SPORT : Voies du plaisir, revers de la douleur

Centième Tour de France en juillet, championnats du monde de natation à Barcelone, mondiaux d’athlétisme à Moscou en août…, l’été sera riche en événements sportifs ! De quoi redonner l’envie de pédaler, courir, nager… à tous les sédentaires en quête d’un second souffle. C’est que la pratique d’une activité physique, comme le clame sans relâche le corps médical, offre la garantie d’améliorer sa forme et de rester en bonne santé. Les spécialistes des neurosciences cherchent à comprendre pourquoi certains sont « accros » au sport alors que d’autres n’y prennent aucun plaisir. Les psychiatres s’émerveillent de voir les accidentés de la vie se reconstruire ainsi. Les physiologistes démontrent que sexe et sport font bon ménage. Mais la mort subite du sportif, l’addiction au sport et l’explosion du dopage antidouleur constituent de vrais enjeux de santé publique. Le tour de la « planète sport », entre plaisir et douleur !

Institut de prévention et de recherche sur l'ostéoporose U658 CTI*. Étude de la pratique du sport de haut niveau sur le profil osseux densitométrique, métabolique et géométrique, chez de jeunes adultes
© Patrice Latron/Inserm
« Faire du sport ». Tel était, en début d’année, la principale - et ô combien louable - résolution des Français selon le Baromètre Sport-Santé 2013. Nombreux sont, par conséquent, les citadins en mal d’activité physique qui devraient profiter des semaines à venir pour donner à leur corps le rôle principal et aborder la rentrée plus sereins, affûtés, toniques. C’est que découvrir ou retrouver le plaisir de s’entraîner régulièrement et modérément permet d’emmagasiner du souffle, de la puissance musculaire et de la souplesse, de se sentir plus fort, plus disponible et plus créatif, de puiser dans ses réserves pour surmonter un revers et le transformer en source d’apprentissages et de progrès futurs… Dans une société très sédentaire, renouer avec le plaisir du mouvement, à pied ou à vélo, dans un stade ou un gymnase, en ville ou en forêt, en mer ou dans les airs « contribue au bon fonctionnement de l’ensemble des processus physiologiques, commente Jean-François Toussaint, directeur de l’Institut de recherche biomédicale et d’épidémiologie du sport (Irmes).L’exercice physique produit des effets bénéfiques sur les métabolismes, qu’il s’agisse de celui des graisses, en favorisant la baisse du cholestérol, ou de celui des sucres, en diminuant le glucose sanguin et en aidant à réguler la glycémie et le poids. Il agit aussi sur la qualité de la grossesse  »en limitant la prise de poids, en diminuant les lombalgies et la constipation, en minorant le risque de dépression post-partum…. De fait, les recommandations d’activité physique redeviennent, en l’absence de contre-indication, un objectif au cours des deux premiers trimestres de la grossesse .
Les plaisirs et les bienfaits liés au sport sont ainsi de toutes natures, concernent tous les âges et se traduisent par une diminution de multiples facteurs de risque. En rééquilibrant les apports et les dépenses d’énergie, le sport renforce l’appareil cardiovasculaire. «  L’activité physique,indique Jean-François Toussaint,atténue en outre les risques de développer un cancer et limite ses conséquences quand il frappe.  »De même, l’exercice quotidien modéré a des effets préventifs sur le diabète, l’ostéoporose, les maladies ostéo-articulaires les plus nombreuses (lombalgie chronique, troubles musculo-squelettiques…), les maladies neurodégénératives associées à l’âge (Alzheimer, Parkinson…).Tous ces éléments maintiennent la forme physique, l’autonomie qui en découle et la qualité de vie des sujets âgés, et « se traduisent par une augmentation de l’espérance de vie,poursuit Jean-François Toussaint. Même pour une personne de 80 ans, la pratique d’un sport permet d’augmenter de deux années la durée de vie ».

