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Med Sci (Paris). 2015 January; 31(1): 53–59.
Published online 2015 February 6. doi: 10.1051/medsci/20153101013.

L’IRIS
Une réaction inflammatoire paradoxale chez les patients traités simultanément pour une tuberculose et une infection par le VIH

Lisa A. Chakrabarti1* and Olivier Lortholary2

1Unité de pathogénie virale, Inserm U1108, Institut Pasteur, 28, rue du Docteur Roux, 75724 Paris Cedex 15, France
2Université Paris Descartes, hôpital Necker-Enfants malades, centre d’infectiologie Necker Pasteur, IHU Imagine, AP-HP, Paris, France
Corresponding author.
 

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Tuberculose et VIH : une association particulièrement dangereuse

La co-infection par le bacille de la tuberculose (Mycobacterium tuberculosis ou Mtb) et le VIH représente un problème majeur de santé publique à l’échelle mondiale [1, 46]. On estime que jusqu’à un tiers de la population mondiale est infectée de façon latente par Mtb, et que 5 à 10 % des personnes infectées évoluent vers une tuberculose active [2]. La co-infection par le VIH augmente considérablement la probabilité de réactivation et la sévérité de la tuberculose. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime qu’en 2012 la tuberculose a été responsable de plus d’un quart des décès chez les personnes infectées par le VIH [3]. Les patients immunodéprimés du fait d’une infection à VIH présentent souvent des symptômes atypiques de la tuberculose, avec une dissémination de Mtb qui ne se limite pas seulement aux poumons, mais qui peut atteindre divers organes, comme les ganglions lymphatiques, voire tout l’organisme [4]. Le traitement de la tuberculose est plus complexe à mener chez les patients co-infectés par le VIH, du fait des interactions pharmacologiques entre certains antituberculeux et certains antirétroviraux, ce qui nécessite d’ajuster les posologies en fonction des concentrations sériques des médicaments. L’émergence plus fréquente de souches Mtb multirésistantes chez les patients infectés par le VIH constitue également un risque majeur pour la santé publique [5]. On parle de souche multirésistante lorsque Mtb résiste à la fois à l’isoniazide et à la rifampicine, les deux antituberculeux les plus utilisés. Il faut alors faire appel à des molécules de seconde ligne qui nécessitent un traitement plus long, causent plus d’effets secondaires, et coûtent plus cher. Cela limite la disponibilité et l’efficacité de ces molécules dans les pays à ressources limitées, et amplifie le risque de dissémination des souches Mtb multirésistantes [47]. Enfin, le traitement des patients co-infectés par Mtb et le VIH peut être compliqué par la survenue d’un syndrome inflammatoire de reconstitution immune (IRIS, immune reconstitution inflammatory syndrome) [48]. Ce syndrome se manifeste par une reprise inattendue des symptômes de la tuberculose après la mise sous traitement antirétroviral. Les manifestations de l’IRIS peuvent inclure des ganglions inflammatoires, des abcès, des infiltrats pulmonaires, des effusions pleurales, des méningites, des tuberculomes cérébraux, ou des signes moins spécifiques comme des douleurs abdominales, une fièvre, ou une perte de poids [6, 7]. Plus de 15 % des patients traités à la fois pour Mtb et le VIH présentent un IRIS [8], les pourcentages étant proches de 30 % dans plusieurs études bien documentées [7, 9]. L’IRIS cause donc une morbidité non négligeable, en particulier en Afrique subsaharienne où la prévalence des deux pathogènes est élevée.

