Logo of MSmédecine/sciences : m/s
Med Sci (Paris). 2011 November; 27(11): 1009–1013.
Published online 2011 November 30. doi: 10.1051/medsci/20112711018.

Représentation en sciences du vivant (9) - De quoi l’extraterrestre est-il le nom ?

Roland Lehoucq1*

1CEA Saclay, DSM/IRFU/Service d’astrophysique, L’Orme des Merisiers, bâtiment 709, 91191 Gif-sur-Yvette, Cedex, France
Corresponding author.
La diversité des extraterrestres

La toute première représentation d’un être extraterrestre semble remonter aux années 1835-1836 [ 1]. Il s’agit d’hommes chauve-souris habitant la Lune (Figure 1), observés au moyen d’un supertélescope imaginaire. Mis en scène, ces sélénites ridiculisaient certains savants de l’époque qui pensaient avoir observé des constructions artificielles sur la Lune. Ce récit inspira une série d’articles considérés comme des canulars alors que son auteur pensait produire une satire. Mais l’extraterrestre le plus souvent représenté est bien sûr le Martien (Figure 2), créature imaginaire originaire de la planète Mars. Les Martiens sont souvent représentés comme des êtres à l’apparence vaguement humanoïde et repoussante, minces, avec une grosse tête et des yeux globuleux, généralement animés de mauvaises intentions envers l’espèce humaine. Ils sont aussi souvent de couleur verte, ce qui leur vaut d’être surnommés « petits hommes verts ». Cette couleur pourrait avoir son origine dans un roman d’Edgar Rice Burroughs, le père de Tarzan, intitulé A princess of Mars (1912). L’auteur y décrit les différentes espèces de Martiens, dont l’une a une peau verte, très exotique. Cette couleur sera reprise par plusieurs autres auteurs et fera parfois le titre de leur ouvrage, comme Harold Sherman dans The green man (1946) ou encore Damon Knight dans The third little green man (1947). Dans la tradition des contes, la couleur verte est omniprésente pour évoquer certaines créatures féeriques ou fantomatiques.

Avec leur apparition au cinéma, l’aspect des extraterrestres s’est considérablement diversifié. Face à cette profusion d’espèces, le cinéaste Denis Van Waerebeke a réalisé un court métrage humoristique intitulé Classification systématique du vivant extraterrestre, dans lequel il applique aux extraterrestres rencontrés dans les Ĺ“uvres de fiction les règles de classification des êtres vivants terrestres1. Il en ressort notamment qu’au cinéma la forme humanoïde domine largement. C’est assez logique si l’on considère que l’acteur qui joue le rôle de la créature doit pouvoir enfiler son costume sans que ses mouvements soient trop limités. Cette contrainte aurait dû tendre à disparaître avec l’utilisation des effets spéciaux ou des acteurs virtuels. Mais les réalisateurs ne s’inspirent guère de la biodiversité terrestre qui réserve pourtant des surprises bien au-delà d’une étrangeté formatée. Malheureusement, nous ne nous intéressons pas aux êtres vivants chez lesquels une symétrie bilatérale, une tête ou des yeux ne nous apparaissent pas spontanément. Sauf si, comme la salade, nous les mangeons. C’est donc la quasi totalité du vivant terrestre qui est purement et simplement ignorée quand il s’agit d’imaginer des extraterrestres vraiment originaux [ 2]. C’est ainsi que, dans son film Avatar, James Cameron nous montre la planète Pandora pourvue d’un écosystème très semblable au nôtre : on y voit des vertébrés, des carnivores, des herbivores, des arbres, des fleurs, et bien sûr des extraterrestres anthropomorphes, les Na’vis.

Étranges et proches : les créatures de la planète Pandora

S’il y a tant de créatures familières sur Pandora, c’est aussi parce qu’il est nécessaire que les spectateurs puissent comprendre ce qu’ils voient tout en ayant une impression d’exotisme. Cela permet aussi de puiser dans l’extraordinaire diversité du vivant terrestre : l’hélicoradians, une plante forestière de Pandora, ressemble aux spirales de tentacules colorées du ver marin Spirobrancheus giganteus, le direhorse est une copie du cheval bien qu’il soit hexapode et se nourrisse comme un papillon, le titanothérium est manifestement un mélange de rhinocéros et de requin marteau, le banshee a un air de ptérosaure mais son système respiratoire est semblable à celui du dauphin, etc. Dans un monde ni trop différent du nôtre, ni trop familier, nous succombons à la fascination de l’étrange tout en préservant l’empathie due à la proximité. Mais rien ne garantit qu’il y ait des similitudes entre une éventuelle vie extraterrestre et la nôtre : aucune certitude qu’elle prenne la forme d’une vie cellulaire (unité fondamentale du vivant terrestre) ou qu’elle soit à base d’ADN (hypothèse indispensable pour créer l’avatar de Jake Scully en combinant le sien à celui d’un Na’vi).

