Troubles mentaux
Comment les soigner ?

Troubles bipolaires, schizophrénie, dépression, anorexie mentale… Bien qu’elles touchent une personne sur cinq à travers le monde, qu’elles sont la première cause d’invalidité et le deuxième motif d’arrêt de travail en France, les maladies mentales, fréquentes, douloureuses, souvent chroniques, sont les mal-aimées de la recherche biomédicale. Alors que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) s’apprête à leur consacrer, le 12 octobre prochain, une Journée mondiale avec pour thème « Investir dans la santé mentale », c’est l’occasion de faire le point sur les avancées de la recherche. Comment différencier les troubles mentaux ? Comment les diagnostiquer ? Et comment les soigner et améliorer la qualité de vie des patients et de leur entourage ?

Troubles mentaux : de quoi parle-t-on ?

Des affections très variées, comme la dépression, mais aussi l’autisme ou la démence se cachent derrière le terme « trouble mental »… Comment les définir et les reconnaître ?

Entre un trouble schizophrénique et l’insomnie, il existe peu de points communs… Pourtant, tous deux sont classés dans les troubles mentaux, moins stigmatisant que « maladies mentales » et qui correspondent mieux à la diversité des affections rencontrées. L’éventail des troubles mentaux est large : il recouvre aussi bien des maladies neurologiques (maladie d’Alzheimer ou autres démences, épilepsie…) que psychologiques. Certaines de ces dernières sont présentes dès l’enfance (autisme, trouble de l’attention/hyperactivité), d’autres débutent à l’adolescence ou chez le jeune adulte (troubles bipolaires, schizophrénie, troubles du comportement alimentaire), avec des conséquences souvent lourdes sur la vie entière. Enfin, les troubles anxieux, la dépression, l’insomnie, ou encore la dépendance à l’alcool, peuvent survenir à n’importe quel moment de la vie, de façon ponctuelle ou chronique.
Il est parfois difficile de mettre un nom sur un trouble mental. Toutefois, certaines classifications officielles tentent de relier chaque psychopathologie à un ensemble de symptômes bien précis. Le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux(Diagnostic and statistical manual of mental disorders, DSM), publié par l’Association américaine de psychiatrie (APA), est le « dictionnaire des psychiatres » du monde entier. Sorti en 1952, il répertoriait à l’époque 60 maladies mentales, sa version actuelle (DSM-IV) en compte 400, et le futur DSM-5 sans doute 500. Initialement prévue en mai 2012, sa sortie a été retardée d’un an, car il ouvre le débat aux scientifiques du monde entier autour des concepts très innovants qu’il propose. Mais il fait aussi l’objet de critiques. Certains lui reprochent, entre autres, de classer au rang des troubles mentaux des réactions « normales » comme le chagrin lié au deuil, ou encore de baisser le seuil des critères diagnostiques… Mais également de faire le lit de l’industrie pharmaceutique. « Entre la médicalisation exagérée de certains troubles pour élargir la prescription de médicaments, et l’objectif de repérage et de prévention plus précoce, il faut trouver le juste équilibre » , estime Frédéric RouillonFrédéric Rouillon
Unité 894 Inserm/Université Paris Descartes, Centre de psychiatrie et neurosciences
, chef de service à l’hôpital Sainte-Anne à Paris.
La Classification internationale CIM10, développée par l’OMS en 1992, est également couramment utilisée. Elle présente beaucoup de points communs avec la classification de l’APA, d’autant plus qu’elle s’inspire du DSM-III. Mais elle devrait être réactualisée dans les prochaines années pour intégrer des données plus récentes sur les troubles mentaux.

Évaluation et diagnostic

Ces deux manuels permettent donc aux chercheurs et aux cliniciens du monde entier de parler le même langage. Mais ce sont des outils de recherche, et non pas des outils cliniques, car ils mettent surtout l’accent sur la définition des troubles et la description des symptômes sans tenir compte de leur origine et de la personnalité de chaque patient. Dans la pratique clinique, le regard et l’expérience du clinicien prennent alors toute leur valeur. Celui-ci fonde son diagnostic sur l’entretien psychiatrique qui permet de recueillir des informations détaillées auprès du patient et de son entourage (famille, école, médecin généraliste), un examen clinique de l’état mental (présence d’hallucinations, de délires,…) et un bilan psychologique à partir notamment des tests neuropsychologiques ou encore des tests de personnalité ou de projection (test de Rorschach, Thematic Apperception Test,…). « La psychiatrie a développé des tests et des trames d’entretiens semi-structurés comprenant des questions types et des barèmes d’évaluation. On peut donc aujourd’hui diagnostiquer les troubles mentaux avec un niveau de précision comparable à celui de la plupart des maladies physiques courantes, comme l’hypertension ou le diabète, souligne Frédéric Rouillon. Mais il est important de reconsidérer le diagnostic régulièrement, car une erreur reste possible, notamment parce que les troubles peuvent évoluer dans le temps. »
Une évaluation qui, selon plusieurs chercheurs, se concentre encore trop sur les aspects « psy » (psychologiques et psychiatriques) au détriment des aspects somatiques, c’est-à-dire physiques. En effet, de plus en plus de liens sont découverts entre les deux… « Les bilans cognitifs (tests d’intelligence, d’attention…) et somatiques complets (bilan biologique, électrocardiogramme, IRM cérébrale) ne sont pas encore assez fréquents, déplore Marie-Odile KrebsMarie-Odile Krebs
Unité 894 Inserm/Université Paris Descartes
1 du Centre de psychiatrie et neurosciences à l’hôpital Sainte-Anne.
On sait par exemple que certains troubles métaboliques se traduisent par des désordres psychiatriques symptomatiques de la schizophrénie. » « La littérature a montré l’existence d’anomalies neurobiologiques dans la schizophrénie, touchant notamment la dopamine, mais aussi la connectivité neuronale, ajoute Anne GierschAnne Giersch
Unité 666 Inserm/Université de Strasbourg, Physiopathologie et psychopathologie cognitive de la schizophrénie
, psychiatre au CHRU de Strasbourg. Ces patients présentent également des troubles cognitifs, qui touchent la mémoire, la perception, l’attention. L’enjeu actuel des recherches est de comprendre le rôle de ces anomalies dans les pathologies mentales : leur impact sur la vie quotidienne et leur rôle dans les symptômes cliniques de type hallucinations ou délires. »

