Drépanocytose
30 ans de lutte en Guadeloupe

Cette année l’Inserm y fête trente années de recherches axées sur la drépanocytose. Ces travaux menés sur place ont permis de faire diminuer de façon spectaculaire la mortalité dont elle est responsable, de mieux comprendre cette maladie génétique, fréquente, mais aux traitements limités, et d’engendrer de nouveaux espoirs.

Profil par diffraction laser d'un globule rouge normal, elliptique (à gauche), et d'un globule rouge drépanocytaire, rigide de type 'diamant' (à droite) (image 1)
Ⓒ Yves Colin-Aronovicz/UMR 665 Inserm /Inserm
Profil par diffraction laser d'un globule rouge normal, elliptique (à gauche), et d'un globule rouge drépanocytaire, rigide de type 'diamant' (à droite) (image 2)
Ⓒ Yves Colin-Aronovicz/UMR 665 Inserm /Inserm
Un taux de mortalité qui chute, des traitements plus pointus, un test sanguin pour dépister la maladie dès la naissance, une compréhension affinée de la drépanocytose… Un bilan largement positif pour cet anniversaire. Tout commence en 1983, lorsque « Guy Mérault, un jeune chercheur guadeloupéen déterminé et brillant, réussit à créer une structure de recherche à Pointe-à-Pitre, sur la drépanocytose, rattachée tout d’abord à l’unité parisienne de Jean Rosa », raconte Marie-Dominique Hardy-DessourcesMarie-Dominique Hardy-Dessources
Unité 665 Inserm/Institut national de la transfusion sanguine/Université Paris-Diderot/Université de la Réunion/Universités des Antilles et de la Guyane, Laboratoire d’excellence sur le globule rouge (GR-Ex), Protéines de la membrane érythrocytaire et homologues non érythroïdes
, de l’unité 665 Inserm, sur le site du CHU de Pointe-à-Pitre. Une gageure au regard des faibles moyens à sa disposition, à l’époque, sur l’île. C’est la première fois que l’Institut s’installe hors de la métropole.
Pourquoi la Guadeloupe et la drépanocytose ? Cette maladie génétique est fréquente dans les Caraïbes (une naissance sur 300), en raison de son histoire qui suit celle des flux migratoires des populations depuis des millénaires, notamment celle de la traite des esclaves. Apparue au néolithique en Afrique et en Inde, la maladie est due à la mutation d’un gène codant pour un composant essentiel des globules rouges, l’hémoglobine, qui permet le transport de l’oxygène et qui, sous sa forme mutée, prend le nom d’hémoglobine S (poursickle, faucille en anglais).

Succès pour le dépistage néonatal

L’enjeu pour les chercheurs antillais est de taille : mieux comprendre cette maladie qui, loin d’être anodine, abaisse, aujourd’hui encore, l’espérance de vie moyenne à 50 ans. Chez les malades, l’hémoglobine S déforme et rigidifie les globules rouges jusqu’à les faire ressembler à des petites faucilles, d’où le nom. Ces derniers sont alors détruits par l’organisme avec un risque d’anémieAnémie
Caractérisée par un manque de globules rouges ou d’hémoglobine, elle se manifeste par une grande fatigue, une pâleur, un essoufflement à l’effort.
chronique, ou bien ils obstruent le flux sanguin, jusqu’à entièrement boucher les plus petits vaisseaux qui irriguent organes et tissus. Les conséquences sont alors multiples : douleurs vives, nécroses de tissus et fragilité face aux infections car les organes du système immunitaire sont très vite touchés. Les traitements ne font que limiter les symptômes et les complications. Ils comprennent un programme vaccinal renforcé et une antibiothérapie préventive dès la naissance pour les enfants chez qui le risque infectieux est très important, la prise d’hydroxyurée, une molécule qui stimule la synthèse d’une hémoglobine exprimée pendant la vie fœtale (hémoglobine F), ou encore la transfusion sanguine en cas de crise sévère. Seule une greffe de moelle osseuse permet d’espérer la guérison, avec la production de globules rouges sains. Mais cette intervention, réservée aux cas critiques, est lourde, coûteuse et délicate.
Le travail de Guy Mérault marque cependant un tournant dans la recherche. En effet, après son installation en 1983, les résultats sont rapides avec la découverte inattendue d’une nouvelle forme d’hémoglobine : l’hémoglobine S-Antilles qui possède une deuxième mutation en plus de celle de la drépanocytose et présente une transmission génétique différente et une expression clinique exacerbée. Ce qui permet d’élaborer le premier modèle animal de la maladie : la souris transgénique SADSouris transgénique SAD
Modèle murin avec trois mutations insérées dans le même gène de l’hémoglobine : celle de la drépanocytose (S), la deuxième de l’hémoglobine S-Antilles (A) et celle d’une autre hémoglobine (Hb D Punjab) (D)
. Puis, en 1990, le chercheur, rejoint par le pédiatre Camille Berchel et soutenu par l’Inserm, le Conseil général, le CHU et l’assurance maladie de Guadeloupe, fonde le premier centre français de prise en charge entièrement dédié à cette pathologie. Par une première étude épidémiologique, mise en œuvre dès 1984, il prouve la faisabilité et l’efficacité du dépistage néonatal qui nécessite le simple recueil d’une goutte de sang. « Généralisé en Guadeloupe et élargi à la métropole en 1995, ce test favorisant une prise en charge précoce a permis en 20 ans de faire chuter la mortalité liée à la maladie de 17 % à 2,3 % », souligne Marie-Dominique Hardy-Dessources.

