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Med Sci (Paris). 2014 May; 30(5): 576–583.
Published online 2014 June 13. doi: 10.1051/medsci/20143005022.

Les unités de thérapie cellulaire à l’épreuve de la réglementation sur les médicaments de thérapie innovante

Christian Chabannon,1,2,3*** Florence Sabatier,2,3,4 Emmanuelle Rial-Sebbag,5,6 Boris Calmels,1,3 Julie Veran,3,4 Guy Magalon,2,3,4 Claude Lemarie,1,3 and Aurélie Mahalatchimy5,6,7

1Centre de thérapie cellulaire, département de biologie du cancer, institut Paoli-Calmettes, 232 boulevard Sainte-Marguerite, 13273Marseille Cedex, France
2Aix-Marseille université (AMU), Marseille, France
3Inserm-centre d’investigations cliniques en biothérapie (CBT)-510, Marseille, France
4laboratoire de culture et de thérapie cellulaire, hôpital de la Conception, Assistance publique-hôpitaux de Marseille, Marseille, France
5Inserm UMR 1027, épidémiologie et analyses en santé publique : risques, maladies chroniques et handicaps, équipe génomique, biothérapies et santé publique-approche interdisciplinaire, Toulouse, France
6université Paul Sabatier-Toulouse 3, Toulouse, France
7Institut de recherche en droit européen, international et comparé (IRDEIC), université Toulouse 1-Capitole, Toulouse, France
Corresponding author.
 

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Une nouvelle classe de médicaments : les médicaments de thérapie innovante

Le règlement européen (CE) n° 1394/2007 [ 1], publié en 2007, définit une nouvelle classe de médicaments, s’inscrivant dans la catégorie plus large des médicaments biologiques1,. Les médicaments de thérapie innovante (MTI) – traduction française d’advanced therapy medicinal products (ATMP) – regroupent les médicaments de thérapie cellulaire somatique, les médicaments issus de l’ingénierie cellulaire, de l’ingénierie tissulaire, de la thérapie génique, éventuellement couplés à des dispositifs médicaux2. Ces médicaments représentent des promesses de progrès importants, notamment dans le domaine de la médecine régénérative, mais aussi dans d’autres disciplines telles que la cancérologie, l’hématologie ou l’immunologie. Ils sont également associés à des risques potentiels, mal connus en raison de leur nouveauté et de la complexité de leurs procédés de fabrication. C’est pourquoi ils font l’objet d’une règlementation européenne spécifique par rapport aux médicaments conventionnels ou aux autres médicaments biologiques, afin de favoriser leur développement, tout en garantissant un haut niveau de protection de la santé publique [ 2].

Implémentation des conditions de production et de distribution des MTI en France
Un règlement constitue l’instrument juridique le plus élevé dans la hiérarchie des textes du droit européen. Un tel texte s’applique directement et s’impose aux États membres dès son entrée en vigueur, leur laissant une possibilité réduite et strictement délimitée de maintien des spécificités nationales. Paradoxalement, la France, dont les réglementations nationales ont inspiré le texte, ne s’est conformée à cette réglementation que tardivement par rapport à d’autres États membres, avec la publication en 2011 d’une loi d’adaptation du droit français au droit de l’Union européenne (UE), comportant des dispositions très variées, parmi lesquelles un article est dévolu aux MTI3,. Cette loi a été complétée par le décret n° 2012-1236 du 6 novembre 2012 relatif aux médicaments de thérapie innovante4,, suivi quelques mois plus tard de la publication de l’arrêté du 4 février 2013 fixant le contenu des demandes d’autorisation initiale, de renouvellement d’autorisation ou de modification d’autorisation des médicaments de thérapie innovante préparés ponctuellement5, et des établissements ou organismes qui préparent ces produits6.