Le film de Cameron laisse penser que ces formes sont incontournables et reproduites partout où la vie apparaîtrait. Rien ne garantit que les tours et détours de l’évolution, au fil des milliards d’années, auraient abouti, sur Pandora aussi, à un être intelligent composé de deux jambes, deux bras, deux yeux, deux oreilles (et quatre doigts !). Mais même les biologistes les plus réticents reconnaîtront que cela rend le film plus facile à suivre que si les Na’vis avaient été des pieuvres oranges évoluant dans un océan de méthane ou des boules de poils roulant au sol. Avatar est bien sûr un film avant tout conçu pour être divertissant et esthétique. Néanmoins, l’analyse de l’écosystème de Pandora à la lumière des sciences terrestres permet de déduire un certain nombre d’éléments sur la biologie, l’écologie ou la physiologie des êtres qui le peuplent. Ainsi, la plupart des êtres de Pandora (Viperwolf, titanothérium et autre thanator) sont hexapodes. Cette hexapodie partagée s’intègre naturellement dans la vision darwinienne de descendance avec modifications : l’explication la plus simple consiste à supposer que ces espèces ont un ancêtre commun, hexapode lui aussi, à partir duquel elles ont évolué. Sur Terre, les tétrapodes partagent un plan corporel impliquant qu’ils descendent d’un ancêtre commun (reptilien et précédemment amphibien) ayant deux paires de membres. Si cet ancêtre avait eu trois paires de membres au lieu de deux, on peut supposer que nos mammifères auraient six membres, comme les êtres que l’on trouve sur Pandora. Curieusement, les Na’vis, tétrapodes, auraient plutôt un ancêtre commun avec les banshees, ces créatures volantes ayant une locomotion terrestre quadrupède, comme les ptérosaures.

Rejouer la vie sur Terre ?
Le « hasard et la nécessité »
Ce film pose aussi la question de l’unité des formes et de l’émergence de vies extraterrestres. Sur une planète semblable à la Terre, les êtres vivants seront-ils similaires à ceux que nous connaissons ? L’évolution des espèces y suivra-t-elle les voies terrestres ou bien d’autres radicalement différentes ? L’apparition de la vie sur Terre était-elle inévitable ou bien n’était-ce qu’un coup de chance ? Que se passerait-il si l’on pouvait rejouer toute l’évolution terrestre depuis l’apparition des premières formes de vie ? Faute d’avoir déjà découvert une activité biologique actuelle ou fossile hors de la Terre, ces questions restent pour l’instant sans réponses et font l’objet de débats. Par exemple, certains biologistes, comme Stephen J. Gould, estiment que si l’évolution terrestre était rejouée, pratiquement rien ne serait semblable [ 3] tandis que d’autres, comme Simon C. Morris, affirment que des structures morphologiques et métaboliques se répèteraient [ 4].

Certaines propriétés de la vie sont dues au hasard : à chaque génération, des mutations se produisent de façon aléatoire au sein de l’ADN ; parmi ces mutations, certaines permettent de mieux survivre dans les conditions où elles se produisent. Par le jeu de la reproduction, de génération en génération, ces mutations avantageuses finissent par envahir les populations d’êtres vivants. Mais si l’évolution comporte une part de hasard (les mutations), elle a aussi une part de nécessité : les mutations avantageuses le sont parfois pour des raisons physiques profondes. Les exemples ne manquent pas. Ainsi, la forme d’un arbre (un fort axe vertical, le tronc, qui plonge des racines dans le sol et supporte des appendices secondaires, les branches) est une réponse universelle à une contrainte environnementale : haute taille pour gagner la course à la lumière tout en restant bien ancré dans le sol pour y puiser les nutriments. Cette structure se trouvait déjà sur les fougères arborescentes ou les calamites du Carbonifère, il y a 300 millions d’années (Ma). Dans le règne animal, on dénombre une quinzaine de type d’yeux utilisant une foule de procédés de détection de la lumière et de formation d’une image. Les organes de vol se retrouvent chez les insectes, les poissons (exocet), les ptérosaures (qui vécurent du Trias, -230 Ma, au Crétacé, -65 Ma), les oiseaux (descendants des dinosaures) et les mammifères (comme la chauve-souris). La forme hydrodynamique et les nageoires sont aussi apparues plusieurs fois de façon totalement indépendante : bien évidemment chez les poissons mais aussi chez les ichtyosaures (des reptiles marins qui vécurent de -250 Ma à -90 Ma), les oiseaux aquatiques comme le manchot, les mammifères aquatiques (comme les otaries), les cétacés (comme le grand dauphin) et les siréniens (comme le dugong). Cette évolution morphologique analogue est liée au fait que la force exercée par l’eau sur un corps en mouvement est la plus faible possible pour des profils en forme d’ogive. Puisque toutes ces espèces sont soumises à cette même contrainte, elles ont, chacune de leur côté, évolué vers une solution adaptative très similaire au problème du déplacement dans un milieu dense, comme l’eau. Des chercheurs ont développé une théorie physique de la morphogenèse animale qui contribue à éclairer la nature des contraintes auxquelles la morphologie des animaux est soumise (voir par exemple [ 5]). Cette théorie applique à l’embryologie les propriétés matérielles de la matière vivante, en particulier sa fluidité. Obéissant aux lois de l’hydrodynamique, la matière vivante est contrainte par un ensemble de lois physiques dont la prise en compte éclaire la morphogenèse embryonnaire et explique naturellement les grandes lignes de la formation d’un être vivant. Ainsi, des solutions similaires favorisant la survie sont apparues dans diverses branches du buisson évolutif terrestre, car des contraintes physiques peuvent imposer une relation entre la fonction d’un organe et sa forme, entre la niche écologique d’une espèce et les organes qu’elle porte. Cette évolution convergente est le produit de l’évolution d’espèces soumises aux mêmes lois physiques et aux mêmes contraintes environnementales [ 6, 7].

