Le désir d’enfant a fait l’objet de plusieurs explications. La voie la plus fréquemment adoptée a consisté à se poser la question de l’origine de ce désir. Dans cette perspective, et ce depuis des siècles dans la culture occidentale, trois motifs essentiellement ont été à ce jour élaborés : l’explication est biologique, sociologique ou psychologique. Dans le premier type d’explication, on rencontre l’idée d’un destin organique de la reproduction : faire des enfants est semblable au fait de manger, de boire ou de dormir. Dans ce cas, l’expression du désir d’enfant correspond à la formulation d’un phénomène qui aura lieu de toute façon, une manière d’accepter son destin biologique. Cette perspective a pu être appliquée de manière spécifique aux femmes, dotées depuis l’Antiquité d’un rôle particulier dans la perpétuation de l’espèce. Les caractéristiques corporelles de la femme, dans cette vision des choses, expliquent autant qu’elles mettent en évidence.
Objet de nombreuses critiques, notamment féministes, cette explication biologique a cédé du terrain face à une compréhension qui se veut sociologique du désir d’enfant : être parent confère dans bien des sociétés un véritable statut social [
12,
13], et notamment aux femmes. Une femme sans enfant paraît frappée du sceau du malheur, de la faute morale, voire de la monstruosité. Le désir de paternité est d’expression récente, mais il commence aussi à être mis en valeur et se trouve désormais pris en compte dans cette analyse des effets sociaux de la parentalité [
14].
Cependant, parce qu’elle pèche par généralité, l’explication, qu’elle soit biologique ou sociologique, ou même une combinaison des deux, paraît insuffisante. L’expression du désir d’enfant est certes un usage courant du langage ordinaire, mais elle est toujours relative à une histoire de vie singulière : c’est moi qui l’énonce, à un moment déterminé de mon histoire personnelle et affective. De ce fait, au sujet du désir d’enfant, l’analyse philosophique peut nourrir son questionnement de façon féconde à partir de certains éléments de réflexion empruntés à la psychanalyse freudienne, notamment en raison de la place accordée par elle au sujet désirant, y compris dans sa dimension inconsciente, et de sa tentative d’articuler le biologique, le singulier et le social dans le parcours psychique des individus. Cette intégration du regard clinique psychanalytique permet de considérer que les identités - masculine et féminine, paternelle et maternelle - sont un entrelacs indissociable des significations biologique, sociologique et psychosexuelle. À partir de cet entrelacs, on peut éclairer le désir d’enfant, non sur le mode de la généralité, mais pour chacune des vies singulières considérées [10]. Les travaux cliniques de la psychologie et de la psychanalyse au sujet de l’infertilité vont également dans le sens d’une telle conclusion [
16,
17].
L’analyse de l’explication du désir d’enfant par son origine invite à rejeter le motif biologique ou sociologique du fait de leur incapacité à rendre compte de ce désir-là, exprimé à ce moment-ci de l’existence d’une personne, et à privilégier une explication qui s’efforce de ressaisir les dimensions biologique et sociologique dans la trame d’une vie particulière, dans ses parts consciente et inconsciente. Dans cette optique, l’explication du désir d’enfant par son origine relève nécessairement du cas par cas.
Cependant, une telle optique, si féconde soit-elle, n’épuise pas l’interrogation sur le sens du désir d’enfant, notamment parce qu’elle n’éclaire pas sa visée. Quel que soit le moment où se forme une conscience de ce désir, sa visée semble se fragmenter en une pluralité de conceptions possibles, tout aussi légitimes les unes que les autres et difficilement hiérarchisables [
18]. Une grande variété de désirs d’enfant est formulée. En tant que femme, le désir d’enfant renvoie à diverses expériences, appréhendées selon les cas avec plus ou moins de bonheur : grossesse, expérience de l’accouchement, relation mère-enfant après la naissance. Le désir d’enfant, pour un homme comme pour une femme, peut également renvoyer au fait de prolonger ou fonder une famille, la notion de famille recélant en elle-même diverses formes. Il n’équivaut pas nécessairement au désir de transmettre ses gènes et, pour certains, peut être comblé par une adoption. L’idée d’une transmission, des valeurs jusqu’au patrimoine, peut intervenir en tant que telle dans ce désir de fonder une famille, de la même façon que celle de prendre soin, aimer, éduquer.
Du point de vue conceptuel, le désir d’enfant renvoie ainsi à une réalité essentiellement multiple. Sa pluralité constitutive recèle même des cas limites. Qu’en est-il, en effet, du désir d’enfant chez les mères porteuses, chez les femmes qui donnent ou vendent leurs ovocytes, et les hommes qui font de même avec leur sperme, chez les parents qui cherchent à concevoir un « bébé du double espoir » ? Qu’en est-il des équipes médicales engagées dans l’assistance à la procréation ? On ne peut certes décrire ces situations à partir de l’idée de désir d’enfant, mais elles ne sont sans doute pas totalement étrangères à celui-ci.
L’appréhension du désir d’enfant par le biais de la connaissance de son origine ou de sa visée conduit donc à mettre en avant son caractère toujours singulier et sa complexité. Il faut encore ajouter à ces caractéristiques une dimension dynamique, patente dans certains parcours de grossesse et d’attente d’un enfant à naître. Ce désir peut connaître une variation d’intensité en fonction des conditions de la procréation, du déroulement de la grossesse et du diagnostic posé au cours de celle-ci sur l’état de santé de l’enfant à naître. Il ne renvoie donc pas à un élément toujours stable dans le temps. Il peut être suspendu, voire interrompu, mais aussi connaître une nouvelle impulsion, selon le cours de la grossesse, les conditions de la mise au monde et l’état de santé du bébé à la naissance.
La psychologie clinique et la psychanalyse fournissent des descriptions nourries de ces fluctuations du désir, en lien avec les attentes fantasmatiques projetées sur l’enfant à naître ou né, suggérant que le temps de l’attente d’un enfant est un temps où sont ravivés des enjeux personnels et propres au couple. Le jeu des identifications, des projections, des transferts conscients et inconscients est particulièrement développé au cours de la grossesse et se cristallise notamment sur la question de la filiation [
19,
20]. Le rapport de chacun au handicap s’avère déterminant [
21]. Cette dimension dynamique du désir d’enfant se donne également à voir après la naissance [
22].
Comme le suggère le sociologue Elias, cette variabilité du désir d’enfant, pour être pleinement comprise, doit être resituée dans l’évolution historique des formes de vie familiales. Aujourd’hui, dans des sociétés telles que la France, les enfants satisfont certains des besoins et désirs des parents, avant tout d’ordre affectif et émotionnel. Les déceptions sont d’autant plus importantes que les attentes sont fortes [
23].