Comme leur dénomination le laisse à entendre, les MTI sont des médicaments et, en tant que tels, leur commercialisation nécessite au préalable l’octroi d’une autorisation de mise sur le marché (AMM). Les MTI fabriqués à l’échelle industrielle sont réglementés au niveau européen. Ils relèvent de la procédure centralisée selon laquelle l’AMM est délivrée par la Commission européenne après évaluation de l’Agence européenne du médicament (EMA). Les conditions de production et de distribution des MTI s’appuient sur les bonnes pratiques de fabrication (BPF) « médicaments » applicables à l’industrie pharmaceutique, et relèvent des prérogatives d’établissements pharmaceutiques autorisés au niveau national. En France, conformément au monopole pharmaceutique, les MTI sont fabriqués sous le contrôle d’un pharmacien responsable7,, soit dans des établissements pharmaceutiques privés8,, soit – nouveauté majeure de la loi française n° 2011-302 – dans des établissements pharmaceutiques créés au sein d’organismes à but non lucratif ou d’établissements publics autres que les établissements de santé9,. Les établissements de santé (hôpitaux, cliniques) restent donc exclus, sauf exception, du statut d’établissement pharmaceutique10. Cette situation maintient une dichotomie entre la production et la distribution des médicaments d’une part, leur dispensation et leur administration d’autre part, qui relèvent de compétences distinctes. Par ailleurs, les MTI sont soumis au principe de libre circulation des marchandises et peuvent donc être exportés hors du pays hébergeant la structure de production. Leur surveillance post-AMM relève de la pharmacovigilance.

Préparations de thérapie cellulaire dans les infrastructures de type UTC et banques de tissus
Avant l’adoption du règlement (CE) n° 1394/2007, certains des produits thérapeutiques aujourd’hui classés comme MTI étaient produits et distribués à petite échelle par des infrastructures hébergées au sein d’établissements de santé, hôpitaux ou sites de l’Établissement français du sang (EFS), les unités de thérapie cellulaire (UTC) et les banques de tissus. Les UTC et banques de tissus sont des laboratoires spécialisés assurant une ingénierie cellulaire ou tissulaire et la conservation, souvent par cryopréservation, de cellules ou tissus d’origine humaine. Il s’agit d’infrastructures qui n’ont pas le statut d’établissement pharmaceutique et qui travaillent dans le cadre d’une autorisation d’établissement délivrée par l’autorité sanitaire nationale, en France l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé)11,. Les UTC distribuent des préparations de thérapie cellulaire (PTC) qui ne constituent pas des médicaments, mais relèvent de la règlementation tissus/cellules12,. De nombreuses UTC et banques de tissus sont engagées dans des démarches d’amélioration de leurs pratiques professionnelles et participent à des protocoles de recherche biomédicale13 visant à évaluer l’intérêt clinique de produits thérapeutiques issus de l’ingénierie cellulaire ou tissulaire, autrefois classés PTC, aujourd’hui considérés comme des MTI. L’évolution du statut de PTC à celui de MTI peut également concerner des maladies ou des situations orphelines davantage que de réelles innovations. Un exemple en est fourni par les préparations de kératinocytes utilisées pour couvrir les brûlures de grande surface, qui n’ont jamais donné lieu à des développements industriels et qui doivent aujourd’hui être produits par les UTC et banques de tissus dans les conditions imposées pour les MTI. Notre propos est ici d’illustrer comment les UTC et les banques de tissus peuvent et doivent s’adapter à ce nouvel environnement réglementaire.
Deux catégories de thérapies cellulaires et tissulaires au sein des MTI
Nous ne traiterons pas des médicaments de thérapie génique (séquences d’acides nucléiques et vecteurs), dont la production et la commercialisation s’inscrivent naturellement dans les missions d’établissements pharmaceutiques issus de sociétés pharmaceutiques ou de biotechnologies, et assez peu dans celles de laboratoires localisés au sein d’établissements de soins ou de recherche, mais seulement des MTI dont la production nécessite l’accès à des éléments dérivés du corps humain, qui font ensuite l’objet de transformations plus ou moins sophistiquées.

