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Med Sci (Paris). 2014 June; 30(6-7): 603–604.
Published online 2014 July 11. doi: 10.1051/medsci/20143006001.

Place de l’enseignement à distance dans l’éducation et la formation du chercheur

Bernard C. Rossier,1,2* Jean-Pierre Kraehenbuhl,2,3 and Michelle Rossier2

1Département de pharmacologie et de toxicologie, faculté de biologie et de médecine, université de Lausanne, rue du Bugnon 27, CH 1005Lausanne, Suisse
2Fondation HseT (Health Science e-Training), CH 1066Epalinges, Suisse
3Département de biochimie, faculté de biologie et de médecine, université de Lausanne, Suisse
Corresponding author.

MeSH keywords: Recherche biomédicale, enseignement et éducation, normes, Enseignement assisté par ordinateur, méthodes, Formation continue, Enseignement à distance, Humains, Individualité, Personnel de recherche, Interface utilisateur

 

La qualité et la reproductibilité de la recherche biomédicale pré-clinique [ 1] et clinique [ 2] sont, depuis peu, fortement mises en doute. Les causes en sont multiples : protocoles expérimentaux déficients, méthodes et analyses statistiques inappropriées, interprétations des données incorrectes. Le problème fondamental est cependant plus profond : trop peu de chercheurs reçoivent une formation pré- ou post-graduée adéquate pour conduire une étude scientifique rigoureuse. La qualité de l’enseignement fait débat depuis des siècles et critiquée par les enseignants aussi bien que par les enseignés. Benjamin Franklin a su trouver la formule qui résume les enjeux du problème :

« Tell me and I forget,

Teach me and I may remember,

Involve me and I learn… »

À l’heure du numérique, de nouveaux concepts pédagogiques émergent, et le développement de l’enseignement à distance pourrait améliorer cette situation préoccupante. Qu’attendre de ces nouvelles formes d’enseignement ? C’est ce que nous aimerions évoquer dans cet éditorial. Depuis deux ans, on parle beaucoup des MOOC, un « educational buzzword » selon John Daniel [ 3]. L’acronyme anglais MOOC signifie massive open online course. Est-ce que les MOOC vont transformer l’éducation supérieure et la science, comme le suggère M. Mitchell Waldrop [ 4] ? Le premier MOOC a vu le jour au Canada en 2008 (G. Siemens et S. Downes), basé sur la théorie du connectivisme qui privilégie la collaboration et l’interaction entre les participants, d’où l’acronyme cMOOC [ 5]. Les activités d’un cMOOC comprennent typiquement quatre éléments : (1) regrouper/compiler les contenus intéressants, (2) les archiver dans un document personnel en le partageant par un blog, (3) s’approprier les contenus en explicitant sa propre compréhension, et (4) diffuser le travail personnel. Pour réussir un cMOOC, il faut à l’évidence qu’un participant fasse plus que lire et visionner des vidéos, ce qui nécessite sa participation active (involvement). On considère qu’un cMOOC fonctionne lorsqu’il se nourrit de lui-même grâce aux contributions et aux contenus des participants, cela même au-delà du cours [ 6]. En 2011, S. Thrun (Stanford) lance un premier cours à distance sur le thème de l’intelligence artificielle, ouvert à tous et accessible dans le monde entier. Le succès est considérable : plus de 160 000 étudiants inscrits. Ce cours était proposé en parallèle avec celui, classique, donné localement aux étudiants de Stanford. C’est le début des xMOOC (x faisant référence à la plate-forme MITx lancée en décembre 2011 par le MIT, Massachusetts Institute of Technology). Les xMOOC sont plus classiques dans leur approche pédagogique (dite « behavioriste »). Le marché est dominé par trois fournisseurs de cours (Udacity, Coursera et edX). Le matériel pédagogique comprend des cours vidéos en courtes séquences, des exercices et des tests en ligne, des interactions entre étudiants (forum) et des évaluations en ligne par les pairs (telles que Coursera). Certaines plate-formes (Coursera) permettent même l’analyse de réponses en texte libre. À la suite du succès des xMOOC issus des grandes universités américaines, plusieurs initiatives ont vu le jour en Europe et en Asie. Certains projets proviennent d’universités francophones : par exemple l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) et l’université de Genève en Suisse, utilisant la plate-forme Coursera, ou l’université de Lyon 1, en collaboration avec l’université catholique de Louvain, qui ont développé leur propre plate-forme LMS (learning management system) en open source. En février 2014, le site Class Central [ 7] qui répertorie les MOOC à disposition listait 476 cours dont 70 % utilisent la plate-forme Coursera. Près de la moitié (44 %) des cours provenaient des sciences de l’informatique et des mathématiques, et seulement 24 % du domaine des sciences, de la santé et de la médecine. Les limites actuelles des xMOOC sont : (1) le faible pourcentage d’étudiants qui finissent le cours et obtiennent la certification (5 à 15 % en général), ce qui cependant en valeur absolue représente souvent plusieurs milliers d’étudiants ! (2) la faible pénétration sur le continent africain et dans les pays qui ne bénéficient pas d’un accès optimal au web ; (3) la difficulté à contrôler des examens permettant une accréditation. Il y a aussi un risque d’« impérialisme » culturel imposant les concepts de quelques institutions d’élite, une menace pour la diversité culturelle.

