II. Effets des messages nutritionnels

2017


ANALYSE

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Apports de l’économie comportementale dans la compréhension de l’impact des campagnes de prévention nutritionnelle

L’économie standard se fonde sur le postulat que les individus sont rationnels, au sens qu’ils sont pleinement informés de l’ensemble des conséquences de leurs actes, d’une part, et que leurs décisions ne peuvent pas être influencées par une variation du contexte dans lequel le problème est posé, d’autre part. Sur ce principe, les politiques publiques vont agir dans le sens de l’accroissement de la rationalité des individus, notamment en leur fournissant de l’information, souhaitant ainsi augmenter les « bons comportements ». Les développements récents en économie, basés sur l’introduction de la dimension psychologique dans les décisions, sous-tendent une rationalité moins stricte et l’exposition des comportements à de nombreux biais non pris en compte jusqu’ici dans les modèles économiques de décision. Il y a fort à penser que l’identification des biais comportementaux sera mise à profit afin d’agir sur les comportements individuels, en les contrariant ou en les confortant.
L’économie comportementale, en proposant d’associer économie et psychologie dans les mécanismes de décision, permet d’aborder les mécanismes de décisions alimentaires sous un angle moins standard, c’est-à-dire ne réagissant pas uniquement aux politiques fiscales (taxes et subventions) et aux campagnes informationnelles. Afin d’aborder l’impact des politiques publiques nutritionnelles sur les comportements des consommateurs, nous allons dans un premier temps décrire les mécanismes sous-jacents dans le goût, la préférence pour un aliment. Nous décrirons ensuite les principes d’économie comportementale et la façon dont ils sont associés aux questions de consommations alimentaires. Après avoir abordé l’effet de l’information sur les comportements alimentaires, nous montrerons l’impact des paramètres non-informationnels1 .

« Loi de la nourriture gratuite » et moyens d’action

Le goût d’un aliment est probablement le paramètre le plus important dans une décision alimentaire. Quelle que soit l’information relative à la qualité ou aux propriétés d’un aliment, si vous ne l’aimez pas gustativement, vous ne le mangerez pas. S’il y a une dimension physiologique dans le goût sur laquelle il est difficile d’agir, il est possible d’exercer une action sur les autres dimensions : économique, sociale, contextuelle, environnementale, etc.
La « loi de la nourriture gratuite » permet d’aborder ces autres dimensions. Elle a été proposée par Cham (2009renvoi vers) sous forme d’un dessin humoristique sur le site Internet PhDComics.com2 . Elle n’en ait pas moins pertinente pour notre propos. Elle précise que le goût d’un aliment est égal au produit de sa qualité et de la faim ressentie par l’individu, le tout divisé par le coût (prix) du produit. Dans sa version originale, elle est écrite de la façon suivante :