Entre normal et pathologique

Mais à partir de quand peut-on dire qu’un état mental est pathologique ? La limite avec le « normal » semble parfois floue. L’OMS définit la « bonne » santé mentale comme un état de bien-être dans lequel une personne peut se réaliser, surmonter les tensions normales de la vie, accomplir un travail productif… « C’est donc plus que l’absence de troubles ou de handicaps mentaux !, constate Frédéric Rouillon. Cette notion de santé positive est intéressante, mais le risque est de médicaliser nos moindres états d’âme… Hormis les maladies mentales les plus caractéristiques comme le trouble bipolaire, le trouble schizophrénique ou le TOC [trouble obsessionnel compulsif], il n’est pas toujours facile de distinguer un état subnormal d’un état pathologique. La tristesse un mois après un deuil est normale, mais si elle empêche de dormir, de travailler et de vivre six mois plus tard, une prise en charge thérapeutique peut être nécessaire. »
Avec les avancées de la recherche, en particulier les possibilités offertes par l’imagerie cérébrale, les frontières entre les différents troubles mentaux, mais aussi entre un état pathologique et un état « normal » se dessinent de mieux en mieux. Mais le diagnostic reste complexe. C’est finalement la question des conséquences sur la qualité de vie qui semble avoir le plus d’importance. Comme l’énonce le DSM, le trouble mental a-t-il un « retentissement social »? Engendre-t- il une « souffrance cliniquement significative » ?

L’égalité n’existe pas

Prédisposition à la naissance, environnement, aléas de la vie… La recherche sur les facteurs qui favorisent l’apparition d’un trouble mental avance à grands pas. Avec, à terme, l’objectif d’améliorer le dépistage et la prévention.

Il est désormais établi que, dès la naissance, nous ne sommes pas tous égaux face aux troubles mentaux, l’origine génétique de certains d’entre eux ne faisant plus aucun doute. Grâce aux études sur les jumeaux, elle est évaluée à 90 % dans l’autisme et à près de 60 % dans la schizophrénie et les troubles bipolaires… Mais elle est plus difficile à mettre en évidence dans certaines maladies comme la dépression. « Des études d’association sur l’ensemble du génome ont montré que des variants génétiques communs sont impliqués dans le risque de vulnérabilité à la schizophrénie et aux troubles bipolaires, et dans une moindre mesure à l’autisme, confirme Stéphane JamainStéphane Jamain
Unité 955 Inserm/Université Paris-Est-Créteil-Val-de-Marne, IMRB, équipe de Psychiatrie génétique
, de l’Institut Mondor de recherche biomédicale. Mais les maladies psychiatriques impliquent plusieurs gènes, il n’est pas donc si simple d’évaluer le rôle de chacun. Et des mutations de novo, qui apparaissent au moment de la transmission du patrimoine génétique ou plus tard dans la vie, peuvent expliquer certains cas, même dans des familles où aucun malade n’a jamais été recensé. »

