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Med Sci (Paris). 2015 January; 31(1): 105–108.
Published online 2015 February 6. doi: 10.1051/medsci/20153101020.

Chroniques génomiques - Encore le « gène du crime » ?

Bertrand Jordan1,2***

1UMR 7268 ADÉS, Aix-Marseille, Université/EFS/CNRS, Espace éthique méditerranéen, hôpital d’adultes la Timone, 264, rue Saint-Pierre, 13385 Marseille Cedex 05, France
2CoReBio PACA, case 901, parc scientifique de Luminy, 13288Marseille Cedex 09, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Agressivité, Trouble de la personnalité de type antisocial, Crime, Génétique des populations, Étude d'association pangénomique, Humains, Monoamine oxidase, Récepteur de la sérotonine de type 5-HT2B, Violence, génétique, éthique, normes, psychologie

 

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La génétique moléculaire a fourni de précieux outils à la criminologie : les empreintes génétiques, procédé d’identification quasiment certain lorsqu’il est correctement employé, ont fait aboutir nombre d’enquêtes et ont souvent innocenté des personnes accusées (et parfois condamnées) à tort. En revanche, les tentatives d’identification de gènes impliqués dans une éventuelle tendance héréditaire à un comportement criminel ont surtout donné lieu à de retentissantes annonces médiatiques ne reflétant pas les données obtenues, ou rapidement infirmées, par des études plus larges. On peut citer à cet égard l’histoire du « chromosome du crime » dans les années 1960 ou, en 1996, la confusion entre syndrome de l’X fragile et « gène de la criminalité » [1]. Il n’est certes pas absurde d’imaginer que certains allèles de gènes impliqués dans le fonctionnement cérébral puissent rendre plus ou moins probable tel ou tel comportement chez leur porteur, mais de nombreux obstacles méthodologiques compliquent les études de génétique du comportement. Comment quantifier ce dernier de manière objective, quel échantillon étudier, quelle population témoin choisir ? Et surtout, comment être certain que ce que l’on observe est bien dû aux gènes et non à l’environnement ou à l’histoire personnelle des sujets ? Néanmoins, les techniques d’analyse des déterminants génétiques de phénotypes complexes ont fait d’immenses progrès au cours des dernières années, tant du point de vue expérimental que de celui de l’analyse statistique visant à éliminer les faux positifs. Appliquées à des maladies très multigéniques comme le diabète de type II ou la maladie de Crohn, les approches GWAS (genome wide association studies) ont donné des résultats fiables, confirmés par les études suivantes, et scientifiquement intéressants pour mieux appréhender l’étiologie de ces affections. Le même schéma peut donc, en principe, être appliqué pour rechercher des corrélats génétiques de la criminalité, comme le fait l’article qui est le sujet de cette chronique [2]. Le titre est prudent : Genetic background of extreme violent behavior – on n’y retrouve ni « gène », ni « crime »… L’abstract indique néanmoins bien qu’il s’agit de criminels violents et de deux gènes qui seraient associés à cette violence, comme le montrent une analyse de type gène candidat et une étude GWAS.

L’échantillon de population étudié

Voyons donc les caractéristiques de ce travail, et d’abord la population sur laquelle il porte. Celle-ci est finlandaise (la plupart des auteurs le sont également), soit au niveau européen un groupe distinct et relativement homogène [3]. Le taux d’homicides (1,6 par an et pour 100 000 personnes) dans cette nation est un peu supérieur aux valeurs européennes typiques (1 pour la France, 0,8 pour le Royaume-Uni)1. La plupart de ces actes ne sont pas prémédités et sont commis sous l’influence de l’alcool ou d’amphétamines. Les sujets sont 794 personnes incarcérées, dont 215 pour des crimes considérés comme non violents (vol, drogue, conduite en état d’ivresse) et 538 pour des crimes violents (meurtre ou tentative de meurtre) dont 84 « extrêmement violents » (récidivistes, dix crimes ou plus). L’échantillon initial était de mille personnes, mais près de deux cents ont refusé de participer à l’étude (les autres ont donné leur consentement éclairé). Bien entendu, les hommes sont en forte majorité : 90 %, plus encore pour les récidivistes. Les témoins (plus de sept mille) proviennent de deux cohortes nationales assemblées pour d’autres études, mais censées être bien représentatives de la population finlandaise. Enfin, une cohorte indépendante dite « de confirmation » comporte 114 personnes ayant commis au moins un meurtre et est utilisée pour vérifier les associations observées. L’objectif annoncé est d’identifier des corrélats génétiques de la violence per se, indépendamment de caractéristiques qui lui sont liées comme la tendance à l’impulsivité ou à l’usage de drogues : c’est pour cela que les auteurs ont cherché à inclure des cas extrêmes (criminels très violents) pour avoir le plus de chances d’observer des effets génétiques.

