Médecine personnalisée
Les promesses du sur-mesure

Chaque jour de nouveaux gènes de prédisposition, de nouveaux biomarqueurs de pronostic et de nouvelles cibles thérapeutiques propres à chacun sont découverts. Des avancées qui vont permettre la mise au point de traitements individualisés et, donc, le développement d’une médecine personnalisée. Sera-t-elle le cœur de la médecine de demain ? La question agite à un tel point les acteurs de la recherche et de la santé publique que l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques organise, jusqu’à fin juin, des auditions afin de faire avancer la réflexion. Comment ces découvertes récentes vont-elles modifier la pratique médicale, mais aussi notre système de santé et notre industrie pharmaceutique ? Et quels obstacles - scientifiques, éthiques, économiques - restent à franchir pour passer, dans la pratique clinique, d’une médecine de masse à une médecine individuelle ?

* U1040 Cellules souches normales et cancéreuses . Représentation en 3D de cellules tumorales mammaires humaines grâce à la microscopie confocale (IRB)
© Patrice Latron/Inserm

Des tests ADN aux thérapies ciblées

Une médecine adaptée à chacun, c'est la promesse de la médecine personnalisée. Comment ? En scrutant notre ADN afin d'identifier les prédispositions à certaines maladies et les indices permettant d'affiner un pronostic ou encore de développer des thérapies ciblées. Tour d'horizon.

La médecine personnalisée, une nouveauté ? Pas vraiment, il y a bien longtemps que le médecin adapte le traitement et sa posologie au patient en fonction de nombreux paramètres : sexe, âge, poids, antécédents…? Mais aujourd’hui, l’expression couvre une autre réalité. Et cette médecine, que l’on appelle « personnalisée », s’intéresse de très près à quelque chose d’invisible à l’œil exercé du praticien : nos gènes. En effet, grâce aux informations qu’ils contiennent, la recherche médicale a pu d’ores et déjà améliorer la prévention, la détection et le traitement de nombreuses pathologies communes. Par ailleurs, cette médecine spécifique implique aussi d’administrer le meilleur traitement au moment le plus opportun pour diminuer, ou mieux, faire disparaître les effets secondaires, tout en économisant des médicaments inutiles et toxiques, voire mortels. Aux États-Unis par exemple, les réactions secondaires dues à la toxicité des médicaments représentaient la quatrième cause de mortalité en 2006 selon l’agence fédérale américaine,Centers for Disease Control.

Des prédispositions génétiques

Et si cette personnalisation de la médecine en fonction du patrimoine génétique est possible actuellement, c’est grâce aux formidables progrès technologiques qui ont permis de réduire drastiquement les coûts et les temps d’analyse du séquençageSéquençage
Il détermine l’ordre d’enchaînement des nucléotides pour un fragment d’ADN donné.
et du génotypageGénotypage
Il permet de connaître les variations génétiques (variants, allèles, polymorphisme nucléotidique) d’une partie ou d’un génome entier.
de l’ADN. Alors qu’il aura fallu 13 ans et 3 milliards de dollars pour analyser le premier génome humain, il est, de nos jours, possible de séquencer en routine plusieurs centaines de gènes en quelques semaines. Et pour un prix relativement raisonnable, qui continue de baisser. Des sociétés privées proposent même pour quelques centaines d’euros le génotypage de l’ADN personnel accompagné d’un rapport sur les risques potentiels de développer une maladie. La liste est longue et non exhaustive : asthme, diabète, Alzheimer, Parkinson, arthrose, hypertension, maladies cardiovasculaires, certains cancers, autisme, schizophrénie, troubles bipolaires…?
Les premiers pas de cette médecine personnalisée ont donc consisté à caractériser les prédispositions génétiques à certaines maladies. « Ces informations peuvent, en effet, permettre d’adapter la surveillance pour les personnes à risque », explique Jessica Zucman-RossiJessica Zucman-Rossi
Unité 674 Inserm - Université Paris-Descartes
, directrice de l’unité Inserm Génomique fonctionnelle des tumeurs solides à Paris. Selon l’Institut national contre le cancer (INCa), environ deux femmes sur mille présentent un risque de 45 à 65 % plus élevé que la population générale de développer un cancer du sein. Quant au cancer de l’ovaire, ce risque est pour ces femmes de 11 à 39 % plus élevé. En cause, deux gènes dénommés BRCA1 et BRCA2 (BReast CAncer1 et 2) qui, mutés, ne participent plus correctement à certains mécanismes de réparation de l’ADN. Des cellules saines peuvent alors devenir cancéreuses. Toutefois, les porteurs de ces mutations ne développeront pas tous une tumeur, l’influence de l’environnement étant décisive dans l’apparition de la maladie.
De la même façon, certaines populations sont plus prédisposées au diabète. La recherche a, par exemple, montré que l’allèle AA2 du gène GYS1 est quatre fois plus présent chez les diabétiques de type 2 que dans la population non diabétique. Or, ce gène code pour une enzyme, la glycogène synthase, impliquée dans le métabolisme du glucose. Un dysfonctionnement de celle-ci peut donc conduire à un diabète de type 2. Là encore, les facteurs environnementaux (alimentation, sédentarité…) jouent un rôle important dans le développement de cette pathologie.

