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Med Sci (Paris). 2010 November; 26(11): 999–1001.
Published online 2010 November 15. doi: 10.1051/medsci/20102611999.

Chroniques génomiques
Séquence personnelle et tests génétiques : le pavé dans la mare

Bertrand Jordan1*

1Marseille-Nice Génopole, case 901, Parc scientifique de Luminy, 13288 Marseille Cedex 9, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Ordinateurs, Épigenèse génétique, génétique, Épigénomique, tendances, Esthétique, Dépistage génétique, Humains, Pouvoir (psychologie)

 

L’entreprise nord-américaine Myriad Genetics est une vieille habituée de ces chroniques (et de Médecine/ Sciences)… et elle fait souvent l’objet de commentaires peu flatteurs [ 1]. Rappelons que Myriad est actuellement sous le coup d’un arrêt du tribunal fédéral des États-Unis annulant sept de ses principaux brevets. Cette décision met en cause son droit d’exclusivité sur le diagnostic des mutations BRCA1 et BRCA2, qu’elle prétend être seule à pouvoir pratiquer en raison de sa « propriété » sur ces gènes et leurs mutations - et qui représente 90 % de son chiffre d’affaires. Le test qu’elle commercialise, à un tarif de plus de 3 000 dollars, consiste en un séquençage de plusieurs régions de ces gènes pour détecter la présence éventuelle d’un certain nombre de mutations qui peuvent augmenter très fortement le risque de cancer du sein chez la personne concernée (Figure 1). Bien entendu, l’entreprise a fait appel, et l’affaire n’est pas terminée. Mais en tout état de cause, compte tenu du tsunami technologique qui révolutionne actuellement le secteur du séquençage d’ADN [ 2, 3], on peut s’attendre à de sérieux changements pour ce type de diagnostic.

Au coup par coup, ou une bonne fois pour toutes ?

Il existe actuellement plus de mille quatre cent tests ADN commercialisés aux États-Unis, la plupart en version home brew 1, c’est-à-dire que l’analyse est réalisée dans le laboratoire (dûment agréé) de l’entreprise à partir des prélèvements qui lui sont envoyés. Il s’agit souvent de rechercher quelques mutations dans un gène donné, comme pour la mucoviscidose où l’on examine les vingt-trois mutations les plus fréquentes dans le gène CFTR. Avec la multiplication de ces analyses et la baisse simultanée du coût du séquençage intégral d’un génome humain - le tarif tourne aujourd’hui autour de dix mille dollars -, on peut se demander s’il ne serait pas plus rationnel de déterminer une bonne fois pour toutes la séquence de l’ADN du patient. On pourrait ensuite l’analyser à loisir pour y examiner tel ou tel gène - au fur et a mesure que les connaissances progressent ou qu’un problème de santé suggère la pertinence d’une telle investigation. La séquence personnelle (enregistrée, pourquoi pas, sur la puce d’une super carte Vitale…) deviendrait ainsi une « ressource » permanente et interrogeable a volonté. Certaines entreprises commencent déjà à proposer des tests globaux qui examinent (via la séquence) la présence à l’état hétérozygote de mutations pour une centaine de maladies2. Le schéma est séduisant… mais quid des brevets ? On estime qu’aujourd’hui plus de quatre mille gènes sont couverts par des brevets, leur inclusion dans un test de diagnostic suppose alors qu’une licence ait été obtenue pour chacun d’eux auprès de leur propriétaire - ce qui pose à l’évidence des problèmes administratifs, logistiques et financiers quasiment insurmontables en cas d’analyse globale. Et bien entendu la diffusion d’un tel test suppose que l’opération soit aisée et abordable - les projets en cours se fixent un tarif de l’ordre de 500 dollars pour vérifier l’état de cent à quatre cents gènes.

