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Med Sci (Paris). 2015 May; 31(5): 478–481.
Published online 2015 June 9. doi: 10.1051/medsci/20153105006.

L’enfer après le plaisir
Contribution de l’habénula latérale aux symptômes dépressifs des drogues

Kristina Valentinova,1,2,3*** Anna Tchenio,1,2,3***** Frank J. Meye,1,2,3 Salvatore Lecca,1,2,3 and Manuel Mameli1,2,3***

1Institut du Fer à Moulin, bâtiment Inserm, 8-10, rue des Fossés-Saint-Marcel, 75005Paris, France
2Inserm, UMR-S 839, 75005Paris, France
3Université Pierre et Marie Curie, 75005Paris, France
Corresponding author.
*Les deux auteurs ont eu une contribution égale

MeSH keywords: Animaux, Anxiété, Apprentissage par évitement, Cartographie cérébrale, Cocaïne, Troubles liés à la cocaïne, Dépression, Neurones dopaminergiques, Voies efférentes, Habénula, Humains, Modèles neurologiques, Activité motrice, Plasticité neuronale, Plaisir, Transport de protéines, Rats, Récepteur de l'AMPA, Récepteurs dopaminergiques, Récompense, Syndrome de sevrage, Aire tegmentale ventrale, induit chimiquement, physiopathologie, physiologie, effets indésirables, psychologie, effets des médicaments et substances chimiques, métabolisme

 

La prise de drogue est initialement associée à l’euphorie qu’elle engendre. Au niveau cellulaire, cela implique une libération accrue et rapide de la dopamine, connue comme le « neuromodulateur du plaisir ». Cet effet hédonique s’oppose à des états émotionnels négatifs intenses, tels que l’anxiété et la dépression, qui se manifestent lors de périodes de manque [1]. Cette brève revue a pour but de décrire les connaissances actuelles de ces effets négatifs des drogues, leur importance dans l’addiction, et les circuits neuronaux les sous-tendant. En particulier, nous détaillerons l’importance de l’habénula latérale et ses adaptations neurophysiologiques, à la lumière des résultats de nos travaux récemment publiés dans Nature Neuroscience [2].

Les symptômes dépressifs dans l’addiction

Des symptômes d’anxiété et de dépression ont été rapportés par les individus présentant une addiction à la cocaïne pendant la période de manque [3]. L’émergence d’états négatifs après l’administration de cocaïne chez les rongeurs [4] suggère que des symptômes similaires peuvent être observés chez des modèles animaux. En effet, le syndrome de manque chez le rat est marqué par une perte d’intérêt pour les récompenses naturelles (alimentaires ou sexuelles) [5]. Selon la théorie des processus opposés, les états négatifs induits par les drogues seraient dus à une adaptation des circuits neuronaux codant un message « d’anti-récompense » [1]. Notamment, des études in vivo chez le rat montrent une réduction des taux extracellulaires de dopamine lors du sevrage [6].

L’usage de drogues n’est pas en soi un comportement addictif. De même, l’installation d’une addiction ne dépend pas uniquement de la prise répétée de drogue, mais est tributaire de plusieurs facteurs, notamment l’environnement dans lequel la substance est consommée ainsi que la vulnérabilité individuelle [15] et le type de drogue (Figure 1A-B) (). Seuls environ 20 % des utilisateurs développent une addiction [7]. Celle-ci correspond à la transition d’une consommation contrôlée et occasionnelle de drogues à une consommation excessive, et ce, en dépit de la connaissance de ses conséquences négatives. À plus long terme, la recherche ou la prise de drogues deviennent irrépressibles et compulsives, c’est la perte de contrôle associée à l’émergence d’états émotionnels négatifs, qui marquent le stade tardif et complet de l’addiction sévère [1] (Figure 1A). L’aspect négatif devient de plus en plus prédominant avec la prise chronique de drogue. La consommation de drogue pour supprimer l’état aversif pourrait jouer un rôle important dans l’installation de l’addiction, son maintien et les rechutes [1]. Cette hypothèse a justifié l’utilisation d’antidépresseurs, qui, malgré leur faible efficacité, diminuent dans certains cas la consommation et l’envie irrépressible de drogues lors du sevrage chez les cocaïnomanes [3].

(→) Voir page 546 de ce numéro

La compréhension des mécanismes moléculaires de ces effets négatifs reste incomplète, les circuits neuronaux impliqués sont mal connus, ce qui explique qu’aucun traitement rapide et efficace contre ces effets négatifs n’ait été proposé.

Le cerveau et l’effet des drogues : des molécules aux circuits

Au cours de ces dernières années, plusieurs modifications cellulaires induites par la prise répétée de drogues ont été identifiées ainsi que leurs conséquences au niveau des circuits neuronaux. Parmi celles-ci, la modulation de la force des synapses - structures dédiées à la communication entre les neurones - semble cruciale dans l’effet des drogues. Ce processus, appelé plasticité synaptique, conduit à un apprentissage inadapté des actions liées à la prise et à la recherche de drogue [8]. Cette plasticité aberrante touche en particulier les structures cérébrales liées à la libération de dopamine, qui constituent le système de la récompense.