Définition de l’IRIS

L’IRIS est défini comme une aggravation « paradoxale » des symptômes associés à un pathogène opportuniste chez des patients infectés par le VIH et ayant débuté une multi-thérapie antirétrovirale (ART). Les manifestations de l’IRIS résultent d’un syndrome inflammatoire, qui est attribué à une reconstitution rapide des réponses immunes contre les pathogènes opportunistes, une fois que l’immunosuppression généralisée induite par le VIH est contrôlée par ART. Cette reconstitution immune trop rapide induit une réaction inflammatoire massive au sein des tissus infectés par les microorganismes opportunistes, ce qui induit des effets délétères dans ces tissus. Ce type de réaction immunitaire exacerbée peut se produire contre divers agents opportunistes, incluant Mtb, mais également les mycobactéries atypiques du complexe aviaire (M. avium), les champignons tels que Cryptococcus neoformans, ou encore les herpesvirus tels que le CMV (cytomégalovirus), le KSHV (Kaposi’s sarcoma-associated herpesvirus) et l’HSV (herpes simplex virus) [6, 10]. Les symptômes et les lésions dépendent de la nature du pathogène impliqué. Ainsi, l’IRIS dirigé contre le CMV peut induire des uvéites sévères, l’IRIS ciblant les mycobactéries est fréquemment associé à des lymphadénopathies, et l’IRIS associé à Cryptococcus neoformans est responsable de réactions méningées inflammatoires parfois mortelles. En Afrique subsaharienne, l’IRIS cryptococcique reste une cause de mortalité importante chez les patients qui débutent une multithérapie ART [11].

Les différentes formes d’IRIS associé à la tuberculose

La survenue d’un IRIS est particulièrement fréquente chez les patients présentant une tuberculose évolutive ; sa prévalence est de 8 à 45 % suivant les études, et il survient en général dans les 12 semaines suivant l’initiation de l’ART [79]. L’IRIS associé à Mtb (TB-IRIS) se présente sous deux formes : il peut s’agir de la forme « démasquée » (unmasked), caractérisée par une apparition soudaine des symptômes de la tuberculose après la mise sous antirétroviraux, alors que l’infection par Mtb n’avait pas été diagnostiquée auparavant ; l’autre forme de TB-IRIS, dite « paradoxale », est caractérisée par l’aggravation clinique d’une tuberculose préexistante, traitée au préalable avec succès. La forme démasquée, qui révèle une infection occulte par Mtb, est souvent associée à une progression clinique accélérée, avec de fréquentes localisations extrapulmonaires des foyers de mycobactéries [12]. Comme les patients n’ont pas reçu d’antituberculeux auparavant, les mycobactéries sont vivantes et encore capables de se disséminer. Au contraire, dans la forme de TB-IRIS paradoxale, la réaction inflammatoire est dirigée contre des mycobactéries pour une part mortes, du fait du traitement antituberculeux préalable. La forme paradoxale se caractérise du point de vue histologique par une réapparition de granulomes organisés dans les tissus infectés, ce qui marque la réaction inflammatoire contre les antigènes mycobactériens encore présents. Suivant le degré de sévérité, le traitement de l’IRIS paradoxal peut consister à simplement suivre de manière rapprochée les patients et attendre la résolution des symptômes, ou à administrer des anti-inflammatoires, notamment des corticoïdes. L’évolution des patients après la résolution du TB-IRIS est en général favorable, ce qui étaye la notion que l’IRIS reflète une reconstitution vigoureuse du système immunitaire. Cependant, certains cas de TB-IRIS peuvent être fatals, en particulier s’il y a une localisation des mycobactéries dans le système nerveux, dans les cas de méningites ou de tuberculomes cérébraux [13].

Il faut noter que le TB-IRIS peut poser aux cliniciens un problème diagnostique complexe, car il est difficile de le distinguer d’une récurrence classique de la tuberculose, ou de la survenue d’une nouvelle infection opportuniste. En effet, la reprise des symptômes peut être due à une rechute de la maladie, à une prise incomplète du traitement antituberculeux, ou à l’émergence de souches Mtb résistantes au traitement. Il est donc important d’identifier les paramètres permettant de prédire la survenue de l’IRIS, afin d’orienter le diagnostic et d’éviter des changements de traitement inutiles voire néfastes.

