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Med Sci (Paris). 2015 April; 31(4): 369–371.
Published online 2015 May 8. doi: 10.1051/medsci/20153104008.

Détecter la vie grâce à la microscopie à force atomique

Sandor Kasas,1,2* Petar Stupar,1 Giovanni Longo,1 and Giovanni Dietler1

1Laboratoire de physique de la matière vivante, école polytechnique fédérale de Lausanne, EPFL-IPSB-LPMV, BSP/Cubotron 414, CH-1015Lausanne, Suisse
2Département de neurobiologie fondamentale, université de Lausanne, CH-1005Lausanne, Suisse
Corresponding author.

MeSH keywords: Exobiologie, Environnement extraterrestre, Humains, Vie, Microscopie à force atomique, instrumentation, méthodes

 

L’existence de créatures extraterrestres est une question qui a toujours fasciné l’humanité. Des efforts considérables sont investis de nos jours dans la recherche de la vie, qu’elle soit dans notre système solaire ou dans notre galaxie. La recherche « directe » d’organismes vivants dans notre système solaire a débuté sur Mars en 1975 avec les sondes Viking et se poursuit actuellement sur la planète rouge avec le robot Curiosity. D’après plusieurs études récentes, de nombreux corps célestes du système solaire, comme Titan, Encelade (lunes de Saturne), Europe ou Callysto (lunes de Jupiter) pourraient abriter des organismes vivants, et ces lunes seront très certainement la cible de prochaines missions spatiales.

Les équipements embarqués pour détecter la vie reposent essentiellement sur l’examen de paramètres biochimiques similaires à ceux des organismes vivant sur Terre. Cependant, il n’est pas exclu que ces organismes puissent être très différents de tout ce que nous connaissons sur Terre.

En travaillant sur un appareil initialement destiné à la détection de bactéries résistantes aux antibiotiques, nous avons remarqué que cet équipement pourrait facilement être adapté pour détecter toutes formes de vie extraterrestre, indépendamment de leurs propriétés biochimiques.

Notre appareil est une variante du microscope à force atomique (AFM) [1]. À l’origine, cet instrument a été conçu pour cartographier la surface d’échantillons électriquement isolants, mais rapidement, on s’aperçut qu’il pouvait être utilisé pour explorer les propriétés mécaniques d’échantillons microscopiques, mesurer les forces d’interactions entre les molécules, ou peser des masses infimes, de l’ordre du picogramme. L’instrument utilise un levier souple comme senseur de forces et les lecteurs intéressés par ces applications désormais classiques de l’instrument pourront se référer à des articles de revue [2, 3].

Récemment, notre groupe de recherche a proposé une nouvelle application du microscope à force atomique dans laquelle ce dernier est utilisé pour détecter les mouvements infimes qui se produisent à la surface et dans les organismes vivants [4]. Dans le cadre de cette application, les échantillons sont attachés directement sur le levier de l’instrument et non plus sur un substrat, comme c’est le cas pour la microscopie AFM classique. Le levier, qui mesure une centaine de micromètres de long, peut accueillir plusieurs centaines de millions de protéines, des milliers de bactéries ou encore une dizaine de cellules de mammifères.

Le principe de fonctionnement de ce type de dispositif est très simple : les mouvements de l’échantillon engendrent des oscillations du levier, celles-ci sont analysées et nous renseignent sur l’état métabolique des échantillons. Si l’activité métabolique de l’échantillon augmente, l’amplitude des oscillations du levier augmente, si l’échantillon meurt, les oscillations s’arrêtent (Figure 1).

Nos premières expériences concernaient des bactéries possédant des flagelles (Escherichia coli). Ces derniers sont reliés à des moteurs moléculaires et assurent la motilité bactérienne. Fixées vivantes sur un levier AFM, les E. coli ont engendré des oscillations du levier d’une amplitude de plusieurs nanomètres. Ces oscillations ont cessé en l’espace de quelques minutes après l’injection d’un antibiotique auquel ces bactéries étaient sensibles. Le déroulement complet de l’expérience est visible sur la Figure 2A .

