous contrat avec le gouvernement américain. Cet Acm a l’avantage de pouvoir être administré à des populations contaminées pour lesquelles la vaccination ne serait pas efficace du fait du délai de la réponse immunitaire, et la prise d’antibiotiques serait trop tardive, les toxines mortelles étant déjà libérées par la bactérie.

Une autre catégorie d’Acm est développée dont l’objectif est d’offrir des traitements efficaces contre des bactéries chez des individus fragiles tels que les enfants prématurés. Le pagibaximab (BSYX-A110) est un Acm chimérique dirigé contre l’acide lipoteichoïque, un constituant clé de la paroi des bactéries Gram+. Cet Acm a donné des résultats prometteurs dans la prévention des infections à staphylocoques dans une petite étude de phase II chez des enfants de petits poids de naissance (600 à 1 200 grammes). Une large étude de phase IIb/III (environ 1 500 enfants) sera lancée par la compagnie Biosynexus pour confirmer ces résultats.

Conclusion

Bien que les Acm dirigés contre des agents infectieux soient directement en compétition avec, d’une part les vaccins, et d’autre part les petites molécules antivirales ou les antibiotiques [ 7], il existe une place pour ce type d’approche, en particulier lorsqu’aucun vaccin n’existe, comme par exemple pour l’infection par le VRS (Synagis®, sur le marché) ou le VIH (PRO 140, Mab anti-CCR5 en essai clinique de phase II). Il y a actuellement une vingtaine d’essais cliniques testant des Acm dans le domaine infectieux. Leur développement peut être également basé sur le fait qu’il n’existe pas de stratégie vaccinale envisageable comme dans le cas des toxines du bacille du charbon où la réponse thérapeutique doit être très rapide ou par exemple pour une prophylaxie en cas de pandémie grippale [ 8, 9]. Les Acm dirigés contre des agents infectieux peuvent aussi répondre à des besoins thérapeutiques pour des populations particulières comme les enfants nés prématurément qui risquent de développer de graves infections en raison de l’immaturité de leur système immunitaire, ou les personnes immunodéprimées et les sujets âgés.

Les Acm peuvent donc compléter l’arsenal thérapeutique dans le domaine infectieux au côté des vaccins, des agents antiviraux ou des antibiotiques, afin de proposer aux patients soit des combinaisons plus efficaces avec les thérapies existantes, soit des alternatives en cas d’apparition de souches virales ou bactériennes résistantes aux traitements standards.

Conflit D’Intérêts

Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts concernant les données publiées dans cet article.

 
Acknowledgments

Nous remercions notre assistante Claire Catry pour son aide dans la mise en forme de ce manuscrit.

 
Footnotes
1 Virus enveloppé à ARN de la famille des Paramyxoviridae. Très contagieux, c’est la principale cause d’infections respiratoires chez les nourrissons de 1 mois à 2 ans (concerne 30 % de cette classe d’âge), en particulier la bronchiolite du nourrisson. En France et dans l’hémisphère nord en général, il sévit sous forme d’épidémies annuelles (entre octobre et avril).
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