Les gènes candidats

Le travail comporte deux volets. Dans le premier (approche « gène candidat »), les auteurs analysent, au sein de leur échantillon, deux gènes, MAOA (monoamine oxidase A) et HTR2B (5-hydroxytryptamine [serotonin] receptor 2B), déjà impliqués dans la génétique des comportements asociaux.

Le premier, intervenant dans le catabolisme de la sérotonine et de la dopamine, existe sous plusieurs formes qui diffèrent dans leur région promotrice et dont certaines (dites 3R et 5R) sont peu actives. C’est une vieille connaissance de la génétique du comportement : au cours des vingt dernières années, diverses études ont associé les allèles peu actifs avec les conduites impulsives et agressives, parfois en liaison avec des épisodes de maltraitance infantile – le tout avec de fréquents désaccords entre les travaux successifs (voir [2] pour un résumé et les références). Le deuxième – plus précisément un allèle particulier - a été présenté comme le « gène de l’impulsivité » [4] et a fait l’objet d’une de mes chroniques en 2011 [5]. Comme le présent travail cherche à se focaliser sur la violence proprement dite, il compare, parmi les prisonniers, ceux qui sont incarcérés pour des crimes non violents, violents ou très violents. Cela donne les résultats présentés sur la Figure 1 (partie gauche), qui montre le « rapport de chances » (odds ratio) pour la présence d’un allèle de faible activité MAOA en fonction du nombre de crimes violents commis. On voit qu’effectivement, la probabilité de trouver un tel allèle augmente avec la violence telle qu’elle est définie ici, même si les barres d’erreur restent bien larges et que les points ne se placent pas sur une courbe idéale. Notons aussi que les allèles MAOA de faible activité (3R et 5R) ne sont pas rares2 : leur fréquence allélique dans la population témoin est de 0,43, elle s’élève au maximum à 0,62 chez les plus violents. Disons que l’on constate effectivement une corrélation statistiquement significative entre la faible activité MAOA et la violence – sans que les allèles correspondants soient systématiquement présents chez les « violents » et absents chez les autres.

Pour le gène HTR2B, il s’agit d’une mutation ponctuelle dont la fréquence est de l’ordre de 1 % (toujours dans la population finlandaise), et qui avait été associée à l’impulsivité [4, 5]. Ici, les auteurs ne détectent pas d’association avec la violence - mais comme la faible taille de l’échantillon (moins de cent sujets « extrêmement violents », par exemple) rend difficile l’étude de la variation d’un tel allèle mineur, ce résultat négatif n’est pas très étonnant.

Analyse GWAS

Pour ce volet de l’étude, la puissance statistique est également limitée par le faible effectif des sujets, même si plusieurs milliers de témoins provenant de la même population sont disponibles. Après analyse d’environ 600 000 snip dans chaque échantillon, le seul cas où soit trouvée une association statistiquement significative concerne les prisonniers extrêmement violents et un polymorphisme lié au gène CDH13 (cadhérine 13), situé sur le chromosome 16. Cette association a été vérifiée par l’analyse de la cohorte de confirmation, et ensuite par une étude du génotype CDH13 (allèles du snip rs1649622 précédemment trouvé par GWAS) en fonction du degré de violence, comme fait précédemment pour les allèles MAOA. La Figure 1 (partie de droite) montre que la probabilité de trouver l’allèle mineur augmente effectivement avec le degré de violence. On peut de nouveau observer l’étendue des barres d’erreur, et noter que la fréquence de l’allèle mineur passe de 0,18 dans la population témoin à 0,31 chez les « extrêmement violents » : il ne s’agit donc pas d’une mutation directement causale, qui serait présente chez les criminels violents et chez eux uniquement, mais d’un allèle commun dont la fréquence diffère d’un groupe à l’autre. L’association avec le gène MAOA est aussi retrouvée dans l’analyse GWAS, mais avec une validité statistique insuffisante.

