2010
Année de la thérapie génique

De bons résultats cette année, en France, avec en point d'orgue le traitement réussi d’une maladie génétique fréquente, la ß-thalassémie. Du rêve au succès et de l’espoir à la guérison, une longue route, aboutissement de 20 ans de travail acharné. 

Septembre 2010. Les regards de la communauté médicale internationale se tournent vers un jeune Parisien d’une vingtaine d’années. Atteint de β-thalassémie, maladie génétique extrêmement fréquente, qui touche l’hémoglobine et induit une anémie profonde, sa vie se résumait jusqu’ici à une transfusion mensuelle et des perfusions 5 fois par semaine, la nuit, pour éliminer le fer qui, conséquence des transfusions répétées, saturait son corps. Traité il y a 3 ans par thérapie génique, il mène aujourd’hui une existence quasi normale et exerce à plein temps son métier de cuisinier dans un grand restaurant de la capitale. Il aura fallu vingt ans pour aboutir à cette première mondiale !
Début des années 1990, des chercheurs de l’Inserm basés à l’hôpital Necker-Enfants-malades, à Paris, s’intéressent aux enfants atteints d’une maladie génétique rare, le déficit immunitaire combiné sévère lié au chromosome X (DICS-X). Privés de défenses immunitaires, ces jeunes patients décèdent rapidement en l’absence de traitement. La greffe de moelle osseuse est la seule thérapeutique disponible, mais elle a ses limites. Si le donneur n’est pas totalement compatible, notamment, elle peut entraîner la mort.

Des bébés hors de leur bulle

Après avoir réalisé la preuve de concept de l’efficacité de la thérapie génique des cellules souches hématopoïétiques pour cette maladie, Marina Cavazzana-Calvo, Salima Hacein-Bey-Abina et Alain FischerMarina Cavazzana-Calvo, Salima Hacein-Bey-Abina et Alain Fischer
Unité 768 Inserm/ Université Paris-Descartes, CIC Biothérapie, hôpital Necker Enfants-malades
, débutent, en 1999, l’essai clinique avec deux enfants. « Notre grande chance, raconte Salima Hacein-Bey-Abina, c’est d’avoir contribué et participé à toutes les étapes d’un essai clinique, de la théorie à la pratique. » En 1999, l’essai clinique débute avec deux enfants : leurs cellules précurseurs de la lignée lymphocytaire défectueuse sont prélevées, une version fonctionnelle du gène muté dans la maladie est introduite dans leur ADN, à l’aide d’un vecteur viral de type rétrovirus rendu inoffensif, et les cellules sont ré-injectées dans la circulation sanguine des deux bébés. Ainsi corrigées, elles rejoignent naturellement leur place dans l’organisme afin d’assurer leur rôle. C’est un véritable succès et, en avril 2000, les premiers résultats sont rendus publics : les deux enfants ont désormais un système immunitaire fonctionnel, ils vivent hors de leur bulle et ont pu retourner dans leur famille. Sept autres petits patients seront traités de façon identique.

Des complications

En octobre 2002, l’essai est arrêté : une leucémie a été diagnostiquée chez l’un de ces « bébés- bulle ». Les trois chercheurs vont mener l’enquête afin de comprendre les raisons de la survenue du cancer. Ils montrent alors que le développement de la leucémie est dû à l’insertion du vecteur portant le « gène-médicament » dans une région du génome cellulaire à proximité immédiate du gène LMO2 - impliqué dans l’hématopoïèse, c’est-à-dire dans la production et le renouvellement des cellules sanguines. Et c’est l’expression aberrante de ce gène, qui serait l’élément déclencheur du cancer.
Il faut donc mettre au point des vecteurs permettant une insertion du gène de façon plus sûre. « Si on enlève du vecteur viral la séquence enhancerSéquence enhancer
Région de l'ADN qui fixe des protéines stimulant la transcription des gènes
, explique Alain Fischer,et qu’on la remplace par un simple promoteurPromoteur
Séquence d’ADN fixant la protéine responsable du démarrage de la transcription d’un gène
, doté d’un plus faible effet à distance sur le génome, on devrait pouvoir garder l’efficacité, c’est-à-dire l’expression du gène thérapeutique, sans activer des gènes appartenant, eux, au génome cellulaire. Et réduire ainsi les risques de leucémie. »
Nos trois chercheurs s’attellent donc au développement de tels vecteurs.