Facteurs prédisposant au TB-IRIS

Les facteurs prédisposant au développement du TB-IRIS sont : (1) un nombre basal de T CD4+ faible ; (2) une réponse virologique au traitement ART, indiquée par une chute rapide de la charge virale VIH ; (3) la présence d’une forte charge mycobactérienne ; et (4) un début de la thérapie anti-VIH proche de celui du traitement antituberculeux [14, 15]. Plus de 60 % des cas de TB-IRIS surviennent chez des patients ayant moins de 100 cellules T CD4+/mm3 de sang [12], ce qui suggère qu’une immunodéficience marquée est un prérequis à la survenue de l’IRIS. Les patients en Afrique subsaharienne y sont particulièrement exposés, du fait d’un début de traitement anti-VIH à un stade fréquemment avancé de l’infection, alors que la déplétion des T CD4+ est marquée, et d’une forte prévalence de la tuberculose dans ces pays. La charge mycobactérienne étant plus élevée chez les patients à faible taux de T CD4+, ces deux critères ne sont pas indépendants. On peut aussi noter que la localisation des foyers de mycobactéries est informative, les cas de tuberculose extrapulmonaire ou disséminée étant plus fréquemment associés au TB-IRIS. L’effet du délai entre le début du traitement antituberculeux et le début de l’ART est particulièrement net, un délai court étant associé à un risque accru de TB-IRIS. Cet effet peut s’expliquer par le fait qu’une faible durée de traitement antituberculeux ne permet qu’une élimination partielle des mycobactéries, et qu’il reste suffisamment d’antigènes pour générer une réaction inflammatoire massive. Il est important de considérer que si retarder l’ART permet de limiter le risque d’IRIS, cela s’accompagne en revanche d’un risque accru de progression vers le Sida (syndrome d’immunodéficience acquise), du fait de la réplication incontrôlée du VIH. Plusieurs essais cliniques de grande ampleur, dont CAMELIA (cambodian early versus late introduction of antiretroviral drugs) [46], SAPiT, et ACTG 5221 (AIDS clinical trial group 5221), ont cherché à déterminer quel était le délai optimal entre le début du traitement antituberculeux et celui de l’ART [1618]. Le consensus qui émerge de ces études est que, pour les patients à un stade avancé d’immunosuppression avec moins de 50 T CD4+/mm3, la mortalité est moindre si l’ART est démarrée rapidement, deux semaines ou moins après le début du traitement antituberculeux. Pour ces patients, le risque lié au Sida prime, et il est urgent de bloquer la réplication virale, même si cela s’accompagne d’un risque accru de TB-IRIS. Une exception est constituée par les cas de tuberculose méningée chez les patients dont le nombre de T CD4+ est inférieur à 50/mm3 ; dans ce contexte, le groupe d’experts français recommande d’attendre quatre semaines pour limiter les risques d’IRIS méningé sévère [19]. Pour les patients dont les taux de T CD4+ sont plus élevés, il n’y a pas de différence significative dans le nombre d’événements classant Sida1 ou dans le taux de mortalité en fonction d’un traitement précoce ou tardif, et l’ART peut être débutée en fonction des caractéristiques du patient et de l’environnement biomédical (possibilité ou pas d’hospitalisation rapide en cas d’IRIS).

Mécanismes possibles de l’IRIS
Reconstitution rapide des réponses T CD4+ spécifiques
La physiopathologie de l’IRIS n’est que partiellement comprise. Toutefois, la signature immunologique de l’IRIS semble être une expansion rapide des cellules T CD4+ spécifiques du pathogène opportuniste impliqué. Ainsi, dans le TB-IRIS, on observe un pic de prolifération et une augmentation du nombre de cellules T CD4+ circulantes reconnaissant les antigènes de Mtb, alors que les cellules T CD4+ spécifiques d’un autre pathogène, comme le CMV, ne sont pas amplifiées [20]. De même, dans l’IRIS dirigé contre Cryptococcus neoformans, ce sont les cellules T CD4+ dirigées contre ce pathogène qui sont amplifiées, et non celles dirigées contre Mtb ou VIH [21]. Les cellules amplifiées sont polyfonctionnelles, c’est-à-dire qu’elles produisent de multiples cytokines simultanément, ce qui suggère une récupération des capacités de la réponse T CD4+ par rapport à l’état « épuisé » et anergique qui prédomine lors de l’infection à VIH non traitée.

