Thérapie virtuelle
Simuler pour mieux traiter

Aux patients souffrant de handicaps ou de phobies, comme aux adolescents en détresse psychologique, la réalité virtuelle offre des perspectives thérapeutiques ludiques autant que prometteuses. Tour d’horizon.

Associée habituellement à l’univers des jeux vidéos, la réalité virtuelle fait aujourd’hui ses premiers pas dans le monde de la médecine pour aider les personnes phobiques à faire face à des situations traumatisantes, certains handicapés à retrouver leur autonomie, ou encore des adoles cents en souffrance à améliorer leurs relations avec les autres. La méthode : plonger le patient dans un environnement sensoriel créé de toutes pièces afin de l’aider à modifier son comportement. La thérapie virtuelle est un nouvel outil que patients et soignants doivent apprendre à utiliser et à intégrer à la prise en charge psychothérapeutique ou à un programme de rééducation.
Exemple au Pôle aquitain de l’adolescent à Bordeaux. Un jeune homme hospitalisé depuis 3 jours après une tentative de suicide fait face à un écran d’ordinateur. À sa droite, un miroir. L’infirmière assise à ses côtés lui apprend le but de la séance : fabriquer son avatar qui doit être le plus ressemblant possible. Le patient définit alors son aspect physique dans les moindres détails. « Est-ce vraiment ce que tu vois dans la glace ? », interroge la soignante. Grâce au jeu de perspectives créé entre l’avatar et le reflet dans le miroir, l’adolescent peut prendre conscience de son point de vue sur lui-même et ainsi le modifier. « Cela facilite l’adhésion de ces enfants de l’image au traitement, explique le psychiatre Xavier PommereauXavier Pommereau
Psychiatre, chef du Pôle aquitain de l’adolescent, Centre Abadie, CHU de Bordeaux
, chef du Pôle. Ces séances s’inscrivent dans l’approche psychodynamiqueApproche psychodynamique
Regroupe des pratiques qui vont de la psychanalyse traditionnelle aux psychothérapies psychanalytiques longues ou brèves.
qui est la nôtre pour leur prise en charge
. » Le service bordelais est d’ailleurs en cours de rénovation pour notamment accueillir une grande salle multimédia dotée d’une scène de spectacle. Ainsi les jeunes pourront-ils prendre part à des jeux de rôle collectifs et faire se déplacer leurs avatars en taille réelle dans toutes sortes de situations conflictuelles. « Nous nous en servirons pour faire des allers-retours entre les situations virtuelles et la réalité. »

Quelle efficacité dans la réalité ?

Lors de ces séances, une question se pose, comme le fait remarquer Évelyne KlingerÉvelyne Klinger
Ingénieur et médecin, responsable de l’entité Handicap et Innovations Technologiques (HIT) au sein de l’équipe Présence et Innovation du Laboratoire Arts et Métiers ParisTech d’Angers (LAMPA-EA 1427), Laval
, du Laboratoire Arts et Métiers ParisTech d’Angers à Laval. « Si les personnes s’améliorent dans le monde virtuel, est-ce aussi le cas dans le monde réel ? » Les acquis sont-ils transférés ? La chercheuse pilote actuellement avec le CHU de Bordeaux le projet de recherche VAPS-REHAB, qui a pour but de mesurer l’efficacité de ce transfert. Son équipe conçoit des outils d’évaluation et de rééducation fondés sur la simulation d’activités quotidiennes, aller au supermarché, par exemple, pour des patients atteints de lésions cérébrales responsables d’un handicap cognitif, moteur ou émotionnel. « Ainsi, nous pouvons observer le comportement de la personne dans diverses situations, réentraîner ses fonctions déficientes et mesurer la progression d’une séance à l’autre. »

Une pratique en devenir

L’un des avantages majeurs de la réalité virtuelle, c’est la possibilité de contrôler tous les paramètres des scénarios proposés. À l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris, des psychiatres y ont recours dans le cadre de thérapies cognitives et comportementales (TCC) destinées aux patients anxieux et phobiques. Lorsqu’une personne en proie à une peur panique des hauteurs monte aussi souvent que nécessaire sur un pont virtuel plutôt que réel, cela simplifie grandement la vie du thérapeute comme celle de son patient ! Une étude franco-luxembourgeoise menée auprès de 92 patients agoraphobesAgoraphobie
Phobie liée à la peur des lieux publics, des espaces ouverts, de la foule
a récemment conclu à une efficacité des thérapies virtuelles comparable à celle des TCC classiques. « Toutefois, la réalité virtuelle est encore très marginale dans les équipes de soins françaises, modère Antoine PelissoloAntoine Pelissolo
Professeur de psychiatrie, Centre Émotion – USR 3246 Université Pierre-et-Marie-Curie/CNRS, hôpital Pitié-Salpêtrière, Paris
du Centre Émotion de la Pitié-Salpêtrière. Le plus souvent il s’agit seulement d’un point d’entrée de la prise en charge psychothérapeutique. » Une majorité de patients se dit en effet moins angoissée par les séances in virtuo que par celles in vivo.
Mais s’immerger dans le virtuel à l’aide d’un casque n’est pas évident pour tout le monde et le sentiment de présence, c’est-à-dire la qualité de l’immersion dans une situation virtuelle, propre à chacun, se révèle crucial. Certains ressentent parfois des « cybermalaises » avec nausées et vomissements. Pour que les patients se sentent vraiment appartenir à la scène, « un rendu réaliste est essentiel », insiste Xavier Pommereau qui travaille actuellement à l’élaboration d’un serious game (« jeu sérieux ») afin de développer les capacités d’adaptation des adolescents de son service. L’interface simule plusieurs moments clés de la vie d’un collégien. « L'adolescent décidera du comportement de son avatar et de celui des autres personnages. Plus il saura s’adapter à des situations défavorables, plus il pourra aller en profondeur dans chaque monde », précise-t-il.
Entrée timidement dans les cabinets médicaux comme outil thérapeutique supplémentaire, la réalité virtuelle pourrait s’y déployer plus largement dans les années à venir. À la condition que des travaux de recherche, à l’instar de celui sur les acouphènes orchestré par Alain Londéro à l’Hôpital européen Georges-Pompidou, confirment leur efficacité, leur innocuité et leur utilité dans différents contextes cliniques. Les perspectives sont nombreuses, la recherche dans le domaine, active. Selon Daniel Mestre, directeur du Centre de réalité virtuelle de la Méditerranée, « la réalité virtuelle fait aujourd’hui fantasmer beaucoup de monde ». Et si d’ici quelques années, ce fantasme devenait réalité ?

Anne Le Pennec