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Med Sci (Paris). 2013 May; 29(5): 463–468.
Published online 2013 May 28. doi: 10.1051/medsci/2013295007.

La métabolomique au service de la médecine
L’exemple du carcinome rénal

Valérian Dormoy1,2* and Thierry Massfelder1**

1Inserm U1113, équipe 3 « signalisation et communication cellulaires dans les cancers du rein et de la prostate », université de Strasbourg, faculté de médecine, 11, rue Humann, 67085Strasbourg, France
2Département de biologie développementale et cellulaire, université de Californie, Irvine, 4150 McGaugh Hall, 92697Irvine, CA, États-Unis
Corresponding author.

MeSH keywords: Néphrocarcinome, métabolisme, Humains, Tumeurs du rein, Métabolomique

Un nouveau membre de la famille « -omique »

La métabolomique, qui représente une discipline nouvelle au sein de la grande famille « -omique », comporte de nouveaux outils à fort potentiel et suscite un vif intérêt dans la communauté scientifique, alors que les contraintes techniques semblaient infranchissables il y a seulement quelques années [ 1, 2].

Que se cache-t-il derrière ce terme de métabolomique, élevé récemment au rang de science (Figure 1) ? Un métabolite est une substance de petite taille (en général moins d’un kilodalton) formée au cours du métabolisme, qu’il s’agisse du produit final ou d’un intermédiaire. La principale limitation à l’identification des métabolites se situe dans l’usage des techniques de détection. Il est classique de classer ces métabolites en deux catégories en fonction de leur origine : endogènes lorsqu’ils sont produits par l’organisme, exogènes lorsqu’ils proviennent de l’environnement extérieur.

La métabolomique, en tant que technique, apparaît au tout début du troisième millénaire, alors que la génomique, la transcriptomique et la protéomique (chefs de file de la famille « -omique ») ont déjà fait leurs preuves comme outils essentiels pour la caractérisation et la compréhension des organismes biologiques. Une définition de la métabolomique appliquée à la médecine serait : l’étude systématique de l’empreinte chimique unique laissée par les processus biologiques au cours du métabolisme. Ainsi, l’analyse des métabolites présents dans l’organisme ou rejetés avec les sécrétions naturelles, permettrait de constituer une signature métabolomique évoluant au cours de la vie, au rythme des mutations, des modifications de l’organisme et des maladies associées. Associée à l’étude des gènes et des protéines, elle complètera le rectangle des quatre « -omiques » au sein du cercle représenté par l’organisme.

Le développement des outils d’analyse et de détection d’échantillons biologiques - comme la chromatographie et la spectrométrie de masse -, la découverte de l’impact crucial pour la compréhension des pathologies de certains des métabolites identifiés dans ces échantillons (par exemple les microARN), permettent aujourd’hui à la métabolomique de se développer et de trouver ses applications en médecine [ 3].

Le rein et l’étude des métabolites

Les trois principales sources de métabolites en biologie animale sont l’urine, le sang et les tissus, auxquelles s’ajoutent la salive, la respiration, les fluides cérébraux, les larmes et la transpiration, actuellement en cours d’exploration [ 4]. Le choix du rein comme application privilégiée de la métabolomique s’est imposé : cet organe est responsable de la filtration sanguine et de la production d’urine, et toutes les pathologies rénales induisent une modification évidente de la signature métabolomique. Trois questions principales ont ainsi été explorées : la métabolomique peut-elle être utilisée en tant qu’outil diagnostic ? Peut-elle aider à définir des critères pronostiques, et/ou prédictifs ? Peut-elle identifier des cibles thérapeutiques ?

Le but final de l’étude des métabolites étant d’obtenir une concordance entre le profil analysé dans les biofluides et la biochimie du tissu pathologique considéré, il est nécessaire de déterminer comment un profil métabolomique tissulaire se reflète dans la signature métabolomique des prélèvements sanguins ou urinaires (Figure 2). Nous rapportons ici l’exemple de l’étude métabolomique dans le cas d’un carcinome rénal, où on peut prédire que la tumeur et son métabolisme induisent des changements dans la composition du sang et de l’urine. Aussi, les cancers du rein sont devenus des modèles d’étude dans le cadre de la métabolomique.

La preuve de concept de l’intérêt de la métabolomique dans le carcinome rénal
Aspects méthodologiques
Parmi les études les plus récentes associant métabolomique et maladies du rein figure celle de R.H. Weiss (University of California, Davis, États-Unis) [ 57]. En utilisant un modèle de xénogreffes tumorales (greffe de cellules cancéreuses rénales humaines chez des souris immunodéficientes), cette équipe a identifié une signature métabolomique unique en comparant les métabolites présents dans les échantillons de sang, d’urine ou de tissu des souris du groupe sain avec ceux du groupe ayant reçu la xénogreffe.

D’un point de vue technique, l’approche expérimentale choisie a été centrée sur l’analyse des biofluides et des tissus avec des approches de séparation à haute résolution pour l’identification de composés chimiques de petites tailles (Figure 2). L’équipement de base associe la chromatographie (en phase gazeuse ou liquide) à la spectrométrie de masse ou à la résonance magnétique nucléaire en fonction des échantillons analysés. Si la chromatographie en phase gazeuse permet l’identification de composés volatiles, les métabolites analysés avec cette technique doivent également être thermostables et non polaires, propriétés qui limitent le nombre de molécules identifiables [ 8]. Au contraire, la chromatographie en phase liquide sépare les molécules analysées en fonction de leurs propriétés physicochimiques, telles que la polarité, la charge ionique et le poids moléculaire [ 9]. De plus, de nombreuses librairies de composés associés à la chromatographie en phase gazeuse sont disponibles, au contraire de la chromatographie en phase liquide pour laquelle peu de banques de données consultables sont disponibles pour le moment. Ainsi, une analyse optimale de métabolites combine les deux types de chromatographie. Les principaux critères de choix entre spectrométrie de masse ou résonance magnétique nucléaire sont : la quantité d’échantillons disponibles, la variabilité du pH ou encore la reproductibilité des résultats. Si la spectrométrie de masse était largement utilisée jusqu’en 2006, la résonance magnétique nucléaire - beaucoup plus résolutive - commence à supplanter le criblage à haut débit par spectrométrie [ 10, 11].

