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Med Sci (Paris). 2012 February; 28(2): 128–129.
Published online 2012 February 27. doi: 10.1051/medsci/2012282003.

Dérégulation de l’expression des gènes à réponse précoce et déficience intellectuelle

Sarah Boissel,1 Satoru Hashimoto,2 Marlène Rio,1 Mohammed Zarhrate,1 Arnold Munnich,1 Laurence Colleaux,1* and Jean-Marc Egly2

1Inserm U781 et département de génétique, fondation Imagine, université Paris Descartes, hôpital Necker-Enfants malades, 149, rue de Sèvres, 75015Paris, France
2Institut de génétique et de biologie moléculaire et cellulaire, CNRS/Inserm/université de Strasbourg, BP 163, 67404Illkirch Cedex, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Régulation de l'expression des gènes, génétique, physiologie, Études d'associations génétiques, Prédisposition génétique à une maladie, Humains, Déficience intellectuelle, Complexe médiateur, Mutation, Plasticité neuronale, Protéines oncogènes v-fos, Protéines proto-oncogènes c-jun

 

Le terme de déficience intellectuelle (DI) regroupe un ensemble de pathologies extrêmement hétérogènes tant sur le plan clinique que génétique et physiopathologique. Survenant avant l’âge de 18 ans, la déficience intellectuelle se caractérise par un fonctionnement intellectuel significativement inférieur à la moyenne (QI<70) et des difficultés importantes d’adaptation [1]. Elle touche 2 à 3 % de la population et est le handicap majeur le plus fréquent de l’enfant. La forme la plus répandue de ces pathologies est la déficience intellectuelle non syndromique ou isolée, qui n’est associée à aucune autre anomalie clinique. Si 15 % des déficiences intellectuelles peuvent être attribuées à des facteurs environnementaux et 30 à 35 % à des causes génétiques connues, l’étiologie de la maladie reste pourtant indéfinie dans plus de la moitié des cas, laissant les patients et leur famille sans explication ni perspective de traitement. La compréhension des bases moléculaires et physiopathologiques des déficiences intellectuelles constitue donc l’un des grands défis scientifiques et médicaux des prochaines années. Parmi les causes monogéniques identifiées à ce jour, des défauts moléculaires impliquant des protéines intervenant dans la régulation de la transcription et le remodelage de la chromatine sont associés à une part importante des déficiences ­intellectuelles [2].

Une mutation du gène MED23 associée à une déficience intellectuelle isolée

Nous avons récemment présenté l’étude d’une famille d’origine ­méditerranéenne, dans laquelle cinq enfants présentaient une déficience intellectuelle non syndromique [3]. Compte tenu de la consanguinité parentale et de la ségrégation de la maladie au sein de cette famille, nous avons choisi d’appliquer la méthode de cartographie par autozygotie, qui s’appuie sur l’analyse de familles consanguines multiplex pour localiser des gènes de pathologies autosomiques récessives rares. Par cette approche, nous avons pu mettre en évidence la variation c.1850G>A dans le gène MED23, qui coségrège parfaitement avec la déficience intellectuelle et n’a pas été retrouvée au sein de 608 chromosomes contrôles. Cette mutation faux-sens entraîne la substitution de l’arginine 617 en glutamine (p.R617Q), un résidu conservé chez tous les orthologues de MED23.

MED23 code une des sous-unités du complexe Mediator (MED), un large complexe multiprotéique conservé chez toutes les espèces depuis la levure, qui joue un rôle pivot dans la régulation de la transcription. En effet, en servant d’interface entre les activateurs et inhibiteurs fixés aux séquences régulatrices (situées à distance du promoteur proximal des gènes) et la machinerie générale de transcription, il permet l’ajustement de l’activité basale de transcription en réponse aux signaux environnementaux et développementaux [4]. Il a été montré que MED23 est impliquée dans la régulation transcriptionnelle des gènes à réponse précoce tels que EGR1, JUN et FOS [5]. L’expression de ces gènes a la particularité d’être activée de manière rapide et transitoire lorsque la cellule passe de l’état quiescent G0 à la phase G1 du cycle cellulaire, transition qui peut être induite in vitro par l’ajout de sérum dans des cultures cellulaires ­préalablement privées en sérum.

Pour évaluer les conséquences fonctionnelles de la mutation MED23 R617Q, nous avons donc analysé la réponse au sérum de fibroblastes issus soit d’un patient soit d’un individu contrôle. Alors que la réponse au sérum de EGR1 était similaire dans les cellules du patient et celles du contrôle, nous avons observé dans les fibroblastes du patient une forte diminution de la stimulation de l’expression de JUN en réponse au sérum et, à l’inverse, une forte augmentation de la stimulation de l’expression de FOS. De plus, la surexpression de la protéine MED23 sauvage dans les cellules du patient restaurait la transactivation des gènes JUN et FOS (mais restait sans effet sur l’expression du gène EGR1), démontrant que le défaut transcriptionnel observé dans les fibroblastes du patient est bien dû à la mutation R617Q.

Enfin, par diverses expériences d’immunoprécipitation de chromatine, nous avons démontré que cette dérégulation est la conséquence d’un défaut d’interaction entre la sous-unité MED23 du Mediator et des activateurs spécifiques des deux gènes considérés (TCF4 [T cell factor] dans le cas de JUN et ELK1/3 [E twenty-six ETS-like transcription factor 1] dans le cas de FOS).

