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Med Sci (Paris). 2010 November; 26(11): 960–968.
Published online 2010 November 15. doi: 10.1051/medsci/20102611960.

Multirésistance chez Pseudomonas aeruginosa
Vers l’impasse thérapeutique ?

François Barbier and Michel Wolff

Service de réanimation médicale et des maladies infectieuses, Hôpital Bichat-Claude Bernard, Assistance publique-Hôpitaux de Paris, 46, rue Henri Huchard, 75018 Paris, France
EA3964, faculté de médecine Xavier-Bichat, Université Diderot-Paris 7, Paris, France
 

Pseudomonas aeruginosa occupe une position centrale dans la problématique actuelle des infections nosocomiales (IN). Ce bacille à Gram négatif ubiquitaire est responsable de 10 % à 15 % de l’ensemble des infections nosocomiales, une fréquence supérieure étant rapportée chez certaines catégories de patients à haut risque : pathologies broncho-pulmonaires chroniques (notamment la mucoviscidose), immunodépression (neutropénie, syndrome d’immunodéficience acquise), grands brûlés, patients hospitalisés en réanimation [ 14]. P. aeruginosa est notamment en cause dans 20 à 30 % des pneumonies acquises sous ventilation mécanique (PAVM). Il est, avec Staphylococcus aureus, le pathogène le plus fréquemment isolé dans cette pathologie [1, 3]. Si la sévérité des infections nosocomiales à P. aeruginosa est conditionnée par la virulence propre à l’espèce et par les comorbidités des patients concernés, elle dépend également de la capacité du pathogène à accumuler les mécanismes de résistance aux antibiotiques et des difficultés thérapeutiques qui en résultent. Ces résistances acquises s’ajoutent aux nombreuses résistances naturelles de l’espèce et peuvent concerner l’ensemble des classes actives sur les souches sauvages (Tableau I).

La prévalence globale des souches multirésistantes de P. aeruginosa (PAMR) reste actuellement peu élevée, notamment en France, avec d’importantes variations épidémiologiques locales. Elle a cependant augmenté de façon significative au cours des deux dernières décennies, en particulier dans les services de réanimation [47]. La colistine constitue fréquemment la dernière option thérapeutique disponible pour les isolats résistants à toutes les autres molécules. L’objectif de cette revue est de synthétiser les données disponibles sur les mécanismes moléculaires, l’épidémiologie, et les conséquences cliniques et thérapeutiques de la multirésistance chez P. aeruginosa.

Multirésistance chez P. aeruginosa : définition et mécanismes

En l’absence d’une définition standardisée, la multirésistance chez P. aeruginosa est habituellement décrite comme la résistance ou la diminution de la sensibilité à au moins trois classes d’antibiotiques actifs sur les souches sauvages : (1) β-lactamines hors carbapénèmes (pénicillines, céphalosporines et monobactames) ; (2) carbapénèmes ; (3) fluoroquinolones et (4) aminosides [710]. Les principaux mécanismes de résistance acquise sont résumés dans le Tableau II.