Quand sport rime avec plaisir

Bref, le sport fait vivre tout à la fois plus vieux et plus jeune, comme le prouve le Français Robert Marchand qui a établi à Lyon, en septembre 2012, le record du centenaire le plus rapide sur 100 kilomètres à vélo1 . Cet ancien pompier de Paris (entre autres métiers), qui a fêté tout feu tout flamme ses 101 ans en novembre 2012, « a les capacités physiologiques et cardiaques d’un homme de 50 ans, assure Véronique BillatVéronique Billat
Unité 902 Inserm – Université d’Évry-Val-d’Essonne, UBIAE
, directrice de l’unité de Biologie intégrative des adaptations à l’exercice (UBIAE).Entre mars et septembre 2012, grâce au programme d’entraînement "sur mesure" que nous avons mis au point à son intention, Robert Marchand a pu améliorer sa consommation d’oxygène de 30 %. Cela prouve que le vieillissement n’obère pas l’efficacité du sport sur le corps humain, que l’on peut accomplir de grandes performances jusqu’à un âge avancé et que l’activité physique ajoute des années de plaisir à la vie. »
Quant à l’anxiété, une étude récente menée par une équipe de chercheurs de l’Irmes, sous la houlette de Karine Schaal, indique que ce trouble n’affecte que 6 % des sportifs de haut niveau, contre 14 % de la population française du même âge. Autre résultat obtenu par la même équipe et suggérant que le sport éloigne les états cafardeux : la dépression majeure touche moins de 1 % des adeptes de l’exercice musculaire, contre 2,6 % dans la population générale. Malgré la vive émotion suscitée par le suicide d’athlètes célèbres, comme celui du champion olympique de saut à la perche Pierre Quignon en août 2011, ces chiffres démontrent que « le sportif, en apprenant petit à petit à surmonter les difficultés de l’entraînement et de la compétition, est mieux placé que tout autre pour gérer son stress grâce à sa grande capacité d’adaptation », analyse Jean-François Toussaint.

Un « dopage » naturel ?