Le règlement européen ne prévoit pas cette distinction ; ces MTI peuvent néanmoins être subdivisés en deux grandes catégories de thérapies cellulaires et tissulaires qui posent des problèmes très différents en termes de production.

  • Les thérapies cellulaires issues de l’ingénierie de lignées cellulaires d’origine humaine, stables, susceptibles d’être multipliées in vitro et bien caractérisées en termes de propriétés et de sécurité sanitaire par des critères génétiques, phénotypiques et fonctionnels, dériveront dans le futur des progrès des connaissances sur les cellules souches embryonnaires (cellules ES) ou sur les cellules somatiques reprogrammées (cellules iPS) ou immortalisées. Elles devraient permettre de produire des MTI reproductibles sous forme de lots, et de leur appliquer des règles de libération des lots empruntant largement à celles des médicaments conventionnels ou d’autres catégories de médicaments biologiques (les molécules et anticorps monoclonaux). Quinze ans après la première description des cellules ES humaines, la recherche préclinique dans ce champ d’investigation est intense et vectrice d’espoirs, mais un nombre très restreint d’essais cliniques a été ouvert, et le retrait récent de la société Géron suggère que le retour sur investissement n’est probablement pas à la portée de l’industrie à court terme.
  • La seconde situation est technologiquement à la portée des UTC et s’inscrit dans la continuité de leurs activités historiques : des cellules ou tissus primaires sont obtenus d’un individu, patient ou donneur, et font l’objet de transformations plus ou moins complexes, avant d’être réimplantés, soit au même patient (usage autologue), soit à un patient receveur pour lequel le donneur a été préalablement sélectionné et recruté (usage allogénique). Dans la plupart des cas, le caractère unique et l’impossibilité de multiplier in vitro les éléments dérivés du corps humain qui constituent la « matière première biologique » soumise à ingénierie cellulaire ou tissulaire, ne permet ni d’envisager la production de lots, ni de bloquer la libération de l’unique produit thérapeutique disponible lorsque celui-ci n’est pas conforme à la totalité des spécifications préalablement définies pour garantir sa qualité, son efficacité et sa sécurité.

Quatre MTI de natures et d’usages très différents ont, à ce jour reçu, une AMM européenne (Tableau I). La coexistence de trois classes de produits thérapeutiques partageant des pratiques d’ingénierie cellulaire ou tissulaire, mais devant être mises en œuvre dans des contextes réglementaires différents, suscite des difficultés pratiques et financières pour la poursuite de l’activité des UTC et banques de tissus, acteurs historiques du développement des thérapies cellulaires et tissulaires au cours des dernières décennies.

Médicaments de thérapie innovante ou préparations de thérapie cellulaire : une distinction fondamentale pour les unités de thérapie cellulaire françaises

Les PTC et les MTI représentent, pour certains d’entre eux, des produits proches d’un point de vue biologique et médical. Les éléments du corps humain14 sont obtenus par des procédures médicales ou chirurgicales identiques, supposant l’intervention d’équipes et de personnels soignants. Les indications thérapeutiques des PTC ou des MTI peuvent être proches. Le règlement (CE) n° 1394/2007 établit deux critères essentiels, appliqués par le committee for advanced therapies (CAT) dans le cadre de ses recommandations scientifiques définissant à quelle catégorie appartiennent des produits thérapeutiques existants ou innovants : d’une part, le degré de complexité de l’ingénierie cellulaire ou tissulaire, c’est-à-dire le recours à une « manipulation substantielle » pour transformer les cellules et tissus initiaux et, d’autre part, le caractère homologue ou hétérologue du site d’injection ou d’implantation du produit thérapeutique.

