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Med Sci (Paris). 2010 December; 26(12): 1038–1039.
Published online 2010 December 15. doi: 10.1051/medsci/201026121038.

L’adaptation aux très hautes altitudes
Sur quels gènes une pression sélective s’est-elle exercée ?

Dominique Labie1*

1Inserm U567-UMR CNRS 8104, Institut Cochin, 24, rue du Faubourg Saint-Jacques, 75014 Paris, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Adaptation physiologique, génétique, Altitude, Mal de l'altitude, ethnologie, Population d'origine asiatique, Facteurs de transcription à motif basique hélice-boucle-hélice, physiologie, Chine, Érythropoïèse, Érythropoïétine, sécrétion, Groupes ethniques, Évolution moléculaire, Régulation de l'expression des gènes, Études d'associations génétiques, Haplotypes, Humains, Facteur-1 induit par l'hypoxie, Hypoxia-inducible factor-proline dioxygenases, Immunité innée, Récepteur PPAR alpha, Polymorphisme de nucléotide simple, Procollagen-Proline Dioxygenase, Sélection génétique, Amérique du Sud, Tibet

 

Le haut plateau du Tibet, majoritairement situé à plus de 4 000 mètres d’altitude, pose à l’homme le problème de son adaptation à une pression partielle très réduite de l’oxygène (O2) atmosphérique. Face à ces conditions les Tibétains, établis dans cette région depuis des siècles, ont adapté leur physiologie comme en a fait état récemment une brève de Médecine/Sciences [ 1]. Un aspect majeur de cette adaptation est l’absence de polyglobulie et un taux d’hémoglobine (Hb) relativement bas, deux paramètres qui distinguent les Tibétains des populations des Andes qui vivent également en altitude. On sait aussi qu’un séjour prolongé en haute montagne entraîne chez les habitants des plaines un ensemble de troubles, connu sous le nom de maladie chronique des montagnes ou maladie de Monge1, et dont les caractéristiques sont une surproduction érythrocytaire et un taux élevé d’Hb. L’hypothèse d’une origine génétique à cette adaptation à l’altitude des Tibétains a incité plusieurs équipes à rechercher sur quel(s) facteur(s) se serait exercée une pression sélective. Trois articles ont paru récemment qui ont été plus ou moins loin dans cette exploration [ 2- 4]. Ils ont des points communs, impliquant tous une large proportion de scientifiques chinois, en collaboration avec d’autres chercheurs, américains, britanniques ou danois. Le travail dans les trois cas a exploré l’ensemble ou une très large proportion du génome et comparé les résultats obtenus à ceux d’une population chinoise Han, le plus souvent de Beijing (Pékin) qui est une zone de plaine. Les résultats insistent tous sur une modulation de la voie HIF (Hypoxia inducible factor), mais diffèrent par d’autres aspects

Polymorphismes au voisinage de EPAS1

Un article paru dans les Proceedings of the National Academy of Sciences of USA [2] met en évidence la sélection du gène EPAS1 (endothelial Per-Arndt-Sim (PAS) domain protein 1) dans le maintien chez les Tibétains d’un taux d’Hb relativement bas [2]. EPAS1 (ou HIF2a) code pour une sousunité du facteur de transcription HIF, et est un facteur majeur de la réponse érythrocytaire à l’hypoxie hypobare via son rôle dans l’expression accrue d’érythropoïétine (EPO), une hormone nécessaire à la production des globules rouges. Pour arriver à ce résultat, les auteurs ont recherché des gènes candidats par comparaison des génomes (GWADS, Genome-wide allelic differentiation scan) d’une cohorte de Tibétains résidant dans le Yunnan à 3 500 m d’altitude et d’individus Han vivant en plaine, membres du programme HapMap Phase III. Sur plus de 500 000 SNP (single nucleotide polymorphisms) analysés, huit formaient un haplotype dont la fréquence était de 46 % parmi les Tibétains, mais seulement 2 % chez les Han. Les auteurs ont mis en évidence des polymorphismes au voisinage de EPAS1 et considèrent ces résultats comme un signe de sélection naturelle qui a modifié la réponse à l’hypoxie qu’on observe chez les Han des plaines. C’est aussi le fait des populations andines [ 5] et les auteurs rapprochent leurs données des phénotypes observés au cours de mutations gain de fonction de HIF2α [ 6]. Ils notent aussi le caractère pléiotrope de la fonction de EPAS1 dont l’action s’exerce au niveau du placenta au cours du développement embryonnaire et au niveau de l’épithélium vasculaire chez les Tibétains.

