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Med Sci (Paris). 2010 April; 26(4): 335–338.
Published online 2010 April 15. doi: 10.1051/medsci/2010264335.

Administration de la recherche, thérapie génique et traduction de la recherche

Yehezkel Ben-Ari1*

1Fondateur et Directeur honoraire de l’INMED, Inserm U901, Institut de neurobiologie de la Méditerranée (INMED), 163, route de Luminy, BP 13, 13273 Marseille Cedex 09, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Recherche biomédicale, organisation et administration, tendances, Médecine clinique, Europe, Prévision, Thérapie génétique, Humains, Maladies du système nerveux, génétique, thérapie, Adulte d'âge moyen, Enquêtes et questionnaires

 

Nous vivons une époque formidable !

La généralisation de la quantification à tout prix des qualités d’une recherche et de l’évaluation des chercheurs (une note et un tableau pour simplifier le travail administratif), des brevets comme haute distinction d’une rentabilité qui va immanquablement résoudre le problème du chômage, une évaluation basée sur les scoop publiés par des revues à « fort impact » dont la durée de vie est souvent celle d’un soupir, et une mise sous tutelle de la recherche à l’ancienne dans laquelle on pouvait encore vouloir passionnément comprendre un mécanisme, s’extasier devant la sagesse de mère nature et prendre des risques pourtant seules avenues permettant justement de découvrir les Graal qui vont permettre d’améliorer la vie de nos compatriotes et guérir les maladies qui résistent souvent aux traitements que nous proposons. Dommage, car au passage on aura perdu aussi bien notre spécificité que l’attrait de la nouvelle génération qui déserte sans états d’âme nos facultés des sciences au profit d’écoles de commerce.

Quand on lit les appels d’offres européens avec des déclarations tonitruantes du style : « nous voulons des projets à risque », mais qu’il est en même temps impératif de dire exactement ce que nous allons découvrir dans 14 à 18 mois… et confirmer ensuite que nous avons bien découvert ce que nous avions prévu, cela n’est plus de la recherche, c’est du retour sur investissement, des prises de risque sans risque, bref une vision économiste (quand celle-ci est raisonnable). Le pire c’est que même les fondations caritatives s’y mettent et rendent l’administration impossible et l’utilisation des fonds kafkaïenne. Les sommes promises doivent être d’emblée utilisées comme prévu, les overhead qui auraient pu donner un peu de souplesse ne servent finalement pas à grand-chose car encadrés à la virgule près. On ne peut plus payer un étudiant en thèse, changer d’avis et acheter un appareil imprévu, sauf à remplir x formulaires et accroître encore le pourcentage des ressources durement acquises et destinées à recruter encore plus d’administratifs. La recherche est au service de l’administration. On pourrait penser que tout cela n’est qu’administratif, sauf que cela se conjugue avec un assèchement des moyens et, donc, une plus grande dépendance dans des ressources externes, notamment caritatives, et cela a forcément un coût. Ainsi, bon nombre d’équipes sont bien obligées de changer de sujet et d’aller là où il y a des moyens, ce qui se traduit par une perte de « biodiversité », une plus grande concentration au profit de domaines à la mode et la boucle est bouclée : plus de lisibilité, plus d’attractivité, donc plus de moyens, etc.

Prenons un exemple : la thérapie génique des maladies neurologiques. On assiste à une véritable « génétomanie » due à l’extraordinaire essor des approches génétiques qui a révolutionné nos outils et nous permet de faire des choses encore impensables il y a peu. L’envers de la médaille est que la génétomanie permet des messages faciles, se « vend » bien et colle bien avec des promesses tous azimuts - demain on guérit tout - y compris dans des domaines comme les maladies neurologiques où la thérapie génique reste improbable : les maladies majoritaires sont à faible contribution génétique ou mettent en jeu des complexes multigéniques et, surtout, nous devons prendre en compte l’extraordinaire plasticité des réseaux de neurones qui s’adaptent et réagissent à la mutation. Ainsi, bon nombre de mutations commencent à faire des dégâts in utero, générant des réseaux aberrants qui vont empêcher la construction d’un réseau cortical fonctionnel [ 1]. Si l’on veut précéder ces réarrangements, il faut intervenir très tôt. Dans un modèle animal utilisant une stratégie d’interférence ARN in utero de la double cortine - protéine impliquée dans la migration et dont la mutation induit la formation d’un double cortex avec retard mental et épilepsies -, on observe un double cortex chez les rongeurs. Si l’on essaie ensuite de corriger cela en introduisant les bons gènes par thérapie génique, on s’aperçoit que la réparation par transfection du bon gène n’est possible que pendant la première semaine de vie post-natale, donc in utero chez l’homme ; après, c’est trop tard [1]. On comprend les limites de l’approche. Curieusement, l’invalidation in utero de protéines impliquées dans d’autres maladies « tardives » comme la maladie d’Alzheimer induit aussi des désordres migratoires. On comprend dès lors la difficulté de thérapies correctives de type génétique.