Des efforts transatlantiques

Au fil des années, grâce aux relations étroites avec l’hôpital, à la création en 2008 du centre d’investigation clinique des Antilles et de la Guyane, grâce aussi au recueil important de données cliniques issues des nombreuses cohortes de patients suivis en Guadeloupe et en région parisienne, les découvertes s’accumulent. Les travaux de l’équipe de Jacques ÉlionJacques Élion
Unité 665 Inserm/Institut national de la transfusion sanguine/Université Paris-Diderot/Université de la Réunion/Universités des Antilles et de la Guyane, Laboratoire d’excellence sur le globule rouge (GR-Ex), Protéines de la membrane érythrocytaire et homologues non érythroïdes
, du site parisien de l’unité Inserm à l’hôpital Robert-Debré puis à l’Institut national de transfusion sanguine, mettent notamment au jour le fait que l’hydroxyurée agit non seulement sur la réinduction d’hémoglobine fœtale, mais qu’elle diminue aussi l’adhérence anormale des globules rouges drépanocytaires à la paroi des vaisseaux. L’équipe parisienne porte aujourd’hui son effort sur« le vaisseau sanguin du malade qui est dans tous ses états,avance le chercheur.On pense que c’est un effet mécanique d’activation en cascade qui affecte tout l’environnement du globule rouge, notamment les globules blancs et la paroi des vaisseaux à laquelle adhèrent anormalement toutes les cellules du sang. »Un projet novateur a démarré avec l’École normale supérieure de Cachan. « Nous avons conçu des pseudo-vaisseaux qui miment la microcirculation sanguine. L’adhérence et l’activation cellulaire peuvent y être étudiées, en mouvement. C’est un grand progrès qui amènera à comprendre leurs mécanismes et à tester l’action de nouvelles substances thérapeutiques », détaille le médecin chercheur.
Côté guadeloupéen, Marie-Dominique Hardy-Dessources, également présidente du réseau Carest1 a exploré un autre aspect de la maladie : la membrane des globules rouges drépanocytaires présente, en effet, des anomalies qui leur font perdre leur hydratation. « Nous avons notamment confirmé, en conditions d’hypoxieHypoxie
État d’oxygénation insuffisante de certains tissus ou de l’organisme entier
, une augmentation de la perméabilité membranaire, qui favorise une entrée accrue en ions calcium dans les globules, entraînant une sortie massive d’ions potassium, et identifié les mécanismes de régulation des transporteurs de potassium
, précise-t-elle.Ces travaux contribuent à l’identification de molécules qui affectent ce transport d’ions potassium et donc susceptibles d’empêcher cette déshydratation. »

À la recherche d'outils prédictifs

Autre piste suivie : si un seul gène est à l’origine de la drépanocytose, bien d’autres éléments génétiques entrent en jeu car elle présente une grande variabilité. Les formes multiples des profils cliniques - douleurs, anémie, crises vaso-occlusives, risque d’accident vasculaire cérébral ou d’infarctus, atteinte rénale… plus ou moins importants - étudiés dans les cohortes de patients ont déjà permis de déterminer de nouveaux marqueurs génétiques qui modulent la sévérité de la maladie.« Ce sont de véritables outils prédictifs, pour une prise en charge mieux adaptée à chaque malade », précise Marie-Dominique Hardy-Dessources. Avancer encore plus vite sur la question de ces marqueurs, c’est notamment l’objectif d’une plate-forme innovante de recherche en génétique en phase d'installation, défi auquel participent les chercheurs de Guadeloupe dans le cadre d’un partenariat avec le Brésil et la Jamaïque. Sa stratégie ? Un séquençage à haut débit de l’ensemble du génome de nombreux patients antillais, guyanais, métropolitains, jamaïquains et brésiliens, alors qu’auparavant, cette opération était ciblée uniquement sur des séquences de gènes candidats, potentiellement impliqués dans la maladie.
Ainsi, dans la recherche comme dans la vie, 30 ans est un bel âge, celui des projets pleins d’avenir.

Nathalie Christophe

Les globules rouges sont congelés dans des conditions spécifiques pour qu'ils puissent voyager entre le laboratoire de Paris et celui de Pointe-à-Pitre.
Ⓒ Auteur inconnu/Inserm