Résistance aux β-lactamines
Céphalosporinase codée par le gène chromosomique ampC P. aeruginosa exprime naturellement une céphalosporinase inductible codée par le gène chromosomique ampC, proche de celui qui est retrouvé chez les Enterobacteriaceae du groupe III. Chez les souches sauvages, ampC est réprimé de façon complexe par les produits des gènes qui lui sont associés, ampR et ampD, et n’est que faiblement exprimé [ 11]. Son expression peut être fortement induite par certaines P-lactamines, notamment l’imipénème, l’acide clavulanique (à la différence du tazobactam) et les céphamycines. Cette hyperexpression induite et réversible confère une résistance à l’ensemble des pénicillines et des céphalosporines anti-Pseudomonas, et à l’aztréonam. Dans ce cas, seuls les carbapénèmes restent des antibiotiques actifs. Les souches de PAMR surexpriment le plus souvent ampC de façon constitutive et irréversible, conséquence d’une dérépression par mutations de ampC ou de ses gènes régulateurs (principalement ampD). Le profil de résistance conféré est le même que celui qui est observé en cas de surexpression induite : ces mutants déréprimés sont résistants à l’ensemble des β-lactamines à l’exception des carbapénèmes. La fréquence de sélection d’un mutant hyperproducteur d’ampC sous traitement par β-lactamines varie selon les séries entre 15 % et 50 %. Le risque d’échec thérapeutique lié à l’émergence de cette résistance n’est donc pas négligeable et n’est pas complètement contrôlé par l’association avec une autre classe d’antibiotiques (les aminosides notamment) [11].
β-lactamases acquises P. aeruginosa est probablement l’espèce bactérienne pathogène présentant la diversité la plus large en termes de β-lactamases acquises [ 12]. Ces enzymes sont quasi exclusivement codées par des plasmides. Les β-lactamases de classe A d’Ambler (sérine-β-lactamases, sensibles aux inhibiteurs) les plus fréquentes chez P. aeruginosa sont celles du groupe PSE (CARB). Il s’agit le plus souvent de pénicillinases à spectre étroit n’hydrolysant que les carboxy- et les uréido-pénicillines, l’activité des inhibiteurs (clavulanate, tazobactam), des céphalosporines, de l’aztréonam et des carbapénèmes étant conservée. De nombreuses β-lactamases à spectre élargi (BLSE) de classe A ont cependant été décrites dans cette espèce. Celles appartenant au groupe PER sont particulièrement répandues, y compris chez les souches multirésistantes épidémiques. Les groupes GES, VEB et IBC sont décrits de façon plus occasionnelle. Les BLSE de types TEM, SHV et CTX-M, endémiques chez les Enterobacteriaceae, sont très rares [ 45] (→). Sauf dans des cas exceptionnels (pour GES-2 et imipénème par exemple), ces BLSE de classe A n’hydrolysent pas les carbapénèmes, seule classe d’antibiotique restant active. Cependant, des souches productrices de carbapénémases diffusent actuellement de façon alarmante dans toutes les régions du monde. Si bla KPC, codant pour une carbapénémase de classe A, a été récemment décrit chez des souches de PAMR, ces carbapénémases appartiennent le plus souvent à la classe B. À l’exception de l’aztréonam, l’ensemble des β-lactamines, y compris les carbapénèmes, sont hydrolysées par ces métallo-β-lactamases, dont VIM et IMP sont les types les plus disséminés. Enfin, des gènes codant pour des β-lactamases de la classe D d’Ambler (bla OXA) ont également été décrits chez les PAMR, ces oxacillinases pouvant avoir un spectre d’hydrolyse de type BLSE. (→) Voir l’article de Patrice Nordmann, page 950 de ce numéro
Imperméabilité aux carbapénèmes Le principal mécanisme de résistance aux carbapénèmes chez P. aeruginosa reste l’imperméabilité par mutation inactivatrice d’oprD, gène codant la protéine D2 [11]. La perte de cette porine de la membrane externe confère une résistance de haut niveau à l’imipénème et une diminution variable de la sensibilité au méropénème et au doripénème, mais n’affecte pas l’activité des autres β-lactamines. Le risque de sélection d’un mutant résistant par perte de D2 au cours du traitement d’une infection à P. aeruginosa par imipénème est de l’ordre de 20 à 30 % et ne semble pas significativement réduit par l’association avec un aminoside [ 13, 14].
Systèmes d’efflux actif L’hyperexpression acquise des systèmes naturels d’efflux transmembranaire est un mécanisme majeur de multirésistance chez P. aeruginosa [11]. Ces systèmes, multiples, déterminent certaines résistances naturelles de l’espèce. Les mutations activatrices portant sur l’opéron MexAB-oprM (expression constitutive faible) sont les plus fréquemment impliquées dans l’émergence de résistances aux β-lactamines. Ce système associe une pompe (MexB), une lipoprotéine de liaison à la membrane (MexA), et la porine (oprM) par laquelle l’antibiotique est expulsé de la cellule. L’hyperexpression de MexAB-oprM confère une diminution de la sensibilité, voire une résistance, à la ticarcilline, à l’aztréonam et au méropénème, l’imipénème n’étant pas un substrat de la pompe MexB. L’hyperexpression du système MexCD-oprJ, plus rare, peut réduire la sensibilité au céfépime.
Résistance à la ciprofloxacins
La ciprofloxacine est la fluoroquinolone la plus active sur P. aeruginosa, les concentrations minimales inhibitrices (CMI) modales étant de l’ordre de 0,125 à 0,25 mg/l, donc inférieures à celles de la lévofloxacine et très inférieures à celles de l’ofloxacine (1-2 mg/l) [ 15]. Les gènes plasmidiques (Qnr et AAC(6’)Ib-cr) de résistance aux fluoroquinolones décrits chez les Enterobacteriaceae n’ont, à ce jour, pas été décrits chez P. aeruginosa. La résistance à la ciprofloxacine dans cette espèce est exclusivement chromosomique [11]. Elle émerge par mutations des gènes des topoisomérases II (gyrA) et IV (parC) et/ou de ceux régulant l’expression des systèmes d’efflux. Les mutations de gyrA semblent pouvoir induire seules une résistance de haut niveau. Les systèmes d’efflux actif sont responsables d’une résistance de bas niveau, sauf lorsque leur hyperexpression est associée à des mutations de gyrA et/ou de parC.
Résistance aux aminosides
La résistance aux aminosides est liée le plus souvent à l’acquisition d’enzymes inactivatrices (notamment AAC(6’)-I et APH(3’)-II) et/ou d’un efflux actif (MexXYoprM) [12]. L’acquisition de plusieurs enzymes peut conférer une résistance croisée à l’ensemble des aminosides. Plus rares sont les résistances de haut niveau dues à l’acquisition de méthylases (ribosomal methyl transferase ou Rmt) de l’ARNr 16S, cible de cette classe d’antibiotiques.
Multirésistance
Les souches de PAMR cumulent constamment plusieurs mécanismes de résistance par mutations et acquisitions de gènes. L’analyse moléculaire de souches responsables d’épidémies dans des services de réanimation a par exemple montré l’association d’une dérépression d’ampC avec la perte de la porine D2 et l’hyperexpression de MexXY-oprM, ou avec l’acquisition d’une carbapénèmase (bla VIM, bla IMP) et d’enzymes inactivant les aminosides [ 1618].
Épidémiologie de la multirésistance chez P. aeruginosa