Des causes et des effets différents

L’inégalité des sexes semble également toucher les troubles mentaux. « Ils sont plus répandus chez les femmes que chez les hommes, relève Jan ScottJan Scott
Professeur honoraire à l’Institut de psychiatrie de Londres, professeur associé à l’université Paris-Est-Créteil-Val-de-Marne, titulaire de la chaire d’excellence de la fondation FondaMental
, professeur de psychologie médicale à l’Université de Newcastle, ce qui s’explique surtout par une fréquence plus importante de troubles anxieux ou de dépression. Celle des troubles schizophréniques est un peu plus élevée chez les hommes, chez qui ils débutent d’ailleurs plus tôt. Celle des troubles bipolaires est sensiblement égale, les hommes étant généralement plus touchés par des formes de type 1, plus sévères que celles de type 2. Et l’autisme est quatre fois plus fréquent chez les garçons. » Cette inégalité est une donnée à exploiter pour améliorer la compréhension et la prise en charge de ces pathologies.
Quant aux facteurs environnementaux, ils sont déterminants dans le développement ou l’aggravation aussi bien des troubles psychotiquesTrouble psychotique
Caractérisé par un rapport perturbé à la réalité et un déni de la maladie, la schizophrénie étant le plus fréquent.
que des troubles de l’humeur (dépression, troubles bipolaires)… Et ce, d’autant plus qu’il existe déjà une prédisposition génétique. Plusieurs études réalisées en Grande-Bretagne et dans le nord de l’Europe ont, par exemple, mis en évidence les facteurs qui augmentent le risque d’apparition de troubles psychotiques, notamment de schizophrénie : consommation de cannabis, traumatismes crâniens, infections maternelles pendant la grossesse, complications obstétricales, traumatismes psychologiques dans l’enfance, être né ou avoir grandi dans une ville… Mais aussi être migrant ou descendant de migrant, ce qui pourrait s’expliquer par différents facteurs, comme un niveau de stress élevé dû à la discrimination, ou encore le manque de soleil et donc de vitamine D… L’étude EU-GEI (European Union Genetic Environment Interaction), projet financé par la Communauté européenne et mis en place en France sous l’égide de la fondation FondaMental par l’équipe de recherche Inserm de Marion LeboyerMarion Leboyer
Unité 955 Inserm/Université Paris-Est-Créteil-Val-de-Marne, Institut Mondor de recherche biomédicale (IMRB), directrice de FondaMental et responsable de la recherche, hôpital Chenevier-Mondor, Créteil
à Créteil et par Pierre-Michel LlorcaPierre-Michel Llorca
Chef de service de psychiatrie du centre médico-psychologique (CMP), CHU de Clermont-Ferrand, équipe de recherche intégrée dans un réseau Inserm neurologie, membre du comité de pilotage de la Fondation FondaMental
à Clermont-Ferrand, permettra de mesurer pour la première fois en France - dans deux populations, l’une rurale (Puy-de-Dôme), l’autre urbaine (Val-de-Marne) - l’impact des facteurs environnementaux sur le risque de troubles psychotiques et de le comparer aux données de la Grande-Bretagne, des Pays-Bas, de l’Italie et de l’Espagne. « Cette étude s’intègre dans un vaste programme européen d’étude de facteurs de risques environnementaux et de leurs interactions avec les facteurs génétiques, précise Andrei SzokeAndrei Szoke
Unité 955 Inserm/Université Paris-Est-Créteil-Val-de-Marne, Pôle de Psychiatrie, GHU Chenevier-Mondor, Créteil
, coordonnateur de cette étude. Nous mesurerons également sur ces mêmes populations la prévalence de la schizophrénie en France, une information difficile à recueillir compte tenu de la faible proportion de personnes concernées. L’analyse des résultats à deux ans sera publiée à la fin de cette année. »

Des populations à risque

Par ailleurs, on sait déjà que les personnes en situation de grande précarité sont particulièrement touchées. En effet, selon l’enquête Samenta (Santé mentale et addictions chez les personnes sans logement d’Ile-de-France) réalisée en 2009-2010 par l’équipe de Pierre ChauvinPierre Chauvin
Unité 707 Inserm/Université Pierre-et-Marie-Curie, Epidémiologie, systèmes d’information, modélisation
et l’Observatoire du Samu social à Paris, près d’un tiers des sans-abris présentent au moins un trouble psychiatrique sévère, 13,2 % d’entre eux souffrent de troubles psychotiques, soit dix fois plus qu’en population générale, et 30 % d’addiction à l’alcool ou aux drogues. « Les troubles graves comme la schizophrénie précèdent souvent la perte du logement, tandis que dépression et troubles anxieux découlent de la dureté de vie dans la rue », précise le chercheur en santé publique de l’Inserm.
Enfin, s’il y a une population qui est particulièrement à risque, ce sont bien les adolescents, dont la personnalité est encore malléable et en construction. En effet, c’est souvent à cet âge qu’apparaissent les premiers épisodes dépressifs ou psychotiques, les troubles du comportement alimentaire… Les conduites à risque, notamment la consommation d’alcool et de cannabis, de même que les rythmes de sommeil irréguliers, n’arrangent rien. Les premiers épisodes psychotiques surviennent en général entre 15 et 30 ans, une période cruciale où l’on est censé faire des études, choisir un métier, construire sa vie de couple et son cercle d’amis… Les conséquences sur la vie entière sont donc potentiellement considérables ! « Or, on peut repérer avant l’émergence du premier épisode les jeunes présentant des symptômes « prodromiques » - tous premiers symptômes présents de façon atténuée ou transitoire -, à très haut risque de transition psychotique. Si rien n’est fait, environ 30 % de ces jeunes deviennent schizophrènes dans les deux à cinq ans, alors que, grâce à une prise en charge adaptée, ils ne seront plus que 10 à 15 %. Un dépistage et un suivi précoces sont essentiels pour prévenir la maladie », souligne Marie-Odile Krebs.
Les troubles de l’humeur - dépression, mais surtout troubles bipolaires - démarrent aussi très souvent en fin d’adolescence ou au début de l’âge adulte (âge moyen 21 ans). Jan Scott s’intéresse aux vulnérabilités qui permettent d’identifier les personnes à haut risque de développer un trouble bipolaire. « Nous recrutons une cohorte de jeunes, âgés de 16 à 25 ans, apparentés à des patients atteints de troubles bipolaires suivis au sein des centres experts de la fondation FondaMental. L’objectif est d’identifier le plus tôt possible les sujets qui risquent de développer la maladie pour leur proposer des interventions nouvelles : aménagement du style de vie, en particulier du rythme de sommeil, de l’humeur, psycho-éducation, etc. » Âge de tous les risques, l’adolescence est aussi la période de tous les possibles, où les stratégies thérapeutiques peuvent avoir un impact important et éviter qu’un trouble débutant ne devienne chronique. D’où l’importance d’un repérage précoce.