La valeur des paramètres a moins de sens que leur variation. Le message principal du dessin est bien entendu de dire qu’un aliment gratuit est infiniment bon, toute chose égale par ailleurs. Profitons de cette équation pour étendre la réflexion à l’ensemble des paramètres. L’objectif des politiques publiques en termes d’alimentation est de favoriser la consommation des « bons produits » et de restreindre celle des « mauvais produits ». À l’extrême (toujours dans l’équation), les produits à favoriser pourraient être gratuits (coût nul = goût infini) et les produits à restreindre pourraient être interdits (coût infini = goût nul). Mais soyons réalistes et décrivons les moyens d’action sur les différents paramètres de l’équation.
La qualité de l’aliment connaît deux dimensions : intrinsèque et extrinsèque. La dimension intrinsèque intègre tous les paramètres physiques du produit ainsi que ses qualités organoleptiques et nutritionnelles. Les moyens d’actions à ce niveau relèvent du choix des ingrédients, des modes de production et des processus de transformation des aliments. La dimension extrinsèque fait référence à l’information associée au produit, telle que sa dimension symbolique, sa marque, sa région d’origine, la mise en avant de signes ou labels de qualité, etc. Les moyens d’actions sont ici informationnels.
La faim est le paramètre le plus personnel. Il peut paraître délicat de le stimuler. Néanmoins, il peut inclure tous les mécanismes viscéraux, les stimuli qui déclenchent l’appétence, l’envie de manger, l’impulsion. En soit, il peut prendre en compte une part de l’irrationalité du consommateur qui va manger alors même qu’il n’a pas faim, par gourmandise pourrait-on dire. Les moyens d’actions vont ainsi être ceux qui stimulent l’envie ou le dégoût (l’odeur, la mise en avant, les couleurs, le contexte, etc.).
Enfin, le coût d’un produit comprend également deux dimensions. La première est le prix payé par le consommateur. Le moyen d’action est dans ce cadre typiquement économique. Le prix peut être réduit par une subvention et augmenté par une taxe (voir Etilé, 2012renvoi vers, pour une présentation des justifications et conséquences de la taxation nutritionnelle, ainsi que Bonnet et Requillard, 2014renvoi vers). La deuxième dimension du coût d’un produit rassemble tous les éléments non monétaires qui viennent augmenter ou diminuer l’effort à fournir pour accéder à l’aliment. Par exemple, lorsque nous sommes face à un distributeur de friandises, renoncer à ces dernières pour aller chercher un fruit frais ailleurs est coûteux (en temps notamment).
Les actions ou interventions ayant comme objectif de modifier la consommation des individus peuvent être séparées en deux grandes familles. La première, standard pour les économistes, consiste à agir sur les marchés, à travers des modifications de réglementations ou par des leviers financiers (taxes ou subventions). Il s’agit d’une approche par les prix appelée également non-comportementale. La deuxième famille d’actions est par conséquent qualifiée de « hors prix » ou de « comportementale ». Ces actions vont ainsi consister à modifier le comportement du consommateur mais sans modifier la qualité intrinsèque (la nature) ou le prix du produit concerné. En effet, la qualité intrinsèque des aliments est liée aux décisions prises par les acteurs de l’offre, qu’ils prennent ou pas en compte les préférences des consommateurs. Dans ce cadre, les politiques publiques se font en direction des producteurs, transformateurs et distributeurs pour les inciter à opérer des changements et/ou à fournir de l’information aux consommateurs sur les propriétés des ingrédients et/ou processus mis en œuvre.
Les actions comportementales pouvant modifier les décisions alimentaires des individus vont ainsi porter sur l’information extrinsèque (même si elle répond d’un premier abord à une politique publique standard), sur la faim et autres mécanismes viscéraux, et sur les efforts à produire en relation avec l’acquisition des aliments. Dans tous les cas, il s’agit d’explorer les incitations non financières conduisant les individus à modifier leurs comportements alimentaires. Ce que nous allons discuter dans les sections suivantes.