De la pharmacogénétique

Mais notre patrimoine génétique n’est pas un simple recueil des indications sur les maladies que nous risquons de développer. Il informe aussi sur notre tolérance aux médicaments. C’est ce qu’on appelle la pharmacogénétique, une branche de la médecine qui étudie l’influence de l’ADN sur notre réponse aux traitements 1 . Objectif : éviter l’administration de médicaments aux effets secondaires dangereux ou toxiques pour le malade. « Dans beaucoup de pathologies, comme le VIH, tous les patients reçoivent les mêmes traitements, souligne Christine KatlamaChristine Katlama
Unité 943 Inserm - Université Pierre-et-Marie-Curie, Paris VI, équipe Stratégies thérapeutiques dans l’infection à VIH
, de l’unité Inserm Épidémiologie, stratégies thérapeutiques et virologie cliniques dans l’infection à VIH à Paris, mais sont-ils tous adaptés à la situation personnelle de chacun ? » Ainsi, l’abacavir, un traitement qui limite la multiplication du VIH dans l’organisme, était très mal toléré par certains patients (hypersensibilité avec fièvre, éruption cutanée, fatigue…). La recherche a montré une plus grande représentativité de l'allèle HLA-B*5710 parmi ces personnes qui présentent donc un risque beaucoup plus élevé d’intolérance. » Et ces effets secondaires sont susceptibles d’être fatals. Or, un simple test génétique permet de déterminer les quelque 5 % de patients chez qui ce traitement est contre-indiqué. Depuis mars 2008, l’Agence européenne du médicament (EMA) et l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) préconisent d’ailleurs un dépistage systématique pour tout patient infecté par le VIH avant une prescription d’abacavir.
Autre exemple : la warfarine, un médicament très utilisé pour prévenir la formation de caillots dans les vaisseaux sanguins (thromboses) chez les personnes atteintes de troubles cardiovasculaires. « Des variants génétiques influencent leur réponse à cet anticoagulant », explique François CambienFrançois Cambien
Unité 937 Inserm - Université Pierre-et-Marie-Curie, Paris VI, équipe génomique épidémiologique
, directeur de l’unité Inserm Génomique cardiovasculaire à l’université Pierre-et-Marie-Curie, à Paris. En effet, les gènes VKORC1 et CYP2C9 et leurs variations génétiques agissent sur sa transformation par notre organisme. Or, la quantité d’anticoagulant à administrer est primordiale : d’un côté, une dose trop importante est associée à un risque élevé d’hémorragies, de l’autre, une dose trop faible rend le traitement sans effet. Là encore, des tests génétiques permettent de déterminer les personnes qui courent un risque de surdosage, et donc d’hémorragies, afin d’ajuster la dose de warfarine à administrer.
Outre cette personnalisation des traitements, la génomiqueGénomique
Analyse du fonctionnement d’un organisme, d’un organe ou d’un cancer donné, en tenant compte de son génome
a aussi permis la découverte des gènes et de leurs mutations qui se cachaient derrière certaines maladies génétiques. Avec, parfois, à la clé, la mise au point de traitements adaptés à certains groupes de patients. Exemple : le premier médicament contre la mucoviscidose vient de voir le jour. L’ivacaftor, mis sur le marché l’année dernière, cible spécifiquement la mutation G551D du gène CFTR. Celle-ci occasionne une mauvaise ouverture des canaux à ions chlorure, qui se traduit par une accumulation de mucus, notamment dans les poumons. Grâce à ce traitement, la fonction respiratoire de certains malades est grandement améliorée et les infections pulmonaires diminuent. « Malheureusement ce traitement ne concerne que 4 à 5 % des malades mais, pour eux, les résultats sont spectaculaires », se félicite Claude FérecClaude Férec
Unité 1078 Inserm/EFS - Université de Bretagne occidentale
, directeur de l’unité Inserm Génétique, génomique fonctionnelle et biotechnologies, à Brest. L’ivacaftor pourrait, en outre, permettre d’augmenter l’espérance de vie de ces patients qui, aujourd’hui, atteignent rarement 30 ans. « C’est un résultat que l’on attendait depuis la découverte du gène responsable de la maladie, il y a plus de 20 ans. »
La génomique a remporté un autre succès dans le traitement d’un sous-type de diabète néonatal. En 2006, les travaux menés par l’équipe de Philippe FroguelPhilippe Froguel
UMR 8199 CNRS/Institut Pasteur/Université Lille 2
, chercheur à l’Institut Pasteur et directeur de l’unité mixte de recherche du CNRS Génomique et maladies métaboliques, à l’Institut de biologie de Lille, ont permis d’identifier des mutations du gène ABCC8 dans un sous-groupe de patients. Celles-ci empêchent la fermeture des canaux à ions potassium, nécessaire à la libération d’insuline par les cellules bêta du pancréas2 . Or, il existe déjà un traitement à base de sulfamides hypoglycémiants, utilisé depuis des décennies pour agir sur les canaux potassiques des diabétiques de type 2. Grâce à lui, ces patients ont retrouvé une glycémie normale tout en se passant d’injection d’insuline. Et sans effet secondaire. « Ces travaux ne concernent que très peu de diabétiques mais leur vie est transformée. C’est extraordinaire », se réjouit Philippe Froguel, également professeur à l’Imperial Collegede Londres. Un exemple qui montre qu’il est donc possible de soigner le diabète quand les causes sont connues. « Malheureusement ces résultats ne concernent pas l’immense majorité des malades. Par exemple, les diabétiques de type 2 se voient généralement prescrire le même type de traitement, la metformine, mais après, leur suivi reste flou. Il y a donc un besoin urgent de développer une médecine personnalisée du diabète prenant en compte les spécificités de chaque patient. »