À chacun sa stratégie thérapeutique

Dans les troubles mentaux, l’objectif « réaliste » est plus souvent de diminuer les symptômes que de les guérir. Le traitement repose en général sur les médicaments et les psychothérapies dont les techniques sont en constante évolution… Mais ce qui est efficace pour l’un ne l’est pas toujours pour l’autre.

Les médicaments psychotropes permettent à de nombreux patients de diminuer le handicap lié à leur maladie et d’avoir une meilleure qualité de vie. Pourtant, ils ont mauvaise réputation… Pris à tort et à travers, ils ne feraient que masquer les symptômes sans agir sur les causes, avec un phénomène d’accoutumance et des effets indésirables loin d’être négligeables. La consommation élevée de psychotropes pose un vrai problème de santé publique, en particulier en France. « Ce ne sont pas toujours ceux qui en ont le plus besoin qui en prennent, souligne Bernard BégaudBernard Bégaud
Unité 657 Inserm/Université Bordeaux Segalen, Pharmacoépidémiologie et évaluation de l’impact des produits de santé sur les populations
, directeur de l’unité Inserm de pharmaco-épidémiologie à Bordeaux. Dans la dépression par exemple, la moitié des personnes souffrant d’un épisode dépressif majeur n’est pas bien traitée, tandis que 40 % de ceux qui en prennent pourraient s’en passer. » De plus, la majorité des patients arrête trop vite sans respecter la durée de traitement recommandée qui est de six mois. D’où de nombreuses rechutes.

Médicaments : prise et efficacité variables

Les neuroleptiques sont utilisés pour soigner bien souvent à vie les patients psychotiques. Ces traitements luttent en particulier contre les idées délirantes et les hallucinations. « Les premiers sont apparus il y a une cinquantaine d’années. Les antipsychotiques de deuxième génération, arrivés il y a dix ans, sont mieux tolérés que les molécules plus anciennes. Ils peuvent cependant entraîner une prise de poids importante et des problèmes métaboliques, et d’autant plus s’ils sont pris pendant de nombreuses années, remarque Bernard Bégaud. Ces médicaments sont indiqués chez certains patients bipolaires, mais pour eux la référence reste le lithium… Même s’il nécessite un suivi régulier pour ajuster le dosage au mieux. »
Quant aux benzodiazépines, aux effets calmants et relaxants, elles ont plusieurs indications : anxiolytiques, hypnotiques, et aussi myorelaxantes et antiépileptiques. Mais ces médicaments sont souvent pris à mauvais escient et de façon chronique, alors que leur utilisation doit être limitée à un mois dans les troubles du sommeil et à trois mois dans l’anxiété. Avec, pour conséquence, une baisse de leur effet, un phénomène de dépendance et des problèmes de sevrage, mais aussi des effets négatifs sur la cognition, notamment chez les personnes âgées (risque de chute et de démence).
En ce qui concerne l’efficacité de ces médicaments, elle est variable d’une personne à l’autre, et peut aussi évoluer dans le temps. « Elle est évaluée par le dosage des taux plasmatiques, qui mesure la quantité de principe actif du médicament présente dans le plasma sanguin. Celle-ci varie en fonction du métabolisme de chacun. Les études de génotypage en cours, qui visent à identifier les gènes impliqués dans la métabolisation des médicaments par le foie, permettront bientôt de comprendre pourquoi, précise Pierre-Michel Llorca. Chez 25 à 30 % des patients, l’efficacité des médicaments psychotropes existants n’est pas suffisante. Il y a donc un vrai besoin de nouvelles molécules agissant selon d’autres mécanismes, par exemple le système dopaminergique dans la schizophrénie. »
Par ailleurs, les prescriptions et les posologies ne sont pas toujours respectées. Certains schizophrènes sont censés prendre entre 2 et 5 médicaments différents par jour… D’où un risque d’oubli important, parfois un « ras-le-bol » des traitements et des effets indésirables qu’ils entraînent (prise de poids, troubles de la mémoire…), et enfin la tentation d’arrêter dès qu’ils vont un peu mieux. Pierre-Michel Llorca mène donc une étude afin d’évaluer l’impact de groupes de psycho-éducation pour améliorer l’observanceObservance
Respect de la prescription et de la posologie d’un médicament par un patient
vis-à-vis des psychotropes. Trois cents patients schizophrènes participent à une séance de groupe hebdomadaire pendant six semaines, l’objectif est de les aider à prendre conscience de leurs troubles et de l’importance de suivre leur traitement régulièrement. Les résultats de l’évaluation à six semaines et à six mois ont fait l’objet d’un rapport en juin dernier et seront publiés cet automne. Ils montrent un effet très marqué sur l’amélioration de l’observance et la réduction des symptômes.

