MALADIE DE CROHN
Une mutation pas si silencieuse

On les appelle les « mutations synonymes » : les gènes qui en sont affectés fonctionnent apparemment normalement. Mais des travaux menés sur la maladie de Crohn montrent qu’elles peuvent influencer l’action des micro-ARNs. Un phénomène qui pourrait être associé à de nombreuses autres pathologies.

La maladie de Crohn est entourée de beaucoup de mystère. Cette inflammation du tube digestif serait liée à l’incapacité du système immunitaire à tolérer les bactéries naturellement présentes dans l’intestin. Elle pourrait aussi résulter de la présence de bactéries plus ou moins opportunistes. « C’est une maladie complexe, avec à la fois des facteurs génétiques, immunologiques, microbiens et environnementaux, souligne Patrick BrestPatrick Brest
Unité Inserm ERI 21/Université de Nice-Sophia Antipolis, infection, inflammation et carcinogenèse
. Plus de 70 polymorphismes génétiques ont été identifiés. » 
Un patient sur cinq présente une mutation sur le codon 313 du gène IRGM, qui code pour une protéine impliquée dans l’élimination des bactéries intracellulaires. Il s’agit de la substitution d’une cytosine par une thymine, mais elle ne change pas la séquence de la protéine, car les triplets TTG et CTG codent tous deux pour une leucine. Donc même acide aminé, même protéine in fine. En apparence, rien ne permettait donc d’expliquer la prédisposition à développer la maladie liée à cette mutation. Mais des chercheurs français  viennent d’apporter un éclairage nouveau sur cette mutation silencieuseMutation silencieuse
Mutation qui ne modifie pas la séquence de la protéine finale car soit située sur une région non codante de l’ADN, soit codant pour le même acide aminé. On parle dans ce dernier cas de mutation synonyme.
en testant l’implication de micro-ARNs (miARN).

Un meilleur pronostic

Ils ont analysé les séquences d’une vingtaine de nucléotides comprenant le nucléotide 313 C ou T alternativement, et les ont comparées aux séquences connues de miARNs. Résultat : une famille de miARNs a été trouvée qui, in vitro, s’est révélée avoir peu d’affinité pour la forme mutée de l’ARNm de l’IRGM, dont la traduction n’était plus freinée.« À une base près, le miARN se fixe ou ne se fixe pas sur l’ARN messager, explique Patrick Brest. Nous avons apporté pour la première fois la preuve qu’une mutation synonyme, en jouant sur des miARNs, pouvait influencer des maladies graves. Toutes les autres mutations synonymes sont donc à reconsidérer. Elles pourraient aussi contribuer à l’apparition d’autres maladies fréquentes ou rares. »
Concernant la maladie de Crohn, cette découverte permettra sans doute d’améliorer le pronostic et le suivi des patients. « Des traitements visant une restauration du processus d’autophagieAutophagie
Mécanisme permettant à la cellule de digérer une partie de son contenu : cytoplasme, protéines, organites cellulaires, mais aussi bactéries.
pourraient être envisagés dans le futur pour certains malades présentant une mutation sur le gène IRGM »
, prévoit Paul HofmanPaul Hofman
Unité Inserm ERI 21/Université de Nice-Sophia Antipolis, infection, inflammation et carcinogenèse
. Quant à « cartographier » le génome d’individus sains pour prédire un risque de déclencher la maladie de Crohn, le chercheur est catégorique : « Cela ne servirait à rien et surtout pourrait inutilement alerter les individus. Même avec des vrais jumeaux, on peut avoir le cas où un jumeau déclenche la maladie et l’autre non. »
La résolution de cette énigme fait apparaître cependant de nouvelles zones d’ombre. Pourquoi l’élimination des bactéries n’est-elle pas plus efficace avec le gène muté, puisque la protéine est produite en plus grande quantité ? La maladie de Crohn n’en a pas fini avec ses mystères.

Gaëlle Lahoreau