Si les bénéfices du sport sur la santé physique et mentale sont aujourd’hui scientifiquement bien établis, les mécanismes neurobiologiques expliquant la motivation sportive des uns et la« flemmardise »des autres sont longtemps demeurés mystérieux. Certes, les chercheurs connaissent de longue date la sensation de bien-être engendrée par la libération d’endorphines, les « hormones du bonheur », lors d’un entraînement poussé. De même, voilà une dizaine d’années que l’on sait qu’une séance d’exercice physique active chez le sportif entraîné le système endocannabinoïdeEndocannabinoïdes
Lipides sécrétés de manière endogène par l’organisme
impliqué dans la gestion de nombreuses fonctions cérébrales (humeur, anxiété, prise alimentaire…).
Mais voilà qu’après avoir mis en évidence, en 2009, que des souris auxquelles on a enlevé le principal récepteur aux cannabinoïdes dans le cerveau, dénommé CB1Récepteurs CB1
Ils sont localisés sur les terminaisons nerveuses dans toutes les régions cérébrales.
, courent 20 à 30 % moins longtemps sur les roues d’exercice placées dans leurs cages, Francis ChaouloffFrancis Chaouloff
Unité 862 Inserm/ Université de Bordeaux 1, équipe Endocannabinoïde et neuroadaptation
, chercheur Inserm au Neurocentre Magendie, vient de proposer un scénario expliquant pourquoi et comment l’absence de ces récepteurs diminue les performances des rongeurs modifiés génétiquement. « Selon notre hypothèse, au début et pendant toute la durée d’un exercice physique, des flots d’endocannabinoïdes sont libérés dans le cerveau et se fixent sur les récepteurs CB1,dit-il.Leur activation dans une région cérébrale particulière, l’aire tegmentale ventrale, freine la libération du neurotransmetteurNeurotransmetteur
Substance chargée d’assurer le transfert d’information entre les neurones
GABA, lequel inhibe l’activité des neurones dopaminergiques impliqués dans les circuits cérébraux de la motivation et de la récompense.
»
Résultat des courses : en désinhibant l’activité des neurones dopaminergiques, les récepteurs CB1 contrôlent positivement la motivation pour courir. Et voilà très certainement pourquoi les souris sans récepteurs CB1 ne ressentent pas l’exercice comme une récompense et donc un plaisir, ce qui réduit leur degré de motivation. Elles mettentipso factomoins d’ardeur à faire tourner leurs roues que leurs congénères encore dotées des fameux récepteurs CB1 !
Comment démontrer que ceux-ci agissent bien sur la motivation ? Grâce à une expérience planifiée dans un futur proche qui forcera les souris à accomplir un effort (comme appuyer sur un levier) pour accéder à la roue et pouvoir courir. « Si les souris mutantes renoncent rapidement à appuyer sur le levier, nous tiendrons alors la preuve définitive que les récepteurs CB1 jouent un rôle crucial dans la motivation pour courir », assure le chercheur. Autre objectif de l’équipe bordelaise : analyser si ces récepteurs situés sur les neurones GABAergiques sont également ceux impliqués dans la consommation de cannabis. De fait, une étude réalisée en 2011 aux États-Unis par Maciej Buchowski, de l’université Vanderbilt (Nashville), a montré que de gros fumeurs de cannabis ont vu leur consommation diminuer quand ils couraient une demi-heure par jour, de quoi supposer que « ces sujets avaient moins de motivation pour fumer parce que leurs récepteurs CB1 sur les neurones GABAergiques étaient déjà activés de façon endogène par la course », commente Francis Chaouloff.
