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Med Sci (Paris). 2010 December; 26(12): 1033–1035.
Published online 2010 December 15. doi: 10.1051/medsci/201026121033.

Les ROS : une nouvelle cible thérapeutique dans les leucémies ?

Céline Callens,1,2,3 Ivan C. Moura,4,5 and Olivier Hermine2,3,6

1Laboratoire d’hématologie, Hôpital Necker (AP-HP), 149-161, rue de Sèvres, tour Pasteur, 75015 Paris, France
2CNRS UMR 8147, Faculté de médecine et Université René Descartes Paris V
3Institut fédératif Necker, Paris, France
4Inserm U699, Paris
5Faculté de médecine et Université Denis Diderot Paris VII, Paris, France
6Service d’hématologie, Hôpital Necker (AP-HP), Paris, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Animaux, Différenciation cellulaire, effets des médicaments et des substances chimiques, Protéines de Drosophila, physiologie, Drosophila melanogaster, cytologie, métabolisme, Cellules souches hématopoïétiques, Humains, Fer, Agents chélateurs du fer, pharmacologie, usage thérapeutique, Leucémie aigüe myéloïde, traitement médicamenteux, anatomopathologie, Leucémie aigüe myélomonocytaire, Modèles biologiques, Protéines tumorales, antagonistes et inhibiteurs , Cellules souches tumorales, Protéines de fusion oncogènes, Stress oxydatif, Complexe répresseur Polycomb-1, Espèces réactives de l'oxygène, Transduction du signal, Trétinoïne, Vitamine D

 

> Les leucémies aiguës myéloblastiques (LAM) constituent un groupe hétérogène d’hémopathies malignes caractérisées par l’expansion clonale de cellules immatures (blastes) appartenant à la lignée myéloïde, bloquées dans leur différenciation et ayant perdu leur capacité à répondre aux régulateurs de la prolifération [ 1]. Elles ont pour origine soit la transformation d’une cellule souche, soit celle d’un progéniteur hématopoïétique myéloïde plus ou moins engagé dans un lignage.

Limites du traitement des LAM

Le traitement des LAM repose classiquement sur des combinaisons de chimiothérapies et, depuis quelques années, fait appel aux anticorps monoclonaux [ 14] ou à des molécules ciblant les blastes leucémiques de manière spécifique. Malgré cette amélioration des traitements, le pronostic des LAM reste médiocre avec une survie globale à 5 ans pour seulement 30 % des patients. Les principales approches thérapeutiques des LAM ciblent toutes l’excès de prolifération des cellules leucémiques et ont pour objectif de réduire la « masse » leucémique en déclenchant l’apoptose massive des blastes. Pourtant dans le modèle de Gilliland [ 11], la leucémogenèse nécessite deux évènements, l’un favorisant la prolifération et l’autre s’opposant à la différenciation. Ce deuxième événement est rarement la cible des traitements antileucémiques. Jusqu’à ce jour, seuls les patients atteints de leucémie aiguë promyélocytaire, un sous-type de LAM, bénéficient d’un traitement rétablissant la différenciation des blastes. Le traitement repose sur la combinaison d’acide tout-transrétinoïque ou de trioxyde d’arsenic à la chimiothérapie. Ces médicaments sont capables d’induire la différenciation des blastes leucémiques et surtout d’éradiquer les cellules souches leucémiques en provoquant la dégradation de la protéine PML-RARA (qui code la protéine chimérique PML (promyelocytic leukemia)/RARα (retinoic acid receptor α) [ 2], ce qui permet d’obtenir une rémission complète durable chez plus de 80 % des patients. Aucun autre sous-type de LAM ne bénéficie d’un tel traitement.

Les chélateurs de fer comme nouveau traitement différenciateur ?

