Médecine de demain
Du rêve à la réalité augmentée

Au cœur de l’Alsace, l’Institut de recherche contre les cancers de l’appareil digestif (Ircad) est aujourd’hui une référence mondiale en matière de nouvelles technologies chirurgicales. Chercheurs, ingénieurs et informaticiens y construisent la chirurgie du futur, à la croisée du monde virtuel et de la robotique.

Quel contraste ! Des laboratoires et des locaux ultramodernes trônent au milieu de bâtiments du XVIesiècle. Bienvenue à l’Ircad, planté au cœur de l’Hôpital Civil de Strasbourg, un lieu où se conçoit la médecine de demain. Avec des missions précises, dont la première est de lutter contre le cancer grâce au développement de nouvelles technologies. Un objectif auquel participe activement le département de Luc Soler, qui s’attache à l’automatisation de la chirurgie dans le cadre du projet européen Passport, afin de faciliter des gestes chirurgicaux souvent complexes, mais nécessaires au diagnostic et au traitement précoce des tumeurs.

Cloner numériquement le patient

Ici, la première étape consiste à reconstituer sur ordinateur une image 3D du patient à partir des images obtenues par scanner ou IRM.« Le principe est de réaliser une segmentation des organes, explique Luc Soler. C’est-à-dire que l’on va délimiter les contours de chaque organe pour obtenir un modèle géométrique de chacun. Ensuite, on va associer à ces modèles géométriques des propriétés physiques, permettant ainsi la déformation des organes. Au final, on aura construit un clone numérique du patient. » Le bénéfice est majeur pour le chirurgien, tout d’abord en termes de diagnostic. L’analyse 3D étant assez fine, avec une précision en moyenne de 1 à 2 mm, il est possible de localiser des tumeurs qui ont été suspectées par les analyses standards.
Ensuite, la difficulté est de savoir comment opérer. Grâce au clone numérique du patient, le chirurgien va pouvoir en déterminer la meilleure façon. « Par exemple, les logiciels que nous avons développés dans le cadre de Passport nous permettent de choisir entre une thermoablationThermoablation
Technique de destruction mini-invasive par le chaud ou le froid, réalisée par l’intermédiaire d’une aiguille plantée au cœur de la zone que l’on souhaite traiter. L’imagerie médicale échographique, scanner ou IRM permet de guider le radiologue dans le trajet de l’aiguille. 
des tumeurs du foie, réalisée par un radiologue, et une découpe partielle du foie, réalisée par le chirurgien
, précise Luc Soler. Grâce à la 3D, on peut, en plus, déterminer précisément la proximité de vaisseaux, qui rend inefficace une thermo-ablation, ou le volume restant après découpe de l’organe, afin d’éviter toute insuffisance hépatique. »
Une fois le protocole arrêté, plutôt que d’opérer directement le patient, le chirurgien va pouvoir au préalable s’entraîner sur sa copie virtuelle, à la manière d’un pilote d’avion dans un simulateur. Il pourra ainsi répéter à volonté l’acte chirurgical, sans avoir à craindre les erreurs. « Pour que la simulation soit la plus réaliste possible, on doit tenir compte des mouvements et des propriétés physiques du patient, explique Luc Soler. Grâce à l’élastographieÉlastographie
Technique d’imagerie permettant d’extraire les propriétés élastiques des tissus à partir d’une image échographique ou IRM. L’image permet d’évaluer la déformation subie par les tissus sous l’action d’une compression et d’en conclure l’élasticité et la viscosité.
, on est capable d’ajouter à la forme des organes leur résistance ou élasticité. On peut alors donner vie au corps virtuel du patient, avec une respiration, un rythme cardiaque, des saignements, etc. »
Les simulateurs développés par l’équipe varient alors du simulateur à petit prix, permettant d’apprendre l’échographie et n’utilisant qu’une simple abdomen en mousse, au simulateur de chirurgie plus coûteux et intégrant le retour d’effort et de vrais outils chirurgicaux. « Ces techniques offrent une méthode unique d’apprentissage aux internes en chirurgie. Étape par étape, ils apprennent à manipuler la caméra, puis un outil, puis deux, puis tout le matériel en même temps  », souligne le chercheur.
Ainsi mis au point, le geste chirurgical va pouvoir être appliqué sur le vrai patient. Mais comment le reproduire parfaitement ? « En utilisant la réalité augmentéeRéalité augmentée
Superposition en temps réel d’images ou d’informations virtuelles sur une image réelle
, qui rend le patient virtuellement transparent. Cette technologie nous permet de superposer les images virtuelles montrant le geste chirurgical planifié aux images du patient prises en temps réel au cours de l’opération. Le chirurgien n’a plus qu’à suivre le chemin, comme sur un GPS, pour atteindre la cible de l’intervention. »
C’est juste en face, dans le Nouvel Hôpital Civil, que les travaux de l’Ircad sont mis en pratique : les salles d’opérations sont reliées par fibre optique à la régie vidéo de l’Institut. Les techniciens y reçoivent les images haute définition en direct du bloc opératoire, incrustent par transparence les images virtuelles, puis renvoient le montage sur l’écran de la salle d’opération. « Le chirurgien en cours d’intervention peut ainsi voir des tissus qui ne sont pas initialement visibles, ce qui facilite grandement son travail. »