Vies terrestre et extraterrestre : traits communs ou diversité radicale ?

S’il existe une vie extraterrestre, elle résultera sans doute, comme sur Terre, de milliards d’années d’évolution et pourrait bien avoir quelques traits communs avec la vie terrestre, car les lois physiques régissant la matière et les processus qui la transforment sont universelles. Ainsi, la vie terrestre est essentiellement composée de carbone, d’hydrogène, d’oxygène et d’azote (avec une pincée de phosphore et de soufre) qui sont aussi quatre éléments chimiques très abondants dans l’univers [ 8]. Il est donc raisonnable de penser qu’une vie extraterrestre sera aussi basée sur ces éléments, même si une équipe américaine prétend avoir découvert une bactérie utilisant l’arsenic à la place du phosphore [ 9]. D’autre part, du microorganisme le plus simple à l’organisme le plus complexe, on retrouve un certain nombre de fonctions vitales de base :

  • se mouvoir dans un liquide, dans un gaz, sur une surface, en volume, bref dans un milieu plus ou moins dense, en étant soumis à la gravité ;
  • échanger avec son milieu, pour se nourrir, rejeter des déchets ou respirer ;
  • interagir avec son milieu pour s’en informer - à propos de nourriture, de prédateur ou de proie - avec des sens tactile, olfactif, auditif, visuel, électrique, magnétique ou autre ;
  • échanger de l’information avec ses congénères grâce à des organes de communication, tant en émission qu’en réception, eux aussi fondés sur les sens tactile, olfactif, auditif, visuel, électrique ou magnétique.

Dans ce cadre, les possibilités sont nombreuses et les incertitudes sont grandes. Il ne paraît donc guère facile de démontrer que des êtres extraterrestres ressembleront aux êtres terrestres, mais l’hypothèse d’une diversité radicale n’est pas non plus assurée. Alors que certains exobiologistes insistent sur le fait que la vaste biodiversité terrestre suggère qu’elle le sera encore plus dans l’espace, d’autres font remarquer que la convergence évolutive pourrait bien imposer de nombreuses similitudes entre les vies terrestre et extraterrestre. La difficulté réside dans le fait que, n’ayant qu’un seul exemple sous la main, il est facile de tomber dans une sorte de « chauvinisme terrestre » en imaginant les formes que pourrait prendre une vie extraterrestre. De ce point de vue, « vie » ne signifie évidemment pas seulement « vie intelligente » ou « vie multicellulaire vertébrée ». Ces formes-là ne représentent qu’une infime fraction de la biodiversité terrestre et ne sont peut-être pas universelles. La vie terrestre a commencé par des êtres unicellulaires et la plupart des paléontologues estiment qu’elle existe depuis au moins 3,4 milliards d’années [ 10]. Le plus vieil organisme multicellulaire n’a fait son apparition qu’il y a 1,2 milliards d’années [ 11]. Si l’on découvre un jour une vie extraterrestre, il est tout à fait probable qu’elle se présente sous forme de microscopiques algues ou bactéries. Et une vie multicellulaire n’a pas forcément besoin d’un squelette même si cette structure est commune à la grande majorité des animaux terrestres pour lesquels la gravité joue un rôle. Sur Terre, les plus anciens fossiles de vertébrés datent de 530 millions d’années (Cambrien) [ 12] et ce groupe ne représente aujourd’hui que 5 % des espèces terrestres. Si l’on rejouait l’histoire de la vie sur Terre, il est possible que les vertébrés n’apparaissent jamais et les extraterrestres pourraient bien être microscopiques.