Vers des traitements ciblés

Actuellement, la cible première de la médecine personnalisée, c’est le cancer. En effet, l’étude des altérations génétiques présentes dans le génome des tumeurs permet de personnaliser le diagnostic et le pronostic. Ces mutations jouent un rôle important dans le développement d’un cancer (oncogenèse). Dans la pratique clinique, elles peuvent alors servir de biomarqueurs. Ces derniers signalent la présence d’une maladie ou la réponse des traitements grâce à une caractéristique mesurable. La glycémie, par exemple, est un biomarqueur qui permet de caractériser le diabète ainsi que l’efficacité des molécules antidiabétiques. Dans le cas du cancer, l’absence ou la présence de ces mutations génétiques dans une biopsie peut indiquer si la tumeur est bénigne ou maligne, et détermine son agressivité. Par exemple, environ 15 % des cancers du sein résistent aux traitements classiques et ont tendance à former des métastases. Ces tumeurs présentent généralement la même mutation : une surexpression du gène HER2. « Mieux comprendre les altérations du génome tumoral permet d’améliorer le diagnostic et le pronostic mais aussi de proposer un traitement personnalisé », explique Jessica Zucman-Rossi. Car elles peuvent être utilisées comme des cibles thérapeutiques. On peut citer l’un des premiers succès de la génomique dans le traitement du cancer grâce au trastuzumab. Ce médicament, autorisé sur le marché en France en 2000, cible directement les récepteurs HER2 des cellules cancéreuses et épargne ainsi les tissus sains. On y gagne une thérapie plus efficace et moins d’effets secondaires.

Un médicament « miraculeux »

Cette petite révolution dans la cancérologie a été suivie, selon certains médecins, d’un « miracle ». L’arrivée, en 2001, de l’imatinib a, en effet, radicalement changé la vie des personnes atteintes de certaines leucémies caractérisées par une mutation particulière : les leucémies myéloïdes chroniques et les leucémies aiguës lymphoblastiques avec mutation des gènes BCR et ABL. Celle-ci occasionne le dérèglement d’une enzyme, la tyrosine kinase, qui régule la division cellulaire. Avec, pour conséquence, la prolifération incontrôlée de globules blancs immatures. L’imatinib inhibe spécifiquement cette enzyme et permet aux patients de retrouver un nombre normal de leucocytes. Avant ce traitement, seule une transplantation risquée de moelle osseuse ou un traitement à base d’interféronsInterféron
Protéine impliquée dans les réponses du système immunitaire
aux effets secondaires sévères pouvait donner l’espoir d’une survie prolongée des patients. Seul un peu plus du quart vivait encore cinq ans après le diagnostic. Aujourd’hui ce chiffre s’élève à près de 90 % grâce à l’imatinib.