Par ailleurs, mieux cerner le mode d’action des récepteurs CB1 devrait permettre de savoir si les endocannabinoïdes sont peu ou prou impliqués dans l’addiction au sport. Reste à découvrir, enfin, si les mutations du gène humain codant pour le récepteur CB1 affectent les fonctions de ce récepteur, ce qui aiderait peut-être à comprendre pourquoi certain(e)s ne se font pas prier pour enfourcher leur bicyclette, trottiner sur le bitume ou enchaîner des longueurs de bassin, quand d’autres voient couler à pic le projet de piscine ou de footing quotidien qui caracole chaque début d’année en tête de leurs bonnes résolutions « antirouille ».
Pourquoi les souris courent ? La fixation des cannaboïdes endogènes sur les récepteurs CB1 entraîne l'activation des neurones à dopamine, et par conséquent, celle des circuits de la motivation et de la récompense.
© infographie Sylvie Dessert | © Yves Deris/Bordeaux Imaging Center

Une méthode de résilience

Celles et ceux qui, grâce au sport, ont réécouté la chanson de la vie et repris confiance en eux après un méchant coup du sort, n’ont en tout cas pas de problème de motivation, quelles que soient les conditions extérieures… Philippe Croizon et Benoît Pinton sont bien placés pour le savoir. Le premier, amputé des quatre membres en 1994 à la suite d’une électrocution, a été la première personne handicapée à traverser la Manche à la nage et à relier symboliquement les cinq continents en traversant quatre détroits en 2012. Le second, devenu hémiplégique après un accident de voiture à l’âge de 6 ans et demi, s’est hissé en quelques années parmi les meilleurs  triathlètes  mondiaux. « Tout sport, à quelque niveau qu’on le pratique, peut aider à "se restructurer" après un accident entraînant un handicap, une dépression, un deuil, un licenciement, la survenue d’une maladie (cancer, diabète…), voire après une guerre dans le cas des enfants-soldats enrôlés de force par des groupes rebelles ou des armées… », assure le psychiatre Philippe Bouhours, spécialiste de la résilience. Et cet effet de « résilience », que le neuropsychiatre Boris Cyrulnik définit comme « les conditions de reprise d’un nouveau développement après un traumatisme », survient même plus facilement dans le cadre d’une pratique sportive de loisirs puisque les personnes échappent alors au stress du haut niveau.
Que l’on s’inscrive dans le club de pétanque de son quartier ou que l’on vise la médaille d’or aux jeux Olympiques ou paralympiques, le sport, en créant des rituels rassurants, « permet de donner sens à ses efforts et concourt au processus de reconstruction du sujet », poursuit Philippe Bouhours.
Se murer dans sa douleur après un drame personnel provoque, en effet, dans le cerveau, une atrophie des deux lobes préfrontaux qui permettent l’anticipation et du système limbique (siège des émotions) au bout de trois semaines. À l’inverse, rompre avec une attitude d’abandon et de résignation, grâce au sport, entraîne une reprise du développement de ces régions cérébrales.
Cette capacité à « booster » le cerveau, la pratique régulière d’une activité physique le doit en particulier à ses vertus socialisantes. « Le sport aide les blessés de la vie à se reconnecter avec les autres, donc à rompre leur isolement sensoriel,dit Philippe Bouhours.Par ailleurs, le monde sportif constitue un vivier de "tuteurs de résilience" (entraîneurs, kinés…), c’est-à-dire de personnes susceptibles d’accompagner et d’aider le sujet traumatisé à supporter ses souffrances et à les dépasser. »