Un succès expliqué

Résultat : sur les 9 enfants traités par thérapie génique, 7 sont sortis de leur bulle, et 3 des 4 petits malades atteints de leucémie sont en rémission totale.« Le plus incroyable, souligne Salima Hacein-Bey-Abina, c’est que malgré l’utilisation d’une chimiothérapie anticancéreuse, qui détruit de nombreuses cellules, la capacité à se diviser des précurseurs des lymphocytes T corrigés a persisté chez les enfants. » Depuis 2002, sur les 20 enfants traités par thérapie génique, en comptabilisant un essai similaire réalisé en Grande-Bretagne, 18 patients mènent une vie normale, 17 grâce à la thérapie génique.
Plusieurs raisons expliquent que ces premiers succès aient concerné le traitement de déficits immunitaires : la très bonne connaissance de la physiopathologie de ces affections, le fait que les cellules souches des lymphocytes sont accessibles par simple ponction de la moelle osseuse, et la capacité des cellules souches hématopoïétiques à donner naissance à un très grand nombre de lymphocytes T. « En fait, précise Alain Fischer, il suffit de traiter 1 000 cellules souches, ce qui est très peu, pour donner naissance à un nombre normal de lymphocytes T. C’est une notion capitale, et c’est parce nous l’avons comprise que les essais cliniques ont pu démarrer. En termes scientifiques, cela signifie que l’expression du gène thérapeutique apporte un avantage sélectif aux cellules corrigées : en l’absence du gène fonctionnel, les cellules meurent, mais s’il s’exprime, elles se mettent à se diviser normalement. » Dernier point important, les lymphocytes T, déficients chez les « bébés-bulle », ont une durée de vie très longue. « Une fois fabriqués, poursuit Alain Fischer, ils persistent quasiment toute la vie. Par conséquent, si on corrige seulement une fois un petit nombre de cellules, on obtient potentiellement un bénéfice « à vie » pour le patient. »

Autres réussites

Ce succès thérapeutique a montré à la communauté scientifique internationale l’intérêt de cette approche. Pour autant, malgré des similitudes avec la démarche initiale appliquée au DICS-X, chaque nouveau traitement oblige les chercheurs à franchir de nouveaux obstacles. C’est le cas pour les deux autres maladies génétiques traitées avec succès cette année : l’adrénoleucodystrophie (ALDALD
Maladie rare liée à un défaut de certaines cellules hématopoïétiques, qui peut entraîner atteinte neurologique, démence et décès. L’essai clinique sur l’ALD a été dirigé par Patrick Aubourg et Nathalie Cartier, Unité 745 Inserm/Université Paris-Descartes (voir aussi Science&santé n° 0 sur inserm.fr).
) et la β-thalassémie. « Dans les deux cas, explique longuement Philippe LeboulchPhilippe Leboulch
Unité 962 Inserm/CEA/Université Paris-Sud
, de nombreuses cellules souches modifiées sont nécessaires pour que cela soit efficace. En effet, une grande partie du tissu hématopoïétique doit être porteur du gène fonctionnel, et cela de manière permanente. Contrairement à la maladie des « bébés-bulle », il n’y a pas de sélection spontanée en faveur des cellules corrigées. Dans le cas de la β-thalassémie, on peut même parler d’un véritable défi : il n’y a pas de protéine plus exprimée que la β-globine dans l’organisme qui, chaque jour, fabrique plus de 3 milliards de globules rouges. Il a aussi fallu parvenir à contrôler précisément dans quelle partie de l’organisme le gène inséré devait être transcrit. » Afin d’avoir une grande proportion de cellules souches corrigées, et pour qu’elles fournissent une quantité très importante de globine normale, il est nécessaire d’ajouter au vecteur, en plus du gène fonctionnel, des éléments capables de le réguler. « Ces derniers ont des séquences génétiques particulièrement longues et complexes, souligne le chercheur. Les vecteurs lentivirauxLentiviraux
Les vecteurs utilisent des structures dérivées de lentivirus, famille de rétrovirus à laquelle appartient notamment le VIH.
, qui disposent d’une machinerie permettant le transfert de ces structures régulatrices sans perte d’efficacité, ont été d’un grand secours,. »
Toutefois, ils ont aussi leurs limites. « Dans les années 1990, des chercheurs américains, suisses et italiens ont fabriqué les premiers vecteurs utilisant le virus du sida modifié, raconte Alain Fischer. S’ils permettent de traiter un grand nombre de cellules souches, ils ont toutefois l’inconvénient de ne pouvoir être produits que par petits lots, ce qui freine leur utilisation. »