La récupération des réponses T CD4+ est particulièrement marquée dans le cas du TB-IRIS. Dans la phase d’infection chronique qui précède le traitement antirétroviral, le VIH cible et élimine préférentiellement les lymphocytes T CD4+ spécifiques de Mtb, par comparaison aux T CD4+ spécifiques d’autres pathogènes, comme le CMV [22]. Ce ciblage pourrait s’expliquer par l’état de différenciation des T CD4+ spécifiques de Mtb, qui produisent plus d’interleukine-2 (IL-2) et moins de β-chimiokines, telles que MIP-1β (macrophage inflammatory protein-1b)/CCL4 (chemokine [C-C motif]ligand 4), par comparaison aux cellules spécifiques de CMV, l’IL-2 favorisant la réplication du VIH et les β-chimiokines inhibant cette réplication par l’occupation du corécepteur CCR5 (C-C chemokine receptor 5) [23]. La déplétion rapide des cellules T CD4+ spécifiques de Mtb durant l’infection à VIH peut expliquer pourquoi le test tuberculinique est fréquemment négatif chez les patients co-infectés et, plus généralement, pourquoi la tuberculose est une infection opportuniste prédominante lors de la progression vers le Sida. Lorsqu’un TB-IRIS est déclenché par la mise sous ART, on observe une « positivation » du test tuberculinique, signe que la population de cellules T CD4+ spécifique de Mtb se reconstitue rapidement. Les tests réalisés in vitro montrent également une augmentation marquée du taux de T CD4+ circulants spécifiques de Mtb, ces cellules exprimant un profil de différenciation Th1, avec une production abondante d’IL-2 et d’interféron-g (IFN-γ) [20, 21].

Lors de l’IRIS, il n’y a pas nécessairement de récupération uniforme des réponses T CD4+ contre tous les antigènes du pathogène opportuniste impliqué, mais plutôt une prédominance de certaines réponses. Ainsi, les réponses à la tuberculine, composée d’un extrait complexe de protéines purifiées dérivées de Mtb, sont fortement augmentées durant le TB-IRIS. En revanche, les réponses dirigées contre d’autres antigènes dérivés de Mtb, tels que ESAT-6 (6-kDa early secreted antigenic target from Mtb), CFP-10 (Mtb secretory protein-10) et TB7.7, ne sont pas augmentées dans les formes paradoxales de TB-IRIS, alors qu’elles peuvent l’être dans les formes démasquées [2426]. Ces différences reflètent, sans doute, le fait que la réponse du TB-IRIS paradoxal est dirigée contre des mycobactéries mortes, car tuées par le traitement antituberculeux, alors que les réponses du TB-IRIS démasqué sont dirigées contre les mycobactéries vivantes. Ces réponses différentielles ont une implication dans le diagnostic du TB-IRIS, puisque les tests de production d’IFN-γ utilisés dans le dépistage de la tuberculose (comme le QuantiFERON-TB) ciblent les antigènes ESAT-6, CFP-10 et TB7.7, et ne sont donc pas informatifs en cas de TB-IRIS paradoxal.

Le rôle des macrophages
L’IRIS se caractérise également par un « orage cytokinique », avec une production massive de cytokines (TNF-α [tumor necrosis factor-α], IL-1b, IL-6, IL-18) et de chimiokines (MCP-1 [monocyte chemotactic protein-1]/CCL2, RANTES [regulated on activation, normal T cell expressed and secreted]/CCL5, IL-8/CXCL8, MIG/CXCL9, IP-10/CXCL10) de type inflammatoire [2729]. Ces observations suggèrent une implication des macrophages dans la pathogenèse de l’IRIS, sachant que ces cellules sont les principales productrices des médiateurs inflammatoires. Cette notion est confirmée par les données histologiques, qui montrent des infiltrats massifs de macrophages activés dans les lésions associées à l’IRIS cryptococcique et au TB-IRIS [30, 31].

