Chirurgie
Les gestes du futur

Le laboratoire d’excellence CAMI vient tout juste de fêter son premier anniversaire. Sa raison d’être ? Booster les résultats de toute intervention chirurgicale en s’appuyant sur les dernières techniques de chirurgie assistée par ordinateur. Comment y parvenir ? En fédérant la recherche française dans ce domaine. Présentation du labex et visite de trois des six laboratoires fondateurs qui conçoivent la chirurgie de demain.

TIMC-IMAG-1
Au pied des Alpes, au TIMC-IMAG. Philippe Cinquin, directeur du TIMC-IMAG et Jocelyne Troccaz, responsable de l'équipe GMCAO
Ⓒ François Guénet/Inserm
« De quel service le patient va-t-il bénéficier ? » C’est la question centrale que se posent les acteurs du laboratoire d’excellence (labex) CAMI, pour Computer assisted medical intervention, traduction anglaise de l’expression « Gestes médico-chirurgicaux assistés par ordinateur (GMCAO) ». C’est en septembre 2012 que le coup d’envoi de ce laboratoire virtuel a été lancé. Virtuel, car il s’agit en réalité de la fédération, dans un cadre structurant, de six laboratoires, dont deux de l’Inserm et quatre du CNRS. L’objectif ? Unir leurs compétences et leurs expériences. Avec une idée commune, celle que les GMCAO n’ont pas encore développé tout leur potentiel, et que les malades et la santé publique pourront tout autant bénéficier de leur transfert en pratique clinique. « Les laboratoires fondateurs du labex sont ceux qui ont déjà transféré d’une manière significative à la clinique leurs résultats de recherche, en particulier grâce à des start-up ou des contrats avec des industriels », précise Philippe Cinquin, directeur du laboratoire TIMC-IMAGTIMC-IMAG
UMR 5525 CNRS/Université Grenoble 1, Techniques de l’ingénierie médicale et de la complexité - Informatique, mathématiques et applications, Grenoble
de Grenoble et porteur de CAMI. Les GMCAO avaient été mis en œuvre à Grenoble, notamment avec la conception d’un robot de neurochirurgie stéréotaxique, qui permet d’améliorer le guidage des instruments, à la fin des années 1980.
TIMC-IMAG-2
Au pied des Alpes, au TIMC-IMAG. Sandrine Voros, chercheuse Inserm en imagerie médicale et Anthony Agustinos, doctorant au TIMC-IMAG, manipulent ViKY®, un robot porte-endoscope…
Ⓒ François Guénet/Inserm
TIMC-IMAG-3
Au pied des Alpes, au TIMC-IMAG. Céline Fouard, responsable du projet Robacus, manipule le robot d’aide à la ponction de tissus ou liquides biologiques sous scanner X ou IRM…
Ⓒ François Guénet/Inserm
TIMC-IMAG-4
Au pied des Alpes, au TIMC-IMAG. Sonia-Yuki Selmi, ingénieure de recherche, finalise BiopSym, le simulateur de biopsie de prostate sous échographie, qui permet aux jeunes urologues de s’entraîner à cet acte chirurgical…
Ⓒ François Guénet/Inserm
La réunion des six laboratoires a pour objectif de faciliter les projets collaboratifs, même si «  nous nous connaissions tous, et qu’il existait déjà des projets bilatéraux, voire trilatéraux entre nous », soulignent Éric Stindel et Lotfi Senhadji, directeurs du LatimLatim
Unité 1101 Inserm/Université de Bretagne occidentale – Telecom Bretagne, Laboratoire de traitement de l’information médicale, Brest
, à Brest et du LTSILTSI
Unité 1099 Inserm/Université Rennes 1, Laboratoire de traitement du signal et de l’image, Rennes
à Rennes. «  Par exemple, pour la mise au point du système de navigation endovasculaire d’instruments flexibles, l’aspect “ localisation magnétique ” avait été confié à Grenoble tandis que nous nous occupions du guidage par l’image, » explique Pascal Haigron, co-responsable, avec le radiothérapeute Renaud de Crevoisier, de l’équipe « Images et modèles pour la planification et l’assistance chirurgicale et thérapeutique » du LTSI, impliquée dans CAMI.
LTSI
Aux portes de la Bretagne, au LTSI. Aurélien Duménil, doctorant, développe des améliorations pour le programme d’assistance peropératoire Angiovision en collaboration avec la société Therenva…
Ⓒ François Guénet/Inserm
LTSI-2
Aux portes de la Bretagne, au LTSI. Lotfi Senhadji, directeur du LTSI et Pascal Haigron, co-responsable de l'équipe IMPAC
Ⓒ François Guénet/Inserm
LTSI-3
Aux portes de la Bretagne, au LTSI. Duc Long Hung NGuyen, doctorant, s’intéresse à l’insertion d’un cathéter dans une structure « fantôme » représentant l’aorte abdominale (en blanc, sous plexiglas)…
Ⓒ François Guénet/Inserm
