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Med Sci (Paris). 2013 May; 29: 33–35.
Published online 2013 June 7. doi: 10.1051/medsci/201329s209.

Le Do-it-yourself biology : défis et promesses

Thomas Landrain1,2*

1Doctorant en biologie de synthèse à l’iSSB (Institut de biologie systémique et synthétique), fondateur et président du laboratoire « La Paillasse pour les biotechnologies citoyennes », Vitry-sur-Seine, France
2Campus Genopole1, 5, rue Henri Desbruères, 91000Évry, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Académies et instituts, Récompenses et prix, Participation communautaire, Congrès comme sujet, Europe, Prévision, Informatique, Internet, Recherche, organisation et administration, tendances, Sociétés savantes, Biologie synthétique, États-Unis d'Amérique

 

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La biologie de garage ou DIY biology est issue d’une vieille tradition et se rattache à l’envie de faire des sciences soi-même, chez soi, avec les moyens du bord. Elle donne les moyens d’explorer la connaissance en faisant de sa curiosité le moteur de sa vie scientifique personnelle. Chaque technologie a donné naissance à sa version DIY, notablement l’électronique et l’informatique : Steve Jobs et Steve Wozniak ont inventé l’Apple I dans le cadre du Homebrew Computer Club. Ces geeks ou passionnés d’informatique construisaient leurs ordinateurs dans leur garage et se confrontaient aux nouvelles problématiques de l’informatique.

Il en va de même avec la biologie aujourd’hui : elle est de plus en plus facile à prototyper. La compétition iGEM (International genetically engineered machine competition) permet de produire des preuves de principe. L’échec est valorisé comme la prémisse du succès futur. Le mot d’ordre est de s’amuser. Cette approche passionnée de la biologie est rendue possible par les outils et la standardisation de la biologie de synthèse. Les nouveaux geeks font désormais de la biologie. Cathal Garvey, l’un des fers de lance du mouvement, et qui est basé en Irlande, travaille sur un support d’expression génétique Open Source distribuable librement et gratuitement.

La biologie de garage regroupe une trentaine de laboratoires dans le monde. Le mouvement est né en 2008 à Boston, à proximité du MIT (Massachussetts Institute of Technology) où fut fondé iGEM en 2005 ; les fondateurs du mouvement sont d’anciens participants à l’iGEM et j’ai moi-même pris part à la compétition à de nombreuses reprises. Le DIY bio est une manière nouvelle de faire de la biologie : on est amené à travailler avec des non-spécialistes ; on apprend à développer des produits soi-même, voire à monter son propre laboratoire comme l’a fait l’équipe iGEM d’Évry cette année.

Le DIY bio est centré autour d’une plate-forme virtuelle, le site diybio.org. Sa liste de diffusion est le principal support d’échange entre ses membres (plus de 3 000). Créée en 2008, la plate-forme représente plusieurs dizaines de milliers de messages et forme un corpus de savoirs pratiques sur la biologie, digéré par les amateurs pour les amateurs. Elle est riche d’enseignements, même pour les professionnels : disposant de peu de moyens, les amateurs recherchent des solutions alternatives à tous les produits de laboratoire, mais aussi aux équipements. La liste de diffusion discute donc des moyens de refaire les éléments d’un laboratoire de biologie avec des composants simples, faciles d’accès et en accès ouvert. Cette dernière composante est fondamentale : ces communautés reposent sur la circulation libre et rapide du savoir, sans les entraves de la propriété intellectuelle.

Il existe plusieurs laboratoires de DIY bio dans le monde. Genspace, à New York, fondé en 2010, ressemble en tous points à un laboratoire professionnel, mais a pour voisins de palier des ateliers d’artistes. Des groupes émergent de plus en plus au-delà des frontières occidentales, comme en Asie et en Afrique.

J’ai découvert le DIY bio il y a trois ans et j’ai été immédiatement conquis. J’ai voulu monter en France un tel laboratoire, qui n’existait pas à l’époque, ce qui a conduit à la création de La Paillasse (Figure 1).

La Paillasse est une association possédant un laboratoire moderne de biologie installé à Vitry-sur-Seine depuis mars 2012. Il regroupe une vingtaine de membres actifs qui développent des projets en collaboration entre non-professionnels et professionnels de la biologie. Ces derniers sont minoritaires par rapport aux ingénieurs qui ont un intérêt pour la biologie et souhaitent y revenir, ainsi que par rapport aux artistes et aux designers, souvent séduits par l’approche design de la vie de la biologie de synthèse.

