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Med Sci (Paris). 2012 February; 28(2): 139–141.
Published online 2012 February 27. doi: 10.1051/medsci/2012282007.

Un modèle avancé de cellule synthétique minimale

Nicolas Puff1,2*

1Université Pierre et Marie Curie (Paris 6), UFR 925, département de physique, Paris, France
2Matière et systèmes complexes (MSC), UMR 7057 CNRS et université Paris Diderot (Paris 7), 10, rue A. Domon et L. Duquet, case courrier 7056, 75205Paris Cedex 13, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Cellules artificielles, cytologie, Techniques de culture cellulaire, tendances, Division cellulaire, physiologie, ADN, génétique, métabolisme, Humains, Modèles biologiques, Reproduction asexuée, Ingénierie tissulaire, méthodes

 

Créer artificiellement des cellules qui possèdent les propriétés minimales de la vie : voilà une tâche ambitieuse que de nombreuses équipes de recherche à travers le monde se sont fixées [13]. Les différentes approches envisagées - prébiotique, semisynthétique ou supramoléculaire - se basent toutes sur un même constat : même le plus simple organisme unicellulaire existant aujourd’hui est extrêmement complexe et possède une telle diversité et richesse de comportements que tout modèle ne peut être que très approximatif. Cependant, cette complexité est-elle vraiment nécessaire à la « vie » de la cellule ou est-il possible en laboratoire de construire quelque chose de beaucoup plus simple, à partir d’un nombre limité de composants, ayant les caractéristiques de la vie ? Cette démarche bottom-up (partir d’éléments simples pour construire un système dynamique complexe), utilisée pour l’élaboration de ces systèmes chimiques « autopoïétiques » [4] nécessite au préalable de définir ce que l’on entend par « vie ». Il est communément accepté aujourd’hui qu’un assemblage moléculaire local est « vivant » si : (1) il est capable de se régénérer ; (2) il peut s’autoreproduire ; (3) il est capable d’évolution. Trois composants critiques nécessaires à l’élaboration d’une telle cellule minimale ont été identifiés [2] : une substance porteuse de l’information génétique (ARN ou ADN), un catalyseur et un compartiment clos semi-­perméable (une vésicule par exemple).

Autoreproduction du compartiment lié à l’amplification de l’ADN encapsulé

Dans une publication récente de Nature Chemistry [5], Tadashi Sugawara et al. décrivent comment la réplication de l’ADN au sein d’un compartiment lipidique (une vésicule géante unilamellaire) peut induire la croissance puis la division du compartiment. Lors de travaux antérieurs, ces mêmes auteurs avaient déjà décrit ces deux phénomènes mais de manière indépendante. D’une part, l’amplification par PCR d’un fragment d’ADN au sein d’une vésicule géante phospholipidique a été réalisée avec succès [6]. D’autre part, il a été montré que sous certaines conditions, des vésicules géantes (d’une taille d’une dizaine de micromètres et par conséquent visualisables directement en microscopie optique) étaient capables de croître puis de se diviser [7]. Un catalyseur amphiphile présent dans la membrane des vésicules permet en effet la conversion, par clivage, des précurseurs lipidiques ajoutés à la solution de vésicules en lipides membranaires, ces derniers conduisant à la croissance puis à la division de la vésicule initiale.

Le tour de force actuel réside dans le fait d’avoir rendu possible la réalisation de ces deux phénomènes au sein d’un même système supramoléculaire. Dans un premier temps, l’ADN est amplifié (Figure 1). Cette ­amplification est préalable à l’ajout du précurseur membranaire car les vésicules issues des divisions successives doivent aussi contenir de l’ADN. Dans un second temps, le précurseur membranaire cationique est ajouté à la solution de vésicules, conduisant in fine à l’incorporation de nouveaux lipides cationiques dans la membrane. Par rapport au travail précédemment cité [7] où seuls le lipide cationique, son précurseur et le catalyseur amphiphile étaient présents, la composition moléculaire de la membrane vésiculaire a été spécifiquement élaborée pour permettre la réplication de l’ADN tout en conservant les propriétés d’autoreproduction vésiculaire. Ainsi, des lipides zwitterioniques (POPC) et anioniques (POPG) ont été ajoutés d’une part pour que la cavité centrale de la vésicule puisse contenir une solution saline simple, et d’autre part pour réduire la charge de surface permettant ainsi une meilleure stabilité vis-à-vis des changements de température et de force ionique du milieu inhérents à la PCR. L’ADN polyanionique interagit fortement avec les lipides cationiques nouvellement incorporés dans la membrane vésiculaire. Ceci conduit alors, du fait de l’augmentation de la concentration en ADN dans la vésicule, à accélérer l’incorporation de nouveaux lipides dans la membrane et donc la croissance et la division des vésicules (Figure 1). La croissance et les changements morphologiques des vésicules se produisent dans les quelques minutes qui suivent l’addition du précurseur membranaire. De multiples vésicules de taille équivalente à la vésicule initiale et contenant de l’ADN sont produites en moins d’une quinzaine de minutes (Figure 2).

