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Med Sci (Paris). 2010 February; 26(2): 115–118.
Published online 2010 February 15. doi: 10.1051/medsci/2010262115.

Dix ans de thérapie génique : Réflexions

Marina Cavazzana-Calvo,1,2,3* Salima Hacein-Bey-Abina,1,2,3 and Alain Fischer2,3,4

1Département de Biothérapie, APHP, Université Paris Descartes, Hôpital Necker Enfants-Malades, 149, rue de Sèvres, 75015 Paris, France
2Centre d’investigation clinique en biothérapie, GHU Ouest, APHP/Inserm, Université Paris Descartes, France
3Inserm U768, Hôpital Necker Enfants-Malades, Université Paris Descartes, France
4Service d’immunologie, hématologie et rhumatologie pédiatriques, Hôpital Necker Enfants-Malades, APHP, Université Paris Descartes, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Adrénoleucodystrophie, génétique, thérapie, Animaux, Essais cliniques comme sujet, Modèles animaux de maladie humaine, Maladies génétiques congénitales, Thérapie génétique, effets indésirables, éthique, méthodes, tendances, Vecteurs génétiques, usage thérapeutique, Humains, Déficits immunitaires

Dix ans d’essais thérapeutiques et la preuve du principe de l’efficacité d’une thérapie génique

Deux essais thérapeutiques concernant des maladies héréditaires du système immunitaire ont apporté la preuve du principe que la thérapie génique peut constituer une approche thérapeutique à la fois puissante en terme d’efficacité et stable au cours du temps [ 1, 2]. Dix ans se sont écoulés depuis que le premier patient atteint de déficit immunitaire combiné sévère (DICS) lié au chromosome X (DICS-X1) a reconstitué de façon stable le compartiment lymphocytaire T qui lui faisait défaut. Les essais cliniques de thérapie génique se sont progressivement élargis à d’autres maladies héréditaires du système hématopoïétique (déficit en adénosine déaminase [ADA], granulomatose septique chronique [ 3], β-thalassémie [ 4], syndrome de Wiskott-Aldrich [ 5]), de la peau (épidermolyse bulleuse) [ 6], de l’œil (rétinite pigmentaire) [ 7] et du système nerveux central (adrénoleucodystrophie [ALD] liée à l’X) [ 8], avec des résultats globalement très encourageants, franchement bénéfiques pour certaines de ces maladies (déficit en ADA, épidermolyse bulleuse et ALD liée à l’X). Les deux défauts héréditaires du système immunitaire corrigés par thérapie génique avec des résultats incontestables sont classés parmi les DICS, maladies immunitaires les plus graves que l’on connaisse. La physiopathologie de ces deux DICS diffère. En effet, le DICS-X1, conséquence de mutations de la chaîne γ commune du récepteur membranaire des cytokines hématopoïétiques, est caractérisé par un blocage très précoce de la différenciation lymphocytaire. Le défaut en adénosine déaminase (ADA) est une maladie métabolique dans laquelle la mort cellulaire précoce par apoptose, essentiellement liée à l’accumulation des métabolites toxiques de l’adénine, affecte l’ensemble des précurseurs lympho-hématopoïétiques et des épithéliums de l’organisme, même si les effets cliniquement les plus graves sont ceux qui sont liés à l’atteinte du système immunitaire adaptatif.

La physiopathologie différente de ces deux formes de DICS rend compte des différences dans l’effet des thérapeutiques, d’une part la greffe de cellules souches hématopoïétiques (CSH) allogéniques, d’autre part la thérapie génique. Au total, 38 malades atteints de ces deux formes de DICS traités par thérapie génique ont aujourd’hui un suivi clinique compris entre dix et un an(s). L’évaluation permet ainsi un « bilan d’étape ».