Nous organisons à La Paillasse des débats et nous y développons des projets hardware, au travers desquels nous fabriquons des équipements à bas coût, mais également des projets pédagogiques consistant à enseigner les bases de la biologie moléculaire moderne. Nous avons notamment prototypé un transilluminateur, appareil central dans un laboratoire, qui est utilisé pour visualiser l’ADN ; il coûte normalement 1 000 euros et nous l’avons fabriqué pour 10 euros avec des moyens standard. Le projet OpenPCR est assez emblématique. La PCR est l’élément de base de tout laboratoire de biologie moléculaire. Elle sert à amplifier des séquences d’ADN pour les analyser ou les utiliser dans des constructions. Un appareil PCR est coûteux et certains amateurs se sont regroupés pour créer un appareil PCR open source. Tous les plans sont disponibles et la machine est modifiable à loisir. Le coût d’un tel appareil, 500 euros, est dix fois moindre que son équivalent professionnel.

Un Allemand a aussi créé un Gene Gun, outil pour faire pénétrer de l’ADN dans des cellules de plante, équivalent basique des technologies utilisées dans les laboratoires OGM.

Le projet Amplimo est assez caractéristique de la volonté citoyenne des amateurs du mouvement DIY bio. Il s’agit de créer un appareil capable de détecter rapidement et simplement, et à bas coût, la malaria. La machine ainsi mise au point fonctionne et coûterait 50 euros, soit une différence d’un facteur 100 avec une machine moderne.

La question de l’encadrement des pratiques de la biologie au sein des laboratoires non professionnels mérite d’être évoquée. La communauté DIY biology est très attentive aux aspects éthiques des manipulations. Il y a un an et demi a eu lieu à Londres une rencontre entre représentants européens des laboratoires amateurs qui a permis de mettre au point un code éthique (Figure 2). Ce code est sans équivalent au sein de la communauté scientifique professionnelle. Il est important de souligner que le premier code de ce type est né de l’effort communautaire d’amateurs.

Cette communauté possède un véritable potentiel. Elle est naturellement unie par les outils du web et peut se réunir physiquement pour envisager des projets beaucoup plus ambitieux qu’à l’échelle locale. La création d’un réseau européen du DIY bio s’est imposée assez naturellement. J’ai organisé ici-même samedi dernier la première réunion de ce réseau (Figure 3). Nous avons pu discuter ensemble des enjeux de la communauté et des projets envisageables. Nous avons réfléchi à des projets ayant du sens à être réalisés à l’échelle européenne. Il en est ressorti des projets de collaboration et de veille environnementale. Ainsi, le projet BugID vise à mettre en place un réseau européen de caractérisation de la biodiversité, à partir de la technologie DNA Barcoding, disponible dans la plupart de nos laboratoires. D’autres projets concernent le partage de matériel génétique entre amateurs à partir de bibliothèques centralisées, dans un esprit de libre partage et de libre circulation de l’information.

Nous avons organisé notre meeting européen au musée des Arts et Métiers, qui est avant tout le musée des inventions. Ce sont souvent des amateurs qui sont à l’origine de ces inventions. Tous les amateurs réunis samedi dernier ont le potentiel de faire progresser la société en utilisant les outils de la biologie moderne.

Catherine Paradeise

On voit bien l’importante dimension d’engagement qui va de pair avec une redéfinition des manières de faire la science, voire un décloisonnement de la science par rapport à d’autres pratiques artistiques, sportives, etc. Des jeunes gens se rencontrent, enthousiastes, dans le cadre de compétitions qui sont d’abord des compétitions avec eux-mêmes, en dehors des considérations marchandes, pour le « fun », pour « s’éclater » dans une pratique qui engage. C’est toute la beauté de l’invention désintéressée. Un certain nombre de propos ont été tenus sur les modes d’organisation sociale de ces mouvements, et l’exemple de l’élaboration d’un code éthique est très intéressant.

Il est intéressant à ce stade d’entendre également un observateur de la construction sociale (Morgan Meyer) de ces pratiques, de leur extension et de la façon dont elles impactent la pratique professionnelle de la biologie.

Liens d’intérêt

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.