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Med Sci (Paris). 2011 October; 27(10): 820–822.
Published online 2011 October 21. doi: 10.1051/medsci/20112710009.

CRAF, acteur-clé dans les adénocarcinomes pulmonaires induits par l’oncogène K-Ras

Sarah Francoz1,2,3* and Pierre Dubus1,2,3**

1Experimental Oncology Group, CNIO-Centro Nacional de Investigaciones Oncológicas (Spanish National Cancer Research Centre), Melchor Fernández Almagro, 3, 28029Madrid, Espagne
2EA2406, Histologie et pathologie moléculaire des tumeurs, Université de Bordeaux, 146, rue Léo Saignat, 33076Bordeaux, France
3Laboratoire de biologie des tumeurs, hôpital du Haut Lévêque, CHU de Bordeaux, 33604Pessac, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Adénocarcinome, traitement médicamenteux, enzymologie, génétique, Animaux, Antinéoplasiques, usage thérapeutique, Carcinome pulmonaire non à petites cellules, Transformation cellulaire néoplasique, Gènes ras, Humains, Tumeurs du poumon, Système de signalisation des MAP kinases, Souris, Souches mutantes de souris, Modèles biologiques, Thérapie moléculaire ciblée, Protéines tumorales, antagonistes et inhibiteurs , physiologie, Phosphorylation, Inhibiteurs de protéines kinases, Maturation post-traductionnelle des protéines, Protéines proto-oncogènes c-raf, Transduction du signal

Les tumeurs pulmonaires et les oncogènes RAS

Depuis ces 20 dernières années, le cancer du poumon est devenu la première cause de mortalité par cancer dans le monde. Les gènes RAS sont mutés dans 50 % des adénocarcinomes pulmonaires et 20 % à 30 % des carcinomes pulmonaires non à petites cellules (CPNPC), le type de tumeur pulmonaire le plus fréquent chez l’homme. Les protéines RAS sont impliquées dans diverses fonctions cellulaires essentielles pour l’initiation et la progression tumorales, comme la prolifération cellulaire, la différenciation, la mobilité et l’apoptose (pour revue, voir [ 1]). Jusqu’à présent, les différentes stratégies visant à inhiber pharmacologiquement les oncoprotéines RAS n’ont pas abouti. Une alternative, cibler les effecteurs situés en aval des RAS à des fins thérapeutiques, a été étudiée. Parmi les différentes voies de signalisation activées par les protéines RAS, la voie ERK (extracellular signal-regulated kinase)-MAPK (mitogen-activated protein kinase) semble être principalement impliquée dans le contrôle de la prolifération cellulaire, essentielle au développement tumoral [ 2]. L’analyse de cette voie de signalisation dans le développement des CPNPC apparaît donc particulièrement pertinente.

Après activation de récepteurs par des stimulus extracellulaires, les GTPases RAS se lient au GTP et recrutent les sérine/thréonine kinases RAF à la membrane cytoplasmique (Figure 1). Les RAF activées phosphorylent et activent les kinases MEK (mitogen-activated kinase/ERK kinase) qui, à leur tour, activent les kinases ERK. Ces protéines phosphorylent notamment de nombreux facteurs de transcription impliqués dans le contrôle de la prolifération cellulaire (→).

(→) Voir l’article de N. Dumaz et al., page 817 de ce numéro

Modèle murin de carcinome pulmonaire non à petites cellules

La majorité des mutations des gènes RAS (90 %) observées dans les CPNPC affectent K-RAS, essentiellement au niveau du codon 12. La souris K-Ras +/LSLG12Vgeo , générée dans le laboratoire de Mariano Barbacid [ 3], permet d’exprimer l’oncogène K-RasV12 après activation par la recombinase Cre. Ces animaux développent des adénomes et adénocarcinomes pulmonaires quelques mois après traitement par la Cre, et ont été utilisés comme modèle d’étude des CPNPC (pour revue, voir [ 4]). Afin de déterminer quelle kinase de la voie de signalisation Raf/Erk/Mek est essentielle pour la signalisation de K-RasV12 lors de l’initiation des CPNPC, ces animaux ont été croisés avec des souris dont chacune des kinases Raf, Mek et Erk était inactivée, soit constitutivement, soit de façon conditionnelle [ 5].

Les kinases Erk et Mek sont essentielles au développement des CPNPC induits par K-RasV12… mais aussi à la survie des souris !