Les Martiens, hommes du futur ?

Pour conclure, notons que les représentations des extraterrestres sont le reflet de leur époque. Ainsi, en 1838, le naturaliste Pierre Boitard publie une série d’articles sur les habitants de chaque planète du système solaire (Figure 3), imprégnée par les théories évolutionnistes et le colonialisme ambiant. Les habitants de ces planètes sont aussi l’occasion pour Boitard de s’adresser à ses contemporains, avec la description d’utopies sociales en vigueur sur les autres mondes. Plus tard, c’est lors d’une discussion au sujet des conséquences dramatiques de l’arrivée des Anglais en Tasmanie2, qu’une réflexion de son frère Frank aurait donné l’idée à Herbert Wells d’écrire La Guerre des Mondes (1897), qui fit des Martiens nos ennemis extraterrestres les plus dangereux. Les extraterrestres sont aussi des représentations de nous-mêmes dans le futur, au stade ultime de notre évolution biologique. Les Martiens macrocéphales (Figure 4) de Wells ne sont plus que de grands cerveaux dotés de huit paires de tentacules. Incapables de se déplacer par eux-mêmes, ils agissent via des machines qui démultiplient leurs actions. Enfin, cette altérité de l’extraterrestre permet à certains auteurs de mener la quête philosophique de la spécificité de notre humanité. Qu’est-ce qui définit l’humain dans l’infini des possibles ? En nous faisant voyager sur des mondes qui n’existent pas à la rencontre d’êtres imaginaires, la science-fiction nous parle surtout de nous, de nos vertiges face à notre insignifiante position dans l’Univers et des constructions que nous échafaudons, au fil du temps, pour nous en accommoder.

Conflit d’intérêts

L’auteur déclare n’avoir aucun conflit d’intérêts concernant les données publiées dans cet article.

 
Acknowledgments

À Yves Bosson, de l’Agence Martienne, pour la permission d’utiliser les 4 photos qui illustrent cet article (site : www.agence-martienne.fr).

 
Footnotes
2 Au XVIIIe siècle, les indigènes de l’île de Tasmanie, au large de l’Australie, furent victimes des colons anglais quand les soldats de Sa Majesté firent de l’île une colonie pénitentiaire. En 1876, tous avaient disparu.
References
1.
Bosson Y , Abdelouahab F . Dictionnaire visuel des mondes extraterrestres . Paris: : Flammarion; , 2010.
2.
Lecointre G . Y a-t-il des extraterrestres dans mon assiette ? In : Bellagamba U , Gyger P , Lehoucq R , Pieyre P , eds. Sciences et science-fiction . Paris: : La Martinière; , 2010.
3.
Gould SJ . Wonderful life: the burgess shale and the nature of history . New York: : W.W. Norton; , 1989.
4.
Morris SC . Life’s solution: inevitable humans in a lonely universe . Cambridge: : Cambridge University Press; , 2003.
5.
Fleury V . Clarifying tetrapod embryogenesis, a physicist’s point of view . Eur Phys J Appl Phys. 2009; ; 45 : :30.–101.
6.
Pickover C . The science of aliens . New York: : Basic Books; , 2003.
7.
Cohen J , Stewart I . What does a Martian look like: the science of extraterrestrial life . London: : Ebury Press; , 2004.
8.
Anders E , Ebihara M . Solar-system abundances of the elements . Geochim Cosmochim Acta. 1982; ; 46 : :23.–63.
9.
Wolfe-Simon F , Blum JS , Kulp TR , et al. A bacterium that can grow by using arsenic instead of phosphorus. , Science. 2011; ; 332 : :1163.–1166.
10.
Wacey D , Kilburn MR , Saunders M , et al. Microfossils of sulphur-metabolizing cells in 3.4-billion-year-old rocks of Western Australia . Nature Geoscience. 2011 ; doi : 10.1038/ngeo1238.
11.
Butterfield NJ . Bangiomorpha pubescens: implications for the evolution of sex, multicellularity, and the Mesoproterozoic/Neoproterozoic radiation of eukaryotes . Paleobiology. 2000; ; 26 : :386.–404.
12.
Shu DG , Luo HL , Conway-Morris S . Lower Cambrian vertebrates from south China . Nature. 1999; ; 402 : :42.–46.