Logo of MSmédecine/sciences : m/s
Med Sci (Paris). 2012 February; 28(2): 215–217.
Published online 2012 February 27. doi: 10.1051/medsci/2012282022.

Chroniques génomiques : On n’arrête pas le progrès…
Un test de paternité prénatal et non invasif

Bertrand Jordan1*

1CoReBio PACA, case 901, Parc scientifique de Luminy, 13288Marseille Cedex 9, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Biotechnologie, méthodes, tendances, ADN, analyse, sang, Femelle, Foetus, métabolisme, Tests hématologiques, éthique, normes, utilisation, Humains, Mâle, Paternité, Grossesse, Diagnostic prénatal, Trousses de réactifs pour diagnostic, statistiques et données numériques, ressources et distribution

Le Graal du diagnostic

Depuis toujours l’idéal, pour un test biologique, est de pouvoir être pratiqué sur un fluide facilement accessible : sang, urine, salive, plutôt que sur un échantillon (biopsie, ponction lombaire, villosité choriale) obtenu grâce à un geste invasif toujours désagréable et comportant parfois un risque non négligeable. Cette question se pose notamment pour les tests génétiques prénataux, qui supposent l’analyse de l’ADN fœtal - et donc imposent une amniocentèse ou un prélèvement de villosités choriales, avec un risque d’avortement de l’ordre de 1 %. L’espoir de pouvoir pratiquer une telle analyse en partant du sang maternel a longtemps semblé chimérique. Certes, on y trouve quelques cellules fœtales, en provenance du placenta, mais elles sont rares [1] ; et comme, de plus, elles peuvent persister plusieurs années [2], elles ne sont pas forcément représentatives de la grossesse en cours.

De l’ADN fœtal dans le plasma maternel !

La découverte, il y a près de quinze ans, que de l’ADN fœtal est présent dans le plasma maternel fut donc une bonne surprise [3]. Certes, il reste minoritaire, représentant de 5 à 10 % de l’ADN acellulaire, mais son renouvellement rapide (demi-vie de l’ordre de deux heures) garantit qu’il reflète bien le génome du fœtus [4]. Compte tenu des énormes progrès réalisés dans l’analyse d’ADN, on pouvait espérer isoler sa contribution propre, au moins dans certains cas. Et effectivement, on procède déjà en clinique au diagnostic du sexe par l’identification de séquences spécifiques au chromosome Y [5], ou au typage des embryons Rhésus-positifs par détection de séquences RHD [6]. On commence à entrevoir la mise en évidence, à partir des mêmes prélèvements, de différentes aneuploïdies, ainsi que celle de mutations responsables d’affections génétiques graves - même si pour ces deux applications la présence de 90 ou 95 % d’ADN maternel dans l’échantillon impose le recours à des analyses sophistiquées - nous y reviendrons. Une revue récente propose un excellent point d’ensemble sur ce secteur très évolutif [7]. Mais cette chronique est pour l’essentiel consacrée à une autre utilisation de cette approche technique.

Non-invasive paternity diagnostic (NIPD), une killer application ?
Mes excuses pour le franglais, mais il s’agit bien là d’un business apparemment juteux qu’introduisent actuellement plusieurs start-up en biotech. Ces entreprises proposent tout bonnement une vérification de paternité en début de grossesse ne nécessitant qu’un échantillon sanguin de la future mère (ainsi que du géniteur supposé). La première annonce, fin octobre 2011, émane de la branche britannique du DNA Diagnostics Center, un des plus importants laboratoires privés d’analyses de paternité (il revendique d’avoir effectué plus d’un million d’analyses d’ADN) (Figure 1).

En fait, le test a été mis au point par une autre entreprise, Gene Security Network (Redwood City, Californie, États-Unis). Il s’agit d’une analyse de l’ADN plasmatique de la future mère à l’aide d’une puce à ADN qui examine 317 000 snips, et (par voie informatique) soustrait de ce profil celui de l’ADN maternel obtenu grâce aux lymphocytes (isolés à partir du même prélèvement). Le profil de l’ADN du père supposé est alors comparé à celui du fœtus, et l’on imagine bien qu’en disposant de plus de 300 000 snips il est relativement facile de décider si les allèles « non maternels » du fœtus proviennent, ou non, du géniteur putatif. Une telle analyse est techniquement plus simple qu’une recherche d’aneuploïdie ou même de mutations, pour laquelle le bruit de fond dû à l’ADN maternel est plus difficile à éliminer : on va ici repérer, avec une bonne fiabilité, quelques centaines d’allèles d’origine paternelle, et il suffira de voir s’ils sont, ou non, présents chez le père désigné. D’après le responsable scientifique de DNA Diagnostics Center, un essai (non encore publié) n’a donné aucun faux positif sur un échantillon de mille « non-pères », et aucun faux négatif sur un autre échantillon de cent pères véritables, avec seulement 1 % de résultats non interprétables. Évidemment, ce test évolué (par rapport à un test de paternité classique) est assez coûteux, un peu moins de mille livres anglaises soit un peu plus de mille euros - mais ce tarif n’est pas réellement dissuasif.

