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Med Sci (Paris). 2015 June; 31(6-7): 591–593.
Published online 2015 July 7. doi: 10.1051/medsci/20153106006.

L’épithélium thymique, un passé dans la dualité et un présent unifié

Victoria Michaels Lopez1 and Sophie Ezine1*

1Université Paris Descartes - site Broussais CS61431, 14, rue Maria Helena Vieira Da Silva, batiment Leriche-porte 14, pièce L-507, 75993Paris Cedex 14, France

MeSH keywords: Adulte, Animaux, Cellules cultivées, Cellules épithéliales, Humains, Souris, Souris nude, Taille d'organe, Niche de cellules souches, Cellules souches, Thymus (glande), cytologie, physiologie, anatomie et histologie

 

Pour assurer une thymopoïèse complète aboutissant au développement de lymphocytes T fonctionnels, un stroma thymique mature est requis. Récemment, deux articles nous dévoilent le « passé » surprenant de cet organe, ainsi que la source cellulaire à l’origine de l’hétérogénéité de son épithélium [1, 2]. L’ensemble de ces données améliorent nos connaissances des pathologies thymiques et permettront peut-être de proposer de nouvelles stratégies de thérapie cellulaire visant à contrer l’involution thymique et ses conséquences.

Les cellules épithéliales thymiques : des régulateurs essentiels du développement et de la sélection des lymphocytes T

Le développement et la maturation des lymphocytes T sont uniques par rapport aux autres lignées hématopoïétiques, car ils prennent place dans un organe lymphoïde particulier, le thymus. Dans les différentes niches thymiques, les progéniteurs hématopoïétiques, en provenance du foie fœtal et/ou de la moelle osseuse, se différencient principalement en cellules T porteuses d’un répertoire diversifié de récepteurs spécifiques pour différents antigènes nommés TCR. Ce développement est guidé par les cellules stromales thymiques, qui ont pour principal composant les cellules épithéliales thymiques. Les cellules épithéliales thymiques forment un microenvironnement fonctionnel spécialisé dans le maintien des étapes de la maturation T. Elles fournissent tous les éléments nécessaires (cytokines, chimiokines, ligands) au contrôle de l’acquisition d’une spécificité lymphocytaire T, de la migration, de la survie, de la prolifération et de la sélection de ces lymphocytes [3].

Le thymus est composé de lobes (deux chez la souris, plusieurs lobules chez l’homme) entourés d’un tissu conjonctif. Chaque lobe est constitué d’une partie centrale médullaire formée de cellules épithéliales thymiques médullaires (mTEC), et d’une partie périphérique corticale composée de cellules épithéliales thymiques corticales (cTEC). Ces deux compartiments possèdent des caractéristiques phénotypiques et fonctionnelles distinctes [3]. Les cTEC ont un rôle important lors des étapes primaires du développement T, elles permettent l’engagement et la prolifération des précurseurs T via deux molécules cruciales à ce stade : l’expression du ligand de Notch1 delta like 4 (DL4) et de la cytokine interleukine (IL)-7 [4]. Le cortex permet aussi la sélection des thymocytes double-positifs (coexprimant les molécules CD4 et CD8) notamment par l’expression d’une diversité de peptides du « soi » présentés par les molécules du CMH (complexe majeur d’histocompatibilité) de classes I et II. Dans la partie médullaire du thymus, les mTEC jouent, avec les cellules dendritiques très probablement produites in situ, un rôle décisif dans les dernières étapes du développement T. Elles permettent la sélection négative des cellules T autoréactives (susceptibles de réagir contre les protéines du soi) et la génération des cellules T régulatrices [3].

Malgré leurs différences fonctionnelle et anatomique, les cTEC et mTEC partagent quelques marqueurs phénotypiques comme par exemple l’expression de la molécule d’adhésion CD326 (EpCAM, epithelial cell adhesion molecule) et le CMH II. Elles n’expriment pas la molécule CD45 spécifique des cellules hématopoïétiques, et sont donc classées comme non hématopoïétiques [4].

Origine des cellules épithéliales thymiques dans le thymus adulte ?

Le thymus commence à se développer autour de 10,5 jours de gestation chez la souris (8 à 10 semaines de gestation chez l’homme). La première colonisation hématopoïétique se produit autour de E11,5, et la délimitation des compartiments du cortex et de la médulla est reconnaissable à partir de E14 [4]. À partir de ce stade chez la souris, la taille du thymus augmente et ce jusqu’au sevrage. Après la puberté, il involue lentement selon un processus non élucidé. Lors de ces premières étapes, l’expression du facteur de transcription forkhead 1 (FoxN1) dans les progéniteurs épithéliaux thymiques est indispensable au développement du thymus, et, ensuite, à la génération et au maintien des fonctions des mTEC et cTEC matures [4].

