Cancer de la prostate
Le BPA donne la « bougeotte » aux cellules

Si la toxicité du bisphénol A (BPA) est désormais reconnue, les mécanismes qui expliquent comment il pouvait favoriser le développement de tumeurs restaient encore à élucider. Aujourd’hui l’énigme est en partie résolue, puisqu’on a découvert comment le BPA accélère la migration des cellules cancéreuses.

L'exposition au BPA (en bas) augmente l'expression du canal ionique Orai 1 (vert) dans les cellules cancéreuses prostatiques humaines par rapport à un milieu de culture contrôle (en haut)(image 1).
© Morad Roudbaraki/Unité 1003 Inserm /Inserm
L'exposition au BPA (en bas) augmente l'expression du canal ionique Orai 1 (vert) dans les cellules cancéreuses prostatiques humaines par rapport à un milieu de culture contrôle (en haut)(image 2).
© Morad Roudbaraki/Unité 1003 Inserm /Inserm
Le 9 avril dernier, l’Agence nationale de sécurité sanitaire, de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) confirme, dans un rapport, que le bisphénol A (BPA) est nocif pour la santé et favoriserait notamment les cancers de la prostate et du sein. Chez la femme enceinte, le fœtus y serait même très sensible. Pourtant, la molécule est omniprésente dans notre quotidien, en particulier dans le secteur alimentaire. On le retrouve aussi bien dans les parois de certaines bouteilles d’eau que dans des boîtes métalliques.
Il avait déjà été démontré que la présence de BPA favorisait la prolifération des cellules cancéreuses prostatiques. Toutefois, les données sur son mode d’action faisaient défaut. L’équipe dirigée par Morad RoudbarakiMorad Roudbaraki
Unité 1003 Inserm - Université Lille 1-Sciences et Technologies, Rôle des canaux ioniques membranaires et du calcium intracellulaire dans le cancer
, à Villeneuve d’Ascq, s’est donc penchée plus particulièrement sur l’impact du BPA sur la migration des cellules, c’est-à-dire leur aptitude à effectuer des mouvements spontanés ou réactionnels, un phénomène impliqué dans le développement embryonnaire, la cicatrisation, la vascularisation, l’inflammation, et aussi dans la croissance des tumeurs et les métastases. Les chercheurs ont donc placé des cellules cancéreuses prostatiques pendant 48 heures dans un milieu contenant 1 à 10 nM de BPA (0,228 mg/L à 2,28 mg/L), des concentrations similaires à celles retrouvées dans notre sang. Puis, ils les ont cultivées en laboratoire afin d’observer leurs déplacements destinés à envahir les espaces vides, tout en sachant que plus les cellules sont invasives, plus elles migrent vite. Ils ont alors observé que le prétraitement à base de BPA augmentait fortement le taux de migration des cellules, en comparaison des cellules non traitées. En bref, le BPA leur donne la « bougeotte ».« C’est la première fois que l’on apporte une preuve concluante qu’il induit la migration des cellules cancéreuses », souligne Morad Roudbaraki.
Restait ensuite à comprendre les mécanismes qui entrent en jeu.« Plusieurs études ont montré que le mouvement des ions calcium intervenaient dans la cancérogenèse, car ils jouent un rôle très important dans la signalisation cellulaire. » En effet, les variations de concentration de calcium intracellulaire forment un système de codage qui dicte ses actions à la cellule. Selon son amplitude, sa fréquence et sa localisation, une augmentation du calcium dans la cellule peut induire l’expression de différents gènes, la dirigeant par exemple vers une prolifération ou une apoptoseApoptose
Mort programmée de la cellule
. Or, le flux de calcium est assuré par les canaux ioniques présents dans la membrane cellulaire : le BPA serait-il capable alors de les modifier ?« Nous nous sommes demandés s’il n’avait pas plutôt un effet sur la signalisation calcique, en modulant l’expression des canaux ioniques et donc leur nombre dans la membrane », explique Morad Roudbaraki. Les chercheurs ont alors mesuré le taux d’expression d’une protéine, l’Orai 1, qui constitue un type de canal calcique, et observé qu’elle était 3,5 fois plus abondante lorsque les cellules étaient cultivées en présence de BPA. Ce serait donc la surexpression d’Orai 1 qui induirait une entrée plus importante de calcium dans la cellule et donc sa migration anormale.
Une découverte primordiale quand on sait que 95 % de la population des pays industrialisés ont dans le sang les mêmes concentrations de BPA que celles testées ici. Il semble urgent de prendre des mesures de prévention. Éviter l’exposition à de tels facteurs permettrait, en effet, de limiter l’apparition et la progression des cancers de la prostate, mais aussi celui du sein, son équivalent chez la femme.

Fanny Pijaudier-Cabot

Cancer de la prostate *. La fluorescence verte indique la forte présence du canal ionique Orai 1 dans les tissus cancéreux de la prostate. Les noyaux des cellules apparaissent en bleu.
© Morad Roudbaraki/Unité 1003 Inserm /Inserm