Les sommes énormes investies dans le tout génétique par l’AFM sont discutables à cette aune et il est regrettable que les fondations les plus généralistes qui aident la recherche en fonction de la qualité du projet sans ornière thématique comme la FRM soient du coup moins dotées. Sur un plan plus conceptuel, tout se passe comme si on espérait encore guérir des maladies sans en comprendre la genèse et les mécanismes ou pour utiliser des termes à la mode, « traduire » les découvertes en médicaments. Pour traduire une langue, il faut peut-être un peu la comprendre d’abord. Manquent cruellement à l’appel dans ce but des experts en physiologie, modèles animaux, biochimie, anatomopathologie etc., sciences asséchées par les concentrations financières, administratives, et la recherche du court terme. Combien de laboratoires étudient encore les malformations liées aux anoxies fÅ“tales, aux accidents cérébro-vasculaires, aux épilepsies et traumas crâniens, le vieillissement cérébral des neurones, des vaisseaux, etc., pourtant principaux fournisseurs de maladies et de séquelles neurologiques.

Il convient, par conséquent, de respecter « les fondamentaux de la recherche », à savoir sa biodiversité intrinsèque, le soutien du projet en fonction de son intelligence et de sa qualité, sans tenir compte des applications promises de façon artificielle. Le problème du passage des découvertes aux applications est plus dû au cloisonnement de la recherche et à une incapacité certaine des décideurs privés comme publics à voir puis exploiter les découvertes faites. Pasteur avait bien résumé le débat en disant « il n’y a pas de recherche appliquée, il y a des applications de la recherche fondamentale ».

Je prendrai deux exemples pour terminer.

Après des années de discussions, la haute autorité européenne des médicaments a - enfin - décidé que les médicaments autorisés pour utilisation chez des enfants devront avoir été testés sur de jeunes animaux. Jusqu’à maintenant, pour donner un médicament à un nourrisson, il suffisait de prendre un médicament utilisé chez l’adulte et de faire un ratio en fonction du poids ! Cela est assez étonnant, car quiconque a travaillé un peu sur le cerveau immature sait que tout ou presque est différent du cerveau adulte, y compris les propriétés pharmacologiques des courants ioniques qui peuvent parfois se traduire par des effets opposés sur le cerveau de la mère et de son embryon [ 3]. Problème de communication ou de omposition des commissions qui décident ?

À partir d’une observation apparemment sans implications cliniques - les neurones immatures ont des concentrations élevées en chlore intracellulaire et cela s’accroît encore après des crises d’épilepsies -, on en est arrivé à proposer un diurétique, qui évacue le chlore intracellulaire, pour traiter des épilepsies du nourrisson1. On comprend mieux pourquoi le phénobarbital, qui reste la molécule de première intention, aggrave pourtant souvent les crises. Encore plus étonnant peut-être, nous avons pu montrer [ 4] que, lors de l’accouchement, l’hormone ocytocine qui le déclenche génère aussi une baisse des niveaux de chlore intracellulaire, entraînant une véritable anesthésie préparatoire du futur bébé et une plus grande résistance aux épisodes anoxiques qui interviennent parfois. Ce qui a aussi d’importantes implications. La détermination d’un bon mécanisme aboutit presque toujours à des applications… après un délai raisonnable.

Comme dirait Isaac Asimov « la connaissance pose des questions auxquelles l’ignorance ne répond jamais ».

Conflit d’intérêts

L’auteur déclare n’avoir aucun conflit d’intérêts concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 Projet européen FP7-HEALTH-2009-4.2-1 : Adapting off-patent medicines to the specific needs of paediatric populations, collaborative project (NEMO).
References
1.
Ben-Ari Y. Neuro-archaeology: pre-symptomatic architecture and signature of neurological disorders. Trends Neurosci 2008; 31 : 626–36.
2.
Manent JB, Wang Y, Chang Y, et al. Dcx reexpression reduces subcortical band heterotopia and seizure threshold in an animal model of neuronal migration disorder. Nat Med 2009; 15 : 84–90.
3.
Ben-Ari Y, Gaiarsa JL, Tyzio R, Khazipov R. GABA: a pioneer transmitter that excites immature neurons and generates primitive oscillations. Physiol Rev 2007; 87 : 1215–84.
4.
Tyzio R, Cossart R, Khalilov I, et al. Maternal oxytocin triggers a transient inhibitory switch in GABA signaling in the fetal brain during delivery. Science 2006; 314 : 1788–92.