Logo of MSmédecine/sciences : m/s
Med Sci (Paris). 2011 December; 27(12): 1045–1047.
Published online 2011 December 23. doi: 10.1051/medsci/20112712002.

Un mécanisme original de perception d’un ion minéral (le nitrate)
Histoire de la découverte chez les plantes et perspectives

Gabriel Krouk1* and Alain Gojon1

1Biochimie et physiologie moléculaire des plantes, UMR 5004 CNRS/INRA/SupAgro/UM2, Institut de biologie intégrative des plantes-Claude Grignon, place Viala, 34060Montpellier Cedex 1, France
Corresponding author.
 

On sait depuis près de 20 ans que cette réponse adaptative met en jeu des systèmes de perception spécifiques des différents ions, permettant aux plantes de les détecter et les localiser dans le milieu. Cependant, les mécanismes moléculaires associés à ces systèmes de perception et impliqués dans les réponses de développement restaient largement inconnus. Notre travail a permis de mettre en évidence le rôle essentiel de la protéine NRT1.1 (un transporteur membranaire de dans le contrôle de la croissance de la plante en fonction de la disponibilité externe en . De manière originale, le mécanisme de perception du par NRT1.1 met en jeu une particularité fonctionnelle de cette protéine tout à fait inattendue.

NRT1.1, un transporteur de (NO3 ) pas comme les autres

NRT1.1 a été identifiée en 1993 par une approche génétique basée sur un crible de résistance au chlorate [ 3]. Le chlorate ) est un analogue toxique du utilisé comme herbicide. Les cribles génétiques chez la plante modèle Arabidopsis thaliana ont permis d’isoler des plantes mutantes résistantes, capables de survivre sur des milieux contenant du . Certaines de ces plantes se sont avéré être des mutants pour NRT1.1 (appelés mutants chl1) : elles sont donc résistantes au car leurs racines ont un défaut d’absorption de .

Si la fonction de transport de de NRT1.1 a été clairement établie par la suite, il est récemment apparu évident que la perte de cette seule fonction de transport de ne pouvait expliquer un certain nombre de désordres physiologiques ou développementaux affectant les mutants chl1 [ 4].

En particulier, les mutants chl1 ont perdu une partie des réponses adaptatives déclenchées par les systèmes de perception du , notamment celle correspondant à la croissance racinaire préférentielle dans les zones du milieu riches en cet ion (Figure 1) [ 5]. Ceci pouvait suggérer que NRT1.1 possède en fait une double fonction, non seulement de transporteur mais aussi de senseur de (voir [4] pour le détail de cette hypothèse).

Cependant, il fallait découvrir les mécanismes de cette possible fonction de senseur et de son effet sur le développement racinaire.

L’hypothèse : NRT1.1 contrôle le transport d’une hormone végétale, l’auxine

En plus des phénotypes inexpliqués des mutants chl1, deux éléments d’information ont permis de diriger les recherches pour élucider le mécanisme de signalisation dépendant de NRT1.1.

Premièrement, NRT1.1 appartient à une famille de transporteurs (nommée PTR pour peptide transporter), dont la spécificité de substrat n’est pas stricte. Par exemple, les plus proches homologues caractérisés de NRT1.1 sont : (1) une protéine du colza (Brassica napus), BnNRT1.2, capable de transporter aussi bien des acides aminés comme l’histidine ou la lysine que du ; (2) une protéine de l’aulne glutineux1 (Alnus glutinosa), capable de transporter différents acides organiques comme le malate ou le succinate. Ceci suggérait que NRT1.1 puisse également transporter d’autres solutés que du , notamment des acides organiques ou aminés.

Deuxièmement, un acide organique particulier, structurellement proche de l’acide aminé tryptophane, est l’acide indole acétique (AIA), hormone végétale connue sous le nom d’auxine. L’auxine est un puissant morphogène qui joue un rôle central dans le contrôle du développement et de la différenciation cellulaire, notamment au niveau des racines latérales. En effet, le développement des primordia de racines latérales nécessite l’établissement et le maintien d’un gradient de concentration d’auxine (avec un maximum à l’apex des primordia) [ 6]. Dans les racines, comme dans les feuilles, ce gradient local dépend de l’activité de transporteurs spécifiques, qui canalisent l’hormone vers l’apex du primordium, ou au contraire l’en éloignent [6].

Ces considérations, et la constatation que NRT1.1 contrôle la croissance des racines latérales en réponse au [5], nous ont tout naturellement conduit à suggérer que NRT1.1 pourrait être un transporteur d’auxine. Cette hypothèse a été testée en système hétérologue (ovocytes de xénope, levure) ainsi que dans la plante. Dans tous les cas, nous avons montré que NRT1.1 facilite effectivement le transport de l’auxine. Mais cela ne suffisait pas à expliquer le lien avec le rôle de perception du joué par cette protéine. Ce n’est que lors des mesures de transport d’auxine en présence de (les deux substrats connus de NRT1.1) que nous avons observé que le inhibe le transport d’auxine assuré par NRT1.1 (Figure 2A).

