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Med Sci (Paris). 2011 March; 27(3): 238–241.
Published online 2011 March 30. doi: 10.1051/medsci/2011273238.

Les acides ribonucléiques régulateurs du staphylocoque doré et leurs rôles dans la virulence

Philippe Bouloc1* and Brice Felden2**

1Institut de génétique et microbiologie, CNRS/UMR 8621, IFR115, Centre scientifique d’Orsay, Université Paris Sud 11, bâtiment 400, 91405 Orsay Cedex, France
2Université de Rennes I, Inserm U835, UPRES EA2311, Biochimie pharmaceutique, 2, avenue du Pr Léon Bernard, 35043 Rennes, France
Corresponding author.

MeSH keywords: ARN bactérien, physiologie, Staphylococcus aureus, pathogénicité

 

Le staphylocoque doré (Staphylococcus aureus) est une bactérie à Gram positif en forme de coque qui fait partie de la flore bactérienne du nez, du périnée et de la peau. Environ un cinquième de la population humaine en est porteur sain à long terme. Cependant, ce commensal est aussi un redoutable pathogène opportuniste générant intoxications alimentaires et maladies allant d’infections cutanées à des septicémies mortelles. S. aureus est une cause majeure d’infections nosocomiales, et l’émergence de souches résistantes à diverses classes d’antibiotiques constitue un grave problème de santé publique [ 1, 2]. Cette bactérie possède un arsenal impressionnant d’enzymes comprenant toxines, adhésines et molécules immunomodulatrices facilitant sa colonisation et le franchissement des barrières de l’hôte, ce qui lui confère une toxicité élevée. Les conditions et niveaux d’expression de ces molécules sont déterminants lors de l’infection, dans laquelle le rôle des facteurs protéiques a été largement étudié. Des travaux récents, réalisés notamment par des équipes françaises, viennent de révéler l’importance d’acides ribonucléiques (ARN), pour la plupart non traduits en protéines, dans les mécanismes permettant la mise en place du processus infectieux.

Les régulations faisant intervenir les ARN bactériens

Les ARN régulateurs (ARNrég) bactériens sont souvent appelés petits ARN ou ARN non codants. Cependant, ces deux qualificatifs sont inappropriés puisque certains ARNrég sont de grande taille et plusieurs sont traduits en petites protéines. Parmi les ARNrég, on distingue ceux qui ont une action en cis de ceux qui agissent en trans. Dans la première catégorie figurent des séquences ARN des extrémités 5’ non traduites qui peuvent adopter des structures tridimensionnelles alternatives en fonction de la présence de molécules effectrices. Ces modifications modulent l’expression des transcrits en aval de leur séquence (Figure 1A). Ainsi, un métabolite qui interagit avec la séquence 5’ non traduite du messager responsable de sa biosynthèse permet une autorégulation transcriptionnelle assurant ainsi un ajustement des besoins aux demandes.

Les ARNrég qui agissent en trans peuvent cibler des protéines en mimant leur substrat. Une protéine qui se lie à un ARN messager peut être piégée par l’accumulation d’un ARNrég qui contiendra la séquence reconnue par cette protéine (Figure 1F). Cependant, la majorité des ARNrég bactériens actuellement caractérisés agissent en trans par appariements de bases avec d’autres ARN cibles. Si l’ARNrég est transcrit à partir d’une séquence complémentaire à un ARN messager, celui-ci constitue l’une des cibles probables. Dans ce cas, il y a appariement de l’ARNrég et de sa cible ARN avec une parfaite complémentarité. Cependant, nombre d’ARNrég agissent sur des cibles qui sont génétiquement distantes par rapport à leur propre gène. Dans ce cas, la complémentarité des appariements est imparfaite et chez de nombreuses bactéries, l’association ARNrég/ARNm cible requiert Hfq, une protéine chaperonne qui favorise l’interaction entre les deux ARN. Les conséquences de l’activité des ARNrég sont souvent une modulation de stabilité des ARN cibles et/ou de leur faculté à être traduits en protéines (Figure 1). Un ARNrég peut cibler plusieurs messagers et un messager peut être la cible de plusieurs ARNrég. Les ARNrég sont fréquemment exprimés dans des conditions spécifiques telles une carence en fer, une phase stationnaire, un stress oxydant. Ils permettent la modulation adaptive de l’expression de gènes cibles en fonction de l’environnement.

Il y a pléthore d’ARN régulateurs chez S. aureus

Le rôle prépondérant des ARN dans les régulations bactériennes a été initialement révélé par des études chez l’entérobactérie à Gram négatif Escherichia coli [ 3]. En revanche, pour les bactéries à Gram positif, ce n’est qu’en 2005 qu’une analyse comparative des génomes séquencés a permis l’identification, chez S. aureus, de 12 petits ARN dont 7 sont exprimés à partir d’îlots de pathogénie (définis ci-dessus) [ 4]. Cette étude montre un niveau d’expression très variable de ces ARN en fonction des conditions de croissance et des isolats de S. aureus. Récemment, des approches in silico [ 5, 6], de séquençage classique [ 7] ou de séquençage de nouvelle génération [ 8, 9] ont mis en évidence une profusion d’ARNrég dont une trentaine correspond à des régions cis-régulatrices d’ARNm incluant riborégulateurs (riboswitchs)1, boîtes T et motifs de reconnaissance de protéines spécifiques, ainsi que de nombreux ARN trans-régulateurs. Parmi eux, une quantité importante d’ARN antisens a été identifiée. Les gènes de ces ARNrég sont répartis sur l’ensemble du génome et certains d’entre eux sont présents en plusieurs exemplaires. Contrairement aux ARN agissant en tant que complexes ribonucléoprotéiques (ARN 4,5S, ARN 6S, RNaseP et ARNtm [ou ARN transfert-message]), leur existence est généralement limitée au genre Staphylococcus et environ 50 % semblent spécifiques à l’espèce S. aureus.