Une proposition iconoclaste

C’est dans ce contexte que deux chercheurs académiques viennent de publier un court article intitulé Do-it-yourself genetic testing [ 4]. Le titre fait penser aux firmes comme 23andMe ou Navigenics, qui proposent un profil génétique personnel établi grâce à la détermination de 500 000 Snip [ 5] dans votre ADN - mais il s’agit de tout autre chose. Steven Salzberg (directeur du Center for bioinformatics and computational biology à l’Université du Maryland) et Mihaela Pertea (professeur dans la même structure) ont mis au point un outil informatique fondé sur leur logiciel Bowtie (nœud papillon) [ 6] et librement disponible3, (Figure 2), outil qui permet à tout un chacun d’analyser sa propre séquence d’ADN pour savoir si ses gènes BRCA1 et BRCA2 portent des mutations délétères. Ils attaquent ainsi de manière frontale le monopole revendiqué par Myriad Genetics et ne s’en cachent nullement : leur abstract indique « Nous avons mis au point un criblage informatique qui teste le génome d’un individu pour les mutations dans les gènes BRCA, en dépit du fait que ceux-ci sont protégés par des brevets »4.

Voyons de plus près leur proposition. Elle suppose naturellement que l’individu en question dispose de sa propre séquence d’ADN - mais, nuance très importante, il n’est pas nécessaire que celle-ci ait été analysée et assemblée comme on le fait généralement pour en tirer des conclusions5 : le logiciel travaille directement sur les données brutes issues d’un séquenceur nouvelle génération, soit quelques milliards de courtes séquences d’une trentaine de bases. Un tel ensemble peut effectivement être produit en quelques jours par une machine Illumina ou SOLiD ; et le programme exploite ces données en quelques heures sur un ordinateur de bureau. Étudier son propre génome devient ainsi à la portée de tout un chacun. L’exemple présenté porte, comme annoncé, sur les gènes BRCA : la méthode de Salzberg et Pertea ne permet pas encore à l’utilisateur moyen d’analyser n’importe quel gène. Il faut en effet définir au préalable quelles mutations doivent être repérées (les auteurs l’ont fait dans le cas présent en utilisant les données de la base de données publique OMIM), et créer pour la région du génome a étudier une représentation appelée Bowtie index, sorte de digest de sa séquence qui autorise ensuite une analyse ultrarapide. Ce travail préliminaire doit donc être effectué pour chaque nouveau locus que l’on souhaite analyser - mais une fois fait il peut être utilisé par toute personne intéressée.

Une généralisation probable…

Il ne faut pas une imagination débordante pour penser que dans un avenir proche des entreprises proposeront d’analyser pour quelques dizaines de dollars votre séquence personnelle et vous indiqueront en retour les mutations éventuelles présentes dans des centaines ou même des milliers de gènes - ou même que tout un chacun (après avoir obtenu sa séquence d’ADN) pourra effectuer ce type d’étude sur son propre ordinateur grâce à des logiciels libres ou disponibles à prix modique. Cela pose à l’évidence un problème redoutable aux entreprises qui ont investi (directement ou indirectement, par le biais de licences obtenues auprès de groupes académiques) dans la découverte de gènes liés à des pathologies héréditaires et qui ont construit un business sur la vente de tests génétiques en se protégeant de la concurrence grâce aux brevets sur ces gènes. Myriad Genetics peut être considéré comme un cas limite dans lequel la firme a largement abusé de ce mécanisme en tentant de verrouiller tout un domaine afin de préserver sa marge brute, qui est de l’ordre de 90 %, mais il reste qu’une entreprise qui a investi dans le développement et la validation (très coûteuse) d’un test de diagnostic a besoin de se protéger, au moins pendant quelques années, des imitateurs qui commercialiseraient le même test sans avoir le moins du monde participé à sa mise au point technique ni à sa validation clinique et réglementaire. D’un autre côté il serait absurde, comme le rappellent les auteurs, que pour pouvoir examiner mon propre génome (dont j’aurai déjà payé la séquence) je sois obligé d’acheter des licences à des centaines ou des milliers de compagnies.