Principes d’économie comportementale et consommations alimentaires

Selon Laibson et List (2015renvoi vers), « L’économie comportementale modifie les hypothèses économiques traditionnelles (généralement à partir de motivations psychologiques) afin d’expliquer et de prédire des comportements, et de fournir des recommandations de politiques publiques » (p. 385)3 . Si les hypothèses du modèle standard doivent être modifiées, c’est parce que l’individu ne prend pas ses décisions comme la rationalité le voudrait. En effet, de nombreux travaux (cités ensuite) montrent que dans des contextes variés, les individus ne se comportent pas selon un calcul d’optimisation et pas de façon égoïste. Ainsi, nous sommes paresseux (nous préférons généralement l’option la plus simple ou celle proposée par défaut), nous avons des comportements moutonniers (il est plus simple de suivre les décisions des autres), nous sommes impulsifs (nous préférons les plaisirs immédiats), nos décisions dépendent de la façon dont elles nous sont présentées, et le contexte de décision exerce une grande influence sur notre comportement. Cela reprend les six principes d’économie comportementale détaillés par Laibson et List (2015renvoi vers)4  :
• « Les individus essaient de choisir la meilleure option possible, mais parfois ils n’y arrivent pas » ;
• « Les individus se soucient (en partie) du point de référence auquel ils comparent leur situation » ;
• « Les individus ont des problèmes d’autocontrôle » ;
• « Si nous nous préoccupons majoritairement de nos propres conditions matérielles, nous nous soucions également des autres, de leurs actions, de leurs intentions, de leurs conditions, qu’ils fassent partie ou non de notre cercle familial » ;
• « Si parfois les échanges marchands ne permettent pas l’intervention de facteurs psychologiques, ceux-ci sont nombreux à jouer un rôle dans les mécanismes de marchés » ;
• « En théorie, limiter les choix des individus peut en partie les protéger de leurs biais comportementaux, mais en pratique, un paternalisme lourd a un bilan mitigé et est souvent impopulaire ».
Ces biais comportementaux et leurs effets, de manière générale, sont largement décrits et illustrés dans les travaux d’Ariely (2012renvoi vers) et, plus spécifiquement dans un contexte alimentaire, par les travaux de Wansink (2006renvoi vers). Les raisons à cette « irrationalité » peuvent être trouvées dans la double dimension de notre système de pensée (Kahneman, 2012renvoi vers). Selon Kahneman (2012renvoi vers), nous avons un système de pensée rapide fondé sur l’intuition et les habitudes (système 1), peu consommateur de ressources cognitives, et un système lent fondé sur le raisonnement qui mobilise plus ces ressources (système 2). Le fait est que nous favorisons largement le système rapide, et par conséquent nous ne prenons pas toujours les décisions qui seraient les meilleures pour nous. Par exemple, par habitude, je mange des frites tous les jours. Cela me demande moins d’efforts (mobilise moins de ressources cognitives) que si je m’organisais pour varier mon alimentation, ce qui serait à terme certainement meilleur pour ma santé. Sur la base de l’étude des biais comportementaux, Thaler et Sunstein (2010renvoi vers) proposent un cadre d’intervention consistant à « profiter » de ces biais pour modifier et/ou orienter les comportements des individus dans le « bon sens ». Ces interventions sont qualifiées de « nudges » ou de « méthodes douces ».
