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Med Sci (Paris). 2010 May; 26(5): 549–552.
Published online 2010 May 15. doi: 10.1051/medsci/2010265549.

Identification d’une nouvelle cible des diurétiques thiazidiques dans le rein

Dominique Eladari,1,2,3* Régine Chambrey,4 and Françoise Leviel1,2,3

1UPMC Université Paris-6, Inserm UMRS 872 et CNRS ERL7226, Laboratoire de génomique, physiologie et physiopathologie rénales, Centre de recherche des Cordeliers, équipe 3, Escalier E-RDC, 15, rue de l’École de médecine, 75006 Paris, France
2Faculté de médecine Paris Descartes, Université Paris Descartes, Paris
3Département de physiologie, Groupe Necker Enfants Malades-HEGP, APHP, Paris, France
4UPMC Université Paris-6, Inserm UMRS 872 et CNRS ERL7226, Laboratoire de génomique, physiologie et physiopathologie rénales, Centre de recherche des Cordeliers, Paris, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Absorption, effets des médicaments et des substances chimiques, Amiloride, pharmacologie, Animaux, Transport biologique actif, Pression sanguine, physiologie, Conception de médicament, Humains, Hydrochlorothiazide, Hypertension artérielle, traitement médicamenteux, Tubules collecteurs rénaux, cytologie, métabolisme, Souris, Souris knockout, Natriurèse, Spécificité d'organe, Rats, Récepteurs des médicaments, antagonistes et inhibiteurs , déficit, génétique, Sodium, pharmacocinétique, Inhibiteurs du symport chlorure sodium, Symporteurs des ions sodium-bicarbonate, Membre-3 de la famille-12 des transporteurs de solutés, Symporteurs

Les transporteurs rénaux de sodium, déterminants majeurs de la pression artérielle

La quantité de chlorure de sodium (NaCl) contenue dans l’organisme est le principal facteur qui détermine le volume du fluide extracellulaire et, par conséquent, la pression artérielle. Ainsi, une rétention de sodium augmente la volémie, ce qui élève la pression artérielle, alors qu’une perte de sodium a pour conséquence les phénomènes inverses. La quantité de sodium est maintenue à un niveau très stable malgré des apports alimentaires pouvant varier considérablement au cours du temps et d’un individu à l’autre. Pour assurer cette stabilité, le rein filtre chaque jour une grande quantité de sodium au niveau du filtre glomérulaire (environ 25 moles, ce qui correspond à environ 1,5 kg de sel de table) dont 99,6 % seront réabsorbés par les cellules épithéliales bordant la lumière du néphron. La fraction minime restante (environ 0,4 %) correspond à la millimole près à la quantité apportée par l’alimentation. Ainsi, la quantité de sodium présente dans l’organisme reste constante grâce à cet équilibre entre les apports alimentaires et l’excrétion urinaire. Les mécanismes à l’origine de l’hypertension artérielle restent largement inconnus. Néanmoins, ils semblent apparaître avec l’âge et être largement favorisés par un régime riche en sel, avec une tendance du rein à ne plus être capable d’équilibrer parfaitement les entrées digestives et les sorties urinaires de sodium qui deviennent insuffisantes. Ceci provoque l’accumulation progressive de sodium dans l’organisme, une augmentation de la volémie et finalement une hypertension artérielle. Par ailleurs, les aberrations de la régulation du transport de NaCl, en particulier dans la partie terminale du néphron (tubule contourné distal, tube connecteur et canal collecteur), conduisent à une rétention excessive de sodium dans l’organisme qui est à l’origine des syndromes œdémateux. Par conséquent, les médecins ont depuis longtemps perçu l’intérêt thérapeutique majeur des composés pouvant augmenter l’excrétion rénale du sodium : les diurétiques.

La réabsorption rénale du sodium a lieu tout le long du néphron et est effectuée par des protéines spécialisées, les transporteurs de sodium, exprimées au pôle apical des cellules qui capturent le sodium de l’urine primitive pour le faire entrer dans les cellules, et la pompe à sodium basolatérale, la Na+/K+-ATPase, qui fait sortir le sodium de la cellule vers le sang au prix d’une consommation d’énergie. Les diurétiques, qui sont en fait des agents natriurétiques (qui augmentent l’élimination urinaire de sodium), agissent en inhibant les transporteurs, et l’identification précise de leurs cibles moléculaires respectives a été à l’origine de la connaissance de la physiologie moléculaire des transporteurs épithéliaux. Cette identification a été initialement basée sur des observations physiologiques chez l’animal. Le site d’action des différentes classes de diurétiques a été d’abord identifié grâce à des études de clairance du sodium, du chlore et du potassium, et grâce au développement de microtechniques, comme la microponction de segments du néphron in vivo ou la microperfusion in vitro de segments de néphron isolé. Par la suite, la confirmation des transporteurs impliqués est devenue possible grâce aux techniques de clonage et d’expression hétérologue et aux études génétiques ayant permis d’élucider l’origine des syndromes humains qui reproduisent les effets de l’administration des différentes classes de diurétiques. Ainsi, quatre transporteurs de sodium jouant un rôle majeur dans la régulation de la balance sodée on été distingués (pour revue voir [ 1]). Il s’agit de l’échangeur Na+/H+ NHE3 (Na+/H+ exchanger isoform 3) qui est la cible de l’acétazolamide et qui est présent dans le tube contourné proximal, le cotransporteur NKCC2 (Na+-K+-2Cl- cotransporter 2) inhibé par le furosémide et qui réabsorbe le sodium dans l’anse de Henlé, le cotransporteur NCC (Na+-Cl- cotransporter) inhibé par les diurétiques thiazidiques dans le tube contourné distal, et enfin le canal à sodium ENaC (epithelial Na+ channel) des cellules principales du canal collecteur, sensible à l’amiloride. Des mutations dans l’un ou l’autre de ces transporteurs sont impliquées dans des désordres génétiques rares modifiant la pression artérielle. En outre, il a été démontré récemment que des modifications partielles de l’activité de certaines de ces molécules influencent le niveau de pression artérielle au niveau de la population [ 2].