Des thérapies reconnues

Si les médicaments sont souvent indispensables, les psychothérapies occupent elles aussi une place fondamentale, en particulier pour mieux comprendre l’origine et les facteurs déclenchants des troubles, mais aussi pour apprendre à mieux les gérer. Associées ou non à des prescriptions, elles sont donc très souvent recommandées dans la prise en charge des patients.
Trois courants principaux occupent le terrain : la psychanalyse, les thérapies cognitivo-comportementales (TCC) et l’approche systémique (thérapie familiale et de couple).
Une expertise collective de l’Inserm, Psychothérapie - Trois approches évaluées, publiée en 2004, a évalué l’efficacité de ces trois méthodes dans différents troubles mentaux. Le plus souvent, les résultats positifs sont associés à la thérapie cognitivo-comportementale, en particulier dans les troubles anxieux et la dépression sévère. En ce qui concerne la schizophrénie, c’est l’approche familiale, suivie des TCC, qui fonctionne le mieux. Contre les troubles de la personnalité et les troubles du comportement alimentaire, les trois types de psychothérapies sont efficaces, et même la psychanalyse. Une méthode qui a pourtant fait l’objet de nombreuses critiques récemment.
Fin 2005, un an après l’expertise de l’Inserm, paraissait en effet Le Livre noir de la psychanalyse (éditions Les arènes), remettant en cause l’histoire officielle de cette discipline controversée et soulignant ses faiblesses. Le courant psychanalytique, longtemps dominant en France, serait-il menacé par les TCC venus d’outre-Atlantique ? « La psychanalyse gêne car elle ne se conforme pas aux normes, elle veut croire à un indéterminisme ouvert. Elle ne rentre pas facilement dans les cases et les critères des études, constate Maurice CorcosMaurice Corcos
Unité 669 Inserm/Université Paris Descartes, Trouble du comportement alimentaire de l’adolescent, directeur du département de Psychiatrie de l’adolescent et du jeune adulte de l’Institut mutualiste Montsouris
, psychiatre à l’Institut mutualiste Montsouris à Paris. L’objectif des TCC est de soulager la souffrance et de permettre au sujet d’être adapté et performant, alors que celui de la psychanalyse est d’accéder à une vérité intérieure pour retrouver le plaisir et le sens de la vie et devenir plus libre. » Pour prendre un exemple, tandis que la psychanalyse aide à comprendre pourquoi on est anxieux, les TCC donnent des outils pour mieux contrôler cette anxiété « ici et maintenant ».
Aujourd’hui, c’est surtout dans le domaine des TCC que d’autres thérapies se développent. « Des nouvelles dimensions supplémentaires apparaissent, analyse Antoine PelissoloAntoine Pelissolo
Unité 975 Inserm/Université Pierre-et-Marie-Curie, Centre de recherche en neurosciences de la Pitié-Salpêtrière
, spécialiste des troubles anxieux. Depuis environ cinq ans, on incorpore le travail sur la régulation des émotions, le renforcement de l’estime de soi, la gestion du stress et même la méditation, dont les effets positifs ont été démontrés par l’imagerie cérébrale. Autant d’outils pour permettre à la personne de faire face par elle-même à ses difficultés et de retrouver une meilleure harmonie entre le corps et l’esprit. »

Vers d’autres méthodes

Autre approche en vogue, la psycho-éducation des patients, apparue dans les années 1980 pour former les personnes bipolaires à la prise de lithium dont le dosage est complexe, est encore peu développée en France. Elle est pourtant efficace dans plusieurs pathologies, en particulier dans ces troubles, pour lesquels elle fait partie des recommandations internationales. Cette démarche s’adresse à des groupes de malades hors période de crise, des groupes de proches ou des groupes mixtes qui partagent leur expérience. « Elle vise à aider le sujet à détecter les signes annonciateurs de rechute, et à les anticiper grâce à une meilleure gestion des facteurs de stress, un mode de vie plus équilibré et une meilleure adhésion au traitement médicamenteux », explique Jan Scott.
Enfin, la remédiation cognitive, qui consiste à rééduquer des fonctions cognitives altérées, commence à faire ses preuves, particulièrement chez les schizophrènes, qui souffrent notamment d’une perception altérée de la continuité du temps ou de troubles de la mémoire. « Les neuroleptiques soignent, mais ne guérissent pas, et ils sont sans effet sur les troubles cognitifs, il faut donc trouver d’autres méthodes… Nous organisons par exemple des groupes de patients autour de la lecture d’un livre, pour les aider à se souvenir de l’histoire. Et bientôt, nous allons tester une petite caméra fixée à leur cou qui prendra des photos à intervalle régulier pour les aider à reconstituer leur parcours de vie », décrit Anne Giersch.
Le plus souvent, c’est donc une combinaison et/ou une alternance de plusieurs approches qui permet de diminuer les symptômes et d’améliorer la qualité de l’existence. « Il est souvent nécessaire de commencer par des médicaments, par exemple pour certains troubles anxieux, afin de faciliter le travail de psychothérapie », pointe Antoine Pelissolo. Le traitement n’est jamais figé, il évolue au cours du temps et des besoins de chacun, d’où la nécessité d’un suivi et d’une évaluation régulière de la prise en charge.
Les psychotropes, des médicaments à l'observance difficile
Ⓒ François Guénet/Inserm