Récemment, notre équipe a démontré que le ciblage de l’homéostasie du fer constitue une nouvelle approche thérapeutique différenciatrice pour tous les autres sous-types de LAM [ 3]. L’étude des modifications du transcriptome des cellules de la lignée leucémique HL60 consécutives à la privation en fer induite dans ces cellules par les chélateurs de fer, deferoxamine (DFO) et deferasirox (dfx), ou par un anticorps monoclonal appelé A24 ciblant le récepteur de la transferrine, a révélé que tous trois modifiaient un même groupe d’une centaine de gènes. De façon inattendue, un certain nombre de gènes normalement exprimés par les monocytes et les polynucléaires neutrophiles matures se trouvaient modulés par la privation en fer. Cette observation nous a alors amenés à étudier le rôle du fer dans la différenciation myélomonocytaire normale (induite à partir des progéniteurs issus de sang de cordon) et pathologique (dans les cellules leucémiques) et à préciser le mécanisme de cette différenciation. Nous avons ainsi montré que la diminution du pool de fer intracellulaire (LIP pour labile iron pool) provoque la différenciation des blastes myéloïdes et des progéniteurs CD34+ de sang de cordon vers le lignage monocytaire via la production d’espèces réactives de l’oxygène (ROS) et l’activation de la voie des MAPkinases (mitogen activated protein kinases). L’analyse du transcriptome de la lignée HL60 a révélé que 30 % des gènes modulés par la privation en fer sont communs avec ceux que module la vitamine D (VD). La privation en fer agit en synergie avec la VD via l’activation des MAP-kinases et l’augmentation d’expression du récepteur de la VD (VDR) (Figure 1). Ce mécanisme a été vérifié in vitro avec plusieurs lignées leucémiques et son efficacité démontrée in vivo dans un modèle de xénogreffe de cellules leucémiques chez des souris immunodéficientes. Enfin, l’administration d’un chélateur de fer associé à la VD chez un patient leucémique a permis de corriger les cytopénies et d’induire la différenciation des blastes. Cette association constitue donc une nouvelle approche thérapeutique différenciatrice pour les LAM et son efficacité, lorsqu’elle est combinée à la chimiothérapie, est actuellement évaluée par une étude clinique à grande échelle.

Ce que nous apprend la drosophile…

Il y a quelques mois à peine, et de manière tout à fait cohérente avec nos travaux, E. Owusu-Ansah et U. Barnejee ont montré le rôle important des ROS dans l’engagement et la différenciation myéloïdes des progéniteurs hématopoïétiques de la drosophile [ 4]. Comme chez les vertébrés, les cellules souches hématopoïétiques de drosophile s’engagent vers le stade de progéniteurs qui, ensuite, se différencient en cellules fonctionnelles matures. Les cellules souches expriment spontanément peu de ROS et les auteurs ont montré que leur engagement vers le stade de progéniteurs est corrélé à l’expression d’un pic de ROS qui s’éteint progressivement avec la différenciation des cellules. Quand la production de ROS est inhibée dans les progéniteurs, la différenciation de ceux-ci est retardée; au contraire, son augmentation favorise la différenciation. L’interruption de la chaîne respiratoire mitochondriale, qui augmente le niveau de ROS, associée à l’expression d’un dominant négatif de JNK (c-Jun N-terminal kinase), produit une élévation des ROS sans induire de différenciation. Ceci démontre qu’une activation de JNK a lieu en aval des ROS et qu’elle est indispensable à la différenciation. Grâce à une méthodologie utilisant des gènes rapporteurs, les auteurs observent que l’augmentation des ROS induit, via l’activation de JNK, l’augmentation d’expression des facteurs de transcription FoxO (forkhead box O) et la diminution de l’expression de facteurs Polycomb [ 12], ceci aboutissant à un phénotype de différenciation myéloïde complète. De plus, en 2007, il a été rapporté que le niveau de ROS dans ces progéniteurs est bien supérieur à celui observé dans les cellules souches hématopoïétiques [ 5]. On ne sait pas actuellement si chez l’homme, comme chez la drosophile, un pic de ROS est nécessaire à l’engagement des progéniteurs vers la différenciation myéloïde. Une publication récente a toutefois montré l’importance du rôle de BMI-1, un facteur Polycomb, qui, en s’opposant à l’effet des ROS, concourt à assurer le maintien des capacités d’autorenouvellement des cellules souches hématopoïétiques [ 6].