Bilan d’étape dans la thérapie génique des défauts héréditaires du système immunitaire
Un constat clinique positif…
Guérison des infections virales de pronostic grave au moment du traitement, restauration de l’immunité adaptative, reprise de la croissance staturopondérale et vie familiale et scolaire normale représentent les bénéfices communs à ces essais. La survie avec restauration d’un phénotype immunologique normal est de 83 % à 10 ans pour les patients traités pour DICS-X1, et de 70 % pour les patients atteints d’ADA (traités à Milan, Londres, Washington et Los Angeles) [ 9]. Ce bilan tient compte bien entendu des 5 cas de leucémie aiguë lymphoblastique survenus au cours des essais DICS-X1 de Paris et de Londres qui ont conduit à l’interruption de ces derniers.
… et des questions biologiques non résolues
Si l’analyse médicale s’arrêtait à ce constat positif, on pourrait poser la question de la place de la thérapie génique par rapport à la greffe allogénique de CSH, du moins pour ce groupe de maladies héréditaires du système immunitaire de pronostic extrêmement sévère. Cependant, nombre de questions biologiques non résolues et soulevées par ces essais cliniques doivent être évoquées. La connaissance de la séquence du génome humain, couplée aux possibilités de séquençage à haut débit, a permis de mieux appréhender la biologie de l’intégration des rétrovirus de type gamma utilisés dans ces essais cliniques. Ces rétrovirus s’intègrent de façon partiellement aléatoire et très préférentiellement au sein des gènes, et ce d’autant plus que ces gènes sont transcrits. Leur intégration cible plus particulièrement le site d’initiation de la transcription, des îlots CpG et toutes les régions responsables de la régulation de la transcription avec une préférence pour les régions promotrices/régulatrices (de certaines catégories de gènes). Le LTR (long terminal repeat) rétroviral exerce une activité potentialisatrice très forte, capable de déréguler l’expression de gènes proches du site d’intégration [ 10]. Néanmoins, ces connaissances ne suffisent pas à expliquer pourquoi quatre leucémies se sont développées dans l’essai français et une dans l’essai anglais réalisé pour la même indication (DICS-X1), mais aucune parmi 18 patients atteints de déficit en adénosine déaminase traités par thérapie génique. La répartition des différents progéniteurs hématopoïétiques au moment du recueil des CSH, autrement dit l’effet de la maladie sous-jacente, peut en être l’explication. La nature de l’enveloppe rétrovirale (GALV, de gibbon ape leukemia virus dans l’essai anglais, amphotrope dans l’essai français), capable de cibler des cellules plus immatures, peut également jouer un rôle dans la mesure où il semble exister une certaine différence de distribution des sites d’intégration dans l’essai anglais où certains sites d’intégration au sein de gènes tels que LMO2 (Lim domain only 2) et CCND2 (Cyclin D2) sont moins fréquemment retrouvés. Il sera néanmoins difficile d’apporter un support expérimental à ces hypothèses.

Les nombreux modèles animaux destinés à offrir des modèles prédictifs de ces effets adverses n’ont malheureusement pas apporté de réponse claire. Comme le soulignait Sylvie Gisselbrecht, rétrovirologiste française de renom, « l’oncogenèse murine ne nous fournit pas un modèle biologique valable pour étudier l’oncogenèse humaine dans le contexte particulier de la thérapie génique ». En revanche, une approche possible consiste en la modification de vecteurs rétroviraux afin de les rendre moins toxiques tout en conservant leur efficacité thérapeutique. Rétrovirus de type gamma ou lentivirus dont les LTR ont été inactivés par délétion des séquences potentialisatrices, promoteurs dits faibles et promoteurs dont l’expression est spécifique de tissu, insulateurs, ont fait leur entrée dans les essais cliniques.

Cependant les questions concernant ces premiers essais ne s’arrêtent pas au vecteur ; elles soulèvent également des interrogations d’hématopoïèse fondamentale. La définition de cellules souches hématopoïétiques selon une hiérarchie de différenciation et un autorenouvellement linéaire depuis une cellule souche multipotente jusqu’à ses progénitures matures, décrite il y a longtemps par I. Weissman, est peut-être trop simplificatrice. Les données de la thérapie génique pourraient contribuer à valider le concept de cellules souches à potentiel de différenciation limité à une lignée. En effet, quelles cellules hématopoïétiques ont été transduites dans l’essai DICS-X1 sachant que, dix ans plus tard, aucun polynucléaire neutrophile circulant ni aucun lymphocyte B n’exprime la chaîne γc ? La détection continue et stable dans le temps de lymphocytes T naïfs, y compris chez les malades traités par chimiothérapie, est-elle assurée par une cellule souche lymphoïde ? Cette cellule souche ressemble, quant à son comportement, à la cellule « delta » décrite récemment par le groupe de C. Eaves [ 11]. Si elle existe chez l’homme, est-elle présente exclusivement dans le thymus, ou est-elle également présente à une très faible fréquence dans la moelle osseuse ? La thérapie génique ouvre ainsi un champ nouveau d’investigation de l’hématopoïèse humaine et devrait permettre d’approcher cette question.

