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Med Sci (Paris). 2014 February; 30(2): 204–205.
Published online 2014 February 24. doi: 10.1051/medsci/20143002020.

Quelles sont les clés du succès de CARMAT ?

Joël Ménard1*

1Professeur de santé publique, Président du conseil scientifique de la Fondation nationale de coopération scientifique maladie d’Alzheimer, Paris, France

MeSH keywords: France, Coeur artificiel, Humains, Implantation de prothèse, Résultat thérapeutique

 

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La compétition est un stimulus certain des courses aux progrès qui existent dans tous les domaines. Être dans les premiers, et si possible le premier, pousse l’individu ou l’équipe au dépassement de soi, qu’il s’agisse du sport, de l’innovation technologique, du succès commercial ou du progrès médical. Simultanément, de manière un peu contradictoire, c’est la coopération qui permet aussi d’avancer plus vite, plus profondément, plus largement. Des équilibres respectueux des contributions de chacun sont indispensables à trouver entre compétition et coopération, dans un monde dit globalisé, qui repousse ses limites, de la terre à la lune ou à Mars, et du séquençage complet des génomes de chacun au cœur artificiel de CARMAT. Les journaux français ont vécu l’implantation d’un cœur artificiel permanent par l’équipe de chirurgie cardiaque de l’hôpital européen Georges Pompidou à Paris comme le succès d’une nation en situation difficile dans la compétition mondiale, un autre des aspects de ce succès étant les coopérations qui ont mené le projet à une étape décisive.

Il ne faut pas bouder le plaisir que procure un succès national : l’implantation chez l’homme d’un cœur artificiel visant à permettre une vie normale. On ne trouve pas derrière ce succès de facteurs d’impact de revues, de facteur « h », de supports financiers institutionnels précoces dans l’initiation du projet, même s’ils sont venus des institutions de financements d’État dans sa phase finale. On trouve un chirurgien porteur du projet, animateur d’équipe, qui apporte trois contributions essentielles : la compétence, la constance et le charisme.

La première contribution conduit à l’utilisation des matériaux biologiques et industriels appropriés, après une expérience unique ancienne sur le remplacement des valves cardiaques. En 1968, la glutaraldéhyde avait été utilisée pour la première fois par Alain Carpentier pour transformer les protéines de structure de la valve artificielle en une matrice ne provoquant pas de réaction immunologique [ 1]. La première valve de ce type a donc été créée ainsi par son équipe et lui, à la fin des années 1960, avec la société américaine Edwards, donnant la valve de Carpentier-Edwards, mais les créateurs n’avaient pas déposé de brevet. Ceci illustre bien le tournant qui s’est produit sur la valorisation, à partir de la fin des années 1970 aux États-Unis, et, en France, à partir de la fin des années… 1990.

La seconde contribution, la constance, traduit la ténacité dans l’imaginaire, pour répondre point par point aux questions anatomiques et physiologiques posées par le cœur mécanique. Les recherches ont débuté en 1988, avec le premier dépôt de brevet sur le cœur artificiel par Alain Carpentier. Les travaux conceptuels ont été menés avec le CETIM (centre technique des industries mécaniques), puis l’alliance avec Jean-Luc Lagardère, président de MATRA, a été scellée en 1993 pour l’application d’un concept de cœur artificiel complet. Les premières implantations animales réussies sur le veau ont montré que la prothèse était réalisable d’un point de vue technique, succès qui a conduit à la création du GIE CARMAT en 2008 par Matra Défense (groupe EADS), Truffle Capital, le Pr Carpentier et sa Fondation, au sein du laboratoire d’étude des greffes et prothèses cardiaques de l’université Paris Descartes, à l’hôpital européen Georges Pompidou. Sont enfin arrivés l’accord de la Commission Européenne pour l’octroi par OSEO de 33 M€ au projet CARMAT et l’attribution d’une subvention de 1,5 M€ par le conseil général des Yvelines pour la création d’une salle blanche (environnement de production contrôlé). OSEO, établissement public placé sous la tutelle de l’État et du ministère de l’Économie et des finances avait comme mission principale le financement de la croissance des PME, et fait maintenant partie de la banque publique d’investissement. CARMAT a été introduit en bourse en 2010, et les fluctuations du titre, même en 2013 (Figure 1), illustrent bien le besoin de ténacité des chercheurs et des financiers dans le contexte de scepticisme qui entoure toute recherche innovante.