S’il y a bien un domaine où nos travers comportementaux s’expriment, c’est l’alimentation, notamment parce qu’il s’agit de décisions extrêmement fréquentes (200 décisions alimentaires quotidiennes pour un individu ; Wansink et Sobel, 2007renvoi vers). Selon Wansink et coll. (2009renvoi vers), la décision de ce que l’on mange n’est pas la même que celle de la quantité ingérée. Pour eux, la plus grande difficulté repose sur le fait de modifier cette seconde décision, notamment parce qu’elle est exposée à un grand nombre d’influences contextuelles. De plus, les individus connaissent mal les quantités qu’ils ingèrent, et ils ne savent pas lorsqu’ils sont rassasiés. Werle (2014renvoi vers) met l’accent sur deux biais perceptuels ayant une influence sur la consommation alimentaire et favorisant la prise de poids. Le premier biais concerne la taille des portions alimentaires. En effet, lorsque la taille d’une portion double, seule une partie de cette hausse est perçue par le consommateur (de 50 % à 70 %). La conséquence est que le consommateur augmente la quantité ingérée de 35 %. Ainsi, nous nous servons plus que nous ne le pensons dans une grande assiette (van Ittersum et Wansink, 2011renvoi vers) et nous buvons plus vite une bière lorsqu’elle est servie dans un verre dont nous estimons mal les proportions (Attwood et coll., 2012renvoi vers). Le deuxième biais perceptuel concerne les produits signalés comme « allégés » ou positionnés dans un segment « santé ». Cela va favoriser la surconsommation de produits alimentaires, notamment à travers un mécanisme de déculpabilisation (voir également Chandon, 2013renvoi vers).
Dans ce cadre, nombreuses sont les injonctions à mettre en œuvre des politiques publiques tenant compte des biais comportementaux, voire les utilisant afin d’améliorer les comportements individuels sans pour autant limiter la population dans sa liberté de choix. Ainsi, Downs et coll. (2009renvoi vers), Just et Payne (2009renvoi vers), Liu et coll. (2014renvoi vers) et Guthrie et coll. (2015renvoi vers) discutent des stratégies afin de faire la promotion de choix alimentaires plus sains et des moyens de rendre plus efficaces les politiques contre l’obésité, notamment en intégrant des actions inspirées de l’économie comportementale. Ils soulignent également que des recherches sont encore nécessaires afin de développer ces stratégies et d’en évaluer l’efficacité.
Évidemment un débat existe sur ce type de politiques et notamment sur leur caractère normatif et/ou liberticide (pour les plus virulents). Loewenstein et coll. (2012renvoi vers) soulignent que ces politiques publiques inspirées par l’économie comportementale ne doivent pas se substituer aux politiques publiques standards, mais qu’elles doivent se renforcer entre elles. Galizzi (2014renvoi vers) propose une réflexion sur la dimension réellement comportementale des politiques de santé dites comportementales. Lusk (2014renvoi vers) quant à lui considère qu’il existe une dérive paternaliste dans ces politiques et invite à reprendre en considération la liberté de choix. Le fait est que les trois types de politiques, telles que détaillées par Galizzi (2012renvoi vers), peuvent s’avérer complémentaires : incitations économiques, actions informationnelles et incitations comportementales.