L’épidémiologie de la résistance chez les souches européennes et nord-américaines de P. aeruginosa fait l’objet de publications régulières [ 5, 7, 1921]. Le Tableau III résume les données multicentriques récentes.

Dans le rapport de l’European antimicrobial resistance surveillance system (EARSS) pour l’année 2008, les souches multirésistantes représentaient 17 % des 8 252 isolats décrits, toutes infections et origines (pays, services) confondues [21]. Le profil de résistance le plus fréquent (6 % de l’ensemble) était la panrésistance (pipéracilline ± tazobactam, céphalosporines à large spectre, carbapénèmes, aminosides, fluoroquinolones), la colistine n’était pas testée. La prévalence des souches multirésistantes atteignait 30 à 40 % dans certains pays d’Europe de l’Est et en Grèce. En France, elle semble rester stable au cours de la période 2005-2008 (n = 1 110 isolats), de l’ordre de 12 % à 14 %. L’incidence des PAMR dans les services de réanimation est en hausse constante au cours des deux dernières décennies. Dans une étude multicentrique nord-américaine (n = 13 999 isolats), elle a augmenté de 4 % en 1993 à 14 % en 2002 [7]. Cette tendance a été confirmée par d’autres séries [ 6, 22]. Des épidémies locales causées par des souches multi- voire panrésistantes sont par ailleurs rapportées de façon croissante [1618].

Une colonisation bronchique chronique à P. aeruginosa est retrouvée chez environ 40 % des patients atteints de mucoviscidose. La colonisation se fait initialement par des souches environnementales, lesquelles vont ensuite s’adapter à l’hôte en développant des caractères phénotypiques relativement spécifiques à cette population de patients et responsables de la pérennisation de la colonisation : capacité de production du biofilm (rôle de la protéine régulatrice PvrR) et d’alginate (souches « muqueuses ») accrue, diminution de l’expression de la flagelline et de la pilline [ 23]. Ce pathogène est le plus fréquemment responsable de surinfections bronchopulmonaires sur ce terrain. L’incidence des résistances, notamment aux aminosides, est en augmentation dans cette population, et la prévalence des souches multirésistantes est actuellement comprise entre 10 % et 20 % [ 24, 25].

Infections à P. aeruginosa multirésistant : facteurs de risque

Les infections à P. aeruginosa chez les patients à risque impliquent le plus souvent une étape préalable de colonisation. Si celle-ci est rare (< 10 %) et transitoire dans les flores digestive et oropharyngée normales, sa fréquence peut être supérieure à 50 %, tous profils de résistance confondus, chez les patients hospitalisés, notamment en cas de dispositifs invasifs, d’immunodépression et de prise d’antibiotiques. L’acquisition peut se faire par transmission manuportée ou à partir d’un réservoir environnemental, notamment hydrique [ 26, 27]. D’autres catégories de patients sont à risque de colonisation bronchique par P. aeruginosa : bronchopathies chroniques obstructives (BPCO) et syndrome d’immunodéficience acquise (Sida) évolué.