Essai de thérapie génique dans l’adrénoleucodystrophie (ALD) liée à l’X via un vecteur lentiviral

Les résultats cliniques obtenus chez les trois patients de l’essai adrénoleucodystrophie (ALD) liée à l’X mené avec P. Aubourg et N. Cartier sont également riches d’enseignement. L’ALD liée à l’X est une maladie dévastatrice du système nerveux central qui est due au déficit de la protéine ALD codée par le gène ABCD1 (ATP-binding cassette, sub-family D [ALD], member 1). Le défaut de cette protéine dans les oligodendrocytes et la microglie est responsable de la démyélinisation cérébrale multifocale qui caractérise cette maladie. On sait depuis une vingtaine d’années que la progression de cette maladie peut être arrêtée par une greffe de CSH allogéniques probablement grâce au remplacement de la microglie cérébrale par des cellules de la lignée myélomonocytaire. Trois ans après le traitement par thérapie génique du premier garçon atteint, environ 15 % des cellules hématopoïétiques circulantes expriment la protéine ALDP, et ceci de façon très reproductible chez les trois malades traités, indépendamment du taux initial de transduction des cellules CD34+, qui varie entre 30 % et 50 %. Ce résultat suggère qu’entre 10 % et 15 % des cellules souches ont été corrigées grâce à l’utilisation d’un vecteur lentiviral et d’une chimiothérapie myéloablative [8]. Est-ce que ces données indiquent que 15 % des cellules de la microglie le sont ? Si oui, ce pourcentage est-il suffisant pour prévenir à long terme l’évolution de la maladie, sachant que le degré de chimérisme requis pour arrêter l’évolution de la maladie après allogreffe de CSH doit être supérieur ? Par ailleurs, existe-t-il un avantage sélectif en faveur de la lignée monocytaire et donc de la différenciation en microglie des cellules transduites ? Cela pourrait-il expliquer le délai observé dans l’arrêt de la progression des lésions cérébrales par rapport à une greffe allogénique ? Seule l’étude clinique à long terme de cette cohorte de patients pourra permettre de répondre.

Thérapie génique : une place croissante dans le traitement des maladies héréditaires ?

Le résultat obtenu dans l’ALD indique que d’autres maladies héréditaires pour lesquelles l’expression du transgène n’exerce pas d’avantage sélectif devraient être accessibles à une thérapie génique, comme les hémoglobinopathies. Au-delà du questionnement scientifique, les résultats cliniques positifs permettent de continuer à avancer avec prudence. En 2010, quatre essais de thérapie génique devraient se poursuivre : deux, destinés à traiter les déficits immunitaires DISC-X1 et Wiskott-Aldrich, démarreront avec cette approche à l’aide de rétrovirus ou de lentivirus à LTR inactivé, tandis que les essais pour la β-thalassémie et l’ALD continueront (Tableau I).

Compte tenu des résultats cliniques obtenus et des progrès technologiques attendus, la thérapie génique devrait prendre une place croissante comme traitement de bon nombre de maladies héréditaires du système lymphohématopoïétique. Les approches de recombinaison homologue et/ou de ciblage de l’intégration du vecteur sont susceptibles de contribuer au développement d’une thérapie génique à la fois efficace et sûre. Des progrès sont également attendus au moins pour les maladies dystrophiques de la peau (épidermolyse bulleuse), les différentes formes de rétinite pigmentaire et certaines maladies lysosomales avec atteinte du système nerveux central. Il n’est pas exclu que ces progrès aient également un retentissement dans le domaine des maladies acquises comme l’infection par le virus de l’immunodéficience humaine. Il faut espérer que les sociétés de biotechnologie qui avaient abandonné ce domaine thérapeutique recommencent à s’y intéresser. Cela contribuerait à ce qu’un des goulots d’étranglement du développement clinique de la thérapie génique, la production à large échelle de lots de vecteurs cliniques, puisse être levé bien qu’il persiste aussi des obstacles techniques au développement de lignées stables de production de vecteurs. Il reste à anticiper un certain nombre de questions éthiques, comme l’accès des pays en voie de développement à cette thérapeutique bien plus simple que la greffe conventionnelle au moins dans le principe général du traitement, mais dont le suivi clinique reste pour l’instant limité aux campus hospitalo-universitaires capables d’assurer l’ensemble des expertises nécessaires pour ce domaine d’une grande complexité.

Conflit d’intérêts

Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts concernant les données publiées dans cet article.

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