Dérégulation de l’expression des gènes à réponse précoce JUN et FOS : une signature moléculaire de la déficience intellectuelle ?

L’expression des gènes à réponse précoce influe sur le développement et la plasticité cérébrale [6]. Nous avons donc exploré si le défaut transcriptionnel mis en évidence dans les fibroblastes du patient porteur de la mutation MED23 R617Q était retrouvé dans d’autres pathologies avec déficience intellectuelle dues à d’autres défauts du complexe MED. Des mutations du gène MED12 ont déjà été associées à deux syndromes de déficience intellectuelle liés à l’X (DILX) : le syndrome d’Opitz-Kaveggia et le syndrome de Lujan. Outre la déficience intellectuelle, ces deux syndromes sont caractérisés par une agénésie du corps calleux, une macrocéphalie, des troubles du comportement, une hypotonie et une dysmorphie [7, 8]. Nous avons donc analysé l’expression des gènes à réponse précoce EGR1, JUN et FOS dans des lignées lymphoblastoïdes dérivées d’un patient atteint du syndrome d’Opitz-Kaveggia et d’un individu contrôle. De manière très intéressante, une altération similaire de l’expression de ces gènes a été observée, suggérant que la dérégulation transcriptionnelle des gènes à réponse précoce JUN et FOS pourrait être une signature moléculaire du déficit cognitif.

La déficience intellectuelle est généralement considérée comme la conséquence d’une anomalie du développement cérébral ou de la plasticité synaptique. Il est intéressant de souligner que l’expression des gènes JUN et FOS est activée pendant la période de différenciation neuronale au cours du développement embryonnaire, mais aussi par différents tests de mémoire et d’apprentissage. En effet, chez le rat, Jun est exprimé pendant l’embryogenèse à partir de la neurulation et les études in vitro s’accordent sur son rôle proapoptotique au cours du développement du système nerveux [9]. Par ailleurs, les souris knock-out pour Fos présentent des déficits spécifiques des mémoires associative et spatiale qui ont été corrélés à une réduction de la potentialisation à long terme dans ­l’hippocampe [10].

Nous proposons donc que la déficience intellectuelle observée chez les patients porteurs d’une mutation dans les gènes MED12 ou MED23 soit due, au moins en partie, à l’altération de l’expression des gènes à réponse précoce dans le cerveau. Cette dérégulation transcriptionnelle pourrait en effet perturber les processus d’apoptose et de différenciation neuronales au cours du développement. Le phénotype pourrait également être dû à une altération de l’expression de ces gènes en réponse à l’activité neuronale, entraînant une dérégulation des cascades de signalisation sous tendant les processus de plasticité synaptique.

Conclusion

Notre étude montre l’implication d’une nouvelle sous-unité du complexe MED dans une déficience intellectuelle et apporte le premier exemple d’une déficience intellectuelle non syndromique due à un dysfonctionnement de ce complexe. Elle apporte ainsi la démonstration définitive que ce ­complexe est essentiel au bon fonctionnement ­cérébral et à la mise en place des fonctions cognitives chez l’homme. Enfin, la caractérisation préliminaire d’une signature moléculaire du déficit cognitif ouvre d’intéressantes perspectives quant à la recherche de molécules ­thérapeutiques.

Conflit d’intérêts

Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts concernant les données publiées dans cet article.

References
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Hashimoto S, Boissel S, Zarhrate M, et al. MED23 mutation links intellectual disability to dysregulation of immediate early gene expression . Science. 2011; ; 333 : :1161.–1163.
4.
Malik S, Roeder RG. The metazoan Mediator co-activator complex as an integrative hub for transcriptional regulation . Nat Rev Genet. 2010; ; 11 : :761.–772.
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Stevens JL, Cantin GT, Wang G, et al. Transcription control by E1A and MAP kinase pathway via Sur2 mediator subunit . Science. 2002; ; 296 : :755.–758.
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Cohen S, Greenberg ME. Communication between the synapse and the nucleus in neuronal development, plasticity, and disease . Annu Rev Cell Dev Biol. 2008; ; 24 : :183.–209.
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Risheg H, Graham JM Jr, Clark RD, et al. A recurrent mutation in MED12 leading to R961W causes Opitz-Kaveggia syndrome . Nat Genet. 2007; ; 39 : :451.–453.
8.
Schwartz CE, Tarpey PS, Lubs HA, et al. The original Lujan syndrome family has a novel missense mutation (p.N1007S) in the MED12 gene . J Med Genet. 2007; ; 44 : :472.–477.
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Guzowski JF, Setlow B, Wagner EK, McGaugh JL. Experience-dependent gene expression in the rat hippocampus after spatial learning: a comparison of the immediate-early genes Arc, c-fos, and zif268 . J Neurosci. 2001; ; 21 : :5089.–5098.
10.
Fleischmann A, Hvalby O, Jensen V, et al. Impaired long-term memory and NR2A-type NMDA receptor-dependent synaptic plasticity in mice lacking c-Fos in the CNS . J Neurosci. 2003; ; 23 : :9116.–9122.