L’efficacité des diurétiques thiazidiques dans le traitement de l’hypertension reste mystérieuse

Parmi les différentes classes de diurétiques inscrites à la pharmacopée, la classe des diurétiques thiazidiques occupe une place tout à fait primordiale. L’hydrochlorothiazide est l’un des plus anciens agents diurétiques identifiés. Ce composé, initialement développé par modification chimique de l’acétazolamide, un autre diurétique [ 3], et ses dérivés, figurent en 2010 parmi les diurétiques les plus prescrits dans le monde. En effet, les thiazidiques font partie des agents recommandés en première intention dans le traitement de l’hypertension artérielle essentielle non compliquée. La grande majorité des études qui visent à traiter l’hypertension incluent systématiquement un diurétique thiazidique en première intention ou en association avec d’autres classes d’antihypertenseurs. L’importance de ces diurétiques est tout simplement due au fait qu’ils font partie des rares molécules à avoir démontré leur efficacité tant sur le contrôle des chiffres tensionnels que sur la diminution de la mortalité ou des morbidités associées à l’élévation de la pression artérielle [ 4, 5, 10]. Cette efficacité est cependant surprenante. En effet, la cible classique des diurétiques thiazidiques, le cotransporteur NCC, est exprimée dans un segment du néphron, le tube contourné distal, qui représente moins de 5 % de la masse épithéliale rénale et qui réabsorbe seulement 7 % de la quantité de sodium filtrée par le glomérule. Par comparaison, le cotransporteur NKCC2, qui est la cible d’un autre diurétique, le furosémide, est responsable de la réabsorption de 30 % de cette charge filtrée. En d’autres termes, bien qu’il ait une action diurétique quatre fois moins puissante que le furosémide, l’hydrochlorothiazide semble bien plus efficace. De plus, certains effets bénéfiques ou néfastes de l’hydrochlorothiazide sont difficilement expliqués. Par exemple, l’hydrochlorothiazide favorise la survenue d’un syndrome métabolique ou favorise la vasodilatation artérielle, alors que ni les artères, ni le pancréas, le muscle, le foie ou les adipocytes n’expriment NCC.

Un nouveau système de transport de sodium identifié dans le rein mais non restreint au rein

Afin d’expliquer ces mécanismes d’action de l’hydrochlorothiazide, nous avons tout d’abord voulu démontrer de façon indiscutable que tous les effets de ce composé ne sont pas liés à l’inhibition du cotransporteur NCC. Nous suspections l’existence d’un autre transporteur de sodium sensible aux thiazidiques dans les cellules épithéliales rénales car des études antérieures sur des canaux collecteurs de rat isolés et perfusés in vitro avaient démontré que ce diurétique est capable d’inhiber 50 % de l’absorption de sodium alors que ce segment de néphron n’exprime pas NCC. Nous avons donc dans un premier temps administré le diurétique à des souris KO (knock-out) pour l’expression de NCC [ 6]. En effet, en l’absence de la cible moléculaire de l’hydrochlorothiazide, la réponse à ce composé aurait dû être nulle chez ces souris. Pourtant, l’hydrochlorothiazide est capable de bloquer une fraction de l’absorption de sodium (Figure 1) et donc d’augmenter la natriurèse des souris, et ceci malgré l’absence du cotransporteur NCC, ce qui prouve la présence d’un autre transporteur de sodium sensible à ce composé.

Compte tenu de l’étude antérieure qui suggère que ce transporteur est localisé dans le canal collecteur, nous avons ensuite caractérisé le transport de sodium et de chlore dans des canaux collecteurs isolés manuellement par microdissection et perfusés in vitro. En couplant l’usage de différents diurétiques à l’utilisation de souris KO pour différents transporteurs de sodium nous avons démontré de façon directe que le canal collecteur exprime deux systèmes de transport de sodium [ 7] : (1) le canal à sodium épithélial ENaC qui représente le système « classique » et dont la caractéristique est de relayer un transport électrogénique de sodium, favorisant la sécrétion de potassium, insensible à l’hydrochlorothiazide et inhibé par l’amiloride ; (2) un transport de NaCl électroneutre, sensible à l’hydrochlorothiazide et insensible à l’amiloride et qui résulte du couplage fonctionnel de deux échangeurs d’anions : la pendrine et NDCBE (pour Na+-driven chloride bicarbonate exchanger) (Figure 2).