Prédire l’efficacité du traitement

L’analyse génomique des tumeurs permet également de prédire leur réponse à certains traitements, donc leur efficacité. Dans le cas des cancers colorectaux, l’unité Inserm Bases moléculaires de la réponse aux xénobiotiques de Pierre Laurent-PuigPierre Laurent-Puig
Unité 775 Inserm - Université Paris-Descartes
, à Paris, a montré qu’une mutation du gène KRAS réduit l’efficacité d’un traitement, le cetuximab, qui cible un facteur de croissance (EGFR) en cause dans ce type de tumeur. Le dépistage de cette mutation a permis d’augmenter jusqu’à 50 % le taux de réponse du cetuximab chez les patients qui ne la présentent pas. En conséquence, l’Agence européenne du médicament incite depuis 2011 à caractériser ce gène avant de prescrire du cetuximab pour éviter d’administrer un traitement toxique et coûteux qui, finalement, est inutile.
Par ailleurs, les mêmes altérations génomiques peuvent être présentes dans différents types de tumeurs. Des exemples : on retrouve des formes mutées du gène KRAS dans les cancers du poumon et du pancréas. Quant au trastuzumab, utilisé comme nous l’avons vu contre certains cancers du sein, il est maintenant autorisé pour traiter les cancers gastriques avec surexpression de HER2. « Dans un futur proche, il est probable que les cancers ne soient plus traités en fonction de leur localisation mais de leur biologie. La cancérologie passera du dogme de l’organe à celui de la biologie moléculaire », explique Christophe Le TourneauChristophe Le Tourneau
Unité 900 Inserm/Institut Curie/École des Mines, Cancer et génome : bioinformatique, biostatistiques et épidémiologie d’un système complexe
, oncologue médical à l’Institut Curie et membre de l’unité Inserm 900. Ce chercheur est coordinateur de l’essai clinique SHIVA lancé l’année dernière qui vise justement à évaluer l’efficacité d’un traitement basé sur la carte génétique de la tumeur. Des patients atteints de n’importe quel type de cancer métastatique résistant pourront bénéficier d’une des thérapies ciblées disponibles si une anomalie génétique connue est détectée dans leur métastase. Cet essai, dont l’objectif est de traiter environ 200 patients, se conclura en 2015. « Il représente une opportunité unique de savoir s’il sera utile dans le futur de réaliser la carte génétique du cancer des patients afin de leur prescrire la thérapie ciblée qui correspond. »
Actuellement, onze thérapies ciblées sont autorisées sur le marché français. Associées à des biomarqueurs, elles visent spécifiquement une protéine ou un mécanisme en cause dans sept localisations tumorales différentes (tumeurs stromales gastro-intestinales, leucémies, mélanomes, cancers colorectal métastatique, gastrique, du sein, des poumons). Bien que leur nombre continue d’augmenter, l’arsenal thérapeutique n’est toujours pas aussi étendu que le répertoire des mutations. Aujourd’hui, il existe plus de cibles que de traitements disponibles. Il est donc essentiel de développer de nouvelles molécules actives ciblant ces marqueurs. Pour cela, les essais cliniques sont primordiaux. « Une grande partie de ces programmes sert à alimenter la recherche fondamentale », explique Fabrice AndréFabrice André
Unité 981 Inserm/Institut de cancérologie Gustave-Roussy, Université Paris-Sud 11, équipe Cancer du sein
, chercheur clinicien et directeur de l’unité Inserm Biomarqueurs prédictifs et nouvelles stratégies moléculaires en thérapeutique anticancéreuse, à l’Institut de cancérologie Gustave-Roussy, à Villejuif. En effet, ces essais facilitent aux chercheurs l’obtention de matériel tumoral issu de biopsies. Pour découvrir de nouvelles altérations génétiques, par exemple, ou tester leurs hypothèses. Et les patients peuvent bénéficier des dernières avancées en matière de traitement. Ce partenariat étroit entre chercheurs, cliniciens et patients est une des clés pour mieux comprendre le cancer. Or, il peut être difficile de mettre en place ces essais car les caractéristiques génétiques des tumeurs ne sont partagées que par très peu de patients. Afin de s’assurer le concours du plus grand nombre de malades, l’INCa a d’ailleurs rassemblé sur un site Internet tous les essais cliniques mis en place en cancérologie. Pour chaque étude, on y présente le protocole, les coordonnées des centres concernés et des investigateurs ainsi que le profil de patients recherchés.
Ce type d’essais n’est possible que grâce aux récents développements technologiques. En effet, « il est important de pouvoir faire l’analyse génomique des tumeurs des patients dans un temps compatible avec leur prise en charge clinique », confirme Olivier DelattreOlivier Delattre
Unité 830 Inserm/Institut Curie - Université Paris-Descartes, équipe Génétique et biologie des tumeurs pédiatriques et cancers du sein sporadiques
, directeur de l’unité Inserm Génétique et biologie des cancers à l’Institut Curie. Or, cela est tout à fait possible comme l’ont indiqué l’année dernière les conclusions de l’étude SAFIR 01. Cet essai clinique, coordonné par Fabrice André, a, en effet, montré qu’il était possible, à l’échelle du territoire, de détecter des anomalies du génome dans la pratique clinique quotidienne chez des patientes qui souffraient d’un cancer métastatique du sein. Certaines malades ont ainsi pu recevoir un traitement ciblé qui correspondait à l’anomalie génétique détectée lors de l’essai.
Les chercheurs ont aussi constaté que les tumeurs étaient très hétérogènes d’une patiente à une autre, mais aussi chez une même personne. Les altérations génétiques ne sont donc pas forcément identiques dans la tumeur primaire et dans les métastases. Or, cette hétérogénéité intratumorale contribue au développement de phénomènes de résistance, analogues à ceux rencontrés avec les antibiotiques. Une véritable course contre la montre est donc engagée contre le cancer qui s’adapte aux traitements en mutant. « Les thérapies ciblées ne sont en fait qu’une partie de la solution », pense Fabrice André. Le futur de la cancérologie devrait donc finalement passer par une combinaison entre les thérapies ciblées, les chimiothérapies classiques et la radiothérapie, afin de contourner ces résistances.