De fait, à en croire les communiqués de l’entreprise, le marché potentiel est très important. Un test de paternité en situation prénatale était déjà proposé aux États-Unis par plusieurs fournisseurs, mais il impliquait un prélèvement invasif et, compte tenu du risque encouru, ne devait pas être très utilisé. Ce nouveau procédé ne fait courir aucun risque à la mère ou à l’enfant. Aucun risque médical, faut-il préciser, car on imagine facilement les situations auxquelles il peut aboutir : pression du père pour lever les soupçons qu’il peut avoir sur l’origine de la grossesse en cours, chantage pour imposer une interruption de grossesse si le résultat n’est pas conforme à ses attentes. Une autre firme, easyDNA, a également obtenu une licence et commercialise ce test en Australie, et au moins une entreprise nord-américaine, Prenatal Genetics, propose un test concurrent et légèrement moins cher (1 250 dollars US) (Figure 2). On est loin de la conception française - de plus en plus menacée - du caractère social de la filiation. Bien entendu, cet examen, tout comme les tests de paternité classiques qui peuvent être pratiqués sans même un prélèvement sanguin [8], est (théoriquement) interdit en France, et ses résultats n’ont aucune valeur juridique.

Des usages moins problématiques

Comme je l’ai déjà mentionné, l’emploi de cette approche pour un diagnostic prénatal non invasif de mutations pathologiques est plus délicat techniquement que le procédé décrit ci-dessus. Si l’on s’intéresse, par exemple, aux mutations responsables de la mucoviscidose, il faut être sûr que le gène muté que l’on va éventuellement trouver dans l’ADN plasmatique maternel provient bien du fœtus, et non de l’ADN maternel majoritairement présent dans ce fluide biologique1,, ce qui n’est pas évident du point de vue technique. De même, si l’on cherche à détecter des anomalies chromosomiques (et compte tenu du fait que l’ADN plasmatique est largement dégradé), il faut être capable de mesurer la quantité relative, le nombre de copies de différentes séquences, et non plus seulement la présence ou l’absence de l’une d’entre elles. Sans entrer dans les détails (qui feront peut-être l’objet d’une prochaine chronique), la réponse se trouve (une fois de plus) dans l’emploi des séquenceurs de nouvelle génération et dans la lecture en masse des fragments d’ADN plasmatique suivie d’une analyse bio-informatique sophistiquée. C’est ainsi que l’entreprise Sequenom commercialise, depuis la mi-octobre 2011, son test MaterniT21 qui évalue l’abondance de séquences caractéristiques du chromosome 21 dans l’ADN plasmatique et est capable de détecter la faible augmentation2 qui résulte de la présence d’un fœtus trisomique. Pour ce type de test, il n’y a pas de problème de principe par rapport à la législation française ; encore faut-il, bien entendu, qu’il soit prescrit par un spécialiste autorisé et que la question de la prise en charge financière soit réglée.

L’irrésistible montée des tests non invasifs

Le procédé qui fait l’objet de cette chronique fournit en tout cas un bel exemple de « passage du quantitatif au qualitatif » : une amélioration (certes très importante) des performances du séquençage d’ADN change complètement la nature d’un test biologique. Auparavant délicat, potentiellement dangereux et réclamant une compétence pointue, il devient praticable à partir d’un prélèvement anodin effectué par presque n’importe qui et, du coup, des questions éthiques ou sociétales jusque-là potentielles se posent avec une acuité et une actualité sans commune mesure avec la situation précédente [9]. N’en doutons pas, le proche avenir nous réserve certainement bien d’autres surprises de ce type.

Conflit d’intérêts

L’auteur déclare n’avoir aucun conflit d’intérêts concernant les données publiées dans cet article

 
Footnotes
1 Puisqu’il s’agit d’une affection récessive, la mère (et le père) sont obligatoirement hétérozygotes porteurs.
2 N’oublions pas que l’ADN fœtal ne constitue que 5 % à 10 % de l’ADN plasmatique maternel.
References
1.
Cheung MC, Goldberg JD, Kan YW. Prenatal diagnosis of sickle cell anaemia and thalassaemia by analysis of fetal cells in maternal blood . Nat Genet. 1996; ; 14 : :264.–268.
2.
Rust DW, Bianchi DW. Microchimerism in endocrine pathology . Endocr Pathol. 2009; ; 20 : :11.–16.
3.
Lo YMD, Corbetta N, Chamberlain PF, et al. Presence of fetal DNA in maternal plasma and serum . Lancet. 1997; ; 350 : :485.–487.
4.
Lo YMD, Zhang J, Leung TN, et al. Rapid clearance of fetal DNA from maternal plasma . Am J Hum Genet. 1999; ; 64 : :218.–224.
5.
Scheffer PG, van der Schoot CE, Page-Christiaens GC, et al. Reliability of fetal sex determination using maternal plasma . Obstet Gynecol. 2010; ; 115 : :117.–126.
6.
Faas BH, Beuling EA, Christiaens GC, et al. Detection of fetal RHD-specific sequences in maternal plasma . Lancet. 1998; ; 352 : :1196..
7.
Rossa WK, Chiu YM, Lo D. Non-invasive prenatal diagnosis by fetal nucleic acid analysis in maternal plasma: the coming of age . Semin Fetal Neonatal Med. 2011; ; 16 : :88.–93.
8.
Jordan B. L’intimité génétique existe-t-elle encore ? Med Sci (Paris). 2011; ; 27 : :1015.–1017.
9.
Hayden EC. Fetal gene screening comes to market . Nature. 2011; ; 478 : :440..