Rôle du métabolisme oxydatif dans la différenciation

Il semble que les ROS jouent un rôle dans la signalisation des cytokines impliquées dans l’hématopoïèse. En effet, l’interleukine 3 et l’érythropoïétine stimulent leurs récepteurs couplés à la tyrosine kinase JAK2; celle-ci phosphoryle les résidus tyrosine de ces récepteurs et induit l’activation des voies de signalisation STAT5 (signal transducer and activator of transcription 5), PI3K (phosphatidylinositol 3-kinases)/AKT 1 [ 13] et Ras/MEK (mitogen activated extracellular signal regulated protein kinase)/ERK (extracellularly regulated kinase). En 2006, Liyama et al. ont rapporté que dans la lignée 32Dcl3, ces deux cytokines provoquent une augmentation des ROS. La présence d’un anti-oxydant inhibe la phosphorylation de STAT5, d’AKT, de MEK et d’ERK démontrant que les ROS sont nécessaires à l’activation de ces voies [ 7].

L’équipe de Yamamoto, dont le travail est encore plus proche du nôtre, a montré en 2009 que le TPA (12-O-tetradecanoylphorbol-13-acetate), un agent différenciateur utilisé depuis de nombreuses années, induit la production de ROS qui sont responsables de la différenciation des lignées leucémiques U937 et HL60 puisque leur inhibition par un antioxydant empêche la différenciation [ 8].

En 2010, le regain d’intérêt pour le métabolisme oxydatif des cellules leucémiques n’a fait que croître avec la découverte des mutations des isocitrate déhydrogénases IDH-1 et IDH-2 dans 8 et 15 % des LAM respectivement [ 9]. Ces deux enzymes sont impliquées dans le cycle de Krebs, et leur mutation de type gain de fonction provoque une élévation des ROS dans les cellules leucémiques. Le rôle exact de ces mutations dans la leucémogenèse et leur valeur pronostique restent cependant à préciser.

Les ROS sont donc des acteurs importants de l’hématopoïèse. Leur rôle dans la leucémogenèse et plus précisément dans la différenciation n’est pas encore clairement élucidé. Il apparaît que tous les agents différenciateurs ne sont pas des inducteurs de ROS. Ceux qui le sont n’induisent pas le même type de ROS, et tous les ROS n’ont pas le même effet en fonction du type cellulaire. Il apparaît que des mutations peuvent aussi altérer les capacités métaboliques des cellules leucémiques. Il est aussi quasi certain que d’autres modifications de l’environnement cellulaire sont impliquées dans les phénomènes de différenciation. D’après ces différentes publications et nos observations, les ROS semblent être une nouvelle piste d’intérêt dans la compréhension de l’hématopoïèse et de la leucémogenèse. O. Abdel-Wahab et R. Levine prédisent même que le niveau de ROS des cellules leucémiques pourrait devenir leur talon d’Achille avec le développement de traitements ciblant cette voie métabolique [ 10].

Conflit d’intérêts

Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 AKT, une sérine/thréonine kinase, agit en aval de PI3K pour réguler de nombreux processus tels que la prolifération, l’apoptose, la croissance et la progression des tumeurs [13].
References
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Owusu-Ansah E, Banerjee U. Reactive oxygen species prime Drosophila haematopoietic progenitors for differentiation. Nature 2009 ; 461 : 537-41.
5.
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Rizo A, Olthof S, Han L, et al. Repression of BMI1 in normal and leukemic human CD34+ cells impairs selfrenewal and induces apoptosis. Blood 2009 ; 114 : 1498-505.
7.
Iiyama M, Kakihana K, Kurosu T, Miura O. Reactive oxygen species generated by hematopoietic cytokines play roles in activation of receptor-mediated signaling and in cell cycle progression. Cell Signal 2006 ; 18 : 174-82.
8.
Yamamoto T, Sakaguchi N, Hachiya M, et al. Role of catalase in monocytic differentiation of U937 cells by TPA: hydrogen peroxide as a second messenger. Leukemia 2009 ; 23 : 761-9.
9.
Gross S, Cairns RA, Minden MD, et al. Cancerassociated metabolite 2-hydroxyglutarate accumulates in acute myelogenous leukemia with isocitrate dehydrogenase 1 and 2 mutations. J Exp Med 2010 ; 207 : 339-44.
10.
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