Des robots chirurgiens

« On peut imaginer dans le futur des opérations qui soient entièrement automatisées, se prend à rêver Luc Soler. Mais il faudra toujours un chirurgien pour la planification et la supervision de l’opération et, en cas de problème, pouvoir revenir en arrière. »
Actuellement, les robots des salles d’opérations sont donc pilotés par le chirurgien. Mais il est possible d’automatiser certaines commandes dans le but de l’assister dans son travail. C’est ce que réalise au sein de l’Ircad l’équipe de robotique de l’Université de Strasbourg, dirigée par le professeur Michel de Mathelin. « En chirurgie transluminaleChirurgie transluminale
Technique d’endoscopie qui consiste à introduire les instruments chirurgicaux par un orifice naturel (bouche, anus, vagin) et ensuite à atteindre la cavité abdominale en traversant une paroi interne (de l’estomac ou de l’intestin).
, la difficulté est de pouvoir contrôler l’endoscope et les outils chirurgicaux en même temps
, pointe Luc Soler. L’idée a donc été d’asservir les mouvements de l’endoscope par un système automatique. L’ordinateur analyse l’image et ordonne à l’endoscope de rester centré en permanence sur la cible, comme un missile à tête chercheuse. »
On l'aura compris, l’objectif des recherches menées à l'Ircad est de donner de nouveaux outils aux chirurgiens pour simplifier leurs interventions, en particulier d’automatiser ce qui est le plus difficile à réaliser. « Il faut que la robotique apporte un réel bénéfice aux patients, conclut Luc Soler. Elle doit permettre de mieux faire certaines opérations, avec moins de complications postopératoires, et même de réaliser des opérations impossibles par la seule main de l’homme. »
Pas étonnant donc que l’Ircad soit, aujourd’hui, reconnu mondialement comme le centre de référence en chirurgie laparoscopiqueChirurgie laparoscopique
Technique d’endoscopie chirurgicale mini-invasive réalisée sur l’abdomen, grâce à de petites incisions permettant le passage de l’endoscope et des trocarts dans lesquels le chirurgien glisse de fins instruments chirurgicaux.
et transluminale, et à la tête de la révolution robotique et virtuelle dans l’univers chirurgical.

Yann Cornillier

Luc Soler
Luc Soler. Directeur de projet en informatique à l’Ircad
© François Guénet/Inserm
IRCAD
IRCAD: Universite de STRASBOURG. Contrôle par la régie vidéo des liaisons entre l’Ircad et le Nouvel Hôpital Civil de Strasbourg
© François Guénet/Inserm