Qu’est ce qu’une manipulation substantielle ?
Une manipulation substantielle vise à « obtenir des caractéristiques biologiques, des fonctions physiologiques ou des propriétés structurelles utiles à la régénération, à la réparation ou au remplacement recherchés »15. Afin d’illustrer la signification de cette notion vague, le législateur européen a établi une liste non exhaustive et évolutive de manipulations non substantielles. Les critères de complexité du procédé d’ingénierie cellulaire ou tissulaire qui permettent de classer un produit comme PTC (faisant l’objet de manipulations non substantielles, c’est-à-dire de transformations minimales n’altérant pas significativement les propriétés fonctionnelles des cellules initiales), ou comme MTI (faisant l’objet de manipulations substantielles, c’est-à-dire de transformations plus que minimales, résultant en une modification des propriétés fonctionnelles des cellules ou tissus initiaux) sont décrits dans le Tableau II . Comme toute tentative de classification, celle-ci est rapidement mise en difficulté par les évolutions scientifiques et technologiques. Le dispositif médical in vitro CliniMACS Prodigy, récemment commercialisé par la société Miltenyi GmbH, permet de réaliser des procédures d’immunosélection employées par les UTC depuis de nombreuses années, reposant sur la reconnaissance d’un antigène membranaire comme CD34, CD3, CD56 ou CD25 sur les cellules cibles, grâce à un anticorps. Il permet également de sélectionner des cellules immunes qui produisent de l’interféron γ en réponse à une stimulation par un antigène. Bien que la mise en œuvre de la technique soit très comparable à une procédure d’immunosélection traditionnelle, et que les personnels des UTC soient formés et compétents pour sa réalisation, le produit cellulaire issu de la sélection de cellules sécrétant de l’interféron γ a été classé comme MTI parce qu’il résulte d’une manipulation substantielle ; il devra, en conséquence, être produit dans des conditions BPF (bonnes pratiques de fabrication) « médicaments ». Cet exemple souligne la difficulté qu’il y a à déterminer de façon pertinente, dans l’optique d’une application thérapeutique, si une procédure d’ingénierie cellulaire ou tissulaire peut produire un effet substantiel sur les caractéristiques biologiques et les fonctions physiologiques des cellules ou tissus manipulés [ 3].

Implantation homologue ou hétérologue du MTI
Le deuxième critère utilisé pour distinguer les PTC des MTI, leur usage homologue ou non du produit, soulève également des interrogations. Lorsqu’un prélèvement de moelle osseuse est réalisé en vue d’une greffe allogénique de cellules hématopoïétiques, le produit cellulaire prélevé et utilisé à des fins homologues est considéré comme une PTC, dans la mesure où il ne fait pas l’objet de manipulations substantielles. Si le même prélèvement et la même ingénierie cellulaire sont réalisés en vue de l’injection des cellules médullaires mononucléées autologues dans le cadre d’une indication autre qu’une greffe allogénique de cellules hématopoïétiques, donc d’un usage non homologue, alors la production et la distribution de ce produit cellulaire doivent prendre place dans les conditions propres aux MTI. Ainsi, la catégorisation juridique du produit repose sur des critères fragiles, dont l’application concrète s’avère complexe, et implique des exigences distinctes vis-à-vis de l’infrastructure de production. Pourtant, la logique voudrait que ce soit surtout la qualité des données précliniques et cliniques qui soit ici prise en compte.
Les médicaments de thérapie innovante préparés ponctuellement : un choix contraignant pour les unités de thérapie cellulaire françaises