Du sport et du sexe…

Non seulement le sport est un précieux allié pour transformer le plomb d’un traumatisme physique, affectif ou social, en or de l’espoir et du plaisir de croquer la vie, mais il fait aussi grimper le désir en flèche, tonifie et bonifie les performances sexuelles.« En activant le travail de son cœur et en augmentant le "kilométrage" de ses vaisseaux sanguins, un sportif stimule la vascularisation de l’ensemble de son corps. Tous les organes en profitent, de même que le système musculaire (821 capillaires par mm2 de muscles chez un sportif contre 585 chez un sédentaire) et les corps caverneux. Ce qui favorise l’irrigation de l’appareil génital et améliore la fonction sexuelle »,explique le médecin du sport Jean-Pierre de Mondenard, auteur de nombreux articles sur les relations sexe/sport.
Non moins important : le sport permet de mieux connaître son corps, de l’épanouir, de gagner en assurance et de se trouver plus « attractif ». Sans compter qu’une bonne condition physique, gage de stabilité émotionnelle et de capacités de relaxation accrues, tonifie et bonifie les rapports sexuels en court-circuitant les pulsions anxiogènes et agressives, et en libérant du stress défavorable à la concentration nécessaire au bon déroulement des échanges amoureux.
Mais succomber à Éros la veille ou le soir d’une compétition pénalise-t-il les héros du stade ? L’idée selon laquelle le sport en chambre nuirait aux performances ne date pas d’hier. Dans l’Antiquité grecque déjà, des athlètes, dans l’optique des jeux Olympiques, subissaient l’opération de l’infibulation, laquelle consistait à passer un fil ou un anneau d’or à travers le prépuce pour empêcher de nouer des contacts rapprochés et perdre sa semence. « En 1908 encore, un certain docteur Barret, dans un manuel éducatif intitulé "Conseil du docteur sportif", affirmait qu’il n’y a pas de plus grand ennemi du sport que l’incontinence sexuelle», raconte Jean-Pierre de Mondenard.Et même dans les années 1950, certains entraîneurs de boxe ligaturaient la base du gland de leurs poulains les plus fougueux avec de la ficelle à poulet ! »
La position actuelle de la science sur le sujet ? Toutes les études menées pour savoir si mettre sa libido en veilleuse avant un grand rendez-vous sportif augmente les chances de grimper sur le podium aboutissent à la même conclusion : l’acte sexuel est sans conséquence sur le rendement sportif. Les capacités physiques, le niveau de concentration, la pression sanguine, le taux de testostérone ou d’œstrogènes - l’hormone du désir sexuel chez l’homme et chez la femme - ne varient quasiment pas, que l’on honore ou non sa (ou son) partenaire habituel(le) la veille d’un effort.
Tout juste constate-t-on que le cœur d’un sportif, au matin d’une nuit chaude, bat légèrement plus vite et revient un peu plus lentement à la normale que celui d’un sujet resté sage. Mais dix heures après la relation, plus rien n’y paraît. C’est qu’un coït standard requiert non seulement un investissement émotif modéré, mais représente également une dépense énergétique équivalant à une marche à 4 km/h, à la montée d’un escalier d’une vingtaine de marches ou à une nage avec palmes de 150 mètres pour un non-sportif, ou de quelque 290 mètres pour un champion de classe nationale. Autrement dit, trois fois rien pour un(e) athlète au maximum de son potentiel.
Reste que, même pour un sportif au summum de ses moyens physiques, la « drague » consomme beaucoup plus d’énergie et peut s’avérer pénalisante. « Le stress et la nouveauté créent un état de surexcitation neurovégétative et hypothalamique nettement supérieur à celui généré par l’exercice de la sexualité conjugale», fait observer Jean-Pierre de Mondenard. Sachant qu’un titre se joue parfois au millième de seconde, « avoir des relations sexuelles dans les deux heures avant une compétition peut induire une légère fatigue susceptible de coûter cher sur la ligne d’arrivée », ajoute Jean-François Toussaint.
S’il n’existe aucune justification médicale sérieuse à l’abstinence la veille, sous réserve d’éviter les positions acrobatiques risquant de provoquer des blessures musculaires ou articulaires, une surdose d’activité physique peut, quant à elle, se révéler anaphrodisiaque. Ainsi, des marathoniens qui dépassent les 25 km d’entraînement par jour voient leur libido s’étioler. « L’un d’entre eux,confie le docteur de Mondenard,m’a expliqué que s’il ajoute son entraînement quotidien à des journées de travail de 10 heures, il ne lui reste guère, le soir, que l’énergie de se traîner de la table au lit et qu’il est "sexuellement inutilisable". »
De fait, les dévoreurs et dévoreuses d’hectomètres à l’entraînement présentent des taux de testostérone ou d’œstrogènes inférieurs de 30 % à ceux des sédentaires. Astreintes à d’intenses efforts physiques quotidiens, les divas de la course de fond, en particulier, sont fréquemment sujettes à un espacement, voire la disparition totale, des règles durant leur carrière. Mais rien ne permet de conclure à une diminution de l’indice de fécondité chez les femmes sportives, bien au contraire.