Une variation de la régulation de la voie de signalisation HIF

Les deux articles sont parus dans un même numéro de Science et l’un [ 3] a été mentionné dans la brève précédemment citée. Menée par une équipe de Qinghai en collaboration avec les chercheurs de Salt Lake City, Utah, États-Unis, la recherche a comparé les génotypes de 31 Tibétains, 90 Chinois Han et des Japonais. La méthodologie, différente de celle de l’article de Proc Natl Acad Sci USA [2], a identifié des différences entre les deux populations au niveau d’haplotypes homozygotes fréquents et longs ou par une étude statistique basée sur un déséquilibre de liaison autour de variants soumis à sélection naturelle. Parmi 237 gènes candidats pouvant intervenir dans l’adaptation à l’altitude, deux ont été retenus grâce à ces stratégies, EGLN1 (Egl nine homolog 1) et PPARA (Peroxisome proliferator-activated receptor alpha). EGLN1 dégrade dans les conditions normales de pression d’oxygène deux protéines HIFα et intervient sur la transcription des gènes régulés par ces protéines, dont EPO. PPARA est également associé à certains composants de cette voie de signalisation HIF. Il y a une corrélation significative entre les taux d’Hb et les SNP qui expliquerait la diminution de l’action transcriptionnelle de HIF sur l’expression d’EPO, mais les auteurs insistent sur le fait qu’il s’agirait d’une régulation multifactorielle s’exerçant sur plusieurs gènes.

Divergence récente entre les génomes des Tibétains et des Han : 34 gènes et encore EPAS1 et la voie HIF

Un troisième article, enfin, paru également dans Science [4] associe aussi des équipes de chine, dont Beijing et Lhasa, et des chercheurs de Berkeley, États-Unis, et de Copenhague, Danemark [4]. Les exomes de 50 Tibétains ont été séquencés, ainsi que les régions flanquantes des exons, qui couvraient 34 Mb et environ 20 000 gènes, soit 92 % de l’ensemble des gènes. Plus de 150 000 SNP ayant une probabilité supérieure à 50 % d’être significativement variables chez les Tibétains ont été identifiés, dont 53 ont été validés par le séquençage de Sanger comme ayant une probabilité de 95 %. Ces données ont été comparées au génome de 40 individus Han habitants des plaines qui ne se distinguent génétiquement d’avec les Tibétains que faiblement (FST = 0,026) (FST, proportion of total variation due to differentiation), d’où la valeur des SNP validés. Sur le plan historique, le meilleur modèle suppose une divergence entre Tibétains et Han il y a environ 2 750 ans, suivie d’une expansion de la population Han et d’une contraction de la population tibétaine. Les gènes pour lesquels une différence de fréquence est importante se présentent comme les cibles possibles d’une sélection. La similitude des génomes tibétains et han ne permet pas de conclure sur lequel des deux groupes s’est exercée la sélection. Pour une meilleure approche les auteurs ont introduit une troisième population beaucoup plus distante, 200 sujets danois. L’étude du branchement des trois génomes (PBS, population branch selection), permet de localiser chez les Tibétains 34 gènes ayant subi une sélection récente qui se présentent ainsi comme des candidats à une adaptation à l’altitude.