Suivre les biomarqueurs

Des biomarqueurs non invasifs permettent également de suivre l’efficacité du traitement, de prédire le développement de résistance ou d’évaluer les risques de rechute après l’ablation d’une tumeur. Leur avantage ? Ils ne nécessitent pas de prélèvement qui endommage les tissus, contrairement à une biopsie, car ils sont détectables dans les liquides physiologiques comme le sang ou l’urine. En effet, les tumeurs laissent des indices de leur présence dans l’organisme. C’est le cas par exemple des cellules tumorales circulantes (CTC). Provenant de tumeurs suffisamment développées, elles atteignent la circulation sanguine dans le but de se répandre dans le corps pour y former des métastases. Le nombre de ces CTC semble se corréler inversement avec les chances de survie, d’où un pronostic bien plus précis.
Un autre biomarqueur non invasif prometteur est l’ADN tumoral circulant. Lors de la dégradation de cellules cancéreuses par l’organisme ou les thérapies, de l’ADN tumoral est libéré dans le sang. Sa détection indique donc la présence de cellules cancéreuses dans l’organisme. Le défi est alors de le repérer sélectivement, lui et seulement lui, parmi la masse des autres constituants du sang (protéines, plaquettes, globules blancs et rouges?). « Cela revient à chercher une aiguille dans une botte de foin », selon François BergerFrançois Berger
Unité 836 Inserm - Université Joseph-Fourier, Institut des neurosciences de Grenoble (GIN)
, responsable du groupe Nanomédecine et cerveau à l’Institut des neurosciences de Grenoble. Pourtant, une étude dirigée par Olivier LantzOlivier Lantz
Unité 932 Inserm /Institut Curie - Université Paris-Descartes, équipe Lymphocytes CD4 et réponse antitumorale
et Marc-Henri SternMarc-Henri Stern
Unité 830 Inserm/Institut Curie - Université Paris-Descartes, équipe Génomique et biologie des cancers du sein héréditaires
de l’Institut Curie, et publiée l’année dernière dansClinical Cancer Research,montre qu’il est possible de détecter cet ADN tumoral chez la majorité des patients souffrant de mélanome métastatique de l’œil. Ce biomarqueur permet alors de suivre la maladie. « L’ADN tumoral est corrélé à la taille de la tumeur et permet d’apprécier l’évolution des altérations génétiques de la tumeur », explique Olivier Lantz de l’unité Inserm Immunité et cancer. « C’est une preuve de concept pour une tumeur rare mais qui est probablement applicable à d’autres types de cancer. »
Et la recherche semble lui donner raison. Des travaux dirigés par Carlos Caldas et Nitzan Rosenfeld de l’université de Cambridge, récemment publiés dans leNew England Journal of Medicine,montrent, en effet, que l’ADN tumoral circulant est détecté chez un grand nombre de patientes souffrant de cancer métastatique du sein. De plus, ce biomarqueur serait plus sensible que les cellules tumorales circulantes et reflèterait plus rapidement les réponses des tumeurs au traitement. Or, « les techniques pour détecter l’ADN tumoral circulant sont robustes et reproductibles, ajoute François Berger,elles sont donc susceptibles d’atteindre le chevet des patients en pratique clinique quotidienne ».
Mais auparavant, de tels biomarqueurs doivent impérativement être validés par des essais cliniques. Sinon, cela peut conduire à des abus comme dans le cas du dosage des antigènes spécifiques prostatiques (PSA) pour le cancer de la prostate. Ces antigènes étant exprimés à la surface des cellules de la prostate, leur taux augmente en cas de prolifération de cellules cancéreuses. Pourtant, ce taux peut aussi augmenter pour d’autres raisons comme une inflammation bénigne de la prostate. Censé révolutionner le diagnostic précoce, ce test a été prescrit à des milliers de personnes. Mais il y eut beaucoup de faux positifs donnant lieu à des biopsies lourdes de conséquences (incontinence, troubles de l’érection…) qui ont remis en question sa validité. « À un âge avancé, de nombreux hommes présentent des cellules tumorales dans la prostate. Mais ils ne développeront pas tous un cancer », confirme François Berger. Depuis 2010, la Haute Autorité de santé (HAS) s’est d’ailleurs prononcée contre un dépistage systématique du cancer de la prostate par les PSA dans la population générale, et même, depuis avril 2012 chez les hommes sans symptôme considérés comme à plus « haut risque ». En revanche, il trouve toute son utilité dans l’évaluation des risques de rechute après une ablation chirurgicale des tumeurs.