La troisième compétence, le charisme, est la capacité d’entraînement d’une équipe-projet pluridisciplinaire, la vision à long terme du chef de projet permettant à chacun de relever la tête pour garder en vue l’objectif quand les difficultés surviennent au jour le jour. Telle est la partie « CAR » de CARMAT. La vision technique partagée avec celle, indispensable, d’un financeur caritatif captivé par l’objectif proposé est la partie « mat » de CARMAT. Dans ces ingrédients du succès, on ne retrouve rien des règles habituelles : les demandes incessantes de fonds à des comités ou des commissions soumettant l’individu au groupe, les rapports multiples examinés par des personnes moins compétentes ou moins motivées sur le sujet que le porteur même de projet, le classement par rapport à d’autres, alors qu’objectifs et méthodes diffèrent largement à qualité de réalisation bien peu différente. Un projet de recherche qui réussit est souvent marginal, même si la marginalité n’est pas un succès en soi, quoi que se disent parfois les chercheurs quand ils confondent marginalité et originalité.

L’implantation d’un cœur artificiel susceptible de donner du temps et du confort à la vie est un événement exceptionnel et exemplaire qui n’est pas du domaine du rêve, mais de la réalité. Il insuffle de la confiance en une recherche orientée vers un objectif médical précis, souhaitable pour les individus et pour la société : ici, ne plus dépendre du don d’organe, et anticiper que l’addition des thérapeutiques pharmacologiques a atteint des limites, après avoir induit de nombreuses morts au cours des tentatives justifiées de favoriser l’inotropisme [ 2]. Cet évènement rappelle que l’innovation de rupture n’est pas favorisée par une bureaucratie envahissante de gestion de la recherche, armée de procédés aussi longs que coûteux, ni par la transformation en objectifs de critères d’évaluation discutables. Il nécessitera aussi une réflexion éthique et philosophique sur ce nouvel être humain, mi-homme mi-machine, dont le cœur en théorie ne peut plus s’arrêter de battre si on lui procure l’énergie nécessaire.

On ne fait pas de la recherche pour se faufiler dans un classement, quel qu’il soit. On fait de la recherche sur ce qui fait rêver, pour des raisons techniques ou philosophiques, parce qu’on aime les malades, la société, la médecine ou la science, et leur mélange. Il faut le répéter : la compétence dans le travail, le charisme et l’animation des équipes, puis dans la levée de fonds, et la constance dans l’effort de longue durée ont été les ingrédients de l’espoir que l’équipe multidisciplinaire qu’anime le Professeur Alain Carpentier fera partager pendant de longues années aux malades cardiaques et aux médecins. Cette réussite rappelle que créer des structures, en leur donnant des noms multiples, autorité si possible haute, comité, conseil, pôle, alliance, institut, agence, le tout arrosé d’excellence, ne doit pas faire sous-estimer la confiance qu’il faut accorder à la conduite de projets, ciblée, directe, atypique, quand il y a derrière les trois ingrédients du projet CARMAT, quel que puisse être son devenir lointain.

Liens d’intérêt

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes

Vignette (Photo © CARMAT).

References
1.
Carpentier A , Deloche A , Relland J , et al. Six-year follow-up of glutaraldehyde-preserved heterografts. With particular reference to the treatment of congenital valve malformations . J Thorac Cardiovasc Surg. 1974; ; 68 : :771.–782.
2.
Komajda M , Grosgogeat Y . Mortality in cardiac insufficiency. Evaluation of prognosis, influence of treatments . Arch Mal Cœur Vaiss. 1990; ; 83 : :1975.–1980.