Et le conseil génétique ?

Dans les discussions qui ont lieu autour des propositions de 23andMe ou de Navigenics (ou des dizaines d’autres firmes proposant ce type d’analyse), un thème récurrent est celui de la prescription (ou non) du test par un médecin, de l’aide à l’interprétation des résultats et du conseil génétique. Dans la mesure où la valeur diagnostique des analyses de Snip est très limitée [ 7], on peut penser que ce point n’est pas réellement crucial. Mais lorsqu’il s’agit de la détection de mutations dans des gènes connus pour être liés à des pathologies lourdes, l’affaire devient sérieuse. Il y a cette fois causalité directe, avec des conséquences pour la personne ou pour son éventuelle descendance et une multitude de questions. Quel est exactement le corrélat biologique de telle ou telle mutation dans le gène CFTR ? Que signifie « pénétrance incomplète » ? Existe-t-il un risque ou des symptômes associés à une mutation récessive présente à l’état hétérozygote ? Comme le rappellent les auteurs d’un récent article sur ce sujet [ 8], la plupart des médecins ont déjà bien du mal à interpréter des tests portant sur un seul gène - comment un particulier pourra-t-il intégrer des résultats bien plus complexes ?

Une provocation salutaire

L’article de Salzberg et Pertea a déjà suscité beaucoup de commentaires [ 9]. Il faut dire qu’avec leur proposition et leur logiciel, ils mettent le doigt sur certaines absurdités de la situation actuelle, et sur les problèmes légaux, commerciaux mais aussi éthiques que va poser à court terme l’évolution galopante de la technologie. La tâche du législateur et des instances de régulation s’annonce herculéenne devant le rythme de l’innovation en génomique et en médecine personnalisée et les changements que ceci va entraîner dans les rapports entre patients, institutions et corps médical. On doit donc leur être reconnaissant de nous montrer, à partir d’un exemple précis, tout le travail qui reste à faire pour nous préparer à cette révolution...

Conflit d’intérêts

L’auteur déclare n’avoir aucun conflit d’intérêts concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 Le terme officiel est Laboratory developed test.
4 We developed a computational screen that tests an individual’s genome for mutations in the BRCA genes, despite the fact that both are currently protected by patents.
5 Au train où vont les choses, cette analyse coûtera bientôt plus cher que le séquençage proprement dit.
References
1.
Cassier M, Stoppa-Lyonnet D. L’opposition contre les brevets de Myriad Genetics et leur révocation totale ou partielle en Europe : premiers enseignements. Med Sci (Paris) 2005 ; 21 : 658-62.
2.
Jordan B. Chacun sa séquence ! Med Sci (Paris) 2009 ; 25 : 647-8.
3.
Jordan B. Le boom des séquenceurs nouvelle génération. Med Sci (Paris) 2010 ; 26 : 325-7.
4.
Salzberg SL, Pertea M. Do-it-yourself genetic testing. Genome Biol 2010 ; 11 : 404.
5.
Jordan B. « Génome personnel » : gadget ou révolution ? Med Sci (Paris) 2008 ; 24 : 91-4.
6.
Langmead B, Trapnell C, Pop M, Salzberg SL. Ultrafast and memory-efficient alignment of short DNA sequences to the human genome. Genome Biol 2009 ; 10 : R25.
7.
Jordan B. À la recherche de l’héritabilité perdue. Med Sci (Paris) 2008 ; 26 : 541-3.
8.
Evans JP, Dale DC, Fomous C. Preparing for a consumer-driven genomic age. N Engl J Med 2010 ; 363 : 1099-103.
9.
Katsnelson A. The renegade gene test: an open-source computer program flouts patents to test for cancer-causing gene mutations. Nature News (14 octobre 2010) ; doi: 10.1038/news.2010.540.