Par-delà les gènes

Les cancers ne sont pas un exemple isolé. Ces dernières années, de nombreux biomarqueurs génétiques liés à des risques cardiovasculaires accrus ont été identifiés. « Les études portant sur l’ensemble du génome, comme celles menées dans le cadre du consortium Cardiogenics, ont permis de découvrir de nombreux gènes associés à un risque d’infarctus du myocarde ou régulant le métabolisme des lipides, confirme François Cambien.Ces gènes ouvrent de nouvelles perspectives de recherche. Les voies métaboliques ou de signalisation qu’ils régulent étant potentiellement de nouvelles cibles de traitement pour les maladies coronariennes. » Mais l’impact de la variabilité des gènes identifiés dans ces études sur le risque de maladie cardiovasculaire est faible. Et leur intérêt médical dans le cadre d’un dépistage génétique demeure finalement très limité. « Même le dosage de la warfarine n’a pas eu d’influence notable sur la pratique clinique, ajoute-t-il,les mesures phénotypiques qui intègrent les facteurs génétiques et environnementaux, comme le niveau de cholestérol circulant par exemple, reflètent mieux les risques cardiovasculaires. La découverte de nouveaux biomarqueurs phénotypiques intégrant toutes ces influences est un défi pour l’avenir. »
Alors cette médecine entièrement fondée sur la génétique va-t-elle rapidement conduire à un âge d’or où, pour l’ensemble des maladies, chacun pourra être soigné selon son profil personnel ? « Non,une médecine qui s’appuierait principalement sur la génétique serait au contraire dépersonnalisée, répond François Cambien.En réalité,il faut aller au-delà des gènes. »Mais c’est un premier pas qui a été franchi ces dernières années. Une première étape à partir de laquelle les chercheurs peuvent commencer à « plancher » sur une médecine systémique, c’est-à-dire globale. Car pour traiter les maladies multifactorielles aux causes génétiques et environnementales (cancer, diabète, maladies cardiovasculaires, asthme, allergies…), il faut une médecine qui intègre toutes les données possibles, le patrimoine génétique bien sûr, mais aussi l’expression des gènes (transcriptome), des protéines (protéome) et des métabolitesMétabolites
Composés intermédiaires issus du métabolisme de tout être vivant
(métabolome) afin de prendre en compte toutes les facettes du malade et de sa maladie.
Mais d’ores et déjà, cette médecine génétique « personnalisée » a permis de traiter des cancers redoutables, d’améliorer le sort de certains patients atteints de mucoviscidose, du sida ou de diabète. Un premier bilan prometteur donc.