Encouragés par ces résultats, nous avons élargi nos investigations à des bactéries démunies d’appareils locomoteurs (Staphylococcus aureus). À notre grande surprise, celles-ci aussi engendraient des oscillations du levier, d’amplitude moindre que celles obtenues avec les E. coli, mais bien au-dessus du niveau du bruit instrumental. Et de nouveau, les oscillations du levier ont cessé peu après l’injection d’antibiotique. Si, dans le cas des E. coli, le mouvement du levier pouvait être attribué au flagelle, l’explication est plus complexe dans le cas du S. aureus. Parmi les diverses possibilités, nous privilégions l’hypothèse selon laquelle le changement de conformation de protéines présentes à la surface de la bactérie serait responsable des oscillations du levier.

Pour vérifier cette possibilité, nous avons effectué des tests similaires avec une protéine qui change de conformation en présence d’ATP [5] (topoisomérase II, Topo II). Lors de nos expériences, l’injection d’ATP induisait une augmentation des mouvements du levier lorsque la Topo II était présente sur sa surface. Les oscillations s’arrêtaient lors de l’injection d’analogues non hydrolysables de l’ATP ainsi qu’en présence d’inhibiteurs spécifiques de la Topo II comme l’aclarubicine. Ces expériences démontrent la sensibilité extrême de ce dispositif et semblent indiquer que l’origine des oscillations serait due au transfert de moment cinétique entre la protéine et le levier.

Ce type d’expérience a été répété avec d’autres protéines et divers organismes dont une dizaine d’espèces bactériennes différentes, des levures, des cellules végétales ainsi que de nombreuses cellules de mammifères (Figure 2B), avec toujours le même résultat : vivants, les organismes induisent des oscillations du levier, et morts, ils les inhibent. Cette constatation nous a amenés à proposer ce type de dispositif pour la détection de vie extraterrestre [6]. On pourrait en effet envisager d’embarquer un dispositif similaire dans un vaisseau interplanétaire qui examinerait la présence d’organismes « mobiles » dans les prélèvements. Il convient de souligner que ce genre d’appareillage est facilement mis en Ĺ“uvre, léger, extrêmement sensible et surtout indépendant de la chimie de l’organisme étudié.

Nous avons effectué ce type de mesures avec des échantillons de sol et d’eau prélevés à côté et dans une rivière coulant près de notre institut. Dans les deux cas, les organismes présents dans les prélèvements engendraient des oscillations du levier qui cessaient après une fixation chimique des organismes.

Une autre application potentielle de ce type d’instruments serait la détermination rapide d’antibiogrammes. Les méthodes classiques, qui dépendent de la réplication bactérienne, sont malheureusement relativement lentes : environ 24 h pour des germes à croissance rapide, mais ce délai s’allonge et atteint plusieurs semaines pour les organismes à division lente comme les mycobactéries. Finalement, on pourrait également envisager l’utilisation de ce dispositif dans le cadre de recherches pharmacologiques. Comme mentionné précédemment, l’instrument permet de détecter les changements de conformation de protéines et pourrait donc faciliter la recherche de molécules inhibitrices spécifiques.

Bien que nous ne comprenons pas complètement, pour l’instant du moins, les subtilités des mécanismes qui engendrent ces oscillations de la matière vivante, nous sommes persuadés que des applications de cette technique verront bientôt le jour sur Terre, et avec un peu de chance, quelque part ailleurs, dans notre système solaire. ‡

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Acknowledgments

Les auteurs remercient le Fonds National Suisse de la Recherche Scientifique qui a financé cette recherche par l’intermédiaire de la demande no 200021-144321.

References
1.
Binnig G, Quate CF, Gerber C. Atomic force microscope . Phys Rev Lett. 1986; ; 56 : :930..
2.
La Kasas S. microscopie à force atomique dans la recherche en biologie . Med Sci (Paris). 1992; ; 8 : :140.–148.
3.
Giocondi MC, Milhiet PE, Lesniewska E, et al. Microscopie à force atomique : de l’imagerie cellulaire à la manipulation moléculaire . Med Sci (Paris). 2003; ; 19 : :92.–99.
4.
Longo G, Alonso-Sarduy L, Rio LM, et al. Rapid detection of bacterial resistance to antibiotics using AFM cantilevers as nanomechanical sensors . Nat Nanotech. 2013; ; 8 : :522.–526.
5.
Alonso-Sarduy L, De Los Rios P, Benedetti F, et al. Real-time monitoring of protein conformational changes using a nano-mechanical sensor . PLoS One. 2014; ; 9 : :e103674..
6.
Kasas S, Ruggeri FS, Benadiba C, et al. Detecting nanoscale vibrations as signature of life . Proc Natl Acad Sci USA. 2015; ; 112 : :378.–381.