Photo : cellule T chargée avec une sonde fluorescente montrant une élévation intracellulaire de calcium (© Alain Trautmann).
Dans un article publié dans ce numéro (→) [ 1], Lucette Pelletier et ses collègues défendent l’idée que les canaux calciques Cav1.2 dépendants du voltage contribueraient à l’influx de Ca dans les lymphocytes. Pour ces auteurs, cette contribution serait même majeure dans la sous-population lymphocytaire Th2 et pour les pathologies liées à ces cellules. Cette conclusion s’appuie sur un ensemble d’observations dont l’interprétation me paraît mériter une discussion approfondie.
(→) Voir dans ce numéro l’article de V. Robert et al., page 773 et le Débat de L. Pelletier et M. Moreau, page 783
Dans leur membrane plasmique, les lymphocytes T possèdent des canaux calciques de la famille Orai (comme Orai1 et Orai2, coexprimés dans les lymphocytes et dont les fonctions sont redondantes) qui peuvent être ouverts à la suite de leur interaction avec des agrégats de la molécule STIM1 présente dans la membrane du réticulum endoplasmique. L’agrégation de STIM1 est déclenchée par la déplétion en Ca du réticulum (par exemple après l’ouverture des canaux récepteurs à l’IP3) [ 2]. L’importance de ces canaux Orai est telle que les patients dont les cellules T expriment un Orai1 muté non fonctionnel souffrent de ce fait d’un déficit immunitaire combiné si sévère qu’il est rapidement létal [ 3]. Par ailleurs, les lymphocytes T expriment des canaux Ca dépendants du voltage (Cav1.2), comprenant en particulier un canal (sous-unité α1) et des protéines cytoplasmiques associées (sous-unités β). Dans les lymphocytes, ces canaux ne contribuent pas directement au contrôle du Ca intracellulaire, car ils sont probablement non fonctionnels.
En effet, dans des cellules excitables, l'ouverture des canaux Cav est déclenchée par la dépolarisation, alors que dans les lymphocytes, les canaux Cav1.2 ne s’ouvrent pas en réponse à une dépolarisation forcée. La raison en est qu’en présence d’un excès de STIM1, qui interagit non seulement avec Orai1 mais aussi avec Cav1.2, ces canaux sont internalisés et donc fonctionnellement inexistants [ 4]. En outre, lors d’une stimulation du TCR (T cell receptor, récepteur à l’antigène), non seulement on n’observe pas de dépolarisation notable des lymphocytes, mais si l’on force cette dernière, l’influx de Ca par les canaux Orai1 en est fortement inhibé. Comme les auteurs savent que l’on ne déclenche pas de réponse Ca dans les lymphocytes en les dépolarisant, ils ont résolu le paradoxe de ces canaux Cav1.2 indépendants du voltage en supposant qu’ils sont dotés d’un autre mécanisme d’ouverture, encore non identifié.
Un des résultats importants sur lesquels se fondent les auteurs réside dans l’effet des dihydropyridines (DHP), présentées comme des ligands spécifiques des canaux Ca dépendants du voltage de type L. Or, on sait que les DHP sont également des ligands des canaux Kv1.3 présents dans ces mêmes lymphocytes, qui possèdent donc des canaux potassiques au profil pharmacologique étrange et exceptionnel. Une DHP inhibitrice ne ferme pas seulement des canaux Cav putatifs ; en fermant les canaux Kv1.3, elle dépolarise les lymphocytes et diminue ainsi l’influx de Ca à travers les canaux ORAI [2, 5, 6]. Ce phénomène est suffisamment notable pour que ces inhibiteurs de canaux K+ soient envisagés comme des immunodépresseurs potentiels utilisables en clinique [6].
Le groupe de L. Pelletier a publié récemment que la réponse Ca déclenchée dans des lymphocytes Th2 par un anticorps anti-CD3 était totalement abolie après transfection de ces cellules par des oligonucléotides antisens des canaux (Cav1.2 + Cav1.3) [ 7]. Cela signifierait que ces antisens ont également aboli la réponse Ca passant par les canaux Orai, qui jouent un rôle majeur et indiscutable dans tous les lymphocytes. Un tel résultat est difficilement compatible avec l’idée que ces antisens seraient bien spécifiques de Cav1.2, sauf à supposer que Cav1.2 ne fonctionne pas comme un canal mais comme un modulateur obligatoire des canaux Orai.