Adolescents : les psychothérapies d’abord

À l’adolescence, rien n’est encore figé, il est donc primordial d’empêcher qu’un trouble devienne chronique. Comment ? En privilégiant, le plus possible, les approches non médicamenteuses.

Chez les jeunes souffrant de troubles mentaux, les risques potentiels liés aux médicaments psychotropes sont encore plus importants que chez les adultes. C’est pourquoi la prudence est de mise… Dans la dépression par exemple, depuis qu’une méta-analyse publiée dans JAMA en 2007 a montré une légère augmentation des idées suicidaires chez les jeunes traités par antidépresseurs, leur prescription chez les enfants et les adolescents doit se faire en deuxième intention seulement, après une psychothérapie. « Des études ultérieures, réalisées dans différents pays (États-Unis, Angleterre, Chine, Inde…) ont montré des résultats contradictoires, le débat n’est donc pas tranché… Mais il vaut mieux réserver les antidépresseurs aux dépressions sévères », estime Bruno FalissardBruno Falissard
Unité 669 Inserm/Université Paris Descartes
, psychiatre, directeur de l’unité Inserm Troubles du comportement alimentaire de l’adolescent. Par ailleurs, le recours aux somnifères et aux anxiolytiques doit rester ponctuel, car ils ont un impact négatif sur le plan cognitif (mémoire, concentration…).

Le soin adapté à la personne

Dans le service de psychiatrie de l’adolescent et de l’adulte jeune de l’Institut mutualiste Montsouris à Paris, dirigé par Maurice Corcos, les médicaments sont prescrits sans précipitation à doses minimales efficaces, avec, à terme, l’essai de « fenêtres thérapeutiques », périodes où l’on fait une pause. Les psychothérapies restent toujours la pierre angulaire du traitement. « Nous sommes pragmatiques et utilisons ce qui fonctionne : thérapies psychanalytiques ou cognitivo-comportementales, mais aussi thérapies familiales et psychodrame psychanalytique - jouer ce que l’on ne peut pas dire. Nous ne traitons pas seulement un symptôme, mais une personne dans sa globalité et ses différentes configurations, et faisons au maximum appel à ses ressources internes. Une séparation temporaire avec la famille peut être proposée, pour mieux permettre les retrouvailles une fois le temps de la crise passé, mais en aucun cas un isolement, car les parents sont des alliés thérapeutiques indispensables », souligne le psychiatre. La moitié des patients hospitalisés dans son service souffre d’anorexie mentale, une pathologie particulièrement difficile à gérer, qui peut mettre la vie en danger. Dans les formes sévères, les thérapies familiales ont montré un intérêt particulier. Une étude réalisée par Nathalie Godard, portant sur 60 jeunes filles - de 13 à 21 ans - hospitalisées et leurs familles, a montré qu’au terme des 18 mois de l’étude, celles qui ont suivi une thérapie familiale en plus des soins habituels (hospitalisation, médicaments, psychothérapie…) se portent mieux que celles qui ont eu un parcours de soins classique. « Elles sont deux fois plus nombreuses à être sorties du stade critique en termes de poids, un bénéfice qui semble se maintenir à cinq ans, se réjouit la chercheuse. Par ailleurs, comme les jeunes anorexiques sont souvent des personnalités perfectionnistes et obsessionnelles qui manquent de flexibilité, Sylvie BerthozSylvie Berthoz
Unité 669 Inserm/Université Paris Descartes, Troubles du comportement alimentaire de l’adolescent
, qui a travaillé avec nous, va bientôt mener une étude sur l’apport de la remédiation cognitive, pour les aider par exemple à avoir une vue synthétique plutôt que de se focaliser sur les détails. »