Les macrophages représentent les principales cellules cibles de Mtb et ne parviennent en général pas à éliminer spontanément les mycobactéries qu’ils ont phagocytées [49]. En effet, Mtb met en œuvre une série de mécanismes sophistiqués pour bloquer la maturation des phagosomes et leur fusion avec les lysosomes, ce qui évite la destruction des particules bactériennes. De plus, en cas d’infection par le VIH, les macrophages sont davantage inhibés dans leurs fonctions antibactériennes, du fait du manque de fonction « helper » de la part des cellules T CD4+. On peut faire l’hypothèse que, lors de la reconstitution rapide de l’immunité T CD4+ durant le TB-IRIS, les macrophages reçoivent soudain une aide fonctionnelle efficace, en particulier sous la forme d’IFN-γ sécrété par les T CD4+ spécifiques de Mtb, ce qui contribue à leur activation et à la sécrétion excessive de médiateurs inflammatoires. Des expériences menées chez la souris confortent un modèle de pathogenèse du TB-IRIS basé sur l’interaction entre les T CD4+ et les macrophages. Barber et al. ont en effet montré que, chez les souris rendues immunodéficientes par une déplétion des T CD4+, l’infection par Mycobacterium avium suivie d’une réinfusion de T CD4+ spécifiques a pour conséquence un syndrome inflammatoire létal avec une infiltration de cellules myéloïdes (principalement des monocytes/macrophages) dans les poumons [32]. Dans ce modèle, l’IFN-γ produit par les T CD4+ spécifiques de M. avium est nécessaire au déclenchement de la pathologie. L’interprétation est que les cellules myéloïdes, qui sont initialement activées en absence d’aide T CD4+, répondent de façon dérégulée et excessive lorsque l’aide est à nouveau disponible.

Il est possible que d’autres cellules effectrices de l’immunité innée jouent également un rôle dans la pathogenèse de l’IRIS. Ainsi, la population des lymphocytes Tgd exprimant la chaîne Vd2 pourrait être impliquée, car elle reconnaît principalement les phosphoantigènes des mycobactéries et paraît amplifiée chez les patients développant un TB-IRIS [26]. Les cellules NK (natural killer) montrent également des signes d’activation anormale, avec une plus grande capacité à dégranuler chez les patients prédisposés au TB-IRIS [15]. Enfin, les cellules dendritiques myéloïdes des patients qui développent un TB-IRIS semblent exprimer des niveaux plus élevés de TLR-2 (Toll-like receptor-2), un récepteur impliqué dans la reconnaissance des composants de la paroi bactérienne [33]. Si l’implication des T CD4+ et des macrophages est clairement établie, il semble donc que d’autres types cellulaires pourraient contribuer au TB-IRIS par leur capacité pro-inflammatoire.