Les souris K-Ras +/LSLG12Vgeo ont été croisées avec les souris Erk1 −/− , Erk2 lox/lox , Mek1 lox/lox et Mek2 −/− . Afin de cibler spécifiquement le tissu pulmonaire, les souris sont traitées avec un adénovirus (par voie intratrachéale) codant pour la recombinase Cre. Ceci permet d’exprimer l’oncoprotéine K-RasV12 et de bloquer l’expression des allèles floxés (Erk2 lox ou Mek1 lox ) simultanément et dans les mêmes cellules. Contrairement à l’ablation d’une seule des deux kinases Mek ou Erk, l’élimination concomitante des deux protéines Mek ou Erk dans le tissu pulmonaire altère significativement le nombre de tumeurs induites par l’oncogène K-Ras et conduit à une augmentation de la survie de ces animaux (Figure 2). Les quelques tumeurs présentes conservent au moins un allèle Erk2 lox ou Mek1 lox non recombiné, démontrant qu’elles ne peuvent se développer en l’absence des deux kinases Erk ou Mek. Ces observations démontrent que la voie de signalisation Erk-Mapk est essentielle pour les propriétés oncogéniques de K-Ras dans ce modèle murin de CPNPC [5]. Afin d’étudier l’implication des kinases Erk et Mek dans l’homéostasie normale chez l’animal adulte, les souris Erk1 −/− ; Erk2 lox/lox ; RERT ert/ert et Mek1 lox/lox ; Mek2 −/− ; RERT ert/ert ont été générées. La lignée RERT ert/ert exprime la CreERT2 (Cre recombinase inductible par le tamoxifène) de façon ubiquitaire. L’ablation ubiquitaire des kinases Mek ou Erk chez la souris adulte est létale en quelques semaines (Figure 2). Par ailleurs, les inhibiteurs de MEK CI-1040, AZD6244 et PD0325901, testés à des doses tolérées dans des essais cliniques de phase précoce, montrent leur absence d’activité antitumorale sur des CPNPC [ 68]. Un autre inhibiteur de MEK : GSK1120212, a permis de stabiliser la maladie chez 9 des 14 patients traités atteints de CPNPC mutés pour K-RAS 1. L’ensemble de ces résultats confirme l’intérêt des inhibiteurs dirigés contre ERK ou MEK dans le traitement des CPNPC mutés pour K-RAS, tout en soulignant la difficulté de trouver des doses thérapeutiques efficaces sur la tumeur et tolérées par le patient au niveau systémique.

Analyse de l’implication des protéines Raf dans l’émergence des adénocarcinomes pulmonaires mutés pour K-Ras
Un rôle-clé pour c-Raf
Les kinases Raf sont les effecteurs directs de K-Ras au sein de la voie Erk-Mapk. De façon surprenante, l’ablation de BRaf n’a pas d’effet sur le développement des tumeurs. En revanche, le nombre d’adénomes et d’adénocarcinomes est fortement réduit en l’absence de CRaf et la survie des souris est allongée (Figure 2) [5]. De plus, les tumeurs qui se développent chez ces animaux gardent au moins un allèle c-Raf lox non recombiné, démontrant le rôle essentiel de la kinase CRaf dans la transduction du signal oncogénique de K-Ras. Les autres protéines Raf (B-Raf et A-Raf) ne sont donc pas capables de compenser la perte de CRaf dans ce modèle. Le mécanisme moléculaire bloquant in vivo le développement de CPNPC induits par l’oncogène K-RasV12 en l’absence de CRaf reste indéterminé. De façon intéressante, l’ablation de c-Raf chez la souris adulte n’affecte pas la santé générale des animaux (Figure 2), suggérant que l’inhibition spécifique de cette molécule par des produits pharmacologiques pourrait être bien tolérée par les patients atteints de CPNPC.
CRAF cible thérapeutique potentielle des CPNPC exprimant l’oncogène K-RasV12
Dans un autre modèle, celui des mélanocytes, BRAF active la voie de signalisation ERK-MAPK, alors que dans les mélanomes mutés pour RAS, c’est CRAF qui joue ce rôle [ 9] (→). De plus, un modèle in vivo a permis de démontrer que CRAF est essentiel au développement et au maintien de tumeurs épidermiques induites par Ras [ 10]. L’ensemble de ces résultats suggère également que CRAF serait impliqué dans le développement de différents types de tumeurs mutées pour RAS.

(→)Voir l’article de Nicolas Dumaz et al., page 817 de ce numéro

Les inhibiteurs de RAF possédant une activité dirigée contre BRAF et CRAF inhibent la prolifération des tumeurs mutées pour BRAFV600E, en bloquant la voie ERK-MAPK [ 11, 12] (→). Au contraire, dans un contexte RAS mutant ou BRAF/RAS sauvage, ces inhibiteurs induisent une augmentation de la croissance tumorale en activant la voie de signalisation ERK-MAPK. Par ailleurs, un tiers des patients atteints d’un mélanome et traités avec un inhibiteur de BRAF développent des carcinomes épidermoïdes cutanés [ 13, 14]. Il reste à déterminer si des inhibiteurs spécifiques de CRAF auraient le même effet.

D’autres modèles ont démontré l’importance de l’inhibition de Cdk4 [ 15] et NFκB [ 16] dans le développement des CPNPC ayant une mutation de K-Ras. Ainsi, l’association d’inhibiteurs de CRAF, Cdk4 et NFκB pourrait avoir un effet synergique dans le traitement des tumeurs pulmonaires.

Perspectives

Le modèle présenté ici a permis d’identifier les gènes de la voie de signalisation Erk-Mapk impliqués dans l’initiation des CPNPC induits par K-RasV12. De nouveaux modèles murins, permettant l’étude de l’importance de ces gènes dans la maintenance et la progression des adénocarcinomes pulmonaires mutés pour K-Ras, sont actuellement en cours de mise au point. Ils permettront la séparation temporelle entre l’expression de l’oncogène K-Ras V12 et la délétion des gènes de la voie, une fois que les tumeurs sont établies. Les résultats obtenus à partir de ces nouveaux modèles devraient fournir des informations-clés pour le développement de thérapies ciblées pour le traitement de CPNPC mutés pour K-RAS.

Conflit d’intérêts

Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 http://www.esmo.org/events/milan-2010-congress
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