Prévenir les troubles chroniques

Enfin, plusieurs études s’intéressent au devenir des adolescents et jeunes adultes qui ont souffert de troubles du comportement alimentaire. L’une d’elles a porté sur une cohorte de 1 000 patients anorexiques ou boulimiques recrutés pendant vingt ans, évalués à l’entrée et à la sortie de l’hôpital Sainte-Anne à Paris, sous la direction de Frédéric Rouillon. Après dix ans de suivi, la mortalité parmi les patients anorexiques était 10 fois plus élevée que dans une population du même âge, du fait des conséquences de la dénutrition, de complications cardiaques ou de suicide. Celle des patients boulimiques était 5,5 fois plus élevée, la première cause étant le suicide. D’où l’importance d’une prise en charge précoce et d’un suivi d’au moins un an au-delà de la disparition des troubles, pour éviter qu’ils deviennent chroniques. Même si c’est loin d’être systématique : d’après une revue de la littérature publiée en 2002, deux tiers des patients s’en sortent bien et ne garderont pas de séquelles significatives à l’âge adulte.
La prise en charge de ces troubles progresse petit à petit, en particulier grâce aux recommandations de la Haute Autorité de santé parues fin 2010, qui ont mis l’accent sur cette nécessité, notamment sur la prise en charge des conséquences physiques. Également grâce à une sensibilisation accrue des différents acteurs impliqués (médecins généralistes, médecins scolaires, associations…) et au développement de réseaux de soins et de centres experts TCA (troubles du comportement alimentaire). La création des Maisons des adolescents. sur l’ensemble du territoire français contribue, elle aussi, à augmenter les ressources disponibles, non seulement pour les TCA, mais aussi pour les autres troubles psychiques (ou physiques) des adolescents.

Une maison qui aide à grandir

La Maison de Solenn accueille des adolescents de tous horizons. Avec un point commun : une souffrance psychique qui nécessite une prise en charge globale spécialisée. Rencontre avec l’équipe soignante du service « hospitalisation », où un tiers des lits est réservé aux jeunes souffrant de boulimie ou d’anorexie.