Marqueurs prédictifs de l’IRIS
Marqueurs inflammatoires
Un objectif important serait d’identifier des marqueurs plasmatiques facilement détectables afin de prédire le risque de développement du TB-IRIS chez les patients co-infectés par le VIH et Mtb. Une série de critères cliniques proposés par le consortium INSHI (international network for the study of HIV-associated IRIS) aide au diagnostic de l’IRIS, mais celui-ci reste encore difficile dans de nombreux cas [6]. Il est en particulier délicat de distinguer le TB-IRIS d’une reprise de la tuberculose due à une inefficacité du traitement. La possibilité de disposer d’un indicateur du risque d’IRIS avant la mise sous ART permettrait aux cliniciens de proposer un suivi renforcé, en priorité aux patients à risque. Plusieurs études suggèrent que certains marqueurs inflammatoires, comme la protéine C réactive (CRP), les D-dimères, ou l’IL-6, sont plus élevés au moment de la mise sous ART chez les patients qui, ultérieurement, développent un TB-IRIS [34, 35]. Cependant, une étude récente de type cas-témoins suggère que les taux d’IL-6 et de LBP (lipopolysaccharide-binding protein) sont au contraire plus bas chez les patients susceptibles de développer un TB-IRIS, avant de rebondir plus haut que dans le groupe contrôle lors de l’IRIS [36]. Ces auteurs proposent que la capacité des effecteurs de l’immunité innée à s’activer en réponse à Mtb soit affaiblie chez les patients prédisposés à l’IRIS, et qu’un rebond disproportionné de l’immunité innée survienne lorsque l’aide des T CD4+ est à nouveau disponible. Une autre étude rapporte que l’association de taux élevés d’IL-18 et de CXCL10 et d’un taux bas de CCL2 prédit la survenue du TB-IRIS paradoxal, suggérant également que certains des marqueurs inflammatoires seraient augmentés, alors que d’autres seraient réduits chez les patients prédisposés au TB-IRIS [37]. Ainsi, si les marqueurs inflammatoires peuvent être informatifs, leur combinaison optimale pour la prédiction du TB-IRIS reste à définir.
Marqueurs d’activation des T CD4+ et rôle de l’IL-7
Nous avons récemment observé qu’un autre type de marqueurs, liés à l’activation et à la prolifération des cellules T CD4+, pourrait avoir une valeur prédictive du TB-IRIS. L’analyse des échantillons obtenus dans l’essai ANRS 129 BKVIR que nous avons coordonné, a en effet montré que les taux de la forme soluble du récepteur de l’IL-2 (sCD25) et de la cytokine IL-7 étaient plus élevés au moment de la mise sous ART chez les patients qui ont développé un TB-IRIS dans les semaines suivantes [38]. Le sCD25 est préférentiellement produit par clivage du CD25 à la surface des cellules T CD4+ activées, et un taux élevé de sCD25 suggère qu’une activation des T CD4+ précède le TB-IRIS. Cette activation préexistante pourrait être le reflet de l’activation chronique anormale qui caractérise la progression de l’infection à VIH [39]. L’IL-7, quant à elle, est la cytokine clef qui contrôle l’homéostasie de la population T CD4+, en favorisant la survie et la capacité proliférative de ces cellules. S’il existe une déplétion T CD4+ marquée, comme c’est le cas lors des stades avancés de l’infection à VIH, l’IL-7 est moins consommée par ses cellules cibles et devient disponible, ce qui se traduit par un taux plus élevé d’IL-7 circulante [40]. Ces concentrations élevées d’IL-7 favorisent à leur tour la survie et la prolifération des T CD4+ résiduelles, ce qui permet normalement un retour à l’homéostasie. Cependant, dans l’infection à VIH non traitée, la signalisation dépendante de l’IL-7 est perturbée et le retour à l’homéostasie n’a pas lieu [4143]. Les défauts de signalisation, liés à une internalisation du récepteur IL-7R et à un défaut en aval de translocation nucléaire du facteur de transcription STAT5 (signal transducer and activator of transcription 5), sont atténués lorsque la réplication du VIH est contrôlée par l’ART. On peut donc proposer que, lors de la mise sous ART, la reprise de la signalisation dépendante de l’IL-7 contribue à la prolifération et à la reconstitution de la population T CD4+. Chez les patients pour lesquels un taux particulièrement élevé d’IL-7 est observé, cette reprise soudaine pourrait mener à une signalisation et une prolifération excessives des T CD4+ contribuant au développement du TB-IRIS (Figure 1). Deux études ont également montré qu’un taux anormalement élevé d’IL-7 persistait durant le TB-IRIS [44, 45], ce qui suggère que cette cytokine homéostatique contribue non seulement à l’initiation, mais également à la persistance des symptômes de l’IRIS. Une des propriétés de l’IL-7 est d’inhiber l’action suppressive des cellules T CD4+ régulatrices, qui normalement atténuent les réponses immunes. Il est donc possible que la persistance de taux élevés d’IL-7 contribue à exacerber les manifestations de l’IRIS via un dysfonctionnement de la régulation négative des réponses immunes.

En conclusion, l’analyse des marqueurs prédictifs du TB-IRIS renforce la notion que l’activation anormale des cellules T CD4+ et celle des cellules myéloïdes se conjuguent pour déclencher ce syndrome. Des études cliniques menées à plus large échelle seront nécessaires pour valider le ou les marqueurs les plus à même de prédire la survenue et la sévérité du TB-IRIS.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 Il s’agit des manifestations opportunistes (infections et tumeurs) liées à l’immunodépression induite par le VIH et permettant de poser le diganostic de Sida.
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