Il reste vrai que les lymphocytes T expriment des niveaux variés de la molécule Cav1.2. Cette expression est plus marquée dans les lymphocytes CD4+ Th2 que dans les Th1 [ 8]. Cependant, leur présence est associée (cause ou coïncidence ?) à une inhibition de l’influx de Ca puisque la réponse Ca déclenchée par la vidange des stocks est plus forte dans les Th1 que dans les Th2 [ 9].
Une autre observation surprenante, est celle d’une réponse Ca à la stimulation du TCR qui est plus faible dans les lymphocytes T des souris déficientes pour les sous-unités β3 et β4 de Cav1 - qui sont associées à la sous-unité canal α1 - que celle des cellules de souris sauvages. La production des cytokines Th1 (IFN-γ), mais aussi des cytokines Th2 (IL-4), est réduite chez ces souris déficientes [ 10]. Dans les lymphocytes de ces souris, la réponse Ca à la vidange des stocks par la thapsigargine (qui provoque indirectement l'interaction STIM1/Orai1) est normale. L’interprétation la plus probable est que les sous-unités β3 et β4 sont impliquées de façon encore non élucidée dans le couplage entre la stimulation du TCR et la vidange des stocks.
L’idée que Cav1 joue un rôle important dans l’entrée de Ca dans les lymphocytes est défendue essentiellement par les groupes de R. Flavell à Yale, de W. Jefferies à Vancouver et de L. Pelletier à Toulouse. Un élément qui paraîtrait utile à la défense de l’importance de canaux Cav1 dans les lymphocytes serait une analyse en patch-clamp des courants passant par ces canaux. Or, seuls deux articles ont fait l’objet d’une analyse en patch-clamp. Le premier [ 11] a été rapidement rétracté [ 12]. Le second, qui vient de paraître [ 13], étudie des cellules T murines naïves et rapporte des informations en totale contradiction avec ce qui a été publié jusque là sur des T murines effectrices ou sur des T humaines naïves ou effectrices. Selon W. Jefferies, l’influx de cations divalents dans les cellules T naïves est accru par la dépolarisation (contrairement à tout ce qui a été montré jusque-là). L’auteur fonde ses conclusions uniquement sur des données électrophysiologiques, sans fournir une information complémentaire attendue et cruciale : la mesure de l’effet de la dépolarisation sur la réponse donnée par une sonde calcique après stimulation de ces cellules. Enfin, si L. Pelletier défend l’idée que la présence de Cav1.2 est l’apanage des cellules T Th2 (sécrétrices d’IL-4) [1], pour R. Flavell, les sécrétions d’IL-4 et d’IFN-g sont également affectées [10], et la survie des lymphocytes CD8 requiert aussi la sous-unité β4 [ 14]. Ces deux groupes ne sont donc pas d'accord sur l’identité des sous-populations dont la physiologie pourrait être influencée par l'une ou l'autre sous-unité de Cav.
En résumé, il n’existe aucun doute sur le fait que les lymphocytes expriment des canaux calciques activés par la vidange des stocks intracellulaires et que ces canaux sont responsables de l’essentiel de l’influx de Ca dans les lymphocytes après stimulation du TCR. Il peut certes exister d’autres canaux perméables au Ca dans les lymphocytes, comme des canaux activés par l’ATP extracellulaire. Ces derniers peuvent venir en complément du contrôle du Ca par les canaux de type Orai (pour revue voir [ 15]). Les lymphocytes peuvent aussi exprimer les molécules Cav1.2 et Cav1.4. Même si ce point reste controversé, il me semble que la plupart des données amènent à conclure que les molécules Cav1.2 ne fonctionnent pas comme des canaux, leur activité étant bloquée par l’interaction avec STIM1. En revanche, le complexe multimoléculaire Cav1.2 - qu’il devient difficile d’appeler un canal - pourrait fonctionner comme un modulateur de l’activation par le TCR des canaux activés par la vidange des stocks calciques. Cet effet se situerait en amont de la vidange des stocks, puisque la perturbation de Cav1.2 n’affecte pas les réponses déclenchées par la thapsigargine. Si l’on en croit le groupe de W. Jefferies, pour Cav1.4, il y aurait aussi un effet en aval de la vidange des stocks [13]. On espère que les groupes actifs sur la question du rôle de Cav1 dans les lymphocytes permettront d’élucider les mécanismes de ces mystérieuses modulations.