Les mécanismes du maintien des cellules épithéliales thymiques dans le thymus adulte sont mal élucidés à ce jour. Si l’hétérogénéité du compartiment épithélial ne fait pas de doute, son ontogenèse est difficile à comprendre, comme le soulignent plusieurs travaux. Il a été suggéré que le cortex se développe à partir d’une cellule souche d’origine ectodermique tandis que la médulla dérive de l’endoderme [5]. D’autres travaux suggèrent que les précurseurs de ces deux types cellulaires ont pour origine le seul endoderme [6]. Les travaux de Gill et al., en Australie, ont permis une avancée significative en identifiant un progéniteur épithélial fœtal, exprimant la glycoprotéine MTS24, capable de générer les lignées corticale et médullaire [7]. Bleul et al. ont également caractérisé, chez la souris adulte, un progéniteur épithélial thymique bipotent, équivalent au progéniteur fœtal décrit par Gill [8]. Pourtant, la caractérisation et la purification de ces progéniteurs épithéliaux thymiques bipotents ont jusqu’ici rencontré un succès limité et leur phénotype complet reste encore à définir.

Un travail récent original, basé sur une méthode atypique de culture, a permis d’observer la formation de sphères à partir de cellules stromales thymiques adultes [1]. Ces « thymosphères » proviennent de la lente division d’une cellule, la thymosphere-forming cell. La dissociation des sphères « primaires » permet de reformer des sphères « secondaires ». La présence de précurseurs des mTEC et cTEC dans ces thymosphères a été évaluée in vitro et in vivo. In vitro, les cellules épithéliales thymiques matures, qui expriment les kératines 14 (K14+, mTEC) et 8 (K8+, cTEC), sont identifiées 9 jours après culture. In vivo, la capacité des thymosphere-forming cells à générer des cellules épithéliales thymiques matures a été démontrée après leur greffe sous la capsule rénale de souris receveuses athymiques (nude). Ces cellules formant des sphères peuvent donc être qualifiées de cellules souches de l’épithélium thymique. Elles sont présentes dans le thymus jeune, mais aussi dans le thymus en involution. Elles se forment aussi en culture à partir de thymus humain. Si FoxN1 n’est pas requis pour leur génération, en revanche il est nécessaire à leur différenciation en cellules épithéliales thymiques matures (Figure 1).

La bifonctionnalité thymique ancestrale

Le gène Foxn1 s’est formé par duplication d’un gène ancestral Foxn4 présent chez le poisson, mais pas chez la souris [9]. Une étude de Swann et al. [2] montre que l’introduction de FoxN1 chez la souris nude (porteuse d’une mutation spontanée du gène Foxn1) permet de restaurer le développement T, alors que celle de FoxN4 aboutit au développement de cellules B dans le thymus. Dans ces conditions, c’est la diminution de DL4 (dont l’expression dépend de FoxN1) et le maintien de la production d’IL-7 qui promeuvent le développement B à l’identique de ce qui est connu dans la moelle osseuse. Ces travaux soulignent le rôle dual du thymus primordial, qui est compétent pour assurer la lymphopoïèse aussi bien T que B. La question est donc maintenant de comprendre quels mécanismes survenus au cours de l’évolution sont responsables de la perte, par le thymus, de la capacité de promouvoir le développement des cellules B (Tableau I).

L’ensemble de ces données devraient permettre d’envisager sous un angle nouveau le traitement des pathologies associées à un thymus dysfonctionnel, qu’il s’agisse de pathologies auto-immunes ou dans le cadre de décifits immunitaires.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

References
1.
Ucar A, Ucar O, Klug P, et al. Adult thymus contains FoxN1- epithelial stem cells that are bipotent for medullary and cortical thymic epithelial lineages . Immunity. 2014; ; 41 : :257.–269.
2.
Swann JB, Weyn A, Nagakubo D, et al. Conversion of the thymus into a bipotent lymphoid organ by replacement of Foxn1 with its paralog, Foxn4 . Cell Rep. 2014; ; 8 : :1184.–1197.
3.
Takahama Y. Journey through the thymus: stromal guides for T-cell development and selection . Nat Rev Immunol. 2006; ; 6 : :127.–135.
4.
Rodewald HR. Thymus organogenesis . Annu Rev Immunol. 2008; ; 26 : :355.–388.
5.
Cordier AC, Haumont SM. Development of thymus, parathyroids, and ultimo-branchial bodies in NMRI and nude mice . Am J Anat. 1980; ; 157 : :227.–263.
6.
Le Douarin NM, Jotereau FV. Tracing of cells of the avian thymus through embryonic life in interspecific chimeras . J Exp Med. 1975; ; 142 : :17.–40.
7.
Gill J, Malin M, Holländer GA, Boyd R. Generation of a complete thymic microenvironment by MTS24+ thymic epithelial cells . Nat Immunol. 2002; ; 3 : :635.–642.
8.
Bleul CC, Corbeaux T, Reuter A, et al. Formation of a functional thymus initiated by a postnatal epithelial progenitor cell . Nature. 2006; ; 441 : :992.–996.
9.
Bajoghli B, Aghaallaei N, Hess I, et al. Evolution of genetic networks underlying the emergence of thymopoiesis in vertebrates . Cell. 2009; ; 138 : :186.–197.