L’envers de la médaille

A chaque sport sa douleur
© infographie Sylvie Dessert
S’il n’est plus nécessaire de rappeler les bienfaits de l’activité physique régulière, un autre constat, moins rose, s’impose : nul sportif n’échappe à la douleur, et ce d’autant qu’augmentent la durée, l’intensité et la fréquence des entraînements. Privilégier le fond et non se défoncer relève du bon sens, mais repousser ses limites exige souvent de sentir des vagues de douleur déferler de ses muscles qui crient grâce. De se répéter « no pain, no gain ». De serrer les dents, avant de recommencer... Faire du sport« peut être douloureux tant sur le plan physique que psychique,confirme Alain Frey, médecin chef du service médical de l’Institut national du sport, de l’expertise et de la performance (Insep).Mais tout est dans la dose. Quel que soit son niveau, la douleur est un message d’alarme qui invite à lever le pied avant que des dégâts sérieux ne se produisent, un moyen de défense de l’organisme contre "l’usure" et la "casse". Un amateur surtout, en cherchant à se faire mal pendant une séance, inflige une agression à son corps qui doit toujours rester un ami, pas devenir un ennemi. »
Et pourtant… Crampe (une contraction « paroxystique » du muscle qui, trop fatigué, ne peut plus se relâcher), élongation (un petit « étirement musculaire »), claquage (la même chose, mais en plus embêtant, davantage de fibres musculaires sont cassées), déchirure (encore plus de fibres lésées), entorse, fracture…, les douleurs et les blessures, que ces dernières soient accidentelles, d’usure ou de fatigue, font partie intégrante de la vie sportive et certaines affectent particulièrement les femmes. Ainsi, les sportives sont quatre à sept fois plus victimes de lésions du genou, et notamment de ruptures des ligaments croisés antérieurs, comme vient de le montrer une étude suédoise menée par Markus Waldén, de l’Université Linköping, auprès de 4 564 jeunes footballeuses. En cause : des différences de morphologie osseuse et des tendons musculaires plus laxes. « Les femmes, en plus d’être musculairement moins fortes, ont souvent le "segment jambier" qui part vers l’extérieur par rapport à l’axe du fémur (on parle de "genu valgum"), une anomalie qui fragilise l’équilibre ligamentaire du genou », commente Alain Frey.
La parade ? Toujours selon la même étude suédoise publiée dans le British Medical Journal, un échauffement privilégiant des exercices de bon positionnement des jambes par rapport au bassin permettrait de diminuer de 64 % la survenue de traumatismes des ligaments croisés antérieurs.
D’autres blessures constituent en quelque sorte des marqueurs identitaires, à l’instar de la rupture des « poulies digitales » - d’étroites bandes de tissus fibreux situées transversalement à l’axe des phalanges - qui frappe principalement les mordus d’escalade. Si les entorses cervicales sont inhérentes aux sports impliquant des contacts et des chutes, et les pathologies d’épaule aux sports de lancer et de raquette,« les commotions cérébrales touchent le rugby et les sports avec recherche de KO, poursuit Alain Frey. Les coureurs de fond s’exposent, quant à eux, aux lésions tendineuses et parfois au "syndrome de la loge", un conflit entre un muscle comme le tibial antérieur, qui gonfle de 20 à 30 % pendant l’effort, et son aponévrose, c’est-à-dire le manchon très peu extensible qui l’entoure. Les volleyeurs redoutent le "syndrome de la main froide" - des troubles de la sensibilité de la main liés à des microtraumatismes répétés sur les petits vaisseaux de la paume, les trampolinistes et les gymnastes, la "perte de figure" - une perte des repères dans l’espace, les cyclistes, l’apparition d’un "troisième testicule" - un kyste mal placé provenant de frottements répétés au niveau de l’appui de la selle... »
D’autres douleurs sont à prendre très au sérieux, même si beaucoup de sportifs de tout niveau, insuffisamment sensibilisés aux comportements à risque et aux symptômes d’efforts suspects, vivent dans l’illusion que l’activité physique leur confère une sorte d’immunité à vie, d’invincibilité. Exemple : une sensation inhabituelle au pic de l’effort, comme une douleur aiguë dans le thorax, doit faire immédiatement abandonner la partie et consulter un médecin, ce « syndrome de menace » étant lié à l’obstruction de l’artère coronaire.
De même, toute arythmie à l’effort, qu’elle provienne d’un dysfonctionnement des oreillettes, ce qui est préoccupant, ou des ventricules, ce qui l’est plus encore, est un clignotant signalant que la pompe cardiaque a des ratés. Et ressentir une impression de malaise en grimpant une côte que l’on a l’habitude d’« avaler » sans difficultés impose impérativement et rapidement la réalisation d’un bilan cardiaque.
« Pédaler, courir ou nager ne provoque pas de maladie cardiovasculaire, mais peut en révéler une », intervient Xavier Jouven, cardiologue à l’hôpital européen Georges-Pompidou et responsable de l’équipe Épidémiologie cardiovasculaire et mort subite. D’après les données disponibles, environ 1 000 décès par mort subite frappent chaque année des sportifs en France.
Ce phénomène correspond à« un décès naturel qui survient dans l’heure suivant l’apparition des symptômes,rappelle-t-il. L âge moyen des sportifs victimes de cette pathologie, qui présente une très nette prédominance masculine (95 % des cas recensés concernent des hommes), est de 46 ans.Et les trois disciplines les plus impactées sont le vélo, la course à pied et le football, tout simplement parce qu’elles sont les plus pratiquées. »
Dans 90 % des cas, la cause est cardiovasculaire. Après 30-40 ans, ces morts sont dues la plupart du temps à des infarctus du myocarde. Et avant cet âge, à des maladies cardiaques d’origine congénitale, silencieuses et ignorées, comme une hypertrophie pathologique du cœur ou une « dysplasie ventriculaire droite arythmogène », le remplacement de certaines fibres du muscle myocarde par de la graisse.
Comment dépister les sportifs à risque de mort subite ? « Le certificat médical de non-contre-indication à la pratique d’un sport de compétition est souvent de complaisance et n’est donc pas du tout la panacée,plaide Xavier Jouven. Adresser un questionnaire aux jeunes sportifs pour connaître leurs antécédents personnels ou familiaux est une piste intéressante. Proposer un électrocardiogramme de repos en est une autre, bien qu’il laisse lui aussi passer beaucoup de cas. En fait, il nous reste à mettre au point une stratégie de détection précoce réellement efficace.»

