L’accès aux tests de prédisposition génétique aux cancers du sein et/ou de l’ovaire (tests d’oncogénétique) se fait en France par le biais de consultations spécialisées organisées en réseaux (107 lieux de consultation en 2009). Dans notre pays, ces consultations se sont développées à la fin des années 1990 grâce à des financements de recherche [ 1] et se sont structurées à partir de 2003 de manière formelle grâce aux deux premiers « plans cancer » [ 2]. On comptait en 2009 6 400 prescriptions de tests BRCA (breast-cancer-associated gene) pour « cas index » (désigne la première personne testée dans une famille) et 2 900 pour les apparentés [2].
Nous détaillerons dans ce texte essentiellement l’importance des tests génétiques BRCA1/2 réalisés chez les femmes. En ce qui concerne les hommes porteurs d’une mutation délétère d’un de ces deux gènes, si leur risque de développer un cancer du sein est élevé par rapport à celui d’un homme non porteur de cette mutation, surtout dans le cas de mutations de BRCA2, le risque absolu qui les concerne reste très faible [ 3]. Pour les hommes porteurs d’une de ces mutations, l’importance des résultats réside essentiellement dans la nécessité d’informer leur descendance dans la mesure où la mutation est transmise de manière autosomique dominante (donc la probabilité de transmission de cette mutation à leurs enfants est de 50 %).
Pour une personne ayant déjà développé un cancer du sein et/ou de l’ovaire, et dans un contexte le plus souvent d’histoire familiale, la réalisation d’un test génétique (que tous les médecins peuvent prescrire) est considérée comme un élément de diagnostic étiologique, qui donne maintenant aussi des éléments de pronostic et d’aide à la décision chirurgicale et médicale [3, 4]. Ainsi, la présence d’une mutation délétère d’un gène BRCA1/2 est indicatrice, pour la personne déjà malade, d’une fréquence plus élevée de récidives ou de la survenue d’autres atteintes. L’absence de découverte de mutation BRCA1/2 chez un cas index quand une mutation familiale n’était pas connue au préalable, situation de loin la plus fréquente (80 %) lorsque ces analyses sont faites pour la première fois dans de nouvelles familles, est aussi porteuse de difficultés de compréhension pour les patients dans la mesure où ce résultat est considéré comme étant peu informatif.
C’est pour des raisons de complexité technique et de limites de connaissances biologiques que ce pourcentage est aussi élevé. Il y a deux possibilités : soit la technique utilisée n’a pas permis d’identifier une mutation des gènes BRCA1/2, soit une mutation existe mais sur un autre gène connu (mais plus rare et analysé sur des indications plus spécifiques) ou sur un autre gène non connu. Soit, effectivement, nous sommes en présence d’un vrai négatif. En fonction de l’histoire clinique individuelle et familiale, les recommandations de suivi de ces patientes seront alors différentes. Si le contexte est considéré comme évocateur d’un risque suffisamment élevé, et malgré l’absence de mutation retrouvée, il justifiera toujours une surveillance médicale intensive. Si le contexte est considéré comme évocateur d’un risque modéré, la surveillance sera moins stricte, soit, de manière beaucoup plus rare, il sera considéré suffisamment rassurant pour que la patiente bénéficie d’une surveillance médicale identique à celle de la population générale des femmes du même âge. Ces résultats amènent les patientes à s’ajuster de manière différente à leur niveau de risque et ce en fonction non seulement de leur histoire personnelle et familiale de cancer, mais aussi en fonction de leurs convictions par rapport au risque et de leurs capacités à gérer les incertitudes [ 5– 7]. On voit bien que les informations médicales ne réduisent en rien les incertitudes et qu’elles opèrent par ailleurs un lien direct avec les activités de recherche puisque, dans ce cas, le médecin pourra proposer au patient de faire partie de protocoles spécifiques visant à rechercher de nouveaux gènes de prédisposition au cancer.
Pour des personnes non malades, nous sommes dans le contexte juridique de tests génétiques prédictifs pour lesquels la prescription ne peut être faite en France que par des médecins habilités à prescrire ces tests et dans un contexte d’équipe multidisciplinaire (lois de bioéthique, décret n° 2000-570 du 23 juin 2000 [ 8]). Ceci amène alors les patientes à avoir une information détaillée avant les tests génétiques afin que ces derniers soient réalisés dans un contexte informé, notamment de la prise en charge médicale particulière qui pourra être proposée en aval des résultats si la mutation familiale identifiée au préalable était retrouvée. Cette prise en charge fait appel à une surveillance précoce et régulière, clinique et par imagerie, instaurée souvent à partir de 30 ans et, à un âge plus avancé, à la chirurgie prophylactique mammaire et/ou ovarienne [3]. Si la mutation familiale n’est pas retrouvée, la personne retrouve le suivi de la population générale du même âge.
