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Med Sci (Paris). 2010 May; 26(5): 447–448.
Published online 2010 May 15. doi: 10.1051/medsci/2010265447.

La greffe de moelle osseuse, d’un siècle à l’autre

Jean-Pierre Jouet*

Service des maladies du sang 5e Est, Hôpital Huriez, CHRU de Lille, 59037 Lille Cedex, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Transplantation de moelle osseuse, histoire, tendances, Prévision, Histoire du 20ème siècle, Histoire du 21ème siècle, Humains, Transplantation homologue, Séparation cellulaire, Cellules cultivées, effets des médicaments et des substances chimiques, transplantation , Cellules souches embryonnaires, classification, cytologie

 

L’allogreffe de moelle osseuse a cinquante ans, déjà, seulement. Âge mûr avec ses certitudes, mais aussi adolescence pleine de promesses, enthousiaste face aux orientations à venir. Le chemin parcouru, via deux récompenses prestigieuses au Nobel, Jean Dausset et Edward Donnall (Don) Thomas1, est en tous points remarquable.

La greffe allogénique est d’abord une formidable aventure humaine, centrée sur le don de soi. Le lien qui unit le donneur et le receveur est le fruit du hasard : lien familial relevant de la génétique mendélienne ou lien phénotypique entre non-apparentés. Il n’en demeure pas moins définitif et détermine une trace indélébile dans l’établissement de la chimère chez le receveur et la mémoire du donneur comme du receveur. La machinerie organisationnelle qui unit les centres greffeurs aux centres donneurs, les laboratoires d’histocompatibilité et les organismes internationaux responsables des registres de donneurs volontaires est exemplaire d’une solidarité réelle. Certes facilitée par les capacités actuelles dans le domaine de la communication, elle reste néanmoins une affaire humaine presque étrange à une époque où le repliement sur soi est partout mis en exergue. Le soin apporté au donneur et le respect absolu qui lui est dû sont des préoccupations constantes des équipes soignantes, bien antérieures à l’établissement des textes législatifs et réglementaires, mais encore très présentes : deux sessions du très récent congrès de l’European group for blood and marrow transplantation (EBMT) n’étaient-elles pas consacrées au don de cellules souches hématopoïétiques… ? La mise en commun, phénomène peu courant à une époque où le mythe de la publication personnelle prévaut largement, des données concernant les greffes a permis une accumulation rare des expériences internationales. Peu d’activités médicales peuvent mettre en avant un outil unique européen2 de recueil de données, reconnu par les autorités de tutelle, à l’origine de très nombreuses études rétrospectives et prospectives. C’est sans doute cette aventure humaine qui confère encore aujourd’hui à la greffe allogénique de cellules souches hématopoïétiques un statut de traitement « pas tout à fait comme les autres ».

La greffe allogénique de cellules souches hématopoïétiques est aussi la représentation des immenses progrès réalisés dans nombre de disciplines et de la réactivité de ses acteurs. La définition de l’histocompatibilité, passant de la « sérologie » à la précision allélique, a permis de qualifier la notion de phéno-identité. Au-delà de la déjà historique mais toujours présente ciclosporine, d’autres immunosuppresseurs sont venus enrichir la panoplie thérapeutique. La mise sur le marché d’agents anti-infectieux (antiviraux et antifongiques) a considérablement modifié l’avenir des patients immunodéprimés. La (trop) grande mortalité associée aux conditionnements pré-greffe immunosuppresseurs et myélo-ablatifs de l’allogreffe a obligé les médecins à envisager des approches moins agressives : les greffes à conditionnement réduit sont nées de cette volonté et du concept d’alloréactivité. Elles ont en outre permis un accès plus large à cette modalité thérapeutique, en ne résolvant pas la totalité des problèmes pour autant. Le conflit immunologique donneur-receveur est une donnée inhérente à tout processus de greffe humaine. La particularité de la greffe de cellules souches hématopoïétiques est que la difficulté vient non pas tant du risque de rejet, rapidement - et plutôt bien - maîtrisé, que de son image en miroir qu’est la réaction du greffon contre l’hôte. Cette réaction, reflet de l’intolérance du soi par l’autre, demeure le paradigme de l’effet délétère de la greffe allogénique de cellules souches hématopoïétiques, s’observant avec une fréquence variable dans toutes les circonstances hormis la greffe syngénique, relativisant d’autant le rôle du complexe majeur d’histocompatibilité. Ce conflit immunitaire, facteur qui a longtemps limité la pratique de la greffe allogénique, s’est aussi avéré salutaire dans la lutte contre les maladies malignes. Le concept de l’effet allogénique des cellules (immunocompétentes) du greffon vis-à-vis de cellules tumorales résiduelles de l’hôte, associé à celui de greffes à conditionnement non myélo-ablatif, a véritablement révolutionné cette modalité thérapeutique. Tous deux privilégient l’utilisation de l’effet immunologique du greffon et non plus les thérapeutiques intensives anticancéreuses. L’un et l’autre recourent largement aux cellules souches hématopoïétiques issues du sang périphérique recueillies après leur « mobilisation » hors de la moelle osseuse par le G-CSF (granulocyte-colony stimulating factor). Ce type de greffe est désormais largement majoritaire. La dénomination « greffe de moelle osseuse » est d’ailleurs actuellement supplantée par celle de « greffe de cellules souches hématopoïétiques ».

La question de la disponibilité en greffons hématopoïétiques histocompatibles avec le receveur, malgré l’accroissement incontestable du nombre de volontaires inscrits dans les registres internationaux et la qualité de fonctionnement de ceux-ci, est sans doute à l’origine de l’essor de la troisième source de cellules souches hématopoïétiques, le sang placentaire (ou sang de cordon ombilical). Celui-ci est connu depuis longtemps comme une source potentielle de cellules souches hématopoïétiques. Il n’est pas ici évoqué, bien entendu, les mirages utopiques du « tout réparable ou presque », prémices d’un improbable renouvellement quasi permanent de l’humain largement soutenus par un mercantilisme tapageur, liés à la conservation de sang placentaire autologue. La greffe allogénique de sang placentaire n’a qu’un peu plus de 20 ans. Elle constitue sans doute un des enjeux réels du futur dans ce domaine. La source est a priori inépuisable. Les banques internationales se développent. Même si les risques de conflits immunologiques post-greffe demeurent bien réels, la barrière de l’histocompatibilité est plus permissive qu’avec les autres sources. Les obstacles théoriques ou non limitant l’utilisation du sang placentaire s’estompent les uns après les autres : la question de la richesse cellulaire souvent insuffisante est contournée par le recours à la greffe multi-cordons ; le déficit immunitaire est parfaitement gérable ; les greffes avec conditionnement réduit sont réalisables et l’effet allogénique existe.

De progrès techniques en prouesses scientifiques, les greffes de cellules souches hématopoïétiques seront sans doute accessibles à davantage de malades dans davantage de pays avec davantage de résultats favorables. Mais que restera-t-il de l’aventure humaine lorsque les greffeurs n’auront plus qu’à se procurer les greffons cryoconservés et nécessairement marchandisés, lorsque tout lien sera coupé entre le donneur et le receveur ? Probablement un souvenir un peu jauni, tout juste évoqué dans un autre éditorial, en 2050, qui rappellera qu’il y a cent ans, déjà…, seulement…, la première greffe de moelle osseuse…

Conflit d’intérêts

L’auteur déclare n’avoir aucun conflit d’intérêts concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 Prix Nobel partagé avec Joseph Murray (transplantation d’organes).
2 Il porte le doux nom de ProMISe.