Paramètres informationnels et non-informationnels influençant les comportements alimentaires

Nous pourrions postuler que tout est information, de la couleur des murs à ce que nous dit un message de prévention. Cependant, nous considérons ici l’information comme un message explicite diffusé aux individus. Les autres interventions dans l’environnement de décisions sont dénommées « noninformationnelles ». Comme souligné précédemment, l’apport d’informations a pour objectif d’améliorer la rationalité des individus, en ce sens qu’ils prendront de meilleures décisions.

Effets de l’information

Il existe de nombreuses études en économie expérimentale qui ont comme objectif d’évaluer les variations de consentement à payer des consommateurs en fonction de l’information qui leur est donnée. Nous en présentons quelques-unes. La plus proche des préoccupations liées aux messages de prévention nutritionnelle est celle conduite par Lohéac et coll. (2011renvoi vers). Dans une expérience portant sur l’évaluation de différents jus d’oranges (deux purs jus et deux nectars), et incluant des dégustations des produits, ils étudient l’effet de l’information sur le consentement à payer des consommateurs. La première information, relative à la définition formelle du produit, est celle qui a le plus d’effet sur les comportements des participants. Dans ce cadre, les purs jus sont valorisés (consentement à payer) et les nectars dévalorisés. La deuxième information incluait la liste des ingrédients, les données nutritionnelles lorsqu’elles étaient disponibles, ainsi que des informations de type PNNS (Programme National Nutrition Santé) relatives au fait qu’un verre de pur jus est considéré comme un des cinq fruits et légumes à consommer par jour. Ces informations complémentaires ne sont ni valorisées, ni dévalorisées par les participants. Les auteurs ont inclus dans le protocole d’enquête une mesure de l’aversion au risque, mesure habituelle en économie expérimentale. Celle-ci permet d’identifier deux groupes distincts parmi les participants. En effet, si pour les individus qui aiment le risque (un tiers de l’échantillon) les informations nutritionnelles n’ont pas d’effet sur la décision d’acheter ou pas les produits présentés, pour les individus averses au risque (deux tiers) ces informations ont des effets significatifs en augmentant la proportion d’acheteurs pour les purs jus et en réduisant cette proportion pour les nectars. En conclusion, les messages nutritionnels apparaissent comme ayant un effet, mais uniquement pour des individus ayant des caractéristiques spécifiques. Dans une étude sur l’effet de l’information nutritionnelle dans la consommation de pain (baguette), Ginon et coll. (2009renvoi vers) ne trouvent pas de différence de valorisation des produits en fonction de l’information fournie aux participants. En plus d’une dégustation des pains, un groupe recevait une information standard sur le produit et l’autre une information détaillée sur les bienfaits des fibres contenues dans le pain en complément des informations standards délivrées au premier groupe. Néanmoins, ces deux études montrent que le goût des aliments est un critère majeur de valorisation des produits. En effet, même associé à une information nutritionnelle positive, un produit qui n’est pas apprécié gustativement (notes hédoniques) ne sera pas valorisé (consentement à payer) par les consommateurs.
En complément, il apparaît qu’une information plus riche ou détaillée n’est pas nécessairement valorisée. Doyon et coll. (2008renvoi vers) ont conduit une expérience permettant d’évaluer les consentements à payer pour des yaourts en fonction de leur contenu (traditionnel, contenant du bifidus, enrichi en oméga 3, enrichi en stérols végétaux) et du niveau d’information nutritionnelle diffusé (minimal, standard, expert). Leurs résultats indiquent qu’il n’y a pas ou peu d’effets liés à une information nutritionnelle plus précise sur les consentements à payer des consommateurs (exception faite du yaourt traditionnel qui en ressort valorisé). Par ailleurs, l’information relative à l’alimentation est à manipuler avec précaution. En effet, son caractère positif ou négatif est fondamental. Fox et coll. (2002renvoi vers) ont conduit une expérience où les participants allaient consommer un sandwich au jambon et recevaient des informations différentes en fonction du groupe auquel ils appartenaient. L’information était relative au traitement par radiations de la viande de porc afin de réduire le risque de présence d’un parasite nocif pour la santé (Trichinella). Un groupe a reçu une information positive d’origine officielle sur l’irradiation, un deuxième a reçu une information négative d’origine non gouvernementale, et un troisième groupe a reçu les informations des deux sources. Le premier groupe valorise (il est prêt à payer pour l’acquérir) le produit traité par irradiation et le deuxième groupe ne le valorise pas. Ces comportements sont conformes au type d’information reçue : positive pour les premiers et négative pour les deuxièmes. Le troisième groupe qui reçoit les deux informations se comporte comme le groupe qui n’a reçu que l’information négative. Ainsi, une information négative joue de façon similaire à un goût peu apprécié. Elle tire vers le bas la valorisation du produit, même en présence d’informations positives.