Parmi les 34 gènes identifiés, EPAS1 est de loin le plus divergent (branchement très long) comparé aux autres gènes qui, cependant, peuvent avoir également contribué à l’adaptation. EPAS1, sous le nom de HIF2a, est, on l’a vu, un élément essentiel de la voie HIF de réponse à l’hypoxie et a une action pléiotrope. Parmi les SNP identifiés au niveau de EPAS1, celui qui diffère le plus nettement entre Tibétains et Han est intronique : présent chez 9 % des Han, 87 % des Tibétains, il n’entraîne aucune substitution d’acide aminé. On peut rappeler que le rôle de variants EPAS1 a été signalé chez des athlètes [ 7]. L’association est très forte entre ce SNP, situé en amont du sixième exon, et le nombre d’érythrocytes (p = 0,00141) ou le taux d’Hb (p = 0,00131). Il n’y a, en revanche, pas d’association avec la saturation en O2. On peut donc conclure que l’allèle « Tibétain » EPAS1 est suffisant pour maintenir une oxygénation tissulaire en altitude sans augmentation de l’érythrocytose. Les modifications hématologiques pourraient ne pas être la cible phénotypique de sélection.

D’autres gènes parmi les 34 sélectionnés ont été identifiés : ceux codant les globines HBB et HBG2 : les SNP sont également introniques et les changements induits toucheraient la régulation. Le gène EGLN1, signalé dans le précédent article [3] et qui fonctionne aussi dans la voie HIF de réponse à l’hypoxie, se trouve entre deux locus de gènes sélectionnés à un haut niveau. Une étude des populations andines de l’altiplano Sud-américain a recensé EGLN1 parmi les gènes candidats à l’adaptation à l’hypoxie, confirmant les différences adaptatives possibles aux très hautes altitudes [ 8]. Chez les Tibétains, c’est au niveau d’EPAS1 qu’est observé le changement le plus rapide de fréquence des SNP au cours d’une évolution de 2 750 ans. C’est, à l’heure actuelle, l’exemple connu le plus rapide et net de sélection naturelle.

Tous ces résultats ne sont sans doute encore que partiels. Ils convergent, cependant, pour incriminer la voie HIF et certains gènes en particulier, EPAS1 en premier lieu, mais aussi EGLN1, et cela de façon relativement récente. Ils suggèrent aussi une régulation pléiotrope faisant intervenir plusieurs systèmes et sans doute un nombre important de gènes. Le nombre d’articles récents sur ce sujet laisse entrevoir d’autres développements.

Conflit d’intérêts

L’auteur déclare n’avoir aucun conflit d’intérêts concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 Maladie décrite en 1928 par Carlos Monge-Medrano chez des habitants des hautes altitudes dans les Andes.
References
1.
Gilgenkrantz S. Les Tibétains, un peuple génétiquement adapté à la vie en altitude. Med Sci (Paris) 2010 ; 26 : 709.
2.
Beall CM, Cavalleri GL, Deng L, et al. Natural selection on EPAS1 (HIF2α) associated with low hemoglobin concentration in Tibetan highlanders. Proc Natl Acad Sci USA 2010 ; 107 : 11459-64.
3.
Simonson TS, Yang Y, Huff CD, et al. Genetic evidence for high-altitude adaptation in Tibet. Science 2010 ; 329 : 72-5.
4.
Yi X, Liang Y, Huerta-Sanchez E, et al. Sequencing of 50 human exomes reveals adaptation to high altitude. Science 2010 ; 329 : 75-8.
5.
Beall CM, Brittenham GM, Stroki KP, et al. Hemoglobin concentration of high-altitude Tibetans and Bolivian Aymara. Am J Phys Anthropol 1998 ; 106 : 385-400.
6.
Percy MJ, Furlow PW, Lucas GS, et al. A gain-of-function mutation in the HIF1A gene in familial erythrocytosis. N Engl J Med 2009 ; 358 : 62-8.
7.
Hendeerson J, Withford-Cave JM, Duffy DL, et al. The EPAS1 gene influences the aerobic-anaerobic contribution in elite endurance athletes. Hum Genet 2005 ; 118 : 416-23.
8.
Bigham AW, Mao X, Mei R, et al. Identifying positive candidate selection loci for high-altitude adaptation in Andean populations. Hum Genomics 2009 ; 4 : 79-90.