Simon Pierrefixe

Institut de Génomique Fontionnelle IGF. Séquençage à haut débit de puces à ADN à la plateforme GenomiX (IGF)
© Patrice Latron/Inserm
Détection d'anomalies chromosomiques tumorale. L’amplification anormale du nombre de copies du gène MDM2 (vert) dans le noyau (bleu) de cellules tumorales est le signe d’un liposarcome (cancer des cellules graisseuses).
© Daniel Pissaloux/Inserm
Détection des anomalies chromosomiques tumorales. L’amplification du gène HER2 (jaune) dans les tumeurs des patientes atteintes de cancer du sein indique qu'elles pourront être traitées efficacement avec le trastuzumab.
© Daniel Pissaloux/Inserm
U1040 Cellules souches normales et cancéreuses - 1.Suivi des analyses dans le laboratoire de détection des cellules circulantes rares humaines
© Patrice Latron/Inserm
U1040 Cellules souches normales et cancéreuses - 2.Suivi des analyses dans le laboratoire de détection des cellules circulantes rares humaines
© Patrice Latron/Inserm
Institut de Génomique Fontionnelle IGF. Analyse des cellules en salle de culture cellulaire
© Patrice Latron/Inserm

Quels freins à la médecine personnalisée ?

Malgré les espoirs qu’elle suscite, la médecine personnalisée soulève de nombreuses questions éthiques et socioéconomiques. Comment interpréter et utiliser les données génétiques recueillies ? Comment financer ces nouveaux traitements hors de prix ? Comment en garantir l’accès à tous ? Autant de défis qui restent à relever avant qu’elle n’entre de plain-pied dans la pratique clinique.