Le règlement européen sur les MTI a prévu un régime dérogatoire pour prendre en compte ces situations actuellement fréquentes où aucun acteur industriel n’est prêt à assurer un service médical, lequel peut être assuré par une UTC moyennant une évolution et une adaptation de ses infrastructures et de ses modes de fonctionnement. Il s’agit de l’hospital exemption ou exemption hospitalière, traduite en français par « médicaments de thérapie innovante préparés ponctuellement » (MTI-PP). L’application de cette règle ajoute aux MTI (soumis à la règlementation européenne) et aux PTC (soumises à la règlementation nationale) une 3e catégorie juridique : les MTI-PP, prévus par la réglementation européenne, mais règlementés au niveau national16,. Les MTI-PP sont des médicaments qui, comme les MTI, font l’objet d’une manipulation substantielle ou d’une utilisation non homologue, mais qui, comme les PTC, sont développés à une échelle non industrielle. Ils répondent à la définition européenne des MTI, mais sont préparés de façon ponctuelle. Ils ne peuvent être produits et délivrés que pour un nombre limité de patients, sur la base d’une prescription médicale nominative, et doivent être administrés dans un hôpital17,. Ils ne peuvent quitter le pays dans lequel leur production a pris place. Le strict respect de ces règles restreint considérablement le champ d’applications de l’exemption hospitalière. Néanmoins, les exemples fournis par la mise en œuvre du règlement dans les autres états européens suggèrent une certaine hétérogénéité et une certaine latitude dans l’interprétation et l’application de cette règle par les autorités sanitaires nationales. Le régime juridique des MTI-PP repose principalement sur des autorisations d’établissements et de procédés délivrées par l’ANSM. En effet, les établissements pharmaceutiques (comme pour les MTI) mais aussi, par dérogation au monopole pharmaceutique, les établissements ou les entités expressément autorisés par l’ANSM, après avis de l’Agence de la biomédecine, peuvent préparer, conserver, distribuer ou céder des MTI-PP conformément à des bonnes pratiques qui doivent être définies par les Agences françaises18,. Ces établissements sont les établissements de santé, l’Établissement français du sang, le Centre de transfusion sanguine des armées, ainsi que les établissements publics à caractère scientifique et technologique, les fondations de coopération scientifique, les fondations d’utilité publique, et les associations lorsque ces dernières ont pour objet la santé ou la recherche biomédicale19. Pour poursuivre certaines de leurs activités et prendre en compte le reclassement de produits cellulaires du statut de PTC en celui de MTI-PP, les UTC concernées doivent dorénavant obtenir de nouvelles autorisations d’activité pour ces produits fabriqués à une échelle non industrielle, et qu’elles n’auront pas l’autorisation d’exporter. Ce cadre dérogatoire (par rapport à celui applicable aux MTI) permet déjà à de nombreuses UTC européennes de poursuivre la production et la distribution à petite échelle de produits thérapeutiques répondant à la définition des MTI, de répondre à des indications thérapeutiques orphelines, ou de poursuivre ou démarrer des recherches biomédicales évaluant ces produits innovants. Le règlement (CE) n° 1394/2007 impose que les exigences nationales applicables aux MTI exemptés (MTI-PP en France) assurent un niveau de qualité équivalent à celui des MTI. En France, les UTC hospitalières et l’EFS ont récemment soumis leurs premières demandes d’autorisation auprès de l’ANSM, et sont dans l’attente d’une expérience concrète de l’application des exigences des BPF à des activités qu’elles assuraient jusqu’à une période très récente en respectant les bonnes pratiques tissus/cellules. Les UTC se préparent à s’adapter à des règles plus rigoureuses, initialement prévues pour l’industrie pharmaceutique, afin de « maintenir sur le territoire français des structures capables de fabriquer ces produits dans un environnement qui s’inscrit dans un cadre harmonisé européen » [ 5]. Concrètement, ces évolutions vont nécessiter la rénovation ou la reconstruction de tout ou partie des UTC existantes, mais également une réorganisation significative des procédures de travail et de répartition des responsabilités, ainsi que l’introduction de nouveaux contrôles. Tous ces éléments contribuent à augmenter le coût de ces activités dans des proportions qui restent à déterminer précisément.

Le Tableau III résume les principaux critères et caractéristiques décrivant les PTC, MTI-PP et MTI. L’enquête européenne réalisée dans le cadre du programme Academic GMP financé par le 7e programme cadre européen, visant à évaluer les conséquences de l’introduction du règlement (CE) n° 1394/2007 et dont les résultats ont été récemment publiés [5], fait apparaître l’hétérogénéité de l’interprétation de cette situation dérogatoire entre les États membres, conduisant à des situations contrastées pour les UTC selon qu’elles appartiennent à un État membre ou à un autre. L’exemption hospitalière a également été le sujet le plus commenté à l’occasion de l’enquête publique réalisée au début de l’année 2013 par la Commission européenne sur le sujet des MTI.

