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Med Sci (Paris). 2015 January; 31(1): 12–14.
Published online 2015 February 6. doi: 10.1051/medsci/20153101003.

Le cœur moléculaire de la fonction de la niche des cellules souches hématopoïétiques

Pierre Charbord,1,3a Thierry Jaffredo,2,3b and Charles Durand2,3c

1Inserm U972, bâtiment Gregory Pincus, hôpital de Bicêtre, 80, avenue du Général Leclerc, 94276Le Kremlin Bicêtre Cedex, France
2Sorbonne Universités, UPMC Université Paris 06, Institut de biologie Paris-Seine (IBPS), UMR 7622, laboratoire de biologie du développement, 75005Paris, France
3CNRS, UMR 7622, Inserm U1156, IBPS, laboratoire de biologie du développement, 75005Paris, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Animaux, Cellules cultivées, Analyse de profil d'expression de gènes, Génomique, Cellules souches hématopoïétiques, Humains, Cellules stromales mésenchymateuses, Niche de cellules souches, méthodes, cytologie, métabolisme, physiologie, génétique

 

Les cellules souches hématopoïétiques (CSH) sont localisées chez l’adulte dans la moelle osseuse. Du fait de leurs propriétés d’autorenouvellement et de différenciation, les CSH sont responsables de la production continue des différentes lignées de cellules sanguines. Les CSH constituent non seulement un modèle d’exception pour l’étude de la biologie des cellules souches, mais elles ont aussi un intérêt thérapeutique de premier plan puisqu’elles sont utilisées depuis des décennies en transplantation pour le traitement de maladies du système sanguin telles que les leucémies. L’autorenouvellement et la différenciation vers les lignages hématopoïétiques des CSH sont intimement régulés par des cellules dites stromales, qui constituent un microenvironnement, encore appelé niche, dans lequel résident les CSH1. Ainsi, comprendre la diversité cellulaire et la complexité moléculaire de la niche des CSH constitue un enjeu essentiel tant en biologie fondamentale qu’en médecine régénérative.

État de l’art sur la niche des CSH

Les premières CSH naissent dans l’embryon au niveau de l’aorte dorsale via un processus, conservé au cours de l’évolution des vertébrés, impliquant la transition de cellules endothéliales spécialisées dites hémogéniques en cellules hématopoïétiques [1, 2, 15] (). Les CSH migrent ensuite dans le foie fœtal où elles s’amplifient activement, et finalement colonisent la moelle des os où elles seront maintenues tout au long de la vie chez l’adulte [3]. Ainsi, au cours du développement, les CSH résident dans des microenvironnements distincts assurant successivement leur production, leur amplification et leur maintenance.

(→) Voir la Nouvelle de C. Pouget et I. Kobayashi, page 25 de ce numéro

D’un point de vue historique, la mise au point de systèmes de culture in vitro de cellules mésenchymateuses primaires, puis l’établissement de lignées de cellules stromales issues de différents sites hématopoïétiques, ont joué un rôle essentiel dans notre compréhension des mécanismes cellulaires et moléculaires impliqués dans le contrôle de l’hématopoïèse [4]. Plus récemment, des avancées significatives sur la nature de la niche médullaire in vivo ont été réalisées, notamment grâce à la combinaison d’approches de transgenèse conditionnelle chez la souris, au développement de techniques d’imagerie et à l’utilisation de tests biologiques appropriés pour identifier fonctionnellement les cellules souches et/ou progéniteurs hématopoïétiques [5]. Ces études ont montré que les CSH sont étroitement associées aux vaisseaux sanguins de la moelle osseuse (sinusoïdes et artérioles) ; elles ont aussi révélé le rôle essentiel joué par les cellules endothéliales et les cellules périvasculaires (telles que les cellules exprimant le récepteur de la leptine LepR+, les péricytes et les cellules vasculaires musculaires lisses générées par les cellules souches mésenchymateuses) dans le maintien des CSH [610]. Le système nerveux sympathique et des facteurs physicochimiques tels que le taux d’oxygène apparaissent également comme des constituants importants de la niche des CSH dans la moelle osseuse. Sur le plan moléculaire, il est maintenant bien établi que la régulation des CSH met en jeu des facteurs extrinsèques incluant des cytokines (KITL, thrombopoïétine), des chémokines (CXCL12), des composants de la matrice extracellulaire (le collagène de type 1a [Col1a1], la périostine [Postn], secreted phosphoprotein 1 [Spp1]) et des voies de signalisation impliquées dans de multiples processus développementaux et pathologiques (Wnt, Hh [hedgehog] et Notch) [11]. Néanmoins, si des molécules clés de la régulation des CSH ont été identifiées, une représentation intégrée du contrôle moléculaire faisait encore défaut.