Nous avons donc proposé le schéma suivant : NRT1.1 contrôle la croissance racinaire en réponse au parce que son activité de transport d’auxine module l’homéostasie de l’hormone en fonction de la concentration externe en . Ce modèle été validé in planta, par la double analyse : (1) de la localisation tissulaire de NRT1.1, qui a permis de montrer que ce transporteur est spécifiquement exprimé dans les territoires cellulaires assurant le reflux de l’auxine hors de la racine latérale vers la racine primaire ( Figure 2B , flèches jaunes), et (2) des gradients locaux d’auxine dans les racines latérales chez les plantes sauvages et les mutants chl1. L’analyse de ces derniers a en effet révélé que la faible croissance racinaire en l’absence de  s’accompagne d’un défaut d’accumulation de l’hormone à l’apex des racines, et que ce défaut d’accumulation est dû à l’absence de NRT1.1 (l’auxine s’accumule fortement en l’absence de chez les mutants chl1).

Le modèle de perception du (NO3 ) et du contrôle de la croissance de la racine latérale

Ainsi, le transporteur NRT1.1 est impliqué dans le couplage biophysique des signalisations auxine et . En d’autres termes, NRT1.1 transforme les variations de disponibilité externe en en une modification des flux d’auxine au sein de l’organe.

Le modèle de développement qui en découle est le suivant : dans des situations de faible disponibilité externe en , NRT1.1 se comporte comme un transporteur d’auxine qui exporte l’hormone hors de la racine latérale, empêchant ainsi son accumulation à l’apex (Figure 2B) ce qui inhibe la croissance. À l’inverse, lorsque le est localement abondant, il réprime le transport d’auxine médié par NRT1.1, ce qui a pour conséquence de favoriser l’accumulation d’auxine dans les racines latérales, et donc de stimuler la croissance de ces racines dans les milieux riches en (Figure 2B). Récemment, des résultats d’une équipe japonaise suggèreraient que ce mécanisme permet aussi de contrôler la croissance des parties aériennes [ 7]. L’ensemble de notre travail a été valorisé dans un article dans la revue Developmental Cell [ 8].

Perspectives

Ce mécanisme d’interaction entre les transports membranaires d’une hormone et d’un nutriment minéral est à notre connaissance le premier décrit. Il ouvre des perspectives en agriculture car la gestion optimisée de la croissance et de l’architecture du système racinaire des plantes cultivées est un objectif essentiel, encore peu pris en compte pour l’amélioration variétale [ 9].

Par ailleurs, des protéines homologues à NRT1.1 ont été identifiées chez d’autres organismes, et chez les animaux en particulier. Du fait des proximités structurales et fonctionnelles de l’auxine et de la sérotonine [ 10], il n’est donc pas impossible que la découverte de ce mécanisme puisse être transposée au domaine animal, et ait à long terme des conséquences en médecine.

Conflit d’intérêts
Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts concernant les données publiées dans cet article.
 
Footnotes
1  L’aulne, parfois appelé « aune », ou « verne », est l’arbre typique des bords de cours d’eau et des zones marécageuses du fait de ses exigences écologiques. Le bois d’aulne est imputrescible, qualité qui lui a valu de beaucoup servir auparavant comme matériau de construction en contact avec l’eau : conduites, pilotis, soubassement… Venise est bâtie sur des pieux d’aulne !
References
1.
Krouk G , Crawford NM , Coruzzi GM , Tsay YF . Nitrate signaling: adaptation to fluctuating environments . Curr Opin Plant Biol. 2010; ; 13 : :266.–273.
2.
Drew MC . Comparison of the effects of a localized supply of phosphate, nitrate, ammonium and potassium on the growth of the seminal root system, and the shoot, in barley . New Phytol. 1975; ; 75 : :479.–490.
3.
Tsay YF , Schroeder JI , Feldmann KA , Crawford NM . The herbicide sensitivity gene CHL1 of Arabidopsis encodes a nitrate-inducible nitrate transporter . Cell. 1993; ; 72 : :705.–713.
4.
Gojon A , Krouk G , Perrine-Walker F , Laugier E . Nitrate transceptor(s) in plants . J Exp Bot. 2011; ; 62 : :2299.–2308.
5.
Remans T , Nacry P , Pervent M , et al. The Arabidopsis NRT1.1 transporter participates in the signaling pathway triggering root colonization of nitrate-rich patches . Proc Natl Acad Sci USA. 2006; ; 103 : :19206.–19211.
6.
Benkova E , Michniewicz M , Sauer M , et al. Local, efflux-dependent auxin gradients as a common module for plant organ formation . Cell. 2003; ; 115 : :591.–602.
7.
Hachiya T , Mizokami Y , Miyata K , et al. Evidence for a nitrate-independent function of the nitrate sensor NRT1.1 in Arabidopsis thaliana. J Plant Res . 2011; ; 124 : :425.–430.
8.
Krouk G , Lacombe B , Bielach A , et al. Nitrate-regulated auxin transport by NRT1.1 defines a mechanism for nutrient sensing in plants . Dev Cell. 2010; ; 18 : :927.–937.
9.
Herder GD , Van Isterdael G , Beeckman T , De Smet I . The roots of a new green revolution . Trends Plant Sci. 2010; ; 15 : :600.–607.
10.
Pelagio-Flores R , Ortiz-Castro R , Mendez-Bravo A , et al. Serotonin, a tryptophan-derived signal conserved in plants and animals, regulates root system architecture probably acting as a natural auxin inhibitor in Arabidopsis thaliana . Plant Cell Physiol. 2011; ; 52 : :490.–508.