Conclusion

Le règlement européen (CE) n° 1394/2007 soulève aujourd’hui un certain nombre d’interrogations, exprimées, pour partie, dans l’enquête publique conduite en 2013. A posteriori, on peut considérer la publication de cette réglementation comme prématurée par rapport à « l’état de l’art » dans le domaine biomédical qu’elle prétend réguler, au motif en particulier des enjeux de sécurité sanitaire, mais aussi culturels, éthiques, religieux, philosophiques et socioculturels associés à l’utilisation, à des fins thérapeutiques, d’éléments dérivés du corps humain. À ces enjeux cruciaux pour les futurs patients bénéficiaires de ces traitements, s’ajoutent les enjeux économiques pour les acteurs économiques de la filière biologie santé. De ce point de vue, la construction précoce – et en avance sur les réglementations élaborées par d’autres agences sanitaires comme la FDA (food and drug administration) [ 7] – d’un cadre réglementaire favorisant le développement de ces thérapeutiques peut représenter un avantage pour les sociétés européennes. Le bilan reste cependant mitigé à l’heure actuelle : peu de MTI sont commercialisés, alors que des contraintes et des difficultés supplémentaires sont imposées aux acteurs historiques du développement de ces thérapeutiques qu’ont été les UTC et les banques de tissus au cours des 20 dernières années. Cette situation est perçue comme induisant une distorsion de concurrence entre structures industrielles et structures publiques, de même qu’entre les UTC implantées dans différents États membres, et entre les acteurs académiques européens participant au développement des biothérapies et leurs homologues d’autres régions du monde. Un des objectifs du règlement est de favoriser l’accès des citoyens européens à ces thérapies innovantes. En l’état actuel des connaissances et des techniques, les acteurs industriels sont peu présents dans ce domaine d’activité, alors que les acteurs du monde hospitalier et scientifique public se voient opposer de nouvelles exigences pour poursuivre les activités auxquelles ils contribuaient déjà et qui seront ultérieurement transférées vers le secteur marchand lorsque la preuve de leur utilité médicale aura pu être apportée. Il serait dommage que ces difficultés réglementaires et financières contribuent à aggraver la différence perçue entre les potentialités et la réalité de ces thérapies innovantes, et favorisent l’intérêt de patients pour des thérapeutiques non éprouvées, mais plus facilement accessibles dans un contexte de mondialisation et de « tourisme cellulaire ou thérapeutique » (le terme anglo-saxon original est stem cell tourism). La problématique des médicaments de thérapie innovante constitue un des éléments de réflexion sur la réorganisation de la recherche clinique en Europe, et illustre la nécessité d’associer une réflexion éthique aux développements biologiques et technologiques20.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 « Un médicament biologique est un produit dont la substance active est une substance biologique », c’est-à-dire « une substance qui est produite à partir d’une source biologique ou en est extraite et dont la caractérisation et la détermination de la qualité nécessitent une combinaison d’essais physico-chimico-biologiques, ainsi que la connaissance de son procédé de fabrication et de son contrôle ». Au sens de l’annexe 1 Partie I § 3.2.1.1 b de la directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil, du 6 novembre 2001, instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain, JO L311 du 28/11/2001, p. 84, sont considérés comme médicaments biologiques : les médicaments immunologiques, les médicaments dérivés du sang et du plasma, les médicaments de thérapie innovante et les médicaments issus des procédés biotechnologiques, que sont la technologie de l’acide désoxyribonucléique recombinant, l’expression contrôlée de gènes codant pour des protéines biologiquement actives dans des procaryotes et des eucaryotes, y compris des cellules transformées de mammifères, et les méthodes à base d’hybridomes et d’anticorps monoclonaux.
