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Med Sci (Paris). 2013 October; 29(10): 836–839.
Published online 2013 October 18. doi: 10.1051/medsci/20132910008.

Traitement antiviral
Pour ou contre l’interféron de type I ?

Piers Whitehead,1 Béatrice Drouet,1 Daniel Zagury,1 and Armand Bensussan2*

1Neovacs, 3-5, impasse Reille, 75014Paris, France
2Inserm U976, université Paris-Diderot, Hôpital Saint-Louis, 1, avenue Claude Vellefaux, 75010Paris, France.
Corresponding author.

MeSH keywords: Antiviraux, effets indésirables, usage thérapeutique, Maladies auto-immunes, immunologie, thérapie, Études cas-témoins, Maladie chronique, Humains, Immunité innée, physiologie, Immunothérapie, méthodes, Interféron de type I, Lupus érythémateux disséminé, génétique, Analyse sur microréseau, Transcriptome, Maladies virales, traitement médicamenteux

 

Le rôle antiviral de l’interféron (IFN) de type I est largement référencé depuis sa découverte il y a plus de 50 ans par Isaacs et Lindenmann [ 1]. Alors que la communauté scientifique s’intéresse de plus en plus au rôle de cette cytokine dans les infections, mais aussi dans les maladies auto-immunes comme le lupus érythémateux disséminé [ 2], deux articles publiés simultanément dans la revue Science viennent de mettre en lumière une nouvelle caractéristique de l’IFN [ 3]. Ils montrent, sans ambiguïté, son rôle immunosuppresseur, proviral, dans un modèle d’infection virale chronique, paradoxe pour une molécule utilisée jusqu’à maintenant dans les traitements antiviraux.

Interféron de type I : première ligne de défense contre l’attaque virale

Détectés par des récepteurs spécifiques PRR (pattern-recognition receptor), les composants viraux ou bactériens induisent rapidement une forte production d’IFN de type I qui active les réponses immunes innée et adaptative pour combattre l’infection. Essentiellement produits par les cellules dendritiques plasmacytoïdes (pDC), les IFN de type I comprennent majoritairement les IFNα et -β, qui reconnaissent un même récepteur (IFNR) hétérodimérique. Une fois activé, ce récepteur stimule un ensemble de protéines cytoplasmiques pour former un complexe hétérotrimérique. Celui-ci migre dans le noyau et se fixe sur des séquences ADN spécifiques, permettant la transcription de nombreux gènes impliqués dans différentes fonctions cellulaires, telles que la réponse antivirale, mais également les réactions immunitaires. L’ensemble de ces gènes exprimés donne un profil spécifique appelé « signature interféron ».

Effet délétère de l’IFN dans les infections virales chroniques

Il vient d’être démontré que, contrastant avec ses propriétés antivirales, l’IFN avait un rôle délétère dans les infections virales chroniques [ 4, 5]. En effet, deux équipes ont comparé chez la souris la réponse immune et la clairance virale en utilisant deux souches du virus LCMV (lymphocytic choriomeningitis virus) : l’une déclenche une infection aiguë, induisant une forte réponse de lymphocytes cytotoxiques, qui est rapidement éliminée en 8 à 10 jours ; la seconde provoque une infection chronique avec une charge virale prolongée pendant 90 jours (Figure 1). Lors de l’infection chronique, les auteurs observent une expression persistante d’IFN de type 1 (α et β), accompagnée d’une signature IFN proche d’un profil inflammatoire et immunosuppresseur, et d’une désorganisation architecturale et fonctionnelle des organes lymphoïdes.

Ces perturbations sont liées à la présence d’IFN puisqu’elles n’existent pas si la voie IFN est inhibée avec un anticorps monoclonal dirigé contre le récepteur IFNR, ou chez des souris transgéniques dont le gène IFNR a été invalidé. L’inhibition de l’IFN s’accompagne également d’une réduction des cellules effectrices régulatrices de la réponse immune.