Le côté obscur du sport

Détection, vous avez dit détection ? Les spécialistes de la lutte antidopage ont eux aussi fort à faire pour donner corps à ce mot sur la « planète sport ». C’est que les compétiteurs, terrassés par l’ivresse du « toujours plus », ne se gênent pas pour écorner le mythe du « muscle propre » en passant par la case chimique. Les produits permettant tout à la fois de forcer et de récupérer ne manquent pas, à commencer par des antalgiques (aspirine, anti-inflammatoires non stéroïdiens…) et des anxiolytiques, certes licites, mais empêchant les « bobos » de jouer leur rôle de « signal d’alerte ». Plus grave : l’arsenal antidouleur à la disposition des champions soumis à des contraintes de plus en plus lourdes en termes de charges d’entraînement comprend des anti-inflammatoires stéroïdiens (ou corticoïdes), lesquels sont également de puissants stimulants énergétiques et neuropsychologiques. « Ces dopants, facilement détectables dans les urines, sont désormais moins pris par les sportifs de haut niveau, qui recourent aux différentes hormones de croissance, que par les sportifs du dimanche matin qui s’exposent au risque de se mettre en sur-régime », commente Gérard Dine, professeur de biotechnologies à l’École centrale de Paris et chef du service d’hématologie et d’immunologie de l’hôpital des Hauts-Clos de Troyes.
Et le salbutamol ? Prescrit habituellement contre l’asthme, ce médicament est fortement suspecté d’être utilisé par des sportifs ne souffrant d’aucune affection pulmonaire, afin de réduire la fatigue après un effort et d’améliorer la récupération. Une expérience orchestrée par Samuel VergèsSamuel Vergès
Unité 1042 Inserm – Université Joseph-Fourier
, du laboratoire grenoblois HP2 (Hypoxie PhysioPathologie)2 , vient de montrer les « pouvoirs », en la matière, de ce traitement potentiellement dopant à forte dose. Onze athlètes non asthmatiques dotés de hautes capacités d’endurance ont été soumis à un test d’effort des muscles de la cuisse après avoir inhalé soit du salbutamol à différentes doses, soit un placebo. L’inhalation à des doses « supra-thérapeutiques », c’est-à-dire au-delà des doses classiques pour traiter l’asthme, n’a pas réduit la fatigabilité des quadriceps. Mais elle a permis aux athlètes d’effectuer un nombre de contractions musculaires, avant d’atteindre l’épuisement, nettement supérieur au nombre atteint après inhalation d’une plus faible dose de salbutamol ou d’un placebo. « Ce produit semble en quelque sorte "désensibiliser" le système nerveux central à la fatigue musculaire, à tout le moins retarder l’apparition de sensations de fatigue et de douleur, ce qui permet d’augmenter l’endurance et de prolonger un effort physique, commente Samuel Vergès. De nouvelles études sont en cours pour valider cette hypothèse et clarifier les mécanismes en jeu. Et si le salbutamol reste un traitement incontournable de l’asthme, y compris chez le sportif, cette étude suggère, qu’au-delà du muscle lui-même, le système nerveux central pourrait être une cible de choix pour certaines prises médicamenteuses détournées de leur utilité thérapeutique première. »
De quoi se demander jusqu’où iront les« champions-cobayes »pour repousser toujours plus le seuil de la douleur, et donc leurs limites. Des thérapies cellulaires permettant de remplacer des cellules déficientes ou disparues par des cellules saines, au niveau du tendon et du muscle, sont en cours d’expérimentation sur l’homme. Cette approche a fondamentalement pour objectif de restaurer mais « rien n’empêche d’imaginer que certains détournent cette technique de sa finalité réparatrice et s’en servent "en préparation", ce qui relèverait du dopage »,alerte Gérard Dine.
De même, s’il n’existe aucune preuve pour affirmer que des athlètes ont déjà utilisé - ou tenté d’utiliser - la thérapie génique pour se doper, « il est techniquement envisageable d’inoculer des gènes de cicatrisation à des sportifs pour optimiser le comportement de leurs tendons et améliorer leur résistance à l’effort et à la douleur,poursuit l’expert.Quant à la thérapie génique musculaire, qui consiste à insérer dans le patrimoine génétique un gène capable de produire une hormone de croissance et d’augmenter ainsi la puissance musculaire, c’est déjà une réalité expérimentale sur des modèles animaux. Et n’oublions pas que la répression du dopage génétique suppose des contrôles tissulaires très "intrusifs", impliquant des biopsies musculaires ou tendineuses, donc très difficiles à mettre en œuvre…  »