La colonisation à PAMR peut résulter de la sélection de mutants résistants lors d’un traitement antibiotique à partir d’une souche sauvage ou peu résistante préalablement acquise, ou d’une acquisition directe par transmission croisée (35 % à 65 % des cas, hors période épidémique) [13, 2629]. La pression de sélection induite par une antibiothérapie préalable est un facteur de risque majeur mais son impact dépend de son type et de sa durée. Dans une étude cas-témoins conduite en réanimation (n = 34 cas, appariement 1:1 sur la durée de séjour et la gravité initiale), la durée d’exposition à une ou plusieurs molécules anti-Pseudomonas était plus longue chez les patients ayant acquis une souche de PAMR après leur admission que chez les sujets contrôles (médianes : 13 versus 2 jours, p = 0,001) [ 30]. Dans cette étude, seules les durées de traitement par fluoroquinolones et imipénème étaient associées à l’acquisition de PAMR en analyse multivariée, les durées de traitement par carboxy- et uréido-pénicillines n’ayant pas d’effet indépendant. L’impact d’un traitement antérieur par aminosides ou céphalosporines à large spectre a également été démontré [ 8]. L’acquisition de PAMR peut survenir chez des patients n’ayant préalablement reçu qu’une seule ligne d’antibiothérapie : l’exposition à une classe d’antibiotiques peut favoriser l’acquisition d’une souche résistante à toutes les autres (sélection de corésistances). Les autres facteurs de risque de colonisation/infection à PAMR sont l’hospitalisation en réanimation et la durée de séjour, et le recours aux procédures invasives (intubation trachéale et sondage urinaire notamment) et leurs durées [8, 31]. La persistance d’un réservoir environnemental peut être également en cause dans la pérennisation d’une épidémie locale.

Multirésistance chez P. aeruginosa : impact pronostique

Les études ayant évalué l’impact pronostique de la multirésistance chez P. aeruginosa sont peu nombreuses et difficilement comparables. La plupart d’entre elles ont cependant montré en analyse multivariée une surmortalité hospitalière chez les patients colonisés et/ou infectés par des PAMR par comparaison avec ceux qui étaient porteurs de souches sauvages ou peu résistantes (odds ratio : 1,3-26) [10]. Une augmentation significative de la durée d’hospitalisation, de la durée de ventilation mécanique pour les malades de réanimation, et du coût du séjour a également été rapportée chez ces patients [10]. Ce mauvais pronostic indépendamment associé à la multirésistance peut en partie s’expliquer par le retard de l’administration d’une antibiothérapie adéquate, notamment dans les infections sévères. Une surmortalité de 20 % à 40 % a par exemple été rapportée au cours des PAVM (pneumopathies acquises sous ventilation mécanique) en cas d’antibiothérapie initiale inactive [ 32]. Dans les PAVM tardives (survenant après ≥ 5 jours de ventilation assistée), le traitement probabiliste actuellement recommandé associe une β-lactamine à large spectre active sur Pseudomonas (céphalosporine, carbapénème ou tazocilline) et un aminoside ou une fluoroquinolone (ciprofloxacine) [ 33]. Ces combinaisons ne couvrant pas les PAMR, l’utilisation probabiliste de la colistine devient donc justifiée lorsqu’une souche multirésistante est possiblement en cause (colonisation connue, épidémie locale) [ 34].

Options thérapeutiques
Colistine (polymyxine E)
La colistine représente actuellement la principale option pour le traitement des infections à P. aeruginosa multiet panrésistants [ 35]. Ce polypeptide cyclique bactéricide reste en effet actif sur la quasi-totalité de ces souches. La polymyxine B, seule autre polymyxine utilisable en pratique, n’est pas disponible en France. Les principales caractéristiques pharmacologiques de la colistine sont résumées dans le Tableau IV.