Les communications informationnelles en termes de nutrition sont une forme de diffusion des connaissances permettant l’amélioration des comportements. Streletskaya et coll. (2014renvoi vers) ont mis en œuvre une expérience permettant de tester l’effet de différentes politiques publiques combinées à des communications de type « recommandations nutritionnelles » sur la consommation alimentaire (en tenant compte de plusieurs indicateurs nutritionnels). Les résultats montrent que dans leur expérience, plusieurs politiques publiques n’ont pas ou peu d’effet sur les comportements des consommateurs : les subventions pour les aliments à favoriser (même associées à des publicités pour ces aliments) et les communications prévenant de l’obésité. Les politiques publiques ayant un effet significatif en termes d’amélioration nutritionnelle sont les taxes sur les aliments les moins sains (seules ou associées à des publicités prévenant de l’obésité), et les communications encourageant la consommation d’aliments sains (fruits et légumes notamment). Les auteurs ont identifié les conséquences par type de nutriments dans la mesure où les participants pouvaient recomposer leur panier d’aliments après avoir été exposés aux politiques publiques. Les résultats montrent que les recompositions de paniers liées aux politiques publiques ne se traduisent pas par des variations des quantités de nutriments tels que le sel, le sucre ou les calories qualifiées d’inutiles. Ces politiques publiques se traduisent par de petites variations de la teneur en hydrates de carbones et fibres au sein des paniers des individus. Enfin, elles réduisent plus fréquemment la teneur des paniers en termes de calories, de calories grasses, de cholestérol, et de protéines. Liaukonyte et coll. (2012renvoi vers) ont conduit une autre expérience permettant de tester l’effet de publicités favorisant la consommation de fruits et légumes (tous les fruits et légumes de manière générale et/ou des produits spécifiques) sur le consentement à payer pour différents aliments5 . Leur analyse montre que les contextes dans lesquels les sujets sont prêts à payer significativement plus comparé au contexte de contrôle sans aucune publicité pour les fruits et légumes, sont ceux exposés à la publicité générale seule ou augmentée d’une publicité spécifique. Les publicités pour un produit spécifique (pommes ou pommes de terre) seules n’ont pas d’effet sur l’achat de fruits et légumes en comparaison au groupe de contrôle. Ce résultat corrobore celui de l’expérience conduite par Streletskaya et coll. (2014renvoi vers) dans le sens où les publicités générales encourageant la consommation de fruits et légumes ont un effet significatif sur le comportement des consommateurs.
Une autre forme de diffusion de l’information nutritionnelle consiste en indications présentes sur les aliments eux-mêmes, comme par exemple les « feux tricolores » ou autres logos nutritionnels. Muller et Ruffieux (2012renvoi vers) ont réalisé une expérience ayant pour objet de tester l’effet de l’introduction de différents logos d’informations nutritionnelles sur le caddie choisi par les participants. Leurs résultats montrent que l’apposition des logos contribue à l’amélioration de la qualité nutritionnelle des caddies. Ils observent cependant des variabilités de comportements en fonction de l’hétérogénéité individuelle. Les logos informationnels sont d’autant plus efficaces qu’ils portent sur l’aliment en entier plutôt que sur ses composantes nutritives, qu’ils avertissent des « produits déconseillés » en ne se limitant pas seulement à promouvoir les produits sains, et que les comparaisons entre produits se font dans les spectres plus larges que les seuls substituts. Les logos les plus simples sont également considérés comme étant les plus efficaces. Les logos bicolores seraient plus efficaces pour les ménages les moins informés, mais n’ont pas d’effet sur la consommation des ménages qui ont déjà un bon niveau d’information. Par ailleurs, les RNJ (repères nutritionnels journaliers) ont une efficacité équivalente aux logos. Néanmoins, un nutriment fait ressortir les effets pervers de tous ces systèmes. En effet, les effets de substitutions connaissent de mauvais résultats en termes de consommation de sel. Ainsi, dans la composition des caddies, la diminution de la teneur en sucre et des acides gras saturés suite à la mise en place des logos d’information nutritionnelle induit une hausse de leur teneur en sel. Ces dispositifs ne sont donc pas efficaces sur la consommation de sel.
En conclusion, les informations nutritionnelles semblent avoir des effets sur les comportements des consommateurs, mais elles peuvent être mises à mal par d’autres paramètres (un goût peu ou pas apprécié du produit, une information qui vient en contradiction). Les effets observés peuvent parfois être nuls ou contradictoires, notamment en ce qui concerne certains nutriments (sel, sucre, calories inutiles). Selon Abdukadirov (2015renvoi vers), les informations nutritionnelles ne sont pas spécifiquement mauvaises ou mal comprises, mais elles sont généralement mal présentées. Selon cet auteur, plutôt que de mettre en place des procédures conduisant à modifier les choix des consommateurs, il serait plus pertinent de « nudger » l’information nutritionnelle elle-même, c’est-à-dire faire en sorte qu’elle ne soit plus sujette aux effets contradictoires précédemment soulignés. Enfin, il s’avère que les effets de l’information sont renforcés par d’autres interventions, les taxes notamment. Dans la section qui suit, nous nous penchons sur les interventions de type non-informationnelles, c’est-à-dire qui visent à modifier directement l’environnement de décision.

