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Med Sci (Paris). 2010 October; 26(10): 881–882.
Published online 2010 October 15. doi: 10.1051/medsci/20102610881.

Avant-Propos
Comment l’évolution technique change notre représentation du vivant, de l’homme à la cellule

Valérie Lallemand-Breitenbach1*

1Médecine/Sciences, Unité mixte de recherche Université Paris 7 - Inserm U944 - CNRS UMR 7212, Paris, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Attitude, Disciplines des sciences biologiques, tendances, Phénomènes physiologiques cellulaires, Culture (sociologie), Humains, Vie, Symbiose

 

Amusons-nous à compter le nombre de fois où le verbe « observer » est utilisé dans nos articles scientifiques. Que ce soit en biologie cellulaire, en recherche clinique ou encore en bio-statistique, il abonde dans nos revues scientifiques. Mais qu’observe-t-on réellement ? Que « voit-on » dans nos expériences ? Ce n’est bien sûr pas le simple constat d’une vérité nue, mais il s’agit plutôt de représentations : représentations liées à l’outil technique (microscope, imagerie à résonance magnétique, coupes histologiques, etc.) mais aussi à nos outils conceptuels. Si nous nous gardons bien de confondre interprétation et réalité, notre travail de recherche luimême nous conduit à proposer de nouveaux modèles ou concepts créant inévitablement des images qui vont à leur tour orienter nos recherches.

Médecine/Sciences débute aujourd’hui la publication d’une série d’articles illustrant cette co-évolution des techniques et des représentations en sciences du vivant. Nous y traiterons d’histoire des sciences, de sociologie, de biotechnologie ou encore de médecine. Guillaume Pigeard de Gurbert inaugure la série dans ce numéro de Médecine/Sciences (➜). Son regard de philosophe nous invite à examiner le rôle Guillaume voir l’article de série dans ce numéro de Médecine/ Guillaume Pigeard déterminant du milieu extrascientifique sur le parcours qui sépare l’observation de la théorie pour tempérer « le fantasme [...] de la pureté et du finalisme » en biologie. Cette introduction philosophique sera suivie d’articles traitant d’imagerie médicale. En se plaçant dans un contexte historique, nous verrons comment l’imagerie conduit à une « nouvelle fabrique du corps humain », ou encore comment la modélisation du vivant crée « un patient numérique personnalisé, pour le diagnostic et la thérapie guidés par l’image ». Au fil des numéros, bien d’autres aspects encore des représentations en sciences biomédicales seront présentés, de l’homme à la cellule : la place particulière qu’occupe le cerveau, la notion même de corps - qui est loin d’être universelle -, le rôle du temps comme bâtisseur de formes, ou encore comment de nouvelles technologies peuvent nous conduire à l’intérieur d’une cellule vivante pour y « voir » des réactions biochimiques entre deux molécules individuelles.

(➜) Voir l’article de Guillaume Pigeard de Gurbert, page 883 de ce numéro

Toutes ces évolutions changent notre regard sur le vivant, d’abord pour nous-mêmes scientifiques, mais également pour la société entière, à une époque où précisément l’image est partout. Que dire alors de notre engouement pour les cellules souches invisibles ou presque, qu’il fait écho à l’individualisme de notre société, comme me le suggérait un collègue chercheur ? Ainsi, il existe un dialogue permanent entre les représentations que la science crée et celles de notre environnement qui orientent l’analyse scientifique. Aujourd’hui, tout est mouvement, dynamique, et l’on (re)découvre l’instabilité et le bruit comme clés de nos équilibres biologiques. Une réflexion sur le rôle de l’image dans la relation science-société conclura donc cette série. Rappelonsnous aussi la place de l’art qui sait si bien détourner la science pour « dire » l’homme. Il est vrai que le bioart ou l’art biotechnologique, qu’illustre la célèbre lapine Alba d’Eduardo Kac1,, intègre la manipulation du vivant en utilisant ses gènes et ses cellules comme matière première. Certaines œuvres peuvent parfois paraître contestables, en tout cas dérangeantes, comme les poupées semi-vivantes d’Oron Catts et de Ionat Zurr, recouvertes de peau humaine cultivée in vitro. Ces artistes mènent pourtant une recherche innovante à la frontière de l’art et des sciences, qu’ils concrétisent par des projets comme « SymbioticA »2. Ce laboratoire australien est une initiative menée conjointement par l’Université et le ministère de la Culture, qui accueille des étudiants développant des projets interdisciplinaires questionnant le vivant, ses représentations, ses limites. Bioart contribue donc à témoigner des changements de représentations auxquelles mènent nos recherches. Alors que penser du monde de transparence que nous propose Nick Veasy lorsqu’il passe aux rayons X un autobus avec ses usagers, est-ce un rêve ou un cauchemar ?

Conflit d’intérêts

L’auteur déclare n’avoir aucun conflit d’intérêts concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 Un animal transgénique pour la green fluorescent protein conçu par l’Institut national de la recherche agronomique (Inra), http://www.ekac.org/index.html