Des mécanismes vraisemblables, une présentation discutable

Les auteurs rappellent que la plupart des crimes violents, en Finlande, sont commis sous l’emprise de l’alcool ou des amphétamines qui, entre autres effets, augmentent les niveaux de dopamine dans le cerveau. Un faible catabolisme de cette molécule dû à un bas niveau de MAOA pourrait renforcer cet effet, un mécanisme similaire agirait aussi pour la sérotonine. Quant à la cadhérine 13, ses variants ont déjà été associés à différents syndromes psychiatriques (voir la discussion de [2]) et pourraient correspondre à des défauts de la membrane neuronale. Au-delà de ces interprétations, le mérite de cette étude est de s’être attachée à constituer un échantillon de population bien défini, qui contient son propre groupe contrôle (les criminels non violents), et peut être disséqué selon la gradation du degré de violence. Ils se mettent ainsi en mesure d’isoler cette variable et d’étudier ses corrélats génétiques avec les outils actuels de la génomique. La difficulté est que, du coup, l’effectif du groupe « expérimental », et encore plus de ses sous-ensembles, est faible, ce qui induit d’importantes marges d’erreur. La Figure 1 est éloquente de ce point de vue : seuls deux points (à gauche) ou un (à droite) sont clairement différents du témoin. Les corrélations observées sont statistiquement significatives mais l’influence des gènes identifiés reste limitée. C’est peut-être le point le plus important de cette étude (et de celles qui l’ont précédé) : malgré tous les efforts déployés, on ne détecte pas de gènes dont un allèle aurait un effet majeur et confèrerait à son porteur un risque relatif élevé de violence ou de criminalité. Compte tenu de la sophistication des échantillons et des méthodes, cela signifie que de tels gènes n’existent pas.

Néanmoins, ce travail n’échappe pas au risque de surinterprétation, favorisé par des ambiguïtés dans sa présentation et bien que les auteurs aient pris la peine de souligner dans leur discussion que leurs résultats ne pouvaient nullement déboucher sur un quelconque dépistage (sensibilité et spécificité bien trop faibles). Comme je l’ai rappelé à plusieurs reprises, les allèles de MAOA ou de CDH13 pour lesquels est trouvée une association avec la violence criminelle sont communs dans la population témoin (leur fréquence est respectivement de 43 % et 18 %). Ils ne sont donc en rien spécifiques de ce comportement - et pourtant les auteurs écrivent que leurs résultats « indiquent que CDH13 et MAOA à basse activité sont spécifiques du crime violent »3,. En fait, ils parlent ici de l’association génétique entre ces deux entités et le crime violent, association qui n’est effectivement pas retrouvée avec la criminalité non violente (voir les premiers points des deux graphiques de la Figure 1). C’est bien l’association avec ces deux allèles qui est spécifique, et non les allèles eux-mêmes. Ce n’est pas du tout la même chose, et ces subtilités échappent, par exemple, aux chroniqueurs d’un site d’information génomique comme GenomeWeb : ceux-ci écrivent textuellement que « ces variants sont trouvés chez les criminels violents mais pas chez les témoins »4 [7], ce qui est totalement faux. Ils ne sont sûrement pas les seuls à faire cette confusion. L’on retrouve ici encore la tendance à appliquer à la génétique des maladies complexes et des comportements la logique déterministe, en blanc et noir, qui a un certain sens dans le cas des affections mendéliennes, et qui a déjà suscité tant de malentendus. Il est dommage que les auteurs, par leur formulation maladroite, favorisent de telles confusions.

Liens d’intérêt

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 Il est de 4,7 aux États-Unis …et de 90 au Honduras, un des États les plus violents du monde.
2 L’allèle rare MAOA2R, qui a parfois été considéré (assez abusivement) comme le « gène du guerrier » [6], n’est pas présent dans la population étudiée.
3 Dernier paragraphe de la discussion dans [2] […] results from the present study indicate that CDH13 and low-activity MAOA are quite specific to violent crime (…)
4 The variants […] were found in the violent offenders but not controls.
References
1.
Jordan B. Les imposteurs de la génétique . Paris: : Seuil; , 2000
2.
Tiihonen J, Rautiainen MR, Ollila HM, et al. Genetic background of extreme violent behavior . Mol Psychiatry. 2014 ; Oct 28 doi: 10.1038/mp.2014.130..
3.
Salmela E, Lappalainen T, Fransson I, et al. Genome-wide analysis of single nucleotide polymorphisms uncovers population structure in Northern Europe . PLoS One. 2008; ; 3 : :e3519..
4.
Bevilacqua L, Doly S, Kaprio J, et al. A population-specific HTR2B stop codon predisposes to severe impulsivity . Nature. 2010; ; 468 : :1061.–1066.
5.
Jordan B. Une publication impulsive . Med sci (Paris). 2011; ; 27 : :439.–441.
6.
Wensley D, King M. Scientific responsibility for the dissemination and interpretation of genetic research: lessons from the warrior gene controversy . J Med Ethics. 2008; ; 34 : :507.–509.
7.
Candidate gene study. , GWAS link two genes to violent behavious . GenomeWeb. , October 28; , 2014 . http://www.genomeweb.com/clinical-genomics/candidate-gene-study-gwas-link-two-genes-violent-behavior (accessed Nov. 9, 2014).