Il existe d’autres approches pour développer un enseignement à distance adapté aux besoins et à la culture de chacun et que l’on pourrait (c’est la mode) regrouper sous l’acronyme COLT (customized online etraining). C’est le modèle proposé par HSeT, une fondation privée à but non lucratif créée en 2006 à Lausanne [ 8]. COLT a les caractéristiques suivantes : (1) un module d’enseignement à distance destiné à un public-cible d’étudiants (Bachelor, Msc, MAS, formation post-doctorale ou continue, etc.) ; (2) un enseignement adapté au public cible en fonction des demandes de l’institution mandataire (université, institution de recherche publique ou privée) ; (3) typiquement, une combinaison « matricielle » d’une approche de type apprentissage par problème et d’une approche transversale basée sur les disciplines historiques (par exemple, en médecine : anatomie, physiologie, pharmacologie, génétique, etc.), via l’accès à des contenus online comprenant du travail à distance (self learning/self assessment) et du travail en classe (cours, séminaires, travaux pratiques). Comment lire un article scientifique ? Comment écrire un article scientifique ? Comment rédiger une demande de financement de recherche ? Comment concevoir et réaliser un essai clinique ? Voilà des sujets qui peuvent être traités de façon très efficace grâce à l’approche COLT. Ce modèle d’enseignement ne touche bien évidemment qu’un petit nombre d’étudiants, mais, à l’heure actuelle, de nombreuses institutions en Suisse, en Europe, aux États-Unis et en Afrique ont utilisé un tel type d’enseignement en collaboration avec HSeT. Les avantages sont évidents, tant pour les étudiants que les enseignants. L’accréditation est la règle et le nombre d’étudiants qui commencent le cours est le même que celui qui le finit. L’évaluation par les étudiants est globalement très positive et peut se résumer par le commentaire le plus souvent entendu : « On travaille plus mais on apprend beaucoup plus que par l’enseignement traditionnel ».

Les enjeux économiques de l’éducation numérique à distance pourraient être considérables et, bien sûr, influencer l’accès à l’éducation et à la formation dans le monde. À vrai dire, le modèle économique des MOOC est encore très vague et J.R. Young [ 9] a résumé la situation qui prévaut aux États-Unis : « It is following a common approach of Silicon Valley start-ups: build fast and worry about money later. » Personne ne niera que Google, Facebook et d’autres ont particulièrement bien réussi en adoptant cette stratégie. En ce qui concerne COLT, il entre dans le cadre habituel de l’enseignement académique et ne requiert guère de moyens supplémentaires, pour autant que cette approche se substitue à l’enseignement conventionnel et ne vienne pas s’y rajouter.

En résumé, les MOOC et COLT représentent deux approches différentes, mais complémentaires. La première devrait susciter l’intérêt d’un très large public pour une thématique, alors que la deuxième en permet l’approfondissement et l’accréditation des connaissances acquises par un public-cible, certes restreint, mais hautement motivé.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent être membres fondateurs de la Fondation à but non lucratif HSeT pour laquelle ils travaillent sans rémunération.

References
1.
Prinz F , Schlange T , Asadullah K. , Believe it or not: how much can we rely on published data on potential drug targets? Nat Rev Drug Discov. 2011; ; 10 : :712..
2.
Abbott A . Doubts over heart stem-cell therapy . Nature. 2014; ; 509 : :15.–16.
3.
Daniel J . Making sense of MOOCs: musings in a maze of myth, paradox and possibility . J Interact Media Educ. 2012 ; :3..
4.
Waldrop MM . Online learning: Campus 2.0. Nature. 2013; ; 495 : :160.–163.
5.
Siemens G . What is the theory that underpins our moocs? (online). http://www.elearnspace.org/blog/2012/06/03/what-is-the-theory-that-underpins-our-moocs/
6.
El-Bez C. Les MOOCs. Entre opportunités et défis. Premiers retour d’expérience . Lausanne: : University of Lausanne; , 2013 : :1.–65.
7.
Class-Central . Class Central Free Online Education. https://http://www.class-central.com/
8.
HSeT. Health Science e-Training Portal (HSeT). http://www.hset.org/cms/.
9.
Young JR. Inside the Coursera contract: how an upstart company might profit from free courses. http://chronicle.com/article/How-an-Upstart-Company-Might/133065/