Effets autres que ceux liés aux informations

Si l’information nutritionnelle connaît une certaine efficacité dans la modification des comportements alimentaires, elle ne semble pas suffisante. Il existe deux raisons à cela. D’une part, l’information modifie certaines décisions, mais ne semble pas apporter de bénéfices spécifiques. D’autre part, son traitement apparaît comme coûteux pour les consommateurs qui vont lui préférer des incitations plus gratifiantes. Il s’agirait donc d’intégrer des actions non-informationnelles basées sur les biais perceptuels présentés précédemment afin de faciliter les prises de décisions (autrement dit, des « nudges »). Ces actions recouvrent les dispositifs favorisant le pré-engagement, l’utilisation d’options par défaut et le détournement de signaux négatifs. Dans ce cadre, les mesures mises en œuvre visent à modifier l’environnement de marché plutôt qu’à communiquer de l’information.
Gittelsohn et Lee (2013renvoi vers) mettent en avant ces dispositifs et leurs complémentarités à travers plusieurs études de cas. Leurs trois cas sont des interventions visant à augmenter dans des zones spécifiques l’offre de produits sains (magasins d’alimentation ou restaurants). Cette amélioration de l’offre (mise en avant de certains produits, interventions sur les prix) est accompagnée dans certains cas de campagnes éducatives ou informationnelles variées (posters, flyers, formations).
Les effets de ces interventions sont globalement positifs même s’ils sont limités par la disposition des commerçants à accepter des modifications importantes de leur environnement et habitudes de ventes. Les auteurs suggèrent dans leur réflexion qu’il est nécessaire de mixer trois dimensions afin de s’adresser aux différentes composantes des décisions individuelles :
• informer en intervenant dans la dimension éducative ;
• contraindre en intervenant dans l’environnement, dans le contexte de décision ;
• guider en intervenant dans la dimension comportementale.
Toutes les interventions ne mobilisent pas toutes les dimensions de la décision, mais elles permettent néanmoins d’identifier des leviers significatifs. Citons par exemple l’expérience conduite par Jacob et coll. (2010renvoi vers). Leur objectif n’était pas de tester un « nudge » nutritionnel mais d’étudier l’impact d’une modification de la décoration d’un restaurant (environnement de décision) sur les choix des convives. Ils ont introduit 3 références à la mer dans le restaurant avec une statuette à l’entrée, des figurines de bateaux sur les tables et des serviettes avec un losange bleu. Ces modifications ont fait basculer les commandes de viandes (2/3 avant l’intervention) vers les commandes de poissons (2/3 après l’intervention), sans avoir d’effet sur les autres plats. D’autres expériences ont eu comme objectif d’améliorer la composition nutritionnelle des repas des convives. Just et Wansink (2009renvoi vers) décrivent l’effet du déplacement du bar à salade dans le restaurant en selfservice d’une école. Ce bar a été positionné sur le chemin entre les autres zones de service et les caisses, et cela a suffi à augmenter rapidement et durablement la vente et la consommation de ces végétaux. Dans une autre école, les produits gras et sucrés tels que les sodas ou les cookies ne pouvaient pas être payés avec la carte de paiement du restaurant mais en monnaie. Cette mesure a fait augmenter la proportion d’achat de produits plus sains, les convives ne mobilisant pas deux moyens de paiement pour un seul repas. Ces interventions ont lieu tant dans la dimension environnementale (bar à salade) que comportementale (moyens de paiement). Enfin, Wisdom et coll. (2010renvoi vers) ont conduit une expérience dans une chaîne de restauration rapide. Ils ont introduit plusieurs actions : fournir les recommandations relatives aux calories nécessaires par jour, fournir des informations spécifiques sur les calories contenues dans les plats, et mettre en avant les options les plus saines sur les menus. Les informations sur les calories réduisent la consommation des plats les plus riches, mais l’effet n’est significatif que si on cumule recommandations et informations sur les calories contenues sur les plats. Par ailleurs, il apparaît que ces dispositifs fonctionnent uniquement pour les personnes qui ne sont pas en surpoids. Enfin, les interventions sur le menu réduisent l’ingestion de calories uniquement lorsque l’effort à faire pour choisir des plats « peu sains » est important. Ce dispositif consiste à présenter une sélection de menus en première page et le menu complet dans les pages intérieures (incluant les plats les moins « sains »). Mais pour ouvrir le menu et accéder aux pages intérieures, il faut faire deux actions : retirer un autocollant qui ferme le menu, et écrire le choix de plats sur une feuille. Par ailleurs, accéder au menu complet plutôt qu’à la sélection de produits sains augmente la difficulté du choix, car la décision se prend parmi un plus grand nombre d’options. Une méthode moins contraignante (il n’y a pas d’effort à fournir pour accéder au menu complet) maintient les commandes de sandwiches peu caloriques mais est contrebalancée par des commandes d’éléments périphériques plus caloriques, annulant ainsi l’intervention.

Conclusion

En revenant à l’équation du goût des aliments, les éléments informationnels interviennent sur la qualité perçue des aliments, certaines interventions sur l’environnement de consommation impliquent une appétence spécifique pour certains aliments (à travers la décoration du lieu par exemple), et les autres interventions sur l’environnement (déplacement de rayons, mise en avant de produits, introduction de difficultés supplémentaires) vont agir sur le coût ressenti à travers les efforts augmentés ou diminués. L’information est le levier le plus largement testé, aussi parce qu’il est le plus diffusé. Elle a globalement des effets positifs sur les comportements individuels, mais dans un certain nombre de conditions relativement fréquentes, ils sont annulés par des compensations, notamment, ou ne modifient pas l’ingestion des nutriments les moins sains (sel notamment). Les leviers environnementaux ne sont testés que depuis peu. Les résultats sont relativement encourageants, même s’ils connaissent dans des environnements peu modifiés des effets contradictoires. De manière générale, c’est la combinaison de plusieurs moyens d’actions, potentiellement associés aux outils économiques standards (actions sur les prix par les taxes et subventions) qui apparaît comme étant la plus efficace. Cependant, il est encore nécessaire de tester à différents niveaux, du laboratoire aux environnements naturels, les effets des différents dispositifs et de leurs combinaisons afin de retenir les interventions qui seraient les plus efficaces au regard de leurs coûts.

Références

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