Une collaboration, aussi et surtout, s’est établie entre les concepteurs et les utilisateurs. « Il ne s’agit pas de simples échanges entre les chirurgiens et les chercheurs : certains chirurgiens sont membres à part entière du laboratoire », relève Lotfi Senhadji. Pour ces équipes, hors de question de concevoir et réaliser un beau gadget et de se débrouiller pour qu’il rentre dans la salle d’opération. « Les chirurgiens viennent nous voir pour expliquer le problème qu’ils rencontrent, nous allons au bloc avec eux et, après des discussions approfondies, nous travaillons en coordination étroite », insiste Philippe Cinquin.
Les enjeux de CAMI ? On en compte cinq. En premier lieu : permettre au chirurgien d’être mieux formé. Cela passe, par exemple, par l’élaboration de simulateurs de gestes chirurgicaux. Comme celui développé au laboratoire grenoblois pour effectuer une biopsie de la prostate.«  En pratique, le chirurgien introduit une sonde échographique dans le rectum, puis il se représente dans sa tête ce qu’il connaît de l’anatomie du patient pour guider ses gestes. Une tumeur possible, repérée par IRM avant l’examen, en 3D, n’est plus aussi évidente à retrouver avec des images échographiques en 2D. Il est donc nécessaire que les étudiants s’entraînent », explique Jocelyne Troccaz, responsable de l’équipe GMCAO, impliquée dans CAMI. Le système d’imagerie EOSImaging, déjà utilisé au CHU de Brest, partenaire et hébergeur du Latim, montre qu’il est aussi possible de « voir au-delà du visible », et c’est le deuxième enjeu du labex. La machine permet en effet d’obtenir, en 18 secondes, une radiographie complète en 3D d’un patient par balayage de rayons X à basse dose. Et ce, qu’il soit assis ou debout. Un « détail » d’importance quand il s’agit de concevoir des prothèses de hanches qui doivent s’adapter à toutes les positions. Enfin, lors de l’opération, le chirurgien peut apprécier de bénéficier d’une assistance dans la prise de décisions vitales, le troisième enjeu. C’est ce que propose le robot ViKY® - conçu à TIMC-IMAG et commercialisé par une jeune pousse, Endocontrol - qui offre une « troisième main » lors d’une exploration endoscopique de l’abdomen. IsirIsir
UMR 7222 CRNS /Université Pierre-et-Marie-Curie, Institut des systèmes intelligents et de robotique, Paris
collabore également avec Endocontrol pour la conception de JAiMY®, un autre instrument qui rend sa dextérité au chirurgien de façon intuitive. Quant à Robacus, développé en partenariat entre TIMC-IMAG et LirmmLirmm
UMR 5506 CNRS /Université Montpellier 2, Laboratoire d’informatique, de robotique et de microélectronique de Montpellier
, qui aide à positionner une aiguille de biopsie, il permet au radiologue interventionnel d’être plus précis, illustrant le quatrième enjeu : accéder à une dextérité augmentée, thème également au centre des activités d’ICubeICube
UMR 7357 CNRS/Université de Strasbourg – Insa Strasbourg – École nationale du génie de l’eau et de l’environnement de Strasbourg, Laboratoire des sciences de l’ingénieur, de l’informatique et de l’imagerie
et d’Isir.
Le dernier défi n’est pas le moindre, en effet, tous les participants de CAMI ont à cœur d’être capables de mesurer le service médical rendu.«  C’est un élément décisif pour convaincre les décideurs que la technique peut être diffusée en pratique courante.  ». Parmi les éléments à évaluer : le temps de l’intervention. «  Mais sa diminution n’est pas forcément le critère décisif, pointe Éric Stindel.Il se peut que l’utilisation d’une technologie d’assistance augmente la durée de l’opération. Si c’est au bénéfice d’une chirurgie moins invasive, entraînant moins de séquelle, c’est positif. »
Les six laboratoires fondateurs de CAMI sont tous étroitement associés à des équipes cliniques et à des industriels, et les solutions conçues ont déjà bénéficié à des dizaines de milliers de patients. Forts de leur complémentarité disciplinaire - biologie, sciences de l’ingénieur, informatique, traitement de l’image… - ces chercheurs n’ont qu’une motivation : l’intérêt du patient.

Julie Coquart

LATIM
À la pointe de la Bretagne, au LATIM. Éric Stindel, directeur du Latim
Ⓒ François Guénet/Inserm
LATIM-2
À la pointe de la Bretagne, au LATIM. Thomas Wentz, post-doctorant, et Julien Bert, ingénieur de recherche, font la démonstration de la hauterésolution d’une caméra à infrarouge destinée à la radiothérapie. Pour cibler une tumeur au niveau de la poitrine, il est nécessaire que le collimateur qui délivre les rayons suive les mouvements respiratoires. C’est là qu’intervient la caméra « temps de vol » : grâce aux faisceaux infrarouges qui sont envoyés et réfléchis sur la surface du corps, elle peut suivre en temps réel les mouvements. Une base de données d’images a auparavant permis de corréler les déplacements en profondeur à ceux observés en surface.
Ⓒ François Guénet/Inserm