Contrôles de la virulence et du métabolisme de S. aureus par des ARNrég

Bien que les ARNrég de S. aureus soient nombreux, leurs fonctions sont méconnues hormis pour quelques uns. L’ARNIII est celui dont la fonction est la mieux caractérisée. C’est le plus grand des ARNrég bactériens connus (514 nucléotides) et il possède une séquence interne qui code pour l’hémolysine delta. Cet ARN multifonctionnel est le paradigme de la complexité des régulations par les ARN et de leurs rôles dans la virulence. Il est l’effecteur intracellulaire du système à deux composants agr qui perçoit la densité cellulaire et contrôle un grand nombre de facteurs de virulence dont des exoprotéines et des protéines associées à la paroi bactérienne. L’ARNIII a une structure complexe constituée de quatorze tiges-boucles dont certaines s’apparient avec des ARNm exprimant des facteurs de virulence, empêchent la formation d’un complexe d’initiation de la traduction et/ou stimulent la dégradation des ARNm ciblés afin de rendre la régulation irréversible. Ainsi, l’ARNIII réprime l’expression des gènes spa et rot codant respectivement pour la protéine de surface A et le régulateur de toxicité Rot. La staphylocoagulase est un facteur de virulence majeur qui favorise la coagulation du plasma humain. Des travaux récents montrent que son expression est fortement réprimée par l’action de l’ARNIII sur l’ARNm [ 10].

Deux nouvelles études [6, 8] ont permis de caractériser la fonction d’un autre ARNrég appelé RsaE. Cet ARN non codant de 100 nucléotides est conservé dans l’ordre des Bacillales. Les conséquences de l’inactivation ou de la surexpression du gène codant cet ARN ont révélé qu’il est un régulateur négatif de l’expression de nombreux ARNm exprimant des enzymes du cycle de Krebs et du métabolisme des folates, vraisemblablement par appariements avec les ARNm impliqués. RsaE s’accumule en fin de phase exponentielle de croissance. Il permettrait une diminution coordonnée d’un fournisseur d’énergie (le cycle de Krebs) et d’un donneur de carbone pour la synthèse des acides nucléiques (métabolisme des folates) lorsque les conditions nutritionnelles deviennent défavorables.

Les îlots de pathogénie sont des régions du chromosome bactérien issues de transferts horizontaux qui codent pour des facteurs de virulence et de résistance à certains antibiotiques [2]. Ils expriment, comme le reste du génome, des ARNrég [4] dont certains seraient impliqués dans la virulence. L’ARN codant SprD est l’un d’eux. Des souris survivent mieux à une infection staphylococcique lorsque le gène sprD est inactivé [ 11]. L’une des cibles de SprD est l’ARNm sbi dont il empêche l’initiation de la traduction par un mécanisme d’appariements. La protéine Sbi permet aux bactéries d’échapper au système immunitaire de l’hôte infecté. Cependant, l’effet sur la virulence de SprD ne dépendrait pas seulement de cette protéine, indiquant qu’il existe une ou plusieurs autre(s) cible(s) de SprD qui participe(nt) à son rôle dans l’expression de la virulence de S. aureus [11].

Perspectives

Plus de la moitié des antibiotiques actuellement utilisés en clinique humaine et animale pour traiter les infections bactériennes se lient à l’ARN ribosomique. Ceci indique que les ARN sont des cibles thérapeutiques prometteuses pour développer de nouveaux antibactériens. Les ARN, indépendamment d’autres macromolécules associées, possèdent des structures tridimensionnelles caractéristiques capables d’être reconnues par des molécules spécifiques qui, en retour, modifieraient leurs propriétés fonctionnelles et structurales. C’est le cas, par exemple, des riborégulateurs qui ont une haute affinité et sélectivité pour leurs ligands respectifs afin de contrôler l’expression de gènes situés en aval. La fonction des quelques ARNrég de S. aureus caractérisés indique qu’ils sont impliqués dans des voies métaboliques essentielles ou dans des mécanismes permettant aux bactéries de réussir leurs processus infectieux. Il est probable que beaucoup d’autres, qui n’ont pas encore été étudiés, ont un rôle essentiel dans la physiologie bactérienne. Empêcher l’action d’ARNrég serait un moyen pour combattre les infections qui, dans le cas de S. aureus, sont parfois gravissimes et difficiles à juguler du fait de la résistance de cette bactérie à de nombreux antibiotiques. Par ailleurs, les ARNrég peuvent être des marqueurs précoces d’infections et offrir de futurs outils diagnostiques. Les ARNrég apparaissent ainsi comme des cibles prometteuses pour développer de nouvelles classes d’agents antibactériens.

Conflit d’intérêts

Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 Un riborégulateur est une structure d’ARN présente au sein d’un ARNm qui peut lier un ligand dont la fixation affecte l’expression du ou des gènes situés en aval. Ce ligand est souvent le métabolite de la réaction catalysée par la protéine codée par l’ARNm.
References
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