Le circuit de la récompense a pour rôle de favoriser des comportements adaptés à la survie de l’individu ; il est composé des structures méso-cortico-limbiques (aire tegmentale ventrale, cortex préfrontal, noyau accumbens (NAc) (Figure 1C). Au centre de ce circuit se situe l’aire tegmentale ventrale, qui libère la dopamine au niveau du noyau accumbens et du cortex préfrontal. De nombreuses modifications ont été ­identiées au niveau de cette structure en réponse à une exposition aux drogues. Ainsi, une seule injection de cocaïne suffit à augmenter la fonction synaptique des neurones dopaminergiques de l’aire tegmentale ventrale projetant sur le noyau accumbens. On parle de potentialisation synaptique [9]. Lors d’une exposition prolongée, la cocaïne induit une plasticité synaptique persistante au niveau de cette aire, responsable d’une réorganisation fonctionnelle au niveau du noyau accumbens. L’ensemble de ces modifications contribuent à l’émergence d’une recherche compulsive de drogue [10]. Dans ce contexte de réorganisation des circuits neuronaux, on peut se demander si un contrôle en amont pourrait être responsable des perturbations au niveau de l’aire tegmentale ventrale.

Il a été démontré que les neurones de l’habénula latérale (LHb) communiquent directement ou indirectement avec l’aire tegmentale ventrale. Ces neurones réduisent l’activité des neurones dopaminergiques via l’activation des neurones GABAergiques inhibiteurs du noyau tegmental rostromédial (RMTg) [11] (Figure 2AB). De plus, l’habénula latérale contrôle des comportements aversifs et sous-tend la formation de souvenirs associés à des événements négatifs via sa connexion avec le noyau tegmental rostromédial [12]. Ces deux actions de l’habénula latérale, le contrôle qu’elle exerce sur le système de récompense et son rôle dans le traitement des informations aversives, suggèrent que cette structure pourrait jouer un rôle dans les effets négatifs des drogues. Cette hypothèse est confortée par de récentes données. L’étude in vivo chez le rat réalisée par Jhou et ses collègues [13] révèle une réponse des neurones de l’habénula latérale à la cocaïne 15 à 25 minutes après l’exposition à cette drogue. Cette augmentation d’activité des neurones dans cette région correspond au codage d’états aversifs [13]. Cette même étude précise que les neurones de l’habénula latérale activés par la cocaïne projettent spécifiquement vers le noyau tegmental rostromédial (neurones LHb-RMTg) qui inhibe les neurones dopaminergiques de l’aire tegmentale ventrale. En accord avec ces observations, notre équipe a démontré que cette connexion entre l’habénula latérale et le noyau tegmental rostromédial est une cible importante dans les effets de la cocaïne [14].

Cocaïne, habénula latérale et symptômes dépressifs

Dans notre étude récemment publiée, nous avons utilisé un test courant pour étudier les états de type dépressif chez la souris, le test de nage forcée (forced swim test, FST). Les souris sont plongées dans l’eau et les critères mesurés sont le temps d’immobilité et de nage. Une augmentation du temps d’immobilité reflète une perte de motivation et un état dépressif. Dans notre étude, nous avons exposé des souris à la cocaïne de façon chronique ; cette période était suivie d’un temps de sevrage à la suite duquel les souris étaient soumises au test de nage forcée. Nous avons constaté que ces animaux restent immobiles plus longtemps, ce qui indique la présence de symptômes dépressifs.

Nous nous sommes ensuite demandé si des modifications au niveau de l’habénula latérale pouvaient être à l’origine de ces états. Nous avons constaté une augmentation durable de la transmission excitatrice sur les neurones de l’habénula qui se projettent sur le noyau tegmental rostromédial. Parallèlement, nous avons observé une augmentation de la décharge de ces neurones accompagnée d’une réduction de la fonction des canaux potassiques, des acteurs fondamentaux pour l’activité neuronale. Ces données sont en accord avec le rôle de cette connexion entre l’habénula latérale et le noyau tegmental rostromédial dans les comportements aversifs [13].

Un résultat majeur de cette étude réside dans l’identification d’un mécanisme moléculaire qui permet d’expliquer ces modifications. En effet, nous avons trouvé que la cocaïne provoquait l’insertion des récepteurs au glutamate (AMPAR) à la membrane synaptique (Figure 2C, à gauche). En perturbant ce mécanisme, nous avons empêché la mise en place des changements cellulaires induits par la cocaïne dans les neurones de l’habénula qui se projettent sur le noyau tegmental rostromédial (Figure 2C, à droite). De plus, cette intervention était suffisante pour supprimer le comportement dépressif qui suit le sevrage des animaux de la cocaïne.

L’ensemble de ces résultats suggèrent une relation causale entre des ­modifications cellulaires dans l’habénula latérale et les symptômes ­comportementaux dépressifs émergeant lors de périodes de manque. Cette étude contribue à la compréhension des mécanismes impliqués dans les différentes phases menant à l’addiction.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

References
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