Il existe maintenant un consensus sur le fait que les consultations de génétique associées aux tests génétiques améliorent significativement les connaissances sur les risques génétiques de maladie [ 12– 15]. La question de l’influence de ces connaissances sur les croyances et notamment sur la perception des risques individuels et familiaux est cependant plus complexe [ 16]. La perception du risque est un des facteurs sociocognitifs clés de la prédiction des comportements de santé bien qu’il existe une circularité entre perception des risques et pratiques préventives : les personnes ayant un comportement particulier interprètent et réinterprètent leur risque en fonction de ce comportement.
L’évaluation des effets psychologiques de la communication des résultats des tests génétiques pour les personnes non malades n’ayant pas la mutation délétère familiale d’un des gènes BRCA1/2 montre une diminution du niveau de détresse générale (dépression/anxiété) et du niveau de détresse plus spécifiquement liée à la maladie dans les suites des résultats [ 17, 18]. Lodder a souligné la présence de niveaux de dépression élevés pour les femmes n’ayant pas de mutation et dont une sœur était positive pour cette même mutation [ 19].
Les estimations des risques de développer un cancer pour les femmes ayant une mutation constitutionnelle délétère d’un des gènes BRCA1/2 sont très variables selon les études. Elles diffèrent aussi pour les deux gènes en cause. On peut globalement estimer que les femmes porteuses d’une mutation délétère constitutionnelle ont de l’ordre de 40 à 85 % de risque de développer un cancer du sein avant l’âge de 70 ans, alors que ce risque est de l’ordre de 10 % dans la population générale. Elles ont entre 10 % et 63 % de risque de développer un cancer de l’ovaire avant l’âge de 70 ans, alors que ce risque est de 1 % dans la population générale. Nous renvoyons le lecteur aux références citées pour plus de précision concernant les risques spécifiques aux mutations de chacun de ces gènes ainsi que ceux concernant les autres organes. |
Pour les personnes non malades porteuses d’une mutation délétère, une augmentation de ces symptômes était observée après le rendu des résultats avec retour vers des seuils plus faibles pendant le suivi au long cours [ 20]. L’impact des résultats des tests génétiques sur la perception des risques est significatif avec une diminution pour les personnes négatives et une augmentation à court terme pour les personnes positives ; à plus long terme, il évolue en fonction des pratiques de surveillance et de chirurgie prophylactique, notamment pour les femmes de la cohorte française Genepso [ 21]. Les personnes ayant opté pour une ovariectomie prophylactique ont une diminution de leur perception des risques de cancer de l’ovaire mais leur perception de risque de cancer du sein ne diminue pas, bien que le niveau de risque de cancer du sein soit de fait diminué de moitié lorsqu’une ovariectomie a été réalisée. On a, en revanche, pour les personnes porteuses d’une mutation et n’ayant pas opté pour la chirurgie prophylactique, une augmentation régulière de la perception des risques de cancer sein/ovaire au cours du suivi des cinq années après l’annonce des résultats des tests [21].
Il est cependant difficile de comparer les données de pays différents dans la mesure où l’adhésion aux mesures de surveillance et de prévention dépend aussi des modalités antérieures de suivi et du taux de couverture sociale de ces interventions de santé. Par ailleurs, l’acceptabilité théorique et réelle de ces mesures de prévention, lorsqu’elles sont estimées efficaces, est essentielle à prendre en compte, notamment celle des mesures de chirurgie prophylactique. Ainsi, plus de la moitié des femmes néerlandaises optent pour une mastectomie prophylactique, les femmes américaines et françaises sont plus réticentes et les britanniques ont une position intermédiaire [20, 21, 23– 26]. Nous avons montré récemment que les délais de recours à la chirurgie prophylactique étaient très dépendants de l’âge des patientes et de leurs caractéristiques familiales, mais aussi de leurs intentions préalablement à l’annonce du résultat et de l’impact psychologique de ces résultats [16]. L’observation de ces comportements confirme les différences selon les pays observées préalablement à la mise en place des tests par le biais d’enquêtes sur les attitudes théoriques de ces populations [ 27]. Ces recommandations de chirurgie prophylactique soulèvent une question difficile pour les médecins quant à leur devoir d’informer sur des pratiques qu’ils estimaient jusqu’à il y a très peu de temps difficilement recommandables, notamment en France [ 28].
Pour les femmes appartenant à une famille dans laquelle une mutation BRCA1/2 a déjà été identifiée et qui se révèlent elles-mêmes non porteuses de cette mutation et devant donc avoir un suivi médical comparable à celui d’une femme de la population générale de même âge, on observe une surutilisation persistante des moyens de surveillance et de dépistage deux à trois ans après la communication des résultats pour des cohortes australienne, française et québécoise [ 29, 30].