Développement d’une nouvelle méthode d’exploration pour extraire le cœur moléculaire de la fonction stromale

Afin d’identifier une signature moléculaire qui puisse être représentative et prédictive du rôle de support des cellules stromales vis-à-vis des CSH, nous avons mis au point une nouvelle approche de biologie intégrative combinant des études de transcriptomique à haut débit (ARNm et microARN) et des analyses bioinformatiques et statistiques complémentaires [12] (Figure 1). Nous avons débuté ce travail avec des lignées de cellules stromales issues des sites principaux de l’hématopoïèse (la région aorte-gonade-mésonéphros [AGM], le foie fœtal et la moelle osseuse) et différant dans leur capacité de support des cellules souches et/ou des progéniteurs hématopoïétiques ex vivo. En effet, si certaines lignées expriment de façon robuste une telle capacité, d’autres sont moins efficaces. Nous avons émis l’hypothèse que les gènes essentiels pour cette fonction de support d’origine stromale devraient être exprimés au moins dans deux des trois sites hématopoïétiques. Cette approche nous a ainsi conduits à identifier une liste de 481 ARNm et 17 microARN différentiellement exprimés par les cellules stromales. La méthode WGCNA (weighted gene correlation network analysis) développée par Steve Horvath, qui permet de reconstruire des réseaux de régulation sur la base de la corrélation de l’expression des gènes [13, 14], nous a permis d’établir pour la première fois, à partir de la liste de 481 ARNm, un réseau génique composé de plusieurs modules corrélés ou anti-corrélés à la fonction de support des CSH. Nous avons pu montrer que cet ensemble de gènes non seulement regroupait les fonctions biologiques associées au soutien des CSH et actives dans les différents sites hématopoïétiques (telles que la communication cellulaire et le remodelage de la matrice extracellulaire), mais également permettait de prédire la capacité de support de cellules stromales primaires et de lignées cellulaires que nous n’avions pas initialement incluses dans notre étude. Une caractéristique importante de cette liste de 481 ARNm est qu’elle contient de nombreux régulateurs connus de l’hématopoïèse, mais aussi un grand nombre de nouveaux candidats. Nous avons pu valider fonctionnellement le rôle de certains d’entre eux. En effet, grâce à une collaboration étroite avec l’équipe de David Traver (University of California, San Diego, États-Unis), des expériences de perte de fonction chez l’embryon de poisson zèbre ont révélé le rôle clé de nouvelles molécules dans la régulation des CSH au cours du développement [12].

Perspectives

Cette étude nous a donc permis d’extraire le cœur moléculaire de la fonction stromale. Ces nouvelles données permettent ainsi de mieux comprendre et d’intégrer les mécanismes moléculaires impliqués dans le maintien des propriétés des CSH. Elles ouvrent aussi de nouvelles perspectives en médecine régénératrice, notamment dans la modélisation de la niche des CSH ex vivo, ce qui permettrait ainsi d’optimiser les protocoles visant à produire et/ou amplifier des CSH à partir de cellules souches pluripotentes. Par ailleurs, ce travail conforte la notion ancienne, mais récemment réactivée par l’étude du stroma des tumeurs, selon laquelle les interactions entre cellules stromales et CSH sont bidirectionnelles, le stroma qui contrôle l’activité des CSH étant lui-même éduqué par les CSH (normales ou pathologiques). Aussi, comprendre la dynamique du dialogue moléculaire entre les CSH et leur niche dans des contextes physiologiques ou leucémiques pourrait permettre des avancées majeures en hématologie et en cancérologie dans un futur proche.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Acknowledgments

Les auteurs remercient Sophie Gournet (Institut de biologie Paris Seine, UMR 7622, Paris) pour son aide précieuse dans la préparation de la Figure 1. Cette étude a bénéficié du soutien financier de l’Agence nationale pour la recherche (ANR/CIRM 0001-02).

 
Footnotes
1 Voir à ce propos le numéro thématique de médecine/sciences consacré aux « cellules souches mésenchymateuses » et publié en mars 2012.
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