Après cette première étape d’identification des métabolites dans un échantillon donné, des méthodes de normalisation dépendantes de la matrice ont été mises en œuvre pour permettre la comparaison des échantillons. Des biostatisticiens traitent ensuite les résultats et analysent les différences statistiques d’un échantillon à l’autre, d’une matrice à l’autre, etc. Finalement, une méthode de validation technique est mise en place, suivie d’une validation biologique. La première concerne la reproductibilité des résultats, la seconde permet l’analyse de la pertinence in vitro et in vivo des métabolites identifiés.

Les résultats
Les investigations de l’équipe de R.H. Weiss montrent une similitude dans la composition en métabolites d’une matrice à l’autre : il existe un lien très fort entre l’expression des métabolites retrouvés dans le sang et les tissus, moindre lorsque l’on compare l’expression des métabolites entre l’urine et le sang ou l’urine et le tissu.

Au-delà de la simple description des profils métabolomiques dans cette situation pathologique, la finalité de l’investigation se trouve dans l’analyse comparée des trois matrices à la recherche de cibles moléculaires potentielles pour le traitement, le diagnostic ou le pronostic. Parmi tous les métabolites identifiés (267 pour les échantillons tissulaires et l’urine, 246 dans les analyses sanguines), 89 ont été détectés dans les trois matrices, et les deux tiers de ces métabolites communs variaient dans le même sens dans chaque matrice (Figure 3). Plusieurs métabolites et leurs modulateurs ont été ainsi identifiés, dont le rôle devra être précisément analysé et validé dans des expériences dédiées. Il s’agit de la cinnamoylglycine, du glucose, de la nicotinamide, de la phénylpropionoylglycine ou encore de la valine. Sachant que la cinnamoylglycine et la nicotinamide sont altérées par le catabolisme des peroxysomes, l’implication potentielle de PPAR-α (peroxysome proliferator-activated receptor-α) dans la régulation énergétique associée aux échanges d’électrons semblait pertinente pour tenter d’expliquer la signature métabolomique obtenue. En utilisant des approches expérimentales classiques d’inhibition - via des inhibiteurs pharmacologiques ou des petits ARN interférents - et de détection par Western blot, les auteurs confirment notamment l’implication du tryptophane et du récepteur PPAR-α dans la croissance du carcinome rénal.

Dans cet exemple, la métabolomique a, d’une part, confirmé de nombreuses cibles impliquées dans les processus cancéreux et, d’autre part, identifié de nouvelles voies de signalisation potentiellement utiles dans une démarche thérapeutique ou diagnostique.

Si elle s’avère un outil essentiel pour comprendre les pathologies rénales, l’analyse métabolomique est-elle généralisable à d’autres maladies ? Sans prétendre couvrir l’ensemble des pathologies humaines où cette application a été rapportée, une analyse de la littérature scientifique associant oncologie et métabolomique au cours de l’année 2012 révèle la présence de nombreuses revues discutant l’apport de la métabolomique en cancérologie ou encore l’intégration de la métabolomique au sein des autres membres de la famille « -omique », données qui pourraient s’avérer capitales pour de futures considérations en recherche fondamentale et clinique [ 1216]. Citons des études de métabolomique dans les cancers gastroentérologiques [ 1719], urologiques [ 6, 20], ou encore du sein [ 21, 22] (Tableau I).

Limites et perspectives de la métabolomique

La métabolomique émerge comme un outil non invasif, pertinent et prometteur dans le cadre de l’identification d’une signature caractéristique d’une situation biologique, potentiellement importante pour la découverte de nouvelles cibles thérapeutiques [20, 23]. Elle sera particulièrement utile pour enrichir la panoplie des autres « -omiques ». Cependant, les méthodes d’identification des métabolites étant toutes récentes, les limites techniques freinent actuellement l’expansion des applications de la métabolomique. Il faudra notamment : (1) abaisser les seuils de concentration pour la détection des métabolites, ce qui permettra un affinement de l’ébauche métabolomique humaine ; (2) standardiser les méthodes de prélèvement des échantillons dans le cadre d’une matrice donnée, ce qui améliorera la fiabilité, la reproductibilité et la pertinence des analyses métabolomiques.

Pour faciliter l’identification des métabolites humains associés à une situation physiologique particulière et la diffusion des résultats, une base de données contenant déjà plus de 40 000 entrées uniques est mise à jour régulièrement1 [ 24]. Elle permet également d’obtenir, pour chaque métabolite recherché, des informations biochimiques et cliniques, telles que le seuil de détection ou la pathologie concernée par une modification du niveau d’expression. La création d’une société savante2, et d’un journal international, Metabolomics 3, faciliteront ces échanges et valoriseront l’impact de la métabolomique au sein de la communauté scientifique mondiale, au bénéfice des futures applications et avancées techniques.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 Human Metabolome Database, http://www.hmdb.ca
3 ISSN : 1573-3882, édité par © Springer.
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