Attention, aliénation

Le dopage n’est, hélas, pas le seul à faire des dégâts. Tout en ne buvant que de l’eau claire, certain(e)s ultra-pratiquant(e)s souffrent d’une véritable addiction à l’activité physique, au risque de s’user le corps et l’esprit. Combien sont-ils, précisément, à entretenir une relation pathologique avec le sport ? Difficile à dire. Aucune enquête épidémiologique n’a encore quantifié l’étendue de ce « mal ». Mais à en croire l’expertise collective de l’Inserm, Activité physique, contextes et effets sur la santé, parue en 2008, 4 % des Français pourraient être concernés.
Comme l’addiction au jeu, au sexe, aux achats…, la dépendance au sport « se traduit par un besoin irrépressible et compulsif de pratiquer régulièrement et intensivement une ou plusieurs activités physiques ou sportives au détriment de sa santé, de sa carrière professionnelle ou de sa vie familiale, précise Isabelle Muller, psychiatre au Centre d’accompagnement psychologique des sportifs de Bordeaux.Les sujets viennent le plus souvent nous consulter quand ils sont blessés. Ne pouvant plus s’entraîner, ils sont en souffrance et font des décompensations anxieuses, voire des décompensations dépressives pouvant aller jusqu’à des idées suicidaires. »
Certains sports engendrent-ils plus que d’autres une passion risquant de virer à l’obsession ? Le cyclisme, la course à pied et la musculation, sans doute parce que ces disciplines individuelles nécessitent peu de matériel, semblent davantage susciter l’addiction que les sports collectifs.
Et pourquoi le sportif bascule-t-il dans l’addiction ? Ce phénomène qui touche aussi bien le monde amateur que le haut niveau, les hommes que les femmes, est fréquemment associé à des dysmorphophobies ou troubles de l’image corporelle. « Cela concerne des femmes qui ont l’impression d’être trop grosses et des hommes qui ne se trouvent pas assez musclés et se tournent vers le bodybuilding, les régimes hyperprotéinés ou les stéroïdes, on parle alors de "bigorexie", explique Isabelle Muller. Par ailleurs, si l’exercice physique constitue en général un bon régulateur émotionnel, en calmant l’anxiété, en "vidant la tête", certaines personnalités très obsessionnelles, après une phase de lune de miel avec un sport, passent d’une activité-ressource à une activité-aliénation. »
Quant au traitement, il importe d’identifier les éléments qui alimentent l’addiction (problèmes personnels ou professionnels, troubles alimentaires…), et ceux susceptibles de modifier le rapport au sport du patient, « l’objectif étant de parvenir à une pratique sportive que le sujet puisse contrôler ».
Qui, finalement, du plaisir ou de la douleur, l’emporte dans le sport ? Faut-il décréter le match nul ? En aucun cas. À tout âge et même sur le tard, faire « transpirer la machine » pour se sentir plus fort sur le plan mental, émotionnel et physique, c’est toujours faire le bon choix !

Philippe Testard-Vaillant

Laboratoire Traitement du Signal de l'Image (LTSI). L’électrocardiogramme au repos, une première piste pour détecter les risques de mort subite
© Patrice Latron/Inserm
Évaluation de la fatigabilité d’un quadriceps après inhalation d’un médicament broncho-dilatateur ou d’un placebo
© Samuel Verges/Unité 1042 Inserm /Inserm