2 La notion de « thérapie innovante » apparue en 2003, au niveau de l’Union européenne, ne couvrait initialement que la thérapie génique et la thérapie cellulaire.
3 Article 8 de la Loi n° 2011-302 du 22 mars 2011, JORF n° 69 du 23/03/2011, p. 5186, texte n° 6, modifiant le Code de la santé publique (CSP).
4 JORF n° 260 du 8 novembre 2012, p. 17479, texte n° 7.
5 Voir plus loin.
6 JORF n° 37 du 13 février 2013 p. 2481, texte n° 6. Voir les rubriques relatives aux MTI sur le site de l’ANSM (http://www.ansm.sante.fr).
7 Michel Duneau, Monopole pharmaceutique, Fascicule 11, Traité de droit pharmaceutique, Lexis Nexis, 2013.
8 Article L5124-1 du CSP.
9 Ibid. Article L5124-9-1.
10 Ibid. Articles L5124-1, L5124-9 et L5124-10.
11 Précédemment AFSSaPS : Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé.
12 Directive 2004/23/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relative à l’établissement des normes de qualité et de sécurité pour le don, l’obtention, le contrôle, la transformation, la conservation, le stockage, et la distribution des tissus et cellules humains, JO L102, 07/04/2004, p. 48-58 ; Directive 2006/17/CE de la Commission, du 8 février 2006, portant application de la directive 2004/23/CE du Parlement européen et du Conseil concernant certaines exigences techniques relatives au don, à l’obtention et au contrôle de tissus et de cellules d’origine humaine, JO L38 du 09/02/2006, p. 40-52 ; Directive 2006/86/CE de la Commission, du 24 octobre 2006, portant application de la directive 2004/23/CE du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne les exigences de traçabilité, la notification des réactions et incidents indésirables graves, ainsi que certaines exigences techniques relatives à la codification, à la transformation, à la conservation, au stockage et à la distribution des tissus et cellules d’origine humaine, JO L294 du 25/10/2006, p. 32-50.
13 De nombreuses UTC et banques de tissus sont associées ou intégrées à des centres d’investigations cliniques (CIC), en particulier les modules biothérapies de ces infrastructures de recherche clinique. Les CIC biothérapies (CBT) ont été créés, labellisés et soutenus financièrement à partir de 2005 par l’Inserm, la DGOS au ministère de la Santé, mais également l’EFS, l’Association française contre les myopathies (AFM), la fédération nationale des centres de lutte contre le cancer (FNCLCC, aujourd’hui Unicancer) pour soutenir « … la recherche clinique en thérapie cellulaire et génique, en vaccinologie ».
14 Nous ne traiterons pas dans cet article de MTI ou de PTC dérivant de cellules ou tissus animaux (xénogreffes), dont il n’existe pas d’exemple actuel ayant fait l’objet d’une AMM ou de son obtention proche.
15 Article 2c du règlement (CE) n° 1394/2007.
16 Sur cette mosaïque des statuts juridiques, voir [4].
17 Le règlement (CE) n° 1394/2007 définit les MTI couverts par l’exemption hospitalière (MTI-PP en France) comme des « médicaments de thérapie innovante qui sont préparés de façon ponctuelle, selon des normes de qualité spécifiques, et utilisés au sein du même État membre, dans un hôpital, sous la responsabilité professionnelle exclusive d’un médecin, pour exécuter une prescription médicale déterminée pour un produit spécialement conçu à l’intention d’un malade déterminé » article 28§2 du règlement (CE) n° 1394/2007.
18 Voir notamment les articles L 4211-9, L 5124-1, L 5121-5 du CSP.
19 Article R.4311-32, I, alinéa 2 du CSP.
20 Une partie de ces enjeux seront explorés dans le cadre du projet européen EUcelLEX (2013-2016, grant agreement n° 601806, coordinatrice E. Rial-Sebbag) dont l’objectif est d’étudier les enjeux éthiques, juridiques et de gouvernance de l’utilisation des cellules souches dans le contexte de la médecine régénérative.
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