Les auteurs ont ainsi démontré que la stimulation persistante par l’IFN perturbe la réponse immune plutôt qu’elle ne l’améliore. En d’autres termes, si le virus n’est pas éliminé rapidement, un « environnement IFN » s’installe, inefficace pour éliminer le virus et caractérisé par une désorganisation des organes lymphoïdes, siège de la réponse immune. Il apparaît donc que les propriétés antivirales précoces de l’IFN deviennent délétères à long terme.

Ce modèle murin chronique est similaire à ce que l’on peut observer chez certains patients souffrant d’hépatite C où une signature IFN avec une absence de clairance virale est détectée, prédictive d’une non-réponse au traitement IFN [ 6, 7]. Or, si la majorité des patients traités par l’IFN pégylé guérissent, un certain nombre d’entre eux restent infectés et évoluent à long terme vers une cirrhose létale ou un hépatocarcinome nécessitant une transplantation hépatique.

La persistance de l’IFN dans l’infection par le virus VIH (virus de l’immunodéficience humaine) a également été mise en évidence dans les années 1990, conduisant à des essais cliniques visant à inhiber la cytokine par immunisation active anti-IFN. L’essai de phase II/III avait montré l’innocuité de la préparation, la disparition de l’IFNα circulant et un bénéfice clinique chez les patients traités [ 8]. Le rôle immunosuppresseur de l’IFN dans l’infection VIH a été confirmé plus récemment par l’équipe de Siliciano [ 9].

Neutralisation de l’IFN dans les pathologies à signature IFN persistante

La présence de la signature IFN chez des patients atteints de maladies auto-immunes, telles que le lupus érythémateux disséminé, la dermatomyosite, et la sclérodermie, a conduit à élargir les indications de traitement anti-IFNα à ces pathologies (Figure 2). Tout comme le rapportent les résultats expérimentaux publiés dans Science, l’inhibition de l’IFN pourrait conduire à une suppression de la réponse auto-immune pathologique chez ces patients. Ainsi, de nombreux anticorps monoclonaux sont en cours de développement : anti-IFNR (MEDI-546) [ 1013] ou anti-IFNα (rontalizumab, sifalimumab, AGS-009) [ 14]. Les premiers résultats sont encourageants, et montrent une bonne tolérance et un effet sur la signature IFN avec une amélioration des signes cliniques [10, 11, 14, 15].

Une autre stratégie consiste à induire chez les patients des anticorps dirigés contre la cytokine cible. Cette approche par immunisation active avec un vaccin anti-IFN, l’IFNα-kinoïde (IFN-K), présente l’avantage d’induire une réponse humorale polyclonale contre les différentes isoformes de l’IFNα. Au cours d’un essai clinique de phase I/II chez des patients lupiques traités par l’IFN-K, les premiers résultats montrent une bonne tolérance sans augmentation d’infections virales, une diminution de la signature IFN et une augmentation du taux sérique du complément C3, anormalement bas chez les sujets lupiques [ 16, 17].

Conclusion

La réponse IFN durable au cours de pathologies chroniques virales ou auto-immunes conduit à une désorganisation structurale et fonctionnelle du système immunitaire. Ces dérégulations immunitaires pathogènes peuvent être corrigées en neutralisant l’IFN circulant dans les pathologies à signature IFN persistante. Cette neutralisation peut se faire, soit par immunothérapie passive avec des anticorps monoclonaux anti-IFN, soit par immunisation active avec la vaccination kinoïde en induisant des anticorps naturels polyclonaux anti-IFN. Par ailleurs, le suivi de la signature IFN chez les patients pourrait représenter un biomarqueur de l’efficacité des traitements anti-IFN. Pour cela, les gènes à surveiller devraient être sélectionnés pour déterminer un profil « IFN chronique », pour confirmer le point d’inflexion entre le profil aiguë et chronique, et éventuellement aller vers un consensus des gènes sélectionnés pour comparer les différents traitements. Le choix de l’IFN comme cytokine à neutraliser durant une infection chronique virale ou une maladie auto-immune ouvre de nouvelles perspectives thérapeutiques.

Liens d’intérêt

P. Whitehead et B. Drouet sont salariés de Neovacs.

D. Zagury est fondateur de Neovacs.

A. Bensussan est membre du Conseil scientifique de Neovacs.

References
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