Aujourd’hui, les innovations médicales de la médecine personnalisée restent encore limitées à certaines maladies et à un nombre restreint de patients. Mais à terme, sa vocation est de pouvoir être utilisée en routine dans notre système de santé et de bénéficier à tous. Or, de nombreux obstacles restent à franchir.
Premier point S’assurer de la bonne utilisation des tests et des données qu’ils permettent d’obtenir. « Ces tests génèrent plus d’informations génétiques que de besoins. Alors que faire du surplus, notamment concernant des prédispositions ? Doit-on considérer toutes celles identifiées ? Et lesquelles transmettre au patient ?, s’interroge Anne Cambon-ThomsenAnne Cambon-Thomsen
Unité 1027 Inserm - Université Paul-Sabatier-Toulouse III, Épidémiologie et analyses en santé publique : risques, maladies chroniques et handicaps
, médecin responsable de l’équipe Génomique, biothérapies et santé publique : approche interdisciplinaire, à Toulouse.Il faut ici impliquer le patient, lui demander quels types d’informations il souhaite avoir, et lui fournir les éléments qui lui permettent de comprendre ses résultats. » En effet, l’ensemble des données n’est pas nécessaire pour la prise en charge du malade. Et le surplus pourrait être très utile à la recherche. « Il faudrait alors demander systématiquement l’autorisation du patient pour l’utilisation de telles données en recherche, sans pour autant que ce soit pour un projet précis », ajoute la chercheuse.
Deuxième point Comment informer la personne concernée et former au mieux les médecins face à la complexité et à la difficulté de l’interprétation des résultats obtenus ? « Ces tests ne donnent pas de certitudes mais des probabilités, un surrisque, de développer une maladie, souligne Catherine BourgainCatherine Bourgain
Unité 988 Inserm/UMR 8211 CNRS/Université Paris-Descartes - École des hautes études en sciences sociales
, généticienne et statisticienne au Centre de recherche médecine, sciences, santé, santé mentale et société (Cermes3), à Villejuif.Et ils sont surtout valables pour les maladies à forte détermination génétique où seulement un ou quelques gènes sont en cause. Beaucoup moins pour les pathologies multifactorielles, comme le diabète ou les maladies cardiovasculaires, où les facteurs environnementaux jouent un rôle important. »
Cette information du patient est tout aussi cruciale lorsqu’il s’agit de tests génomiques, comme ceux réalisés sur des tumeurs afin de décider de la chimiothérapie la plus adéquate. « En menant une enquête auprès de personnes atteintes d’un cancer du sein, nous avons constaté qu’elles étaient très favorables à leur utilisation étant donné le bénéfice en termes de traitement mais, par ailleurs, un certain nombre de malentendus et d’inquiétudes ont été constatés sur les résultats obtenus », explique Claire Julian-ReynierClaire Julian-Reynier
Unité 912 Inserm/IRD - Aix-Marseille Université, Sciences économiques et sociales de la santé et traitement de l’information médicale (Sesstim)
, médecin responsable de l’équipe Cancer, biomédecine et société (CAN-BIOS), à l’Institut Paoli-Calmettes à Marseille. En particulier, parce qu’il y a une confusion entre ces tests et ceux de prédispositions génétiques. Les patientes redoutaient souvent la transmission héréditaire d’un risque de cancer à leur descendance, accompagnée d’un sentiment de culpabilité. De même, lorsque le résultat du test était négatif, elles l’interprétaient souvent comme un mauvais pronostic, alors qu’elles n’étaient tout simplement pas porteuse de la mutation ciblée. Or, passer plus de temps pour expliquer et discuter doit leur permettre de prendre une part plus active et plus éclairée aux décisions concernant leur traitement. Avec pour conséquences de mieux supporter la période d’annonce des traitements et leur vécu ultérieur. « Les décisions de chimiothérapie qui se fondent sur un test génomique tendent, en effet, à diminuer les niveaux d’anxiété », précise l’épidémiologiste.
Troisième point Surmonter les obstacles économiques. Dans un contexte très difficile pour notre système de santé où les dépenses ne cessent d’augmenter du fait du vieillissement de la population, les thérapies ciblées, particulièrement onéreuses en raison de leur coût de développement, ont-elles vraiment leur place ? « Oui, si elles se concentrent sur un nombre restreint de patients pour lesquels le bénéfice est très important,on peut dans ce cas s’attendre à une évolution favorable du rapport coût-bénéfice, répond Valérie SerorValérie Seror
Unité 912 Inserm/IRD - Aix-Marseille Université, Sciences économiques et sociales de la santé et traitement de l’information médicale (Sesstim)
, chargée de recherche dans l’équipe de Claire Julian-Reynier.De plus, conditionner la prescription d’un médicament, un anticancéreux par exemple, à la présence d’un biomarqueur dit “ compagnon ” pourrait permettre de contenir la progression des dépenses, tout en améliorant l’efficacité de traitements mieux adaptés aux caractéristiques de la tumeur. » Autrement dit, en évitant la prescription de médicaments coûteux, inefficaces et potentiellement toxiques, et en augmentant la réponse du patient aux traitements grâce à une prescription mieux adaptée aux caractéristiques de la tumeur, l’addition finale a toutes les chances de baisser. « Le surcoût initial lié à la réalisation systématique d’un test de biomarqueur, avant toute prescription, pourrait être plus que compensé par une baisse des coûts de prise en charge s’il aboutit à un meilleur ciblage thérapeutique,comme l’ont montré nos travaux sur des patientes atteintes d’un cancer du sein, poursuit l’économiste,mais à la condition quele coût du test soit faible, comparé à celui du traitement. »
Ce type d’évaluation coût-efficacité des couples biomarqueur/médicament est indispensable pour que les traitements ciblés intègrent notre système de santé et surtout que l’assurance maladie accepte de les rembourser. « Leur coût élevé imposera de faire des choix, dans la mesure où toute décision de remboursement d’un traitement revient implicitement à sacrifier la possibilité d’utiliser ces ressources à d’autres usages », fait remarquer Claire Julian-Reynier. Mais c’est une étape importante pour garantir, à tous ceux qui en ont besoin, l’accès à ces technologies onéreuses. Par ailleurs, même s’il est peu probable que la médecine personnalisée aide à « boucher le trou de la sécu », « ellepourrait stabiliser et rationnaliser les dépenses de santé », ajoute Catherine Bourgain.
Ces arbitrages de l’assurance maladie intéressent également l’industrie pharmaceutique dont les axes de développement dépendent en partie du niveau du remboursement de leurs produits. Ces entreprises vont devoir laisser de côté le modèle « blockbuster »qui consiste à développer des médicaments utilisés par le plus grand nombre et pour plusieurs indications, pour un modèle de « niches thérapeutiques » qui mise sur des produits adaptés au profil biologique et pathologique de chaque patient. Un risque mesuré puisqu’il y a, à la clé, la découverte de nouvelles cibles, donc de nouveaux biomarqueurs brevetables et la mise au point de nouveaux médicaments.
Alors la médecine personnalisée révolutionnera-t-elle notre système de santé ? Une chose est sûre, les réflexions sur ses enjeux médicaux, éthiques, sociaux et économiques ne font que commencer, en espérant qu’au bout du compte le patient en sorte largement gagnant… 

Yann Cornillier