Par ailleurs, nous avons démontré que l’expression de NDCBE, contrairement à NCC, n’est pas restreinte au rein, ce qui pourrait expliquer certains des effets des diurétiques thiazidiques, en particulier au niveau des artères et du cerveau.

Les cellules intercalaires, de nouveaux participants à la régulation de la pression artérielle

Un nouvel aspect de notre travail est l’identification de la localisation de ce nouveau système de transport de NaCl dans les cellules intercalaires du canal collecteur. En effet, le canal collecteur représente le dernier segment de néphron avant l’excrétion de l’urine dans les voies urinaires. Cet épithélium a donc pour fonction l’ajustement ultime de la composition de l’urine et à ce titre joue un rôle majeur dans la régulation de l’homéostasie. Pour assumer cette fonction, le canal collecteur est équipé d’un épithélium hautement spécialisé et surtout, contrairement aux autres segments du néphron, il est de composition cellulaire hétérogène. Se distinguent ainsi les cellules principales et les cellules intercalaires, elles-mêmes subdivisées en deux types A et B, sur la base de la polarisation de la H+-ATPase vacuolaire. Classiquement, chacun de ces types cellulaires différents a une fonction extrêmement définie. Ainsi, les cellules principales qui sont équipées d’aquaporines (canaux à eau), du canal épithélial à sodium ENaC et du canal potassique ROMK (rectifying outer medullary potassium channel) sont considérées comme dédiées à la réabsorption de sodium et d’eau et à l’élimination du potassium. Les cellules intercalaires de type A expriment la pompe à protons vers le pôle urinaire (apical) et l’échangeur Cl-/HCO3 - AE1 (anion exchanger, aussi connu sous le nom de bande 3) au pôle basolatéral et sont donc équipées pour excréter de l’acide et absorber du bicarbonate. Les cellules intercalaires de type B, qui expriment la pompe à protons au pôle basolatéral et l’échangeur Cl-/HCO3 - pendrine au pôle urinaire, servent à excréter des bases et à absorber de l’acide.

Nous démontrons dans notre étude que le même échangeur apical pendrine des cellules intercalaires de type B peut également fonctionner couplé à NDCBE pour réaliser non plus un échange Cl-/HCO3 -, mais bien une absorption nette de NaCl.

Nos données impliquent donc qu’il existe en fait une intrication plus poussée des différentes fonctions homéostatiques de l’épithélium du canal collecteur et suggèrent que le schéma classique dans lequel les cellules principales régulent la volémie et la pression artérielle, alors que les cellules intercalaires servent exclusivement à réguler l’état acidebase, doit être remis à jour.

La physiologie, une discipline toujours d’actualité pour développer des stratégies thérapeutiques ciblées

Au-delà de l’identification d’un nouveau transporteur de sodium et d’une nouvelle cible des diurétiques thiazidiques dans le rein, l’observation que nous rapportons illustre parfaitement une des nouvelles tendances en physiologie. En effet, l’identification de NDCBE comme nouvelle cible des diurétiques thiazidiques a été la conséquence directe de l’utilisation des modèles de souris dont les gènes codant les différents transporteurs rénaux ont été spécifiquement inactivés. L’implication de ces transporteurs dans le transport transépithélial de sodium a été éliminée ou confirmée de façon bien plus directe et définitive qu’en utilisant des agents pharmacologiques. Les modèles de souris KO pour les différents transporteurs avaient déjà été générés et étudiés en détail par d’autres laboratoires. L’identification de la nouvelle cible de l’hydrochlorothiazide n’a été rendue possible que grâce à l’utilisation de techniques physiologiques anciennes que nous avons maintenues au laboratoire et adaptées à la souris, ce qui nous a permis d’étudier directement la fonction de transport transépithélial sur des tubules isolés du tissu frais. Cette technique de microperfusion de tubules isolés, qui a été développée dans les années 1960 [ 8], est progressivement tombée en désuétude comme la plupart des techniques physiologiques, et a quasiment disparu des laboratoires du monde entier depuis 1980. Nos résultats démontrent que ces méthodes restent particulièrement utiles et plaident pour une intégration de ces approches « anciennes » hautement spécialisées dans l’étude de la fonction de la molécule dans l’organisme ainsi que dans l’étude d’agents pharmacologiques potentiels.

Conflit d’intérêts

Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts concernant les données publiées dans cet article.

 
Acknowledgments

Ce travail est financé par l’Inserm, il bénéficie du financement ANR Physio 2007-RV07084 attribué à D. Eladari et est financé également par le réseau transatlantique pour la recherche sur l’hypertension (TNH) de la fondation Leducq.

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