En 1863, Thomas H. Huxley exprimait l’espoir qu’un jour « par un paléontologue qui n’est pas encore né, des os fossilisés d’un singe anthropoïde ou d’un homme plus pithécoïde seraient découverts » 1 [ 1]. Quelques années plus tard, dans la « Généalogie de l’Homme », Darwin regrettait la rareté des fossiles de ces ancêtres communs aux singes et à l’homme qui avaient vécu jadis dans les forêts du miocène en Afrique. Il ne se trompait pas puisque c’est effectivement en Afrique qu’au cours du XXe siècle ont été découverts au Bostwana, au Kenya, au Tchad, mais surtout en Éthiopie dans les vallées du Rift, divers Australopithèques, A. anamensis, A. a farensis (la fameuse Lucy), entre autres. C’est dans cette même région qu’en 1992, l’équipe du Middle Awash Project a découvert des ossements d’un hominidé un peu différent tout d’abord nommé Australopithecus ramidis.
Il a fallu plus d’une décennie (mais qu’est-ce que 10 ans face aux millions d’années qui nous séparent de cet ancêtre !) pour le débaptiser et surtout montrer que cet hominidé était plus ancien que tous les Australopithèques décrits jusqu’à présent. Ardipithecus ramidus, puisque c’est désormais son nom, vient de faire l’objet en octobre 2009 d’un travail exhaustif réalisé par des équipes de paléontologues du monde entier (dont trois françaises) coordonnées par Tim White (Berkeley, Ca, États-Unis). Le numéro du 2 octobre de la revue Science présente ce travail sous forme de 11 publications (et d’une vidéo) qui décrivent minutieusement son crâne, ses dents, son squelette (à partir de 110 pièces osseuses provenant de 36 individus) ainsi que son environnement dans les sédiments proches de la rivière Awash [ 2– 9]. Des bois fossilisés indiquent la présence de palmiers, de fruits. Les fossiles d’invertébrés y sont abondants ainsi que ceux de vertébrés inférieurs (tortues, crocodiles, lézards et serpents).
Il a donc fallu 17 ans pour extraire, rassembler, reconstituer, parfois par informatique, l’ensemble du squelette. Les Ardipithèques mesuraient environ 1 m 20 et pesaient une cinquantaine de kg. Le dimorphisme entre mâles et femelles devait être modéré. La capacité crânienne était plus petite que celle des Australopithèques (300 à 350 cm3), proche de celle des bonobos ; les bourrelets supra-orbitaires étaient épais. Ils vivaient dans des régions boisées, étaient capables de grimper aux arbres. Ils avaient acquis la station debout et, fait notable, ces bipèdes avaient un gros orteil opposable. Ils étaient donc capables de marcher à plat (sans toutefois pouvoir faire des courses de fond). Bien que leurs membres supérieurs soient assez longs, les poignets et les mains étaient plus flexibles : les phalanges ne servaient pas d’appui pour une marche à quatre pattes. Leurs dents étaient différentes de celles des Australopithèques avec un émail plus épais, des canines supérieures peu développées, contrairement à celles des chimpanzés mâles, ce qui les fait supposer omnivores, frugivores et moins agressifs.
De nombreux éléments observés chez Ardipithecus ramidus existaient déjà chez Sahelanthropus tchadensis découvert au Tchad par l’équipe de Michel Brunet en 2001, qui l’a baptisé Toumaï. On retrouve en particulier cette morphologie faciale comportant une partie inférieure raccourcie et une partie supérieure projetée en avant, bien différente de celle des grands singes [ 10]. Par conséquent, l’appartenance de Toumaï au groupe des hominidés - un temps contestée - ne fait plus de doute.
Avec Orrorin tugenensis et S. tchadensis, A. ramidus peut donc être considéré comme un hominidé ayant existé avant les Australopithèques, en particulier avant A. anamensis considéré comme le plus ancien. Il aurait vécu il y a environ 4,4 millions d’années. Quel est le lien entre ce groupe lointain d’hominidés et les Australopithèques ? Il est encore trop tôt pour le dire. Mais déjà, l’étude d’Ardipithecus ramidus permet de se faire une idée de l’ancêtre commun hommes-singes qui l’aurait précédé (Figure 1).
Elle démontre que les caractères propres aux panidés actuels résultent non pas de la persistance des caractères originels, mais d’adaptations ultérieures, comme celles, mieux connues, qui se sont produites pour aller des Australopithèques à Homo sapiens.