Et demain ?

Avant de traiter d’autres types de maladies que les déficits immunitaires, il reste aussi une barrière à lever : celle de la compétition intercellulaire.«  En effet, le nombre de cellules corrigées dans le sang du patient reste faible par rapport à ses propres cellules souches, dont il faut alors réduire le nombre. Le seul moyen actuellement disponible est la chimiothérapie. C’est ce qu’ont subi les trois patients atteints d’ALD et le jeune cuisinier thalassémique avant d’être traités. Le résultat est plutôt bon à ce jour. »
« 2010 marque un tournant, selon Philippe Lebouch. On arrive maintenant à avoir des résultats notables dans diverses maladies hématopoïétiques à l’aide du transfert de gènes. Nous devons aller maintenant de l’avant pour obtenir une efficacité plus grande encore. Pour cela, on essaie actuellement d’augmenter le nombre de cellules souches que l’on arrive à corriger, afin que 100 % des cellules traitées et réinjectées soient efficaces. » Les résultats très positifs de ces derniers mois ouvrent la voie à de nouveaux axes de recherche, notamment afin d’améliorer la sécurité des vecteurs et d’empêcher l’activation de gènes au hasard.« C’est pour cela, souligne Marina Cavazanna-Calvo, que l’on travaille de plus en plus sur une intégration ciblée à proximité de gènes « bénins », et que d’autres tentent de réguler de façon plus précise les gènes insérés afin de cibler leur action.  » Des études sont aussi menées pour parvenir à produire les vecteurs thérapeutiques à grande échelle. Autre front pour les chercheurs, le traitement d’autres formes de déficit immunitaire. « Nous sommes sur le point de démarrer un essai clinique visant à traiter 5 jeunes malades atteints du syndrome de Wiskott-AldrichSyndrome de Wiskott-Aldrich
Maladie rare, liée à l’X, entraînant hémorragies et infections à répétition
,
annonce la chercheuse. Nous attentons pour cela l’accord, imminent, de l’AffsapsAffsaps
Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé
. Cet essai, comme celui que nous allons lancer chez 5 enfants atteints de DICS-X, utilisera un vecteur lentiviral sécurisé produit par Généthon, que nous avons développé après la survenue d'une leucémie chez certains de nos petits patients. » La thérapie génique a donc de belles années devant elle. Affaire à suivre…

Olivier Frégaville-Arcas

Thérapie génique
Thérapie génique, les différentes étapes .
© Frédérique Koulikoff/Inserm
Thérapie génique bis
Thérapie génique de l'adrénoleucodystropie. Thérapie génique de l'adrénoleucodystropie (en rouge : expression de la protéine ALD, en bleu : noyau de la cellule)
© Patrick Aubourg /Inserm