La maison de Solenn. La Maison de Solenn, un espace de soins et d'accompagnement dédié aux adolescents en souffrance psychique
Ⓒ François Guénet/Inserm
En ce matin de juillet, Corinne Blanchet-ColletCorinne Blanchet-Collet
Responsable de la médecine de l’adolescent (TCA/Boulimie), Maison de Solenn/Maison des Adolescents, groupe hospitalier Cochin-Saint-Vincent-de-Paul (Paris)
, responsable de la médecine de l’adolescent, nous accueille dans le grand hall de la Maison de Solenn, encore appelée la Maison des adolescents (MDA), vaste bâtiment de verre adossé à l’hôpital Cochin, au cœur du 14ème arrondissement de Paris. Endocrinologue et médecin des ados, spécialiste des troubles du comportement alimentaire, elle a participé à l’ouverture de la MDA en 2004 avec le pédopsychiatre Marcel Rufo, et elle nous guide vers le premier étage, celui des hospitalisations. Ici, pas de blouses blanches, les bureaux des médecins côtoient les chambres des malades. Vastes et claires, elles sont prévues pour une ou deux personnes. Pas de cloisons opaques. La salle, où tous les matins, se tiennent les réunions ou « staff », moment des transmissions entre les membres de l’équipe soignante, et où l’on discute de chaque cas, est entièrement vitrée.
La maison de Solenn. Corinne Blanchet-Collet avec le personnel soignant lors de la réunion de « staff »
Ⓒ François Guénet/Inserm
« Nous accueillons chaque année une quarantaine d’adolescents souffrant de TCA en hospitalisation, pour une durée allant de quelques jours à six mois ou plus pour les anorexies sévères. Sur 20 lits, 6 sont réservés à la pédopsychiatrie, 6 à la pédiatrie, 6 aux troubles du comportement alimentaire (TCA) graves (seuls environ 10 % de ceux qui consultent sont hospitalisés) et 2 aux situations de crise, comme des tentatives de suicide, explique Corinne Blanchet-Collet. Avant de décider d’une hospitalisation, nous recevons toujours les parents, qui sont impliqués tout au long du soin. Les ados sont ici comme dans un cocon… Leur maladie reflète souvent une difficulté à grandir, à devenir adultes, et nous sommes là pour les y aider. »
Tous sont suivis à la fois par une équipe pluridisciplinaire incluant un psychiatre et un médecin de l’adolescent (pédiatre, endocrinologue…). L’équipe soignante compte au total une quarantaine de personnes, dont 5 médecins seniors, 17 infirmiers, 12 aides-soignantes, 2 diététiciennes, un éducateur spécialisé…
Entre les soins, les entretiens médicaux et psychiatriques, les cours et les ateliers culturels - le tout uniquement sur prescription médicale - les journées sont bien remplies. Sans compter les repas, qui sont des moments de « soin » à part entière. « Tous les matins, après les examens de routine (prise des « constantes » comme la tension, contrôle urinaire, prise de sang…), nous prenons le petit-déjeuner avec eux. C’est ainsi pour chaque repas, et nous vérifions que ce qu’ils choisissent correspond à leur fiche diététique. Les repas représentent un moment difficile pour les patients anorexiques - surtout les jeunes filles. Elles mangent dans une salle à part appelée “ salle à manger thérapeutique ” et nous les encourageons dans leurs efforts », raconte Vincent Bonnet, infirmier. Celles qui sont trop dénutries, et qui ne pèsent plus parfois que 35 kg, sont réalimentées par sonde la nuit, pour compléter leurs prises alimentaires jusqu’à ce qu’elles reviennent à 2 000 à 2 500 kcal/jour alors qu’elles sont souvent descendues en-dessous de 1 000 kcal/jour. Les repas, préparés à l’hôpital Cochin, sont « améliorés » sur place par un cuisinier (effort de présentation, jeu de saveurs, utilisation d’épices…).
« Petit à petit, on réintroduit des aliments comme les féculents, on essaie d’augmenter les quantités… Une fois par semaine, ces adolescentes participent à un atelier culinaire où nous préparons le repas ensemble, en présence d’un soignant », précise Céline Provost, diététicienne. C’est elle qui s’occupe aussi des jeunes boulimiques, des patients obèses, diabétiques… Et qui conseille les parents pour les permissions du week-end et le retour à la maison.
En cette période estivale, faute de personnel soignant, l’activité est un peu réduite. Une dizaine de patients, souvent les plus sévères, restent hospitalisés. À l’approche du déjeuner, un jeune homme de plus de 150 kg, très volubile, lance à la cantonade : « J’ai la dalle, on mange bientôt ? », sous le regard impassible de trois jeunes filles très maigres, qui attendent sagement pour déjeuner. Ici, les jeunes apprennent à accepter les différences et à relativiser…
Les repas sont aussi le moment où chacun vient chercher les médicaments qu’on lui a préparés : antidépresseurs, anxiolytiques et parfois neuroleptiques, mais à petites doses ! « Utilisés uniquement lorsque c’est indispensable, ils permettent de calmer l’anxiété, de passer un cap compliqué et de redonner de la souplesse au fonctionnement psychique et relationnel pour que le soin, et notamment la psychothérapie, soit enfin possible », précise Corinne Blanchet-Collet. Pour Anne-Gaëlle Chiron, infirmière, l’écoute est primordiale. « Au début, j’observe beaucoup et j’interviens peu, cela permet d’instaurer une relation de confiance avec le patient, essentielle au soin. »
La maison de Solenn. Céline Provost, diététicienne, dont les conseils s'appliquent également aux sorties du week end et après le retour à la maison.
Ⓒ François Guénet/Inserm
La maison de Solenn. Anne-Gaëlle Chiron, infirmière, prépare les médicaments.
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La maison de Solenn. Anne-Gaëlle Chiron, infirmière, prépare les médicaments - suite.
Ⓒ François Guénet/Inserm
C’est au troisième étage que se pratiquent les ateliers culturels. Salles de musique, de danse, atelier d’arts plastiques, studio de radio, médiathèque, cuisine… Des équipements dignes de professionnels ! « Selon leurs besoins, nous les orientons vers les ateliers qui leur feront du bien. Ceux-ci sont animés par des artistes ou des intervenants extérieurs, explique Brigitte Persello, aide-soignante. Les patients y participent toujours en présence d’un soignant. Nous les voyons ainsi autrement qu’à travers leur maladie, ici ils s’expriment plus librement »
Brigitte Antonicelli, responsable de l’équipe d'infirmiers, anime l’atelier théâtre. Elle demande à chaque « nouveau » de venir au moins une fois, et de continuer si cela lui plaît. Tous les mercredis, elle organise aussi un groupe « soignants-soignés » où chacun dit ce qu’il pense sur la vie du service, afin de « dégonfler » les tensions. Tous les jeudis, le groupe de paroles animé par Marie-Rose MoroMarie-Rose Moro
Unité 669 Inserm/Université Paris Descartes, Trouble du comportement alimentaire de l’adolescent
, chef de service de la Maison de Solenn, et une psychologue, permet d’aborder ensemble les difficultés liées à la maladie et au vécu de chacun. Les échanges entre patients et la dynamique du groupe qui progresse dans une réflexion commune ne peuvent être que bénéfiques.
La maison de Solenn. Les ateliers culturels font partie des soins.
Ⓒ François Guénet/Inserm
Un étage plus haut et voici une immense terrasse où l’on peut prendre l’air, manger, ou jardiner. Tomates, poires, fraises, framboises, salades, herbes aromatiques, roses, tournesols… Évelyne Sebbag, infirmière, est fière de son jardin ! « C’est un lieu qui soigne sans en avoir l’air. Toucher la terre, cela rappelle des souvenirs d’enfance, des sensations, et la parole est facile… Et puis, chaque patient repart toujours avec quelque chose, une poignée de framboises, une poire, un brin de lavande… » Elle participe aussi, avec Marie-Rose Moro, chef de file de l’ethnopsychanalyse, aux consultations transculturelles, qui réunissent autour de jeunes migrants en souffrance et de leurs familles, une dizaine de soignants issus de cultures diverses, pour des consultations où l’on aborde le problème autrement, en prenant en compte la culture et les traditions de chacun, parfois en « racontant des histoires, des contes », si besoin avec l’aide d’un interprète.
La maison de Solenn. Évelyne Sebbag, infirmière au jardin !
Ⓒ François Guénet/Inserm
Depuis l’ouverture de la Maison de Solenn en 2004, le concept a fait des petits. Grâce aux pièces jaunes, la Fondation Hôpitaux de Paris-Hôpitaux de France a déjà subventionné 50 Maisons des adolescents dans 17 régions de France. La dernière en date, l’Espace méditerranéen de l’adolescence (EMA), a été inaugurée le 28 juin 2012 en présence de Marcel Rufo et de Bernadette Chirac. À terme, chaque département devrait avoir la sienne. Des structures vitales pour la santé des jeunes en souffrance.

Isabelle Gonse