Une synergie prometteuse

En présence d’ADN amplifié, la fréquence de division des vésicules est nettement plus grande qu’en son absence. Sugawara et al. démontrent que l’efficacité avec laquelle les vésicules croissent et se divisent est en effet dépendante de la quantité d’ADN produite dans les vésicules, elle-même fixée par le nombre de cycles de PCR. Cette synergie résulte d’une série d’interactions moléculaires complexes au niveau de la membrane entre l’ADN fraîchement produit, les lipides membranaires, le catalyseur amphiphile et le précurseur lipidique cationique. Pour expliquer ce comportement, les auteurs proposent un mécanisme (en partie spéculatif) basé sur l’accumulation locale de lipides membranaires cationiques autour de zones de la membrane interne riches en ADN polyanionique conduisant, à terme, à son enfouissement dans la membrane. Cet état transitoire facilite alors localement une incorporation supplémentaire du précurseur cationique et aboutit à un déséquilibre du nombre de molécules entre les deux feuillets lipidiques de la membrane qui se traduit finalement au niveau vésiculaire en une préstructure (bourgeonnement) propice à la division. Ce système, où l’ADN amplifié participe à la reproduction de son compartiment sans action de protéines spécifiques, diffère à ce niveau des cellules qui, elles, se divisent en connectant physiquement ADN et membrane via des protéines spécifiques. Il apporte cependant un éclairage précieux sur ce que pouvaient être ces processus dans les systèmes prébiotiques.

Un monde encore à explorer

Ce travail est une preuve de principe qu’un système dynamique complexe possédant certaines caractéristiques de la vie (autoreproduction principalement) peut être artificiellement construit en exploitant réactions chimiques et principe d’auto-organisation. Malgré son comportement exceptionnel et la chimie spécifique élégamment développée pour l’élaborer, ce système présente encore à ce stade certaines limites. D’une part, lors des évènements successifs d’autoreproduction des vésicules, la composition de la membrane change - elle s’appauvrit en phospholipides - conduisant à une reproduction vésiculaire de facto limitée. Il faut également noter que dans ce système, les catalyseurs (la polymérase et le catalyseur de la synthèse de surfactant) ne sont pas produits in situ au contraire de l’ADN et du lipide ­cationique. Cela conduit ­fatalement, après un certain nombre ­d’autoreproductions vésiculaires, à une population de compartiments non actifs. Pour surmonter ces limites, les auteurs envisagent de fusionner avec les vésicules filles des vésicules contenant les ingrédients nécessaires au maintien de l’activité du système. D’autres approches sont parallèlement élaborées dans le but d’obtenir une production de l’ensemble des constituants du système lors d’un cycle sans apport de molécules additionnelles. Dans ce cadre, l’intégration d’ARN catalytiques autoréplicateurs (les ribozymes) au sein de vésicules lipidiques autoreproductrices représente également l’une des voies ­possibles vers la synthèse artificielle de la vie [2]. La construction d’une ­cellule synthétique minimale est en tous cas un défi passionnant, à l’interface de multiples champs (biologie synthétique, étude de l’origine de la vie…) et dont l’issue, malgré le long chemin restant à parcourir, paraît aujourd’hui ­envisageable.

Conflit d’interêts

L’auteur déclare n’avoir aucun conflit d’intérêts concernant les données publiées dans cet article.

 
Acknowledgments

L’auteur remercie Michel Seigneuret pour sa relecture du manuscrit.

References
1.
Luisi PL, Ferri F, Stano P. Approaches to semi-synthetic minimal cells: a review . Die Naturwissenschaften. 2006; ; 93 : :1.–13.
2.
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3.
Walde P. Building artificial cells and protocell models: experimental approaches with lipid vesicles . Bioessays. 2010; ; 32 : :296.–303.
4.
Varela FG, Maturana HR, Uribe R. Autopoiesis: the organization of living systems, its characterization and a model . Curr Modern Biol. 1974; ; 5 : :187.–196.
5.
Kurihara K, Tamura M, Shohda K, et al. Self-reproduction of supramolecular giant vesicles combined with the amplification of encapsulated DNA . Nat Chem. 2011; ; 3 : :775.–781.
6.
Shohda KI, Tamura M, Kageyama Y, et al. Compartment size dependence of performance of polymerase chain reaction inside giant vesicles . Soft Matter. 2011; ; 7 : :3750.–3753.
7.
Takakura K, Sugawara T. Membrane dynamics of a myelin-like giant multilamellar vesicle applicable to a self-reproducing system . Langmuir. 2004; ; 20 : :3832.–3834.