Alzheimer
Peut-on éviter une catastrophe sanitaire ?

À la suite du bilan globalement positif du 3e plan Alzheimer, le Président de la République, François Hollande, devrait annoncer la mise en place du prochain lors de la journée mondiale de la maladie d’Alzheimer, le 21 septembre. Un renouvellement qui semble indispensable pour faire face à la vague de malades annoncée pour les décennies à venir. La recherche, quant à elle, se tient prête.

Avec l’accumulation de plaques sénilesPlaques séniles
Dépôts anormaux de bêta-amyloïdes dans le cerveau, ces agrégats de peptides sont un signe caractéristique de la maladie d’Alzheimer.
dans le cerveau et la dégénérescence des neurones du cortex, la maladie d’Alzheimer détériore progressivement nos facultés cognitivestrous de mémoire, problèmes d’élocution et de coordinationqui conduisent inexorablement à une perte d’autonomie. Aujourd’hui, elle touche plus de 850 000 personnes en France, majoritairement âgées de plus de 65 ans. Or, une récente étude dirigée par Hélène Jacqmin-GaddaHélène Jacqmin-Gadda
Unité 897 Inserm - Université de Bordeaux
, de l’Institut de santé publique, d’épidémiologie et de développement (Isped) à Bordeaux, prévoit une augmentation très importante des cas d’Alzheimer d’ici à 2030 : plus 75 % pour la population générale et jusqu’à 200 % pour les plus de 90 ans. En cause : le vieillissement de la population et l’allongement de l’espérance de vie.

La piste génétique

Face à ce constat, « la mobilisation est globale et mondiale pour lutter contre Alzheimer », assure Philippe AmouyelPhilippe Amouyel
Unité 744 Inserm/Institut Pasteur de Lille - Université Lille 2 Droit et Santé
, directeur de la Fondation nationale de coopération scientifique sur la maladie d’Alzheimer et les maladies apparentées, créée en 2008 pour coordonner les efforts de la recherche. À l’image du plan Alzheimer français (voir encadré), de nombreux pays ont, en effet, lancé des initiatives similaires qui touchent tous les aspects de la maladie : prise en charge, traitement, recherche. D’énormes progrès ont ainsi été réalisés ces dernières années dans le diagnostic et la compréhension de cette maladie, notamment sur le rôle du peptide bêta-amyloïde (Aß) dans l’apparition des plaques séniles et celui de la protéine TauProtéine Tau
Naturellement présente dans les neurones afin de moduler la stabilité du cytosquelette des axones. Dans le cas de la maladie d’Alzheimer, l’accumulation anormale de protéines Tau, sous forme d’agrégats de filaments, entraîne une dégénérescence des neurones.
dans la dégénérescence neurofibrillaire.
C’est l’enchaînement de ces événements, dans un processus appelé « cascade amyloïde », qui conduit à la mort des neurones du cortex cérébral et à l’apparition de la maladie. Pourtant, malgré ces avancées fondamentales, il n’existe toujours pas de traitement curatif pour stopper cet engrenage fatal. La recherche sur la maladie d’Alzheimer est-elle dans une impasse ? « Non, répond Philippe Amouyel,de nombreuses pistes sont à l’étude, notamment grâce à l’essor de la génétique. » Ainsi, depuis 2009, le consortium international IGAPIGAP (International Genomics of Alzheimer’s Project)
Regroupement de quatre consortiums spécialisés dans la recherche sur la génétique de la maladie d’Alzheimer (EADI en France, GERAD au Royaume-Uni, ADGC et CHARGE aux États-Unis) dont le but est de déterminer les gènes responsables de la maladie grâce aux données génétiques recueillies auprès de plus de 40 000 personnes.
, animé par l’équipe Inserm Santé publique et épidémiologie moléculaire des maladies liées au vieillissement dirigée par le chercheur, a identifié une vingtaine de nouveaux gènes qui prédisposent à cette pathologie. « Ces gènes représentent autant de nouvelles voies métaboliquesVoie métabolique
Chaîne de réactions biochimiques dans l’organisme, orchestrée par un ensemble d’enzymes
qui pourraient être la cible de nouveaux traitements », précise-t-il.

Un diagnostic le plus tôt possible

Par ailleurs, d’autres travaux de l’Isped 1 ont montré que le déclin cognitif des patients commence plus de dix ans avant le stade clinique, ce qui pourrait expliquer l’échec de la recherche thérapeutique actuelle. « Les essais cliniques récents qui visaient à éliminer la protéine amyloïde chez des malades légèrement ou modérément atteints par des voies immunologiques – vaccination curative – ont abouti à des résultats très décevants. Les lésions de ces patients sont peut-être déjà irréversibles, explique Philippe Amouyel.De nos jours, le consensus général suggère qu’il faut traiter le plus en amont possible, dix, voire vingt ans avant l’apparition des premiers symptômes. » Un des défis des prochaines années sera donc de diagnostiquer au plus tôt le risque d’Alzheimer. D’où l’intérêt des études épidémiologiques de grandes cohortes de population, telles que Paquid, 3C, Memento, qui permettent de mieux connaître l’histoire naturelle de la maladie et de déterminer quelles sont les personnes en danger. Leur financement est d’ailleurs l’une des recommandations du rapport d’évaluation du plan Alzheimer 2008-2012 remis au gouvernement à la fin du mois de juin par Christine van Broeckhoven, professeur de génétique moléculaire à l’université d’Anvers, spécialiste des maladies neurodégénératives, et Joël AnkriJoël Ankri
Laboratoire universitaire Santé Environnement Vieillissement (UFR des sciences de la santé Simone-Veil) - Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines
, gériatre et professeur de santé publique. En matière de prise en charge, le rapport suggère de renforcer le dispositif actuel de soutien des aidants familiaux : assistance de professionnels, aides financières et formations. « Si l’aide à domicile est favorisée, cela permettra aux patients de rester chez eux et donc de respecter leur désir. Avec à la clé, un moindre besoin en nouvelles structures d’hébergement », affirme Joël Ankri.
Un effort dans le développement de la robotique et dans l’utilisation des nouvelles technologies permettrait aussi de soulager la prise en charge de ces patients, notamment par leurs proches, eux aussi généralement assez âgés. Et bien sûr, continuer à financer la recherche afin de trouver une solution pour enrayer l’engrenage du déclin cognitif et limiter l’augmentation des cas cliniques.«  Si on parvient à faire reculer les premiers symptômes de cinq années, on réduira de moitié le nombre de personnes atteintes d’Alzheimer puisque leur nombre double tous les cinq ans à partir de 65 ans », souligne Philippe Amouyel.
Bien qu’un traitement curatif ne soit pas encore disponible, l’effort de recherche est global, notamment au niveau européen. L’Europe a, en effet, retenu la lutte contre les maladies neurodégénératives, et la maladie d’Alzheimer en particulier, comme un des dix grands défis des prochaines décennies. Avec l’espoir d’éviter une catastrophe.

Simon Pierrefixe

Maladies neurodégénératives et mort neuronale. L'analyse des tissus cérébraux apporte de précieuses informations.
Ⓒ Patrice Latron/Inserm