À la différence des données cliniques publiées chez les patients atteints de mucoviscidose, celles qui concernent l’utilisation des polymyxines en réanimation sont rares (Tableau V) [16, 17, 36, 37]. L’efficacité des polymyxines en monothérapie au cours des PAVM à PAMR semble acceptable, la mortalité rapportée (entre 25 et 35 %) étant similaire à celle des pneumonies à souches non multirésistantes et traitées par des antibiotiques anti-Pseudomonas classiques. De nombreuses inconnues persistent cependant quant a la pharmacodynamie de la colistine. L’intérêt potentiel d’une administration par aérosols (si possible par nébuliseurs ultrasoniques) en complément de la voie intraveineuse est controversé [ 38, 39]. La durée optimale de traitement de ces PAVM à PAMR reste à définir. En l’absence de recommandations spécifiques, elle doit être identique à celle d’une PAVM à P. aeruginosa sensible (14 jours) [33]. Un traitement plus prolongé pourrait être associé à une clairance bactériologique plus fréquente, mais n’a pas démontré de bénéfice en termes d’efficacité clinique [36]. La toxicité tubulaire de la colistine est sa principale complication potentielle, en particulier chez les patients en réanimation cumulant fréquemment les facteurs d’agression rénale (sepsis, choc, autres médicaments néphrotoxiques, produits de contraste). Facteur indépendant de surmortalité lorsqu’elle est responsable d’une insuffisance rénale aiguë grave, cette néphrotoxicité concerne 8 à 19 % des patients traités [37, 39]. Elle est cependant réversible et n’impose pas systématiquement l’arrêt du traitement dès lors que la posologie est adaptée à la fonction rénale. Les dosages plasmatiques de colistine (méthodes microbiologiques ou high performance liquid chromatography, HPLC) peuvent être utiles dans ce contexte : ils ne sont cependant pas disponibles en routine dans tous les centres.

Autres antibiothérapies possibles
Plusieurs associations d’antibiotiques inactifs lorsqu’ils sont utilisés seuls ont montré un effet synergique in vitro sur des souches cliniques de PAMR, notamment : ticarcilline/tobramycine/ rifampicine, céphalosporine (céftazidime ou céfépime)/fluoroquinolones et macrolides (clarithromycine ou azithromycine)/tobramycine [ 40]. La rifampicine semble également potentialiser l’action de certaines molécules anti-Pseudomonas. Ces combinaisons synergiques, dont les mécanismes sont mal élucidés, n’ont pas démontré leur efficacité in vivo et ne peuvent donc pas être recommandées actuellement.

L’association céfépime/amikacine a été utilisée avec un taux de succès clinique de 66 % lors d’une épidémie liée à un clone de PAMR dans un hôpital français (Tableau V) [16]. L’association d’une polymyxine avec certaines β-lactamines pourrait également être intéressante, en particulier avec les carbapénèmes, les altérations membranaires induites par la polymyxine pouvant réverser partiellement les résistances par imperméabilité [37]. Compte tenu de l’épidémiologie actuelle des infections à PAMR, ces observations monocentriques mériteraient d’être vérifiées dans le cadre d’essais prospectifs. La fosfomycine par voie parentérale pourrait constituer une autre option thérapeutique [ 41]. Cette molécule est active in vitro sur environ 30 % des isolats de PAMR. Son utilisation a été essentiellement rapportée chez des patients atteints de mucoviscidose, le plus souvent en association (risque majeur d’émergence de résistance en monothérapie). Son efficacité dans ce contexte semble acceptable et justifie, là encore, d’une évaluation prospective.

Perspectives immunologiques
Les macrolides ont été proposés pour leur effet sur le quorum sensing, système de communication intercellulaire dépendant des acylhomosérines lactones et modulant l’expression de certains gènes impliqués dans la physiopathologie des pneumonies à pyocyanique en fonction de la densité bactérienne [23, 42]. Un essai contrôlé au cours des PAVM à bacilles à Gram négatif n’a cependant pas montré d’effet favorable [ 43].

Des données expérimentales suggèrent l’efficacité d’anticorps monoclonaux anti-PcrV, facteur-clé de la virulence chez P. aeruginosa (appareil de sécrétion de type III) [ 44]. L’utilisation de ces anticorps ainsi que d’autres approches immunologiques font actuellement l’objet d’essais cliniques.

Conclusion

Les infections à PAMR sont devenues une réalité quotidienne dans de nombreux services de réanimation. Cette situation alarmante justifie plus que jamais le contrôle de la consommation d’antibiotiques et l’application stricte des mesures d’hygiène et d’isolement des patients colonisés ou infectés. Le développement de nouveaux traitements antibiotiques ou immunologiques actifs sur P. aeruginosa est urgent, ceci d’autant plus que l’émergence de la résistance à la colistine a été rapportée dans cette espèce, faisant craindre la diffusion de souches panrésistantes dans un